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Lorsque Le Monde “pleure” le départ des colons

L’évacuation des colons de Gaza suscite indignation et dégoût. Indignation chez les colons récalcitrants à se conformer au droit international ; dégoût pour ceux qui longtemps ont soutenu ce même droit et qui constatent encore une fois l’hypocrisie de la classe politique israélienne et de la communauté internationale dans son ensemble.

Les colons “invités” à se retirer d’une terre qu’ils occupent dans l’illégalité la plus totale et dans l’impunité la plus complète font l’objet des attentions les plus particulières. Relogements prévus, indemnités accordées, compréhension de la part des soldats chargés de l’évacuation, l’opération “main tendue à nos frères” se veut une action douce, compréhensive et humaine. Inutile de rappeler que ces mêmes soldats n’hésitent pas à démolir avec armes et bulldozers des milliers de maisons palestiniennes. Au cours des trois dernières années, plus de 1200 maisons palestiniennes ont été détruites dans la seule bande de Gaza.

Mais cette politique n’est pas nouvelle de la part d’un Etat habitué à violer les règles du droit international pour venir à bout de sa stratégie d’occupation. Ce qui suscite néanmoins le dégoût, c’est la teneur de la couverture médiatique accordée à cet événement. L’évacuation de Gaza, loin de rappeler l’obligation qu’a Israël de se retirer des territoires occupés depuis 1967, se transforme en une compassion pour la douleur des colons. Encore une fois les bourreaux deviennent victimes. Et encore une fois, les medias privilégient la quête de l’émotion plutôt que la recherche objective.

Lorsque la télévision ou la presse israéliennes rapportent les témoignages de ces familles, étoiles jaunes cousues sur leurs vêtements, traitant les soldats de “nazis”, on ne peut que sourire à cette mise en scène burlesque du ghetto de Varsovie. Et on ne peut que s’attrister devant cette basse instrumentalisation d’un grand drame de l’histoire contemporaine. La dialectique reste la même, les victimes deviennent bourreaux et les bourreaux victimes.

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Mais lorsque les medias internationaux se joignent à cette mise en scène l’enjeu est plus grave. La surenchère accordée à cet événement est-elle raisonnable ? L’évacuation de Gaza aurait pu à juste titre servir de point de départ pour dénoncer la colonisation des territoires occupés dont Gaza ne constitue qu’une insignifiante partie (seulement 5% des colons se trouvent à Gaza). On aurait pu y voir une occasion pour faire pression sur les autorités israéliennes afin qu’elles évacuent le reste des colonies. Mais à bien y réfléchir, cela aurait-il attiré autant de lecteurs, bien plus avides d’émotion que d’analyse ?

Le Monde à son tour s’est joint à cette lecture simpliste de la réalité s’attaquant aux faits plutôt qu’aux causes, préférant secouer la sensibilité des lecteurs, non leur esprit. Depuis le début du retrait de Gaza, les unes du Monde n’ont pas manqué d’évoquer le déroulement de ces opérations. Ces descriptions ont servi de prétexte pour décrire les états d’âme des colons. Dans “A Shirat Hayam, la chronique quotidienne du retrait”, l’envoyé spécial du Monde a retracé pendant des pages et des pages la réaction de familles entières face à leur évacuation : Entre la famille Picard qui “vit l’enterrement de” son “rêve”, le jeune Avidanav Vitkoun qui ne cesse de prier avec sa femme et ses enfants ou la famille Gutmann qui implore les soldats de renoncer à leur mission, le journaliste s’attarde sur ce mélodrame politique, devenu religieux. “Larmes”, “pleurs”, “sanglots” sont des termes que l’on retrouve dans pratiquement tous les paragraphes de la chronique. L’attention du chroniqueur se porte particulièrement sur les femmes et les enfants, souvent perçus comme éléments fragiles de la société. C’est ainsi que lorsque le père Picard “a invité chacun de ses enfants à dire quelque chose, tous ont refusé sauf la petite Adar, âgée de 13 ans. “Ne m’expulsez pas de ma maison” a-t-elle répété”. Ou alors les adultes sont évoqués en prenant bien soin de souligner qu’ils sont entourés de leurs enfants. “La mère qui porte un nourrisson dans ses bras”, “le père sort avec un enfant dans les bras”… Ce tableau dramatique n’épargne personne, même pas les soldats. “Certains policiers n’ont pas retenu leurs larmes” en écoutant parler le père Picard et “l’une des soldates s’est effondrée en larmes” devant la famille Guttmann. La symbolique religieuse se mêle à un champ lexical dramatique afin d’émouvoir le lecteur. Sans parler des photos qui, dans le plus souvent des cas, servent à représenter des femmes et des enfants en larmes. On a même droit à un portfolio retraçant symboliquement la douleur des colons. L’une des images montre en premier plan une femme tenant dans ses bras un enfant. On ne voit la mère que de dos, tandis que le visage du petit demeure très apparent. Derrière ces deux personnages, des rangées de soldats défilent. Un enfant contre une arme, la force s’imposant à l’innocence. C’est tout ce qu’on doit retenir de l’image. Tout est fait pour compatir au désespoir des colons. Mais cela ne s’arrête pas là. Dans la chronique, le journaliste se déplace dans les villages prévus pour accueillir les colons. Là, la famille Mazuz entourée de ses enfants rappelle qu’ils reviendront un jour chez eux : “quoi qu’il arrive, nous y reviendrons, car Gaza est notre terre ; les Arabes nous l’ont volée.” En une semaine d’évacuation de Gaza, Le Monde a consacré plus de quinze articles sur cet événement, la plupart du temps pour y souligner le désarroi des colons refusant de quitter un territoire qu’ils occupent depuis plus de trente-huit ans.

La destruction de plus de 500 maisons palestiniennes chaque année est peut-être devenu un évènement trop banal pour faire l’objet de plus d’une dépêche. Lorsque la valeur d’un homme ne vaut pas celle d’un autre, lorsque le bourreau est plus bouleversant que la victime, lorsque le monde “pleure” le départ des colons, y a-t-il encore un espoir ?

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