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L’une voilée, l’autre pas

L’une voilée, l’autre pas, est le titre d’un livre co-rédigé par Dounia Bouzar et Saïda Kada. Un débat serein entre deux femmes aux parcours très différents qui posent la question suivante : « comment la culture musulmane peut-elle participer harmonieusement à la modernité républicaine ? »

Nous publions en exclusivité un extrait de ce débat.

Saïda : Les choses ne sont pas simples, l’exemple que je viens de vivre l’illustre parfaitement : j’ai été amenée à participer – en tant que membre de Divercité – à des réunions du Conseil Lyonnais pour le respect des Droits1, qui est un organe para-municipal consultatif ayant pour vocation de réfléchir sur la question des Droits des personnes. Nous y abordons différents thèmes comme la vidéosurveillance, le négationnisme et le racisme à l’université de Lyon III, justice et sécurité, le logement, la précarité, etc… Je siège à deux commissions : « Justice et Sécurité » et « Famille et Logement ». D’autres membres de Divercité siègent dans d’autres commissions. Le principe est que chaque membre d’association adhérente choisit les commissions dans lesquelles il souhaite s’investir.

La vice-présidente d’une des associations membres – Regards de femmes, association féministe lyonnaise – a refusé de continuer à participer à ce Conseil tant que j’y étais, parce qu’elle ne supportait pas mon foulard. Elle motive sa réaction dans le journal Libération en estimant qu’en le portant, je suis « complice de la domination masculine et donc des viols collectifs avec actes de barbaries ». Le journaliste écrit qu’elle va jusqu’à comparer le foulard à l’étoile jaune. Elle a réitéré ses propos dans le magazine « Lyon Femmes », estimant que « le foulard et les viols collectifs relèvent du même mépris pour les femmes ». Enfin, elle estime que cette commission extra-municipale étant financée par la Mairie, il y a une obligation de laïcité et de neutralité et s’interroge : « Est-ce que nous sommes toujours dans l’espace républicain français ?

Il est important de rappeler que l’objectif de cette instance est de s’intéresser à des problèmes rencontrés par les citoyens de ce pays et de proposer des alternatives, des solutions, des approches, qui permettraient de leur trouver une issue. C’est dans cette optique que je m’y suis jointe. Là encore, alors qu’il n’est nullement question d’islam et que je siège au titre d’un collectif laïque composé d’associations diverses et variées, on me réduit à mon foulard. Et quel foulard ! Un foulard « étoile jaune » complice de viols ! Qu’ai-je fait pour cela ? J’ai osé m’asseoir à la table du Conseil Lyonnais Pour le Respect des Droits en tant que citoyenne française tout en gardant ma part musulmane. Et de ce fait, on me rend responsable de situations que je suis la première à dénoncer. Lier le port du foulard à l’étoile jaune et au viol est une accusation grave. C’est de plus manquer de respect à ceux qui en ont été victimes. Je manque de mots pour parler de ce que les Juifs ont subi. Et le crime de viol ne date pas de l’immigration. Il n’est pas commis qu’à l’intérieur des banlieues ! Aucune religion ne peut être mêlée à ça. D’ailleurs, il n’y a qu’a voir les viols collectifs commis par des garçons de bonne famille française dans les quartiers huppés avec la « pilule du violeur », qui préoccupent actuellement le corps des médecins.

Dans ces conditions, comment arriver un jour à prouver que l’islam n’est pas incompatible avec les valeurs de notre République démocratique, qu’il ne s’oppose ni à la laïcité, ni à la citoyenneté, ni aux droits de la Femme, ni aux droits de l’Homme, si on doit le laisser à la porte pour participer aux grands débats ? Les foulards portés au sein des ghettos ne dérangent personne. C’est quand on parle d’égale à égale que cela pose problème. Ma présence peut pourtant désamorcer les amalgames qui font souffrir tant de femmes et inciter celles qui hésitent encore à se battre pour leurs droits. Ma participation en tant que citoyenne à la construction d’un projet commun ne peut dépendre du bon vouloir de certains qui, parce qu’ils se trouvent en position d’autorité et s’estiment les seuls héritiers d’une certaine France, font du droit le privilège de certains.

Dounia : En fait, vous faites beaucoup plus qu’affirmer qu’il n’y a pas d’incompatibilité entre islam et citoyenneté. A la différence des « années beurs », vous ne reprenez pas le concept de citoyenneté tel qu’il est traditionnellement conçu dans l’histoire de France. : c’est comme si vous l’aviez « dés-ethnicisé » lui aussi, vous en faites une notion politico-philosophique transversale qui se construit au-delà de l’histoire et de la civilisation française. Autrement dit, vous remettez en cause l’idée selon laquelle le concept de citoyenneté ne soit que le produit de l’histoire de France.

Quand tu te présentes – au titre d’un mouvement citoyen et politique – à ce Conseil Lyonnais du Respect du Droit avec ton foulard, tu t’appropries la citoyenneté en la reliant à des loyautés différentes de celles issues de la stricte histoire française. C’est comme si tu disais – et d’ailleurs tu le dis – : « Il n’y a pas que l’histoire de France et la culture française qui mène à la citoyenneté. L’islam aussi conduit à ça. On ne peut être un bon musulman si on n’est pas un bon citoyen. » En clair, tu revendiques le fait que la notion de citoyenneté soit comprise dans ta référence musulmane et pas uniquement dans les valeurs dites françaises. Tu n’as pas besoin de te défaire de ta religion pour y accéder. Tu n’as pas besoin de « t’assimilier » pour devenir complètement française.

Tu ébranles du même coup les bases du système d’intégration, l’histoire du modèle de citoyenneté, ainsi que les bases mêmes sur lesquelles s’est construite la France : la supériorité de sa langue et de sa culture ! N’oublions pas que le premier objectif de l’école laïque, obligatoire et gratuite, était la francisation de la masse des petits paysans qui passait notamment par l’acculturation via la seule langue française, le grand fonds commun ancestral gaulois, les lignées des héros guerriers et les œuvres des grands hommes d’état catholiques… Déjà à l’époque, l’unité de la Nation a été construite autour d’une culture dominante qui gommait le souvenir de représentations du monde différentes véhiculées par d’autres langues ou dialectes régionaux et les codes de sociabilité qui n’étaient pas ceux de la culture scolaire.

La Révolution ne fit que consolider dans les couches dirigeantes l’idée que la langue et la culture dans laquelle s’était inscrite la déclaration des Droits de l’Homme et du citoyen étaient marquées du sceau de l’universel. D’autant que la Révolution mettait fin à trois siècles de persécutions des protestants et des juifs.

Cette idée de supériorité de la langue et de la culture a servi à justifier les entreprises coloniales. Il fallait « aider » ces peuples, civiliser les indigènes et leur islam avec le cas échéant. C’était une mission universelle. Le système d’intégration en est également issu : tous ceux qui utilisent sa langue et qui adhèrent à sa culture peuvent être intégrés à la collectivité nationale française en tant que « citoyens ». Les minorités disparaissent en tant que particularisme en adhérant aux valeurs d’universalité de la République.

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Vos positions bouleversent toute cette histoire ancestrale puisque vous adhérez aux valeurs universelles de la République en affirmant qu’elles sont proches de celles transmises par votre religion. Vous n’êtes plus une minorité qui – tels les Corses et les Bretons – demandent d’être reconnues dans ce contexte de mondialisation ravivant des angoisses identitaires. Vous ne présentez plus l’islam comme un particularisme mais comme une référence supplémentaire qui rejoint les autres en les renforçant. Ce raisonnement place l’islam au même niveau que les autres références qui fondent l’identité française !

Vous revendiquez le droit de pouvoir utiliser – ou montrer – éventuellement votre référence musulmane comme n’importe quelle autre option légitime dans les débats publics, ce qui n’est pas encore accepté. Deux femmes ont vécu une expérience similaire à la tienne, à l’université de Paris 13. Elles font partie des quinze représentants élus par l’ensemble des étudiants. Du fait qu’elles sont voilées, les enseignants ont constitué une commission dite « de laïcité », estimant qu’elles n’étaient pas en capacité de représenter l’intérêt général !

Après avoir remis en cause la vision dominante de la religion réduite à la confession, vous introduisez une nouvelle conception de l’espace public au regard de la tradition française : cet espace ne serait plus seulement hautement organisé par l’Etat2, imprégné de valeurs et de références issues de l’histoire et de la civilisation françaises, mais serait l’illustration qu’il n’y a plus « une seule façon d’être Français ». Dans cette logique, Mohamed serait aussi français que Jean-Pierre, toi et ton foulard aussi française que ma collègue avec sa croix, et le jour de l’Aïd férié comme Noël3.

C’est remettre en cause l’ensemble du mode de relations issues de la colonisation entre les Français et les membres des anciens pays colonisés, période à laquelle le statut « spécifique 4 » du musulman remonte, les représentations de l’islam comme système de valeurs inférieures et archaïques, et interroger la définition même de l’identité française !

Extrait de L’une voilée, l’autre pas (cliquez sur le titre pour vous procurer le livre sur Amazon), Dounia Bouzar, Saïda Kada, éditions Albin Michel, 2003, ( p. 145 à 149)

1. Créée en 1989, sous la forme d’une commission extra-municipale, le Conseil lyonnais pour le respect des droits a été officialisé le 15 octobre 2001, par délibération du conseil municipal. Composé d’élus et d’associations, il a pour objectif de veiller au respect de la dignité de la personne humaine dans la Cité. Sa raison d’être n’est pas seulement d’analyser mais de proposer. Cette institution est le résultat d’une volonté collective de dépasser les différences opinions de sensibilités et d’origines autour des valeurs communes de la République. Elle trouve son sens dans l’inspiration à construire une cité pour tous à partir de la Maison Commune. (extrait de la page d’accueil du site internet www.respect-des-droits.org.

2. Khadidja Mohsen-Finan et Catherine Wihtol de Wenden, sous la direction de Rémy Leveau, L’islam en France et en Allemagne, Identités et citoyennetés, Les études de la documentation française, Paris, 2001.

3. C’est ce que réclame un certain nombre de jeunes : « On ne veut pas l’Aïd que pour nous, on veut que ce soit une fête nationale : partager tous ensemble l’Aïd – et Hannouka c’est normal – comme on partage Noël !! »

4. Franck Frégosi, La gestion publique de l’islam en France : enjeux géopolitiques, héritage colonial et/ou logique républicaine ? Correspondance, bulletin scientifique de l’IRMC, 2000.

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