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L’Islamophobie, la banalité du mal

On se souvient dans l’épisode de “l’Amiral Bragueton” que Bardamu, héros du Voyage au bout de la nuit, fait l’expérience, si difficile à vivre, du bouc émissaire universel. « Je tenais, sans le vouloir, le rôle de l’indispensable” infâme et répugnant saligauds “honte du genre humain qu’on signale partout au long des siècles, dont tout le monde a entendu parler, ainsi que du Diable et du Bon Dieu, mais qui demeure si divers, si fuyant, insaisissable en somme”. On comprend difficilement, ironie de l’histoire, comment une dizaine d’années plus tard Céline a pu écrire, le tristement célèbre, Bagatelle pour un massacre. Mystère de la psyché humaine. Ce vilain sempiternel, cet infâme absolu, cet archétype du pire, aujourd’hui, sans aucun doute, c’est « le musulman ». Ou pour mieux dire les musulmans, car toujours ils sont perçus comme des masses grouillantes, dont nulle individualité, nulle caractéristique personnelle ne se détache. Les musulmane, elles, à l’inverse, relèvent d’un fétichisme, d’une métonymie particularisante : le si médiatique voile islamique. Le trop ou le trop peu de la représentation n’empêche pas l’hyperbole. Ainsi l’Islam devient « la religion la plus con » (Houellebecq), la plus violente, la plus rétrograde, la plus obscurantiste…Mais arrêtons ici les superlatifs. Et tâchons d’objectiver l’objectivation.Comment rendre compte de cette géographie imaginaire ? La rhétorique ambiante, à l’évidence, s’articule autour d’une obsession unique, une monomanie : la peur, émotion diffuse et protéiforme. La menace terroriste, le péril islamiste, le fascisme vert, le totalitarisme islamique, le califat universel, l’internationale jihadiste, les kamikazes sont partout… Le moteur de tout cet impensé c’est la peur. C’est l’alpha mais c’est aussi l’oméga.

Ainsi assiste-t-on, tel un hommage à Gabriel Tarde, à une épidémie de l’effroi, une contamination de l’angoisse, une propagation de la panique, une prolifération de l’obsession sécuritaire, qui logiquement lui fait suite. Cette « mimesis des chocottes » peut s’expliquer par un ensemble de raisons. Dont les deux plus profondes sont, d’une part, un sentiment de dissolution culturelle ; d’autre part, une impression d’invasion (le fantasme du nombre et du pouvoir reproducteur de l’Arabe, que partagent les Orientalistes). Car derrière le multiculturalisme de façade, derrière le narcissisme et l’hédonisme contemporain chers aux postmodernes, il n’y a plus grand-chose, sinon un immense marché. Aujourd’hui l’on a une soif d’absolu, un besoin pressant de certitudes. Le ventre mou de la postmodernité ce n’est plus tenable ; relativisme et scepticisme ne peuvent longtemps faire figure de philosophie. D’où cette rigidité sur les principes, l’autorité, les valeurs, qui sont les signes avant-coureurs des révolutions conservatrices, de restauration de l’ordre moral. Ainsi redécouvre-t-on que l’Europe à une identité et des valeurs chrétiennes et qu’il convient qu’elles se perpétuent. L’arrière fond revient ainsi en surface : il est une culture légitime en Europe et elle est résolument « chrétienne et blanche ». Assisterait-on une déclinaison des WASP, à la façon européenne ? C’est aussi ce qui explique l’émergence des born again de la laïcité qui défendent bec et ongle un universalisme abstrait, aux accents apostoliques. Faisant fi des stigmatisations bien réelles que connaît le musulman concret. Encore que certains clament haut et fort « nous sommes Américains ! », il ne plait pas à tous d’être des Américains de synthèse. Si dans cette géographie mentale le musulman est légion, il est surtout une essence platonicienne, un en soi monolithique et immuable. Aussi pour comprendre ce dernier « l’histoire, la politique, l’économie ne comptent pas. » (Edward Saïd) ; seul compte le facteur religieux, c’est le seul déterminant pertinent. On sait depuis Ernest Renan que le « sémite » est un être incomplet et inaccompli, qui ne parviendra jamais à la maturité. C’est son fatum, il n’y peut rien – inchallah ! Ainsi pour conjurer l’effroi du composite et du mélange, il faut pouvoir réintroduire des frontières, il s’agit de fabriquer de l’Autre, en le renvoyant de manière incessante à une communauté imaginaire, en l’enfermant dans « le cercle magique du type » (Benjamin), cela rassure. Pourtant l’islamophobie a une longue histoire. Cela fait bien longtemps que l’Islam est pour l’Europe « un cataclysme historique. » (Pirenne), les Arabes un peuple sujet à tous les fanatismes (Ockley) et l’Orient la patrie du despotisme (Montesquieu). Cette islamophobie s’agence en couches successives, sédimentations multiples qui communiquent entre elles. Ainsi l’avatar dernier, n’est pas le recyclage de l’ancien racisme anti-maghrébin (héritage colonial), même si il en est empreint. Sa spécificité réside en ce que ses fers de lance ne sont plus les petites gens, et leur « racisme des petits blancs » mais des leaders d’opinion, qui traditionnellement se veulent progressistes. Ainsi on compte parmi eux des « philosophes », des « experts de la peur » (Vincent Geisser), des écrivains, des journalistes…, qui tous on leur entrée dans les médias, là est leur point commun. Ils pratiquent tous la fausse audace du non politiquement correct, en passe de devenir un nouveau conformisme, un simulacre de la pensée à contre courant. Qui revient à ceci : démoniser pour ne pas tomber dans l’angélisme. Ce ne sont pourtant que des gens du sérail qui se croient hérétiques. Car ces Don quichotte luttant contre la pensée unique ne sont, en fait, que des Sancho Panca nourrissant leur âne médiatique …Si cela n’avait pas de conséquence, ce ne serait qu’une minauderie d’intellectuels parisiens de plus. Une mythologie de plus à mettre à l’actif de nos Pangloss de la laïcité. Mais les répercutions sont évidentes : la légitimation et la banalisation du pire. Et si le meilleur fait souvent faux bond lorsqu’on le cherche, le pire, lui arrive à coup sûr. Qu’est ce que cela, sinon une prophétie auto-réalisante ? Si je crois que l’Autre est mon ennemi, Autre qu’au demeurant j’ai moi-même façonné, je le transforme en ennemi par ma riposte menaçante. Laissons le dernier mot à un penseur dont le programme philosophique peut se résumer à ceci : « nuire à la bêtise », franc tireur de la modernité, qui jamais ne passa les menottes forgées par l’esprit, Friedrich Nietzsche : « Le christianisme nous a frustrés de la moisson de la culture antique, et, plus tard, il nous a encore frustrés de la culture islamique. La merveilleuse civilisation maure d’Espagne, au fond plus proche de nous, parlant plus à nos sens et à notre goût que Rome et la Grèce, a été foulée aux pieds – Pourquoi ? Parce qu’elle devait le jour à des instincts aristocratiques, à des instincts virils, parce qu’elle disait oui à la vie, avec en plus, les exquis raffinements de la vie maure !… ».

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