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L’Islam, l’évolution, l’homme et l’univers

Dans la seconde partie de cet entretien, Nidhal Guessoum aborde la théorie darwinienne de l’évolution. Le Coran se situe-t-il dans une perspective créationniste ou évolutionniste ? Une question à laquelle répond l’astrophysicien qui évoque également les nouveaux paradigmes scientifiques comme le principe anthropique, et dresse un bilan sans concession de la situation des universités dans le monde musulman.

Pouvez-vous définir ce qu’est le darwinisme et le créationnisme ?

Le darwinisme est la théorie, prévalant largement à l’heure actuelle, qui présente une explication scientifique générale de l’évolution des organismes vivants telle que nous l’observons dans la nature. Donc, il faut d’abord commencer par ce que nous observons (la morphologie des organismes, les fossiles que nous trouvons et ce qu’ils nous disent sur leur évolution dans le temps, et enfin et surtout maintenant toute la génétique de chaque organisme). De là, nous déduisons clairement qu’il y a eu évolution biologique durant l’histoire de la vie sur terre, évolution à l’intérieur de chaque espèce et évolution des espèces les unes à partir des autres.

Il faut également souligner que cette idée d’évolution, pour laquelle les preuves les plus solides n’ont été obtenues que durant les 150 dernières années et surtout durant les dernières décennies. L’idée d’évolution elle-même est ancienne, remontant au moins aux Grecs. Nous la trouvons assez clairement exprimée par certains des grands érudits musulmans de l’âge d’or de l’Islam, comme Al-Jahiz, Ibn Maskawayh, Ibn Khaldun, etc.

Le darwinisme est la théorie scientifique (essentiellement basée sur la sélection naturelle et les « changements » qui surviennent sur les organismes de temps à autres) qui a tenté – et largement réussi – à expliquer l’apparition de nouvelles espèces et des caractéristiques observées dans la nature. Plus tard, le néo-darwinisme a intégré les mutations génétiques à cette théorie en expliquant encore mieux les relations et les transformations qui se produisent et que nous trouvons dans la nature.

Par opposition, le créationnisme est l’affirmation que les espèces vivantes (les différents animaux, les plantes, l’homme) ont été créées telles quelles, qu’elles n’ont, au plus, vécu que quelques « micro-évolutions », c’est-à-dire à l’intérieur même de chaque espèce et jamais d’une espèce à une autre.

Peut-on être évolutionniste sans être darwinien ?

Oui, on est évolutionniste non-darwinien si on croit que les espèces vivantes ont évolué (en elles-mêmes et entre elles) mais pas selon la théorie de Darwin.

Par exemple, Lamarck avait proposé une hypothèse (l’acquisition de nouveaux traits par le comportement de l’organisme dans son environnement particulier) qui a largement été rejetée, mais qui aujourd’hui est remise en avant par quelques observateurs.

D’autres insistent sur l’idée de « structuralisme » qui serait déterminante dans l’évolution et l’émergence des espèces, à savoir que les formes sont non seulement plus importantes que les fonctions des organismes, mais que ces formes seraient déjà inscrites dans la nature à travers les lois biologiques/physiques/chimiques qui la régissent, des lois qui attendent notre découverte…

Il faut dire, toutefois, que la grande majorité des biologistes aujourd’hui sont darwiniens, mais qu’une minorité de spécialistes (en particulier Simon Conway-Morris à Cambridge et Michael Denton en Nouvelle Zélande) remettent en question ce paradigme général. Nous y verrons plus clair dans une décennie ou deux. Mais il reste que l’évolution elle-même n’est remise en cause par aucun spécialiste…

Le Coran se situe-t-il dans une perspective créationniste ou évolutionniste ?

Tout dépend de la manière dont on lit le Coran ! Si on adopte une approche littéraliste du Coran, il nous semble « évident » qu’Adam a été créé directement en tant qu’humain (à partir de l’argile, mais pas à partir d’autres espèces, animales, antécédentes), et on ne voit pas comment il serait question d’une évolution humaine – et encore moins pour toutes les espèces animales – sur des millions, voire des milliards d’années.

De plus, un esprit littéraliste fera remarquer qu’Adam a été créé « au paradis » puis expulsé vers la terre, et nulle question d’évolution à partir de petits primates…

Maintenant, si on se dit que l’évolution est un fait et que le Coran ne peut pas contredire des faits observés, ce qui est le principe énoncé par Ibn Rushd et sur lequel il a bâti sa philosophie d’harmonisation de l’Islam avec la connaissance rationnelle, alors on se met à lire le Coran avec un nouvel esprit, en remarquant d’autres affirmations et allusions dans le Coran. Par exemple, que le Coran insiste plusieurs fois – et en fait un argument à l’encontre des incroyants – que la vie a été créée dans ou partir de l’eau (21.30 ; 24.45).

Par ailleurs, concernant Adam, on se rend compte que « le jardin » d’où Adam a été expulsé était plus probablement sur terre que dans le paradis, et en fait les exégètes même classiques étaient divisés sur ce point, certains préférant l’option terrestre.

Enfin, d’autres versets peuvent facilement se comprendre dans une optique évolutionniste si on y apporte un petit « brin » d’interprétation. (Tout cela est expliqué dans mon livre, dans un long chapitre de près de 70 pages !)

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Donc le Coran est sujet à interprétation à bien des égards, y compris sur cette question de l’évolution. Mais affirmer que le Coran nous force à rejeter toute théorie de l’évolution, c’est tout simplement faire preuve de littéralisme et témoigne d’un manque évident d’érudition (islamique et scientifique).

Le principe anthropique est-il un nouveau paradigme scientifique susceptible de conforter les croyants dans l’existence d’un principe créateur de l’univers ?

Il faut d’abord distinguer le « réglage fin » de l’univers du « principe anthropique » : le premier englobe la série de découvertes/réalisations que les éléments de base sur lesquels l’univers a été bâti n’auraient pas produit la vie, la conscience, l’intelligence, l’homme, s’ils avaient dévié un tant soit peu des valeurs qu’elles ont dans notre univers (qui est donc « finement réglé »).

Le second conclue de cette réalisation que l’homme (« anthropos ») constitue un but ou du moins une obligation, une contrainte dans la structure et l’évolution de l’univers. Le « réglage fin » relève de la science, le « principe anthropique » relève de la philosophie, voire de la théologie.

Sur le premier, il n’y a pas de désaccord entre les scientifiques de toutes tendances. En revanche sur le second, qui prend plusieurs formulations (« faible », « fort », « super fort », « ultra-anthropique », etc.), il persiste une grande controverse. Les croyants, évidemment, sont non seulement ravis du « réglage fin », mais lui donnent forcément une interprétation théiste (Dieu avait l’homme, la conscience, l’intelligence en vue lorsqu’Il a créé l’univers. Il a donc donné à ses paramètres les bonnes valeurs…). C’est au niveau de ce sujet, que j’affirmais (dans la première partie de cette interview) que la science peut apporter un certain éclairage à la religion/théologie et réciproquement.

Pour conclure, en tant qu’universitaire, quel regard portez-vous sur les universités des pays arabes et musulmans ?

Il ne fait aucun doute que les universités des pays arabes et musulmans sont peu performantes, pour employer un euphémisme. Ce n’est pas une opinion que j’émets là, ce sont les données objectives qui l’affirment, comme les chiffres présentés dans les rapports du PNUD (Programme des Nations Unies pour le Développement) ou de la Banque Mondiale.

Ces chiffres et rapports montrent, par exemple :

  1. Sur environ 2000 universités du monde musulman, seules quelques-unes se situent dans le Top 500 à l’échelle internationale.
  2. Le nombre de publications scientifiques produites par les universitaires des pays musulmans représente environ 1.1% de la production mondiale.
  3. En 1999, seules 134 inventions ont été brevetées dans tout le monde musulman, comparé aux 3076 en Israël.
  4. Le nombre d’articles scientifiques fréquemment cités par million d’habitants est de : 0.02 en Egypte, 0.01 en Algérie, 0.53 au Koweït, comparé aux 38 en Israël, 43 aux USA, 80 en Suisse…

Il y a de nombreuses raisons complexes à cet état de fait. Il me faudrait plus d’un entretien pour tenter de les exposer et de les analyser. Mais ce qui me choque le plus, ce sont deux choses :

  1. La gestion catastrophique de bon nombre de ces universités
  2. La disparition des standards, voire même de l’éthique, académique au sein même de ces universités.

En effet, nous avons pu constater à plusieurs reprises des articles qui ont été publiés par des chercheurs sans scrupule, animés uniquement par un esprit mercantile et sans de soucier de leur qualité. Pire encore, le problème du plagiat (paragraphes, pages, voire papiers entiers copiés et republiés) commence sérieusement à se poser dans de nombreux pays musulmans. N’évoquons même pas l’état de déliquescence dans lequel se trouve hélas l’enseignement dans ces universités…

Si nous projetons de nous remettre au rythme du progrès, au diapason de la science et de la recherche contemporaine, en harmonie avec les principes de l’Islam et les méthodes adoptées et suivies par nos illustres prédécesseurs (Ibn Sina, Al-Biruni, Ibn Al-Haythem, Ibn Rushd – de vrais savants), nous devons impérativement revoir toutes ces approches de la science aujourd’hui, tout le monde est concerné : aussi bien les scientifiques, les oulémas, les étudiants ainsi que le grand public.

Propos recueillis par la rédaction

Auteur d’un ouvrage de référence Réconcilier l’Islam et la Science Moderne , Nidhal Guessoum sera un des intervenants du séminaire Science et Islam organisé par Oumma.com du 2 au 4 juillet à Paris.

 

 

 

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