in

« L’islam de marché » ou comment concilier religion et business

Les Frères musulmans risquent de grincer des dents en découvrant cette semaine dans les librairies « L’islam de marché », un ouvrage court mais dense signé par le chercheur suisse Patrick Haenni, 37 ans, qui a séjourné une décennie au Caire. Que dit-il de si scandaleux ? Que l’islamisme montre des signes d’essoufflement et que les islamistes « contrariés » sont de plus en plus nombreux à contester le dogmatisme de ses dirigeants, à refuser les rapports disciplinaires qui organisent le quotidien des organisations, et surtout « préfèrent désormais la recherche personnelle du salut, la réalisation de soi et la quête du succès économique ».

En clair, ces nouveaux islamistes se détournent de la politique et cherchent dorénavant leur salut dans le monde des affaires. Ils écoutent Amr Khaled, lorsqu’il déclare « Je veux être riche pour utiliser mon argent dans la voie de Dieu et pour vivre une vie digne », et Aa Gym rappelant que « L’islam nous apprend à être riche. Le prophète Muhammad était riche, ses compagnons aussi ». Ce nouvel « Islam de marché » (1), Patrick Haenni le découvre en Egypte, en Indonésie, mais aussi en Turquie, où les nouveaux islamistes, actuellement au pouvoir, réussissent à « marginaliser l’islamisme classique inspiré des Frères musulmans ». Enfin, en France, où le sociologue suisse mène depuis le début de l’année des enquêtes.

Contrairement aux « spécialistes » autoproclamés du terrorisme qui croient voir derrière chaque femme voilée un militant d’Al-Qaïda, Patrick Haenni assure que de plus en plus les musulmans, loin de vouloir mourir en martyr, souhaitent plutôt vivre en marchand. « A la hijra du désespoir des kamikazes de banlieue engagés dans les réseaux d’Al-Qaïda s’ajoute aujourd’hui une nouvelle hijra, non pas militante et jihadiste mais marchande et bourgeoise », écrit cet ancien chercheur du Centre d’études et de documentation économiques, juridiques et sociales (Cedej) au Caire.

D’aucuns tenteront de dresser un parallèle avec les anciens gauchistes de mai 68, que l’on retrouve aujourd’hui à la tête des grandes entreprises, comme commissaires de police, ou comme journalistes dans les publications les plus conservatrices. C’est partiellement exact, car si les anciens maoïstes ont jeté par-dessus bord leurs idéaux, les nouveaux islamistes, en revanche, n’ont rien perdu de leur foi. Le changement, c’est que « l’économie devient la source d’inspiration pour agir et penser et non plus le politique », assure le chercheur suisse, qui a obtenu le prix de la meilleure thèse en langue française sur le monde musulman, décerné par l’Institut d’études de l’islam et des sociétés du monde musulman (EHESS), à Paris.

En mars 2005, Patrick Haenni a publié aux éditions Kharthala « L’ordre des caïds, conjurer la dissidence urbaine » (2), racontant comment le pouvoir égyptien avait repris le contrôle de cette immense termitière humaine d’Imbaba, une banlieue pouilleuse d’un million d’âmes, un temps passé sous le contrôle des islamistes.

Dorénavant la pudeur féminine « se voile de drapés glamour griffés aux marques occidentales », souligne l’ouvrage « L’islam de marché », et évoque la « voilée libérale rêvant d’Amérique, portant un hijab en pure soie et parlant l’anglais à ses enfants ». Il faut toutefois se demander quel pourcentage de la population est concerné par la montée en puissance de ce nouvel islamisme. Toutes les classes aisées ne sont pas devenues « conservatrices, piétistes et petit-bourgeois ». Fort heureusement d’ailleurs.

Patrick Haenni constate que le nouveau « winner » pieux, efficace économiquement, désengagé politiquement, qui combine modernité et tradition, a finalement « beaucoup de parentés avec les mouvements fondamentalistes américains ». Dans sa conclusion, le chercheur suisse souligne que sur Internet, musulmans et conservateurs chrétiens joignent leurs forces dans des mobilisations autour des thèmes comme la défense de la famille « ou de projets comme l’initiative d’Islamonline appelant les familialistes à s’unir dans un réseau comprenant d’ores et déjà des sites proches du conservatisme américain comme Our American Values, United Families International, Reclaiming America ». Faut-il s’en réjouir ?

Publicité
Publicité
Publicité

Patrick Haenni au Caire

Patrick Haenni au Caire

(1)« L’islam de marché », éditions du Seuil, 108 pages.

(2)« L’ordre des caïds, conjurer la dissidence urbaine au Caire », éditions Karthala, 315 pages.

Publicité
Publicité
Publicité

Laisser un commentaire

Chargement…

0

L’islam imaginaire

L’islamophobie, un “racisme respectable”