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L’islam français n’existe pas

« Mon Seigneur ! Protège-moi !
« Ils me traitent de menteur ! »
Coran, XXIII, 26.

La création du C.F.C.M. voici deux ans avait marqué un grand espoir : au même titre que les autres cultes, l’islam allait enfin avoir une structure représentative, présente sur tout le territoire à travers les Conseils régionaux du culte musulman. Saluant les efforts de Nicolas Sarkozy, Xavier Ternissien ouvrait un article par cette phrase : « Il y a du Napoléon dans cet homme-là. », Alain Duhamel avait parlé de « prouesse », l’énergie et l’engagement du ministre étant salués par tous.

Deux ans après, il faut bien le constater, les espoirs qui avaient été mis dans la création de ces structures sont généralement déçus. Ils sont déçus car seuls les musulmans ont « joué le jeu », ils ont cru qu’une structure représentative, quelles que soient les réserves que l’on puisse faire sur sa représentativité, pourrait être l’interlocuteur légitime des pouvoirs publics. Ils ont cru que les manifestations organisées en faveur des otages français en Irak seraient une preuve de leur intégration à la République, ils ont cru… la liste serait trop longue.

Face à cette espérance, quelle a été la réaction des pouvoirs publics ? Il convient de distinguer ici le national du local. A Paris, le C.F.C.M. et ses membres sont effectivement les interlocuteurs du gouvernement, du ministre de l’Intérieur et de son cabinet. Il aurait été légitime de penser qu’au niveau local, les choses aillent de même. Est-ce bien le cas ? Rien n’est moins sûr.

Eliminons tout d’abord le cas de ceux qui ont simplement refusé d’avoir des contacts avec les présidents des C.R.C.M. parce que les élus ne correspondaient pas à l’image qu’ils se faisaient des musulmans (« Untel a vraiment le profil d’un intégriste », « le problème d’Untel, c’est sa tête … »). Ces pratiques et les discours qui les fondent n’ont guère été analysés par les observateurs. La majorité des élus adhérant, verbalement du moins, aux valeurs républicaines, cela suffit pour tout potage et dispense d’un examen attentif des pratiques administratives conduites sous leur autorité : je pourrais citer en vrac les refus de locaux aux C.R.C.M. qui font face à un dramatique manque de moyens – mais je prends ici les paris que l’élection d’un président de C.R.C.M. conforme à leurs vœux, je veux dire l’un de ces représentants de « l’islam des Bachagas » à la dévotion des politiques, verra se lever tous les obstacles jusque là dressés pour ne pas donner de locaux : « ce n’est pas au contribuable local à supporter les coûts d’une instance voulue par le Ministère de l’Intérieur », « c’est une instance régionale et non locale », etc… – citons aussi les refus de permis de construire aux associations musulmanes en dépit de la récente circulaire du ministre de l’Intérieur du 14 février 2005 appelant les maires à ne pas détourner le droit de l’urbanisme pour empêcher l’exercice du culte, les préemptions abusives de locaux, pour ne pas mentionner un cas un peu plus ancien mais sans doute le plus scandaleux : l’octroi à une association musulmane, par bail à construction, d’un terrain inconstructible…

Pour autant, a-t-on bien pris conscience que nous étions sortis de l’époque sans musulmans ou l’on pouvait admirer les réalisations de l’islam, son architecture, ses miniatures et ses calligraphies, d’autant plus volontiers qu’il était loin et que nous avons aujourd’hui, parmi nos voisins, nos collègues de travail, parfois dans nos familles, des musulmans, au moins sociologiques, quelque fois pratiquants, et qui ne demandent bien souvent qu’à pouvoir accomplir de nouvelles réalisations – à commencer par une vie « normale » : fonder une famille, avoir un travail, pouvoir sortir le soir.

Un autre cas est celui d’élus recevant le Président du C.F.C.M. à l’occasion d’un déplacement en province, qui « oublient » d’inviter le président du C.R.C.M. local. Ce cas de figure appelle deux observations :

Certes, le président du C.F.C.M. a l’air de croire encore que l’Algérie c’est la France : ne s’est-il pas contenté, lors d’un récent déplacement en province de ne rencontrer que les associations réputées « algériennes » ?

Cependant, il a tort tout d’abord de ne pas imposer son représentant local ou de ne pas l’associer à son déplacement. Comment peut-il alors être crédible en manifestant si peu d’attachement à la structure qu’il préside ? Ne voit-il pas qu’il scie la branche sur laquelle il est assis et qu’il contribue à décrédibiliser, aux yeux de ses interlocuteurs locaux, l’institution qu’il représente ? A leur tour, ces pouvoirs publics locaux ont eu tort d’écarter le représentant local d’un culte, élu comme eux sur les mêmes principes démocratiques – certes, ils ne sont pas élus au suffrage universel, mais les sénateurs ne le sont pas non plus et pourtant qui songerait à discuter de leur légitimité ? Comment croire ensuite aux discours sur la démocratie représentative dont ils sont généralement friands ? Comment croire au principe d’égalité, en l’occurrence à l’égalité entre les cultes, lorsque ceux qui devraient montrer l’exemple ignorent les responsables locaux ? Comment enfin croire à cette nouvelle religion de la classe politique, la proximité quand on refuse précisément le contact avec le représentant local d’un culte ?

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Au demeurant, l’affaire Calas, qui a vu celui-ci condamné à mort par les juges de Toulouse et réhabilité par le roi aurait du nous apprendre depuis plus de deux siècles quelle valeur accorder à la « proximité »…

Une pratique étonnante dans ce pays réputé laïc, est d’ailleurs en train de se révéler : l’intervention d’élus de la République dans le processus électoral, recevant avec une ardeur jusque là inconnue les présidents d’associations musulmanes, les incitant à voter pour l’un plutôt que pour l’autre, avec une étonnante conviction, suivie de promesses qui, mises bout à bout, sont aussi cohérentes que celles de la création d’un Royaume arabe et d’un foyer national juif au même endroit… Si ceux qui se prêtent à ce jeu connaissaient l’histoire, ils sauraient que de telles promesses ont mené les Arabes à Mayssalun. Quant à ceux qui s’y livrent, ils rêvent peut-être d’occuper un jour les fonctions de Grand Mufti de la République, que je propose de créer après les élections afin de récompenser celui qui se sera le plus dépensé pour cette noble cause.

Enfin, comment interpréter ces interventions des consulats dans le processus électoral qui se prépare ? Espérons que nous n’apprendrons pas un jour que ces interventions ont été favorisées par les pouvoirs publics, sous traitant ainsi le statut religieux de citoyens français à des puissances étrangères, à moins qu’ils ne préfèrent laisser aux indigènes le soin de s’occuper des indigènes… exprimant ainsi le fond de leur pensée qui est bien que l’islam français n’existe pas, qu’il ne peut être qu’une pratique « étrangère », qu’il convient de cantonner dans son étrangeté. Ce « laisser faire » – a minima – est scandaleux au regard des principes de souveraineté et de démocratie ; les responsables d’associations qui s’y prêtent – car il semble que le pouvoir d’attraction des sirènes consulaires soit bien puissant, se délégitiment dans leurs prétentions à la représentativité et à l’intégration. Ne voient-ils pas que ceux qui prétendent les aider aujourd’hui en les poussant dans cette voie, pourront leur reprocher demain une allégeance trop grande à l’égard des « pays d’origine » pour fonder un refus de tout dialogue avec des associations « inféodées à l’étranger » ? Comment enfin, ne mesurent-ils pas le présent et les promesses d’avenir avec la réalité des pratiques antérieures ? Une association avait pour but de construire une mosquée ; les élus locaux y étaient peu favorables et faisaient traîner le dossier. Je croise un jour l’un des responsables de cette association qui me fait part de sa satisfaction : « ça y est ! le consul a vu le maire, et c’est d’accord pour la mosquée ! » me dit-il. C’était il y a deux ans : le consul avait peut-être vu le maire, mais personne n’a encore vu la mosquée.

Sourions un peu dans ce paysage plutôt triste : on me signale qu’un consul de Turquie, sans le vouloir qui sait ? apporterait ainsi, bien malgré lui, son soutien à une liste que souhaitent voir triompher tels élus locaux par ailleurs hostiles à l’entrée de la Turquie dans l’Union Européenne…

Comment expliquer cette confusion ? Se pourrait-il qu’une stratégie soit à l’œuvre chez ceux qui croient gouverner alors qu’ils ne font que conspirer ? Se pourrait-il que des élus démocrates souhaitent, ce faisant, éliminer autant que faire se pourra telle ou telle tendance de fait représentative de l’islam français ? Démocrate moi-même, je ne peux croire que l’on puisse ainsi tenter d’influencer le suffrage. Je ne retiendrai cette hypothèse que de façon purement théorique pour essayer de comprendre, ce que pourrait être la politique à l’œuvre derrière ces manœuvres d’arrière boutique. Supposons que l’objectif de tout cela soit qu’une tendance importante soit éliminée des instances représentatives de l’islam français, à la suite d’alliances d’états majors dignes d’une IV° République finissante plus que de l’esprit de la V° République : cela peut conduire soit à la radicalisation du groupe exclu, soit à son élimination politique. La radicalisation du groupe exclu entre dans la catégorie des prophéties auto réalisatrices : il ne manquera pas alors de bonnes âmes et de spécialistes autoproclamés pour s’écrier : « Je vous l’avais bien dit ! », oubliant alors les efforts qu’ils auront accomplis eux-mêmes pour présenter cette conséquence comme « naturelle ».

L’élimination est une autre possibilité. Souhaitée semble-t-il par beaucoup – se prennent-ils peut-être à rêver d’être les Bugeaud du XXI° siècle, se contentant d’éliminer politiquement ceux qu’ils ne peuvent plus enfumer dans les cavernes ? Elle aurait pour conséquence de laisser face à face, par exemple, les groupes salafistes avec les pouvoirs publics. Je doute fort que les pompiers incendiaires des grandes manoeuvres politico-consulaires aient bien mesuré les conséquences de leurs interventions brouillonnes.

Il y a une hypothèse de fin que je n’ai pas encore envisagée mais qui s’impose lorsque l’on parle de la IV° République : les stratèges de cabinet, leurs complots et leurs délices, peuvent un jour finir piteusement, chassés par leur propre médiocrité. Et lorsque nous ferons alors le bilan de cet épisode, nous conclurons avec le Général de Gaulle « qu’il n’y a eu là (… ) rien que de médiocre et de subalterne ».

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