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L’islam est-il parfait ?

Le précédent article prenait comme point d’appui initial une pensée du grand Malek Bennabi : « C’est l’homme musulman qu’il faut réformer et non pas le Coran. » Nous avions toutefois montré qu’il n’était guère possible de concevoir la réforme du musulman sans avoir à modifier son rapport au Livre, c’est-à-dire envisager que nous puissions et surtout devions relire le Coran et non plus seulement le lire. Il nous faudrait ainsi admettre que la perfection coranique se puisse heurter à l’imperfection de l’homme, l’avenir se dessinant alors nécessairement par la perfectibilité de notre lecture coranique. Nous avions qualifié ce mouvement d’esprit et de cœur de « réforme coranique » : réformer notre lecture du Coran pour réformer notre être par le Coran.

Logiquement, cette réflexion trouve son prolongement en un autre concept de Bennabi, son très fameux syllogisme post-almohadien : « L’islam est une religion parfaite, nous sommes musulmans, donc nous sommes parfaits. » (1) Il voyait là, avec pertinence, la cause de l’engourdissement de la civilisation musulmane, puis de sa décadence, et enfin de son incapacité actuelle à pouvoir redresser le cap. Je le cite à nouveau : « Syllogisme funeste qui sape toute perfectibilité dans l’individu en neutralisant en lui tout souci de perfectionnement. »

La conclusion est imparable : le changement ne peut provenir que de l’homme musulman dès lors qu’il prendra conscience de son imperfection présente. En conséquence, les musulmans ne peuvent et ne doivent réformer que ce qui peut l’être, eux-mêmes. Il n’y aurait, semble-t-il, rien à ajouter à ce constat dont la rigueur logique a comme image la gravité de la situation. Cependant, Malek Bennabi, en son raisonnement, valide sans en discuter l’axiome formulé en la première prémisse de son syllogisme : « L’islam est une religion parfaite ». Je le cite : « Voilà une vérité dont personne ne discute », affirmation se comprenant comme signifiant qu’il est indiscutable que l’islam soit une religion parfaite. En conséquence de quoi, la réforme de l’homme musulman consiste à se mettre en conformité avec le paradigme idéal d’un islam idéal.

• L’islam serait-il imperfectible ?

En réalité, l’on postule de la perfection de l’islam à partir d’un autre syllogisme que je nommerais le syllogisme de la perfection : Dieu est parfait, l’islam provient de Dieu, donc l’islam est parfait. Apparaît alors plus nettement encore qu’entre la perfection de Dieu et celle du musulman s’impose une condition : l’islam parfait. Mais, si l’islam ne s’avérait pas parfait, l’entièreté du raisonnement s’effondrerait.

• Pourquoi l’islam serait-il parfait ?

Le syllogisme de la perfection admettrait pour être valide que l’islam provienne de Dieu, exactement comme la perfection du Coran est présumée de son origine divine. Toutefois, cette perfection supposée de l’islam se heurte aux faits : l’historicité et la multiplicité. Il est historiquement possible de retracer la formation et l’évolution de l’islam religieux : le Droit musulman, le fiqh, tout comme le dogme, al ‘aqida, ne connurent leurs formes actuelles que deux siècles après la disparition du Prophète ; le Hadîth dut attendre presque un siècle de plus pour être stabilisé ; l’exégèse coranique, tafsîr, un siècle encore pour déterminer la paradigmatique coranique.

Durant cette gestation de quasiment quatre siècles, les avis furent très divers, souvent opposés, parfois conflictuels, les Écoles ou madhâ’ib en sont toujours le témoignage, les grands courants dogmatiques du kalam aussi. Cette diversité résiduelle ne fut jamais réduite, et les dernières tentatives d’éradication au nom de l’unitarisme totalitariste néo-wahhabite ne devraient pas non plus y parvenir. L’islam n’est donc pas un objet unique de définition unique, mais une somme complexe et riche de ses différences, une pensée vivante. Ce que nous appelons par habitude islam, à titre collectif et individuel, n’est qu’une simplification de cette entité multiforme destinée à rendre fonctionnelle et utile cette interface entre nous et Dieu.

Certes, l’islam, en tant que concept, est né avec le Coran, mais en tant que dessin religieux il a une histoire et s’inscrit dans l’Histoire. L’islam est de toute évidence pour partie le fruit d’une élaboration humaine, il est le produit d’une réflexion à partir des matériaux de la Révélation, le Coran, et de la tradition des hommes. En quelque sorte, il est de nature hybride ; une part s’origine en les Cieux et l’autre a ses racines sur Terre. L’islam ne pourrait donc avoir de perfection que de par la perfection humaine ; or l’homme n’est pas parfait. En conséquence, autre syllogisme, l’islam est à l’image de l’homme : perfectible.

– La deuxième voie de démonstration épistémologique est l’expérimentation. Ici il s’agit de l’épreuve des faits historiques. Depuis 1000 ans tout mouvement de réforme, toute tentative de retour à l’islam, s’est soldée par un échec. L’épopée almohade prise comme repère par Bennabi n’en est en réalité qu’un épisode parmi d’autres (2). Quel que fut l’appel et la réussite en matière de réappropriation de l’islam il ne fut plus jamais possible de recréer l’élan civilisationnel initial. Quatre siècles encore éclairèrent le monde, mais ce n’était là que les ultimes lueurs du long crépuscule de l’islam, pour paraphraser ici notre penseur. Inexorablement, l’islam s’est avéré incapable de redonner vitalité à ce grand corps malade.

Aux temps présents, depuis plus d’un siècle, toutes les entreprises de réforme ont prôné un retour à un islam pur ou authentique ou théorique et toutes ont échoué à réaliser leurs objectifs même si certaines brisèrent le joug du colonialisme. Celles-ci, si elles ont alors libéré les musulmans de la domination occidentale, ne purent au nom de l’islam libérer les musulmans d’eux-mêmes.

Ainsi, l’islam que l’on suppose être parfait n’a jamais réussi à donner vie au renouveau des musulmans. Cette vérité – l’islam parfait – que nos penseurs théorisent, que nos idéologues mettent en branle, que nos doctes assermentent au nom de Dieu et de Son Prophète est, à l’expérience répétée depuis dix siècles à présent, indubitablement infirmée, l’islam n’est plus la panacée promise. L’islam a cessé depuis 1000 ans d’être un moteur civilisationnel. En réalité, en cette lente agonie, il fut comme un doux poison, tel l’opium qui après un bref état euphorique s’ensuit d’une léthargie onirique.

• L’islam n’a-t-il pas produit une grande civilisation ?

Ceci pourrait être une objection rationnellement informée : comment expliquer l’essor historiquement indéniable de la civilisation islamique si l’islam n’avait pas été parfait ? Tout d’abord, observons que la perfection n’est pas une condition de réussite, sans quoi bien des épopées humaines, des civilisations, n’auraient vu le jour à attendre encore la perfection que jamais elles ne connurent. Ensuite, effectivement, l’islam est à l’origine d’un grand moment de l’histoire humaine, seuls les négationnistes pourraient en douter. Mais, à être exact, c’est la Révélation qui en a été l’énergie initiale et le Prophète le vecteur. Durant la période d’expansion géographique et de formation civilisationnelle, l’islam ne fut qu’un élément d’accompagnement, un concept qui s’adapta parfaitement aux événements au point d’en devenir le référentiel. Si la Révélation est la source, l’islam est ce fleuve puissant qui traça son cours en les plaines de l’Histoire. L’islam fut le corps, mais la Révélation en était l’âme.

Ce corps vigoureux grandit, combattit, détruisit, construisit ; il fit montre d’une exceptionnelle capacité d’adaptation, d’absorption, d’assimilation. Cet islam était vivant, non figé, non parfait, mais perfectible. Il avait pour lui la cohérence d’avoir été forgé à l’épreuve du présent, des réalités, et il connut en conséquence une croissance de quatre siècles ce qui est en soi exceptionnel. Cet être civilisationnel devait donc s’accorder sans cesse à ces changements de lieux et de tailles, la Révélation en était la constante, l’islam la variante, ainsi firent-ils ensemble un chemin de quatre cents années. Mais, dès lors qu’une orthodoxie s’auto-légitima en édictant l’islam parfait, imperfectible, inadaptable, irréformable, non critiquable, qu’il devint le modèle de référence pour les siècles et les siècles, alors l’élan magnifique fut brisé. Le géant s’alourdit, ralentit sa course, s’effondrant doucement sous sa propre masse. La perfection autoproclamée de l’islam sonna le glas de la civilisation islamique. Le reste du monde, barbare donc, poursuivit sa marche, le temps de même, le monde musulman figé en les lustres de son Âge d’or, brillant encore dans le sur-place, se trouva progressivement distancé, s’assoupissant dans les poussières de son glorieux passé. Les musulmans mouraient lentement de leur perfection.

Cet islam a été pleinement apte à propulser une civilisation originale vers les sommets de l’Histoire. Puis, dès lors que l’islam fut canonisé, parfait, inamovible, il s’avéra incapable de s’adapter aux nouvelles conditions de développement, et cela est logique. De par l’accélération continue du temps et la montée d’un monde nouveau, il ne sut faire face et, lorsque la décrue s’amorça, cet islam ne put jamais redresser la barre et encore moins inverser le cours de l’Histoire. Après avoir été une force de propulsion, cette même énergie, alors négative au présent, freinait toute progression. C’est donc cet islam, islam que l’on peut qualifier d’islam historique, qui après avoir été souffle de vie fut facteur de la décadence irrémédiable du monde musulman.

• L’islam a-t-il été un facteur de déclin ?

A vrai dire, durant cette période d’expansion et de production civilisationnelle, l’islam, du fait qu’il était encore en mouvement et pouvait rester en phase avec son temps, créa l’illusion de sa propre perfection.

L’Histoire n’est pas une discipline mathématique et le point culminant d’une civilisation, son apogée, n’est connu que par la détermination a posteriori de son moment de décroissance, ce n’est que rétrospectivement que l’on peut en tracer la courbe de Gauss. Elle semble toutefois obéir à quelques lois générales. Tout système dépend de l’énergie initiale et de la présence de conditions favorables à la réaction. La cinétique de cette dernière est positive tant qu’elle produit plus d’énergie qu’elle n’en consomme, mais, quel que soit le rendement, la thermodynamique historique impose de par le changement obligatoire des conditions expérimentales de renouveler les composants initiaux eux-mêmes. Une civilisation meurt donc systématiquement de ne plus avoir su après son expansion modifier ses propres constantes, elle devient alors entropique et s’éteint dans les feux mêmes de sa gloire.

L’islam, système s’il en est, ne fit pas exception, en tant que construction humaine il n’échappa point à cette loi de l‘Histoire, les faits le prouvent. Seul l’islam en tant que concept révélé est indépendant des contingences historiques.

Si les hommes – par nature ? – rêvent parfois d’un retour aux gloires passées par un retour à ce qui fit leur grandeur, ils ne prolongent jamais rien d’autre que leur décadence. En réalité, l’histoire des hommes atteste qu’aucune civilisation jamais ne renaît de ses cendres (3).

• L’islam est-il perfectible ?

Mêmes causes, mêmes effets, et à répéter sans cesse la même erreur, à croire et à penser que l’islam est chose en soi parfaite, nous retombâmes et tomberons indéfiniment dans les mêmes travers. Ne pas avoir su, ne pas avoir voulu, ne pas vouloir comprendre que cet islam né-mort du IVe siècle ne pouvait plus être la référence intangible et absolue des musulmans a condamné toute tentative de réforme de l’homme musulman à l’échec. L’islam n’est pas parfait, il est perfectible, et réformer le musulman c’est tout d’abord « réformer » l’islam qui l’a enfanté.

Cet islam historique qui fit les mérites de notre passé, encore une fois les faits le prouvent, est ainsi inadéquat. Il ne permettra pas à l’homme de notre époque de retrouver sa propre dimension, de se réformer, il n’est point en sa forme connue la solution miracle. Il n’y a aura donc de réforme de l’homme musulman que par la « réforme » de l’islam.

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De plus, croire ou penser que l’islam est parfait, inscrit confortablement toute tentative de réforme du musulman en un rêve mythologique, comme un étalon de perfection absolue qu’il suffirait de mettre en œuvre. Par-delà l’euphorie théorique des réformateurs et de leurs adeptes, ce programme, lorsqu’il réussit, ramène implacablement au passéisme, si ce n’est au passé, puisqu’il devient alors nécessaire de freiner par un mouvement antérograde la fuite du temps afin que l’écart entre la réalité présente et cet « idéal » mythologisé cesse de se creuser. Ce mal nous frappa il y a déjà fort longtemps et, depuis un siècle, combien de vagues de réforme, quand elles ne furent pas de sang, s’échouèrent-elles immanquablement sur les grèves du piétisme atone d’un conservatisme paralysant.

• Qu’en est-il du syllogisme de Malek Bennabi ?

Le syllogisme de Bennabi : « L’islam est une religion parfaite, nous sommes musulmans, donc nous sommes parfaits. » ne trouve donc pas sa solution là où il l’avait pensé, car si l’islam n’est pas parfait il est perfectible ; et nous disons alors : « Seul Dieu est parfait, l’islam est perfectible, le musulman aussi. »

Comme une gifle de vent d’amont, admettre cette dure vérité, et se réveiller de ce long rêve oriental, se préparer à la réforme d’avant la réforme. L’islam n’est pas parfait et le musulman non plus. Sa perfection ne garantit donc plus la nôtre. Plus encore, s’en prétendre ne fait rien d’autre de nous que de simples musulmans, des hommes en islam, mais point des femmes ou des hommes musulmans. A ce seuil, choc frontal au mur de nos psychologies, s’effondre en nous l’appartenance à la perfection. Alors, boucle logique de sécurité, l’impensable doit demeurer impensé et l’impensé impensable. Les certitudes sont le curare de l’esprit, mortel poison.

• Le wahhabisme mondialisé n’est-il pas l’exemple d’un retour possible à l’islam ?

Ultime illusion, le néo-wahhabisme qui, cultivant une islam attitude, en impose à notre islamitude. Portés par leur puissance pétro-médiatique, ses sectateurs nous assènent sans relâche et toute honte bue que la solution finale viendra du retour à l’islam des trois premières générations, celui là même dont nous venons de démontrer l’inadéquation totale et l’incapacité à permettre une réforme des musulmans. Que la pseudo réussite historique du wahhabisme, spoliation d’un territoire par une tribu bédouine, ne nous égare point, le néo-wahhabisme n’est pas un contre-exemple s’opposant à notre démonstration. Il n’est rien d’autre qu’un discours découplé de la réalité ayant islamiquement renvoyé les musulmans à l’âge de pierre de la lapidation et ayant politiquement et socialement érigé le népotisme, l’injustice et l’inégalité, en système « gouvernemental » de pillage. Cette imposture intellectuelle ne saurait être l’exception confirmant la règle que nous venons de mettre à jour.

Le néo wahhabisme n’est rien d’autre que la meilleure illustration de l’échec de la croyance en l’islam parfait. Néanmoins, le credo même de ce mouvement réformiste est identique à celui de tous les réformistes de ces siècles derniers : la reforme des musulmans et leur réussite ici-bas comme en l’au-delà doit passer par un retour à l’islam historique imperfectible. Ainsi, le néo-wahhabisme n’est-il pas extérieur à l’islam, pas plus qu’il en serait un rejeton plus ou moins extrême, au contraire il est endogène et puise sa sève aux racines de l’islam historique que nous considérons à tort comme étant « L’Islam », la référence absolue et intangible. En conséquence, peu ou prou, le discours salafiste, autre pseudo, nous parle.

Aussi, la plupart des anciennes vagues réformatrices ont-elles toutes été plus ou moins asséchées par le propos néo-wahhabite, cela est en soi significatif et démonstratif. Ils ne sont en rien des réformateurs, mais en ont pourtant imposé à tous les réformateurs. L’énorme capacité de ce mouvement à phagocyter toutes les tentatives de réforme provient bien d’une communauté de projet : la réforme du musulman, et d’une même croyance en l’islam parfait. Les analystes Anglo-Saxons avaient dès l’entre-deux-guerres compris quel parti ils pourraient tirer de ce mimétisme toxique. Mais ceci est une autre histoire, l’Histoire.

• L’islam ne guide-t-il pas les musulmans ?

D’aucuns et d’aucunes, à juste titre, pourraient témoigner de leur propre réforme, de leur épanouissement et de la réussite en eux par l’islam que j’ai pourtant disqualifié d’historique. Cependant, pour qui veut bien y veiller, ce n’est pas à cet islam qu’ils le doivent, mais à l’islam qu’en eux-mêmes ils ont recomposé en fonction de la nature de leur être, de leur éducation, de leur situation temporelle. A cette fin, ils délaissent nombre de points qui leur paraissent obscurs ou incompatibles avec le monde en lequel ils vivent, l’on ne parvient à lumière qu’en quittant l’ombre.

Nous sommes ainsi tous porteurs d’un islam personnel, mais s’agissant d’une réforme collective, sociétale, les musulmans en tant que système et entité, oumma, le tri sélectif opéré à titre individuel ne suffit pas. Au contraire, cette méthode est non inopérationnelle, car à l’échelle d’une communauté large ce sont bien plutôt les facilités, les complaisances, les aspérités, mais aussi les facteurs de différenciation et de ségrégation qui s’imposent selon la loi des moyennes. Une identité collective se construit essentiellement dans la déclivité et l’altérité. Il devient donc nécessaire de tracer une voie qui soit adapte à produire une réforme positive pour l’ensemble.

Toute maladie à une étiologie et le médecin ne peut guérir le patient que s’il porte un diagnostic précis et avéré. Ainsi, la perfection ne naitra pas de la perfection de l’origine, mais de celle de l’objectif. A cette fin, il faut impérativement briser le cercle et ainsi pouvoir réformer par les deux extrémités. L’islam n’est pas parfait, le musulman de même, la réforme du musulman s’accomplira par et dans une « réforme » de l’islam historique.

• Pour quelle « réforme islamique » ?

Le musulman, considéré en tant que collectif, c’est-à-dire l’individu appartenant à un groupe, possède des caractéristiques communes à tous les musulmans, nous appellerons cela une mentalité, une paradigmatique d’étant. Réformer les musulmans c’est réformer leur mentalité, et comme celle-ci s’origine en l’islam historique c’est donc bien cet islam qu’il faut « réformer ». Le rapport de sens du syllogisme de Bennabi s’en trouve inversé. La perfection de l’homme musulman ne sera pas à l’islam parfait, mais à l’effort qu’il fournira pour parvenir à réformer sa mentalité propre et, se faisant, l’islam hérité.

Comment changer de mentalité si l’on ne modifie pas le générateur et la matrice de nos types de comportement. Qu’il se mâtine un tant soit peu de religion, et le musulman, qu’il le veuille ou non, se trouve influencé en ses jugements, ses positionnements moraux, ses choix éthiques, sa vision du monde, sa conception de l’autre. L’islam historique fort de sa masse et de sa perfection autoproclamée fonctionne en tant que corpus de pensé et de pré-pensé.

Quelles que soient les perspectives, le mythe du retour à la pureté originelle doit être abandonné en tant que paradigme majeur de la réforme de l’homme musulman. Ce que par inadvertance nous nommons islam ne saurait donc être la solution toute simple, le prêt à consommer halel qu’il suffirait de labéliser pour vous changer la vie.

En notre réflexion précédente « Réformer le Coran ?! » nous avions mis en évidence la nécessité – nonobstant la perfection coranique – de réformer notre regard et notre lecture du Coran afin de parvenir au sens coranique initial, il s’agissait d’accomplir la « réforme coranique ». Pareillement, mais ici l’islam historique ne peut plus prétendre être imperfectible, il nous faudra pour réformer nos mentalités de musulmans et de musulmanes réaliser la « réforme islamique ». Tout comme pour la « réforme coranique », la « réforme islamique » consiste à réformer notre lecture de l’islam pour réformer notre être par l’islam.

Au prochain article : « Vers la réforme islamique », nous justifierons ce qui ne semblerait être qu’une subtilité sémantique de plus. Il s’agit en réalité d’un distinguo méthodologique essentiel, car « réformer » l’islam – l’expression doit s’entendre avec des guillemets et en italique – pourrait s’avérer incertain et très inutile aux musulmans, la « réforme islamique » n’a point comme objectif de déconstruire mais de construire. Il nous faudra donc délimiter ce qui peut et doit être réformé de cet islam et quel processus suivre à cette fin. Toute réforme est libération sans rupture, une seule chose à briser en son milieu, la chaîne de la perfection : Dieu est parfait, le Coran est parfait, l’islam est parfait, les musulmans sont parfaits.

Notes :

(1) In : « Vocation de l’Islam ».

(2) Nous retenons donc comme date la fixation des canons juridiques, exégétiques et dogmatiques, vers le milieu du 4e siècle. Malek Bennabi, tâtant le pouls de l’histoire, et plus précisément encore de l’histoire d’Afrique du Nord, prenait comme dernier accomplissement de l’islam l’épopée de l’empire almohade. C’est ainsi que s’entend l’emploi de l’expression « post-almohade ». Le mouvement berbéro-arabe almohade [al muwâhidûn] s’effondra moins d’un siècle après des suites de la défaite de Las Navas en 1211 face à une coalition des forces espagnoles. Le lien qu’établit Bennabi, à notre avis, vient bien plus du fait qu’Ibn Toumert, le fondateur et le théoricien des almohades, se réclamait d’un retour à la perfection de l’islam. En dehors même de cette différence de points d’observation, le choix de Bennabi est discutable, car Ibn Toumert forgea sa théorie de « réforme de l’islam » au Moyen-Orient à partir des matériaux théoriques de mouvements, probablement en partie hanbalite et en partie shiite, eux-mêmes plus anciennement inscrits dans l’histoire mouvementée du monde musulman. La date butoir donc est bien l’aboutissement historique du processus islam vers le quatrième siècle Hégirien. De manière remarquable, il fallut aussi quatre siècles au judaïsme pour établir sa base scripturaire et dogmatique, quatre siècles aussi pour le christianisme. D’une telle constante cinétique l’on pourrait déduire une loi de l’histoire des religions.

(3) Le Coran en atteste : “ Cette nation est révolue, lui appartient ce qu’elle a acquis, et à vous ce que vous aurez acquis…” S2.V134, et aussi : “Combien avons-Nous fait disparaître avant eux de peuples. En perçois-tu un seul d’entre eux, ou entends-tu d’eux le moindre murmure ? ” S19.V98

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