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L’islam est il encore une religion ?

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La commission Stasi vient de rendre public ses conclusions sur le port de signes religieux à l’Ecole. Selon les mots du médiateur, Bernard Stasi, Il y a en France indiscutablement des forces qui cherchent à déstabiliser la République et qu’il est temps que la République réagisse. Par ces mots, il met en évidence que la République est menacée par des forces occultes visant à la déstabiliser. Au delà de la nécessité ou non de la loi, il apparaît que le débat est dores et déjà faussé. En effet, ces conclusions, au moment où les Français se penchent sur les dictionnaires afin de saisir la nuance entre ostentatoire et ostensibles, nous amène à nous poser la question de savoir si l’islam est encore considéré comme une religion.

D’abord, il apparaît que les conclusions de ce rapport condamnent tout signe d’appartenance à une communauté, la France étant un Etat Nation, ses citoyens doivent se reconnaître autour d’une même culture, d’une même langue, d’une même histoire. Nous savons par ailleurs que notre pays n’a cessé de se construire de s’enrichir par l’immigration et la diversité culturelle. Or, il me semble qu’avec ce rapport nous sommes en train de communautariser les populations musulmanes, c’est à dire de les exclure de la communauté nationale. Les enquêtes sociologiques montrent que d’une manière générale, les filles sont moins sujettes à l’échec scolaire que les garçons. Pour beaucoup d’entre elles l’Ecole apparaît comme un moyen non seulement d’ascension sociale mais aussi d’émancipation. En 1789, Marianne se coiffait du bonnet phrygien, symbole dans l’Antiquité des esclaves affranchis, est il alors permis de penser que ce qui recouvre les cheveux des musulmanes pratiquantes est vécu par celles ci non pas comme un signe religieux mais plutôt comme un signe d’émancipation ? Et si à la place de ce voile qu’on qualifie d’islamique elles se mettaient à porter justement le bonnet phrygien ? Parlerait on de bonnet islamique ? Ainsi, par la stigmatisation du voile à l’Ecole, nous risquons de pousser d’excellentes élèves de confession musulmane, dans les bras de lycées ghettos ou d’établissements communautaires. Et même si elles réussissent, en obtenant, comme c’est le cas pour beaucoup de jeunes filles voilées, un diplôme universitaire de troisième cycle, elles n’auront pas d’autres moyen que d’occuper un poste de caissière dans la supérette halal de la cité. En combattant le communautarisme, nous sommes en train de l’accentuer.

L’autre problème que pose ce rapport, c’est l’éventualité de rendre férié les jours du Kippour et de l’Aïd El Kebir. En échange du retrait du foulard nous vous offrons un jour de repos supplémentaire, après que le gouvernement nous demande de travailler le lundi de Pentecôte. Nombreux sont ceux qui, dans la communauté musulmane ou juive, s’accommodent de travailler lors de ces fêtes religieuses, mais le plus grave c’est que nous sommes en train de créer un antagonisme ou une opposition entre religions. Ainsi, au lieu de facilité la solubilité de la pratique religieuse de l’islam dans la société française, cette proposition n’aura pour effet, si elle est appliquée, de créer un réel fossé entre les communautés. C’est reconnaître une société où les communautés se côtoient sans jamais se mélanger. Parallèlement à cela, la commission Stasi fait la distinction entre signes discrets et signes ostensibles, les premiers incluant la petite croix, l’étoile de David, ou la main de Fatima et les second désignant foulards, Kippa et grande croix. A-t-on déjà vu un élève se présenter en cours avec une croix d’évêque ? Le problème c’est que là encore, on fait preuve de méconnaissance vis à vis du fait islamique dans notre société. Ni la main de Fatima, ni le petit coran en or accroché autour du cou ne sont des signes religieux, mais plutôt des signes culturels, traditionnels, c’est à dire qu’à aucun moment il n’apparaissent dans le texte sacré. Voilà le grand problème de ce rapport, c’est qu’il en train de culturaliser la pratique de la religion musulmane en France. Aujourd’hui, nous assistons à l’émergence d’un islam de culture française, les musulmans de France connaissent davantage les poèmes de Baudelaire que ceux d’Abou Nawas1, sont plus familiarisés par les idées de Voltaire que ceux d’Averroès2. La pratique de l’islam en France est en train de se franciser, de s’adapter au contexte sociologique et culturel français. En un mot de se séculariser. Or, si voile, il faut ôter, c’est plutôt le voile culturel, issu de traditions ou de pratiques patriarcales, qui discriminent les femmes, dont il faut débarrasser cette vision de l’islam. Retrouver le sens d’une spiritualité, c’est retrouver le sens d’un engagement citoyen au delà des contingences de la tradition orale. Dans l’ensemble des pays arabes, il existe un islam officiel, s’appuyant sur un contexte social et culturel particulier, issue de la tradition arabe ou berbère et qui a peu à voir avec l’islam originel. La langue, nous le savons, véhicule une culture, la proposition d’instituer l’enseignement de l’arabe, du Kurde ou du berbère, à l’Ecole ne ferait que renforcer le sentiment d’appartenance à une communauté. Une position qui va à l’encontre de l’idée républicaine et qui remet en cause le rôle intégrateur de l’Ecole. L’ensemble des musulmans de France, n’ont qu’un souhait, c’est de vivre paisiblement leur culte. Alors, avons nous le droit de refuser l’entrée, de la République à des jeunes musulmanes, sous prétexte qu’elles n’ont pas la tenue correcte exigée ? Pire encore, ne sommes nous pas en train de les enfermer dans un ghetto culturel alors que leur plus grand souhait est justement d’en sortir ?

La France est un pays certes multiculturel, mais aussi multicultuel, la laïcité de 2003 est elle encore celle de 1905 ? A l’heure ou l’Ecole se propose de débattre sur son véritable rôle dans la société, la question n’est elle pas de savoir si elle doit justement s’adapter à cette diversité socio-culturelle, puisque dans un travail de socialisation, nous nous devons d’être ouvert sur la société ?

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Plutôt que de crier laïcité, à tue tête, comme s’il y avait un danger imminent et un risque de désordre social, il serait plus important de promouvoir la République, au sens étymologique, c’est à dire la Res Publica, la chose publique, le rassemblement des Français autour de valeurs communes, qui ont fait la grandeur de notre pays. Dans cette diversité, il faut entretenir le lien par la République seule capable de maintenir ensemble les citoyens d’une même Nation. L’Ecole est bien entendu le lieu par excellence où se constitue ce lien, les contenus des programmes scolaires ont pour but de rétablir le lien entre les futurs citoyens. Cependant, le rapport Stasi, qui propose de renforcer l’enseignement du fait religieux à l’Ecole soulève également un paradoxe. L’histoire des religions ou plus généralement des questions religieuses fait partie des programmes scolaires depuis longtemps. Pour comprendre une civilisation, principalement si elle s’inscrit dans le temps, on ne peut faire l’impasse sur les formes et pratiques religieuses qui la caractérisent. Cependant, le judaïsme, le christianisme, le bouddhisme sont enseignés sous l’angle de l’évolution historique. Dans les programmes de la classe de seconde, par exemple, et dans le cadre du thème de la naissance et de la diffusion du Christianisme, le professeur d’histoire géographie doit faire apparaître, l’évolution de la religion et la fracture entre ce qu’il convient d’appeler le christianisme primitif et l’organisation séculière de l’Eglise avec notamment l’élaboration des épîtres de Paul. Une question qui demeure très difficile d’expliquer aux élèves, compte tenu du peu de savoir religieux dont ils sont pourvus. Cependant au lieu de combattre l’analphabétisme religieux, les manuels scolaires, apportent une lecture quelque peu ressemblante à la catéchèse, on peut lire ainsi, Dieu a passé avec le peuple hébreu une alliance qui fait de ce dernier le peuple élu ou encore les évangiles nous apprennent que… Or, il apparaît que de nombreux enseignants préfèrent étudier la Méditerranée au XIIème siècle, car il est plus aisé d’évoquer l’Islam, puisque cette religion n’étant pas présentée sous l’angle historique, mais plutôt sur celui de l’actualité. En effet, c’est la lecture des faits contemporains et particulièrement ceux de l’islamisme, c’est à dire l’islam politique qui prime sur l’étude de la spiritualité. Le discours sur l’islam en France, a été, et continue d’être dominé par la science politique. Or cette lecture contemporaine de l’islam, ne peut que rendre caduc tout l’héritage que notre société doit à cette civilisation, tant au niveau de la médecine, de la philosophie, que de la langue. Plus encore, elle impose un caractère étranger à cette religion. Ainsi, depuis les années 1980, la science politique a apporté des méthodes et une lecture du très contemporain et donc un déni d’histoire. Cette vision met en exergue le fait que l’islam est incapable d’opérer une mobilité qui puisse le rendre compatible avec la démocratie, la laïcité ou tout simplement avec le progrès. Ainsi, comme l’écrivait Hichem Djaït, l’Histoire de l’Islam ne se déroule plus selon sa dynamique propre mais comme le reflet pâle et inversé de celui de l’Occident3. Il apparaît que nous n’avons plus affaire à une religion ou une spiritualité ordinaire, mais plutôt à une organisation secrète qui pourrait déstabiliser la République selon les mots du médiateur. Cette attitude de méfiance et de rejet a un antécédent dans notre histoire, avec le sort accordé aux jésuites à partir de 1820, qui étaient perçus, rappelons le, par les anticléricaux, comme la société secrète religieuse conspiratrice et subversive4. Alors l’Ecole et plus généralement la société ne doivent elles pas reconnaître, aujourd’hui, que nous avons une histoire commune et que le lien républicain se construit par cette histoire commune.

Il y a quelques années le philosophe Marcel Gauchet,5 émettait la thèse que la religion chrétienne nous avait permis d’entrer dans la laïcité, certains passages des évangiles préconisaient la séparation entre l’Eglise et l’Etat (rendez à Cesar ce qui appartient à Cesar et à Dieu ce qui appartient à Dieu). Nous savons que des versets du Coran interdissent le prosélytisme : point de contrainte en matière de religion6 ou bien vous avez votre religion et j’ai la mienne7, interdissent le communautarisme : oh vous les gens, nous vous avons crée d’un mâle et d’une femelle puis nous vous avons érigé en peuples et en Nations afin que vous vous entre connaissiez8. Alors n’est il pas temps de laisser les religieux éclairés se pencher sur le texte sacré et de réfléchir à l’adaptabilité de l’islam à la République et à la laïcité ? Aussi, faudrait il pour cela considérer l’islam non plus comme une culture importée de l’étranger, mais comme ce qu’il est, c’est à dire la deuxième religion de France.

Notes :

1) Poète arabo-musulman mort en 815.
2) Médecin et philosophe andalou mort en 1198
3) Hichem Djaït ” dimensions de l’orientalisme islamisant”, in Henri Moniot (dir) “le mal de voir, Paris Uge 1976 p.259.
4) Jean Louis Triaud “L’islam vu par les historiens français” Revue Esprit octobre 1998 n°246.
5) Marcel Gauchet “Le désenchantement du monde. Une histoire politique de la religion” ed. Gallimard “Biblihotèque des sciences humaines” 1985.
6) Coran Sourate 2 verset 256
7) Coran sourate 109 verset 6
8) Sourate 49 verset 13

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