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L’interdiction de l’intérêt résout-elle les contradictions du libéralisme économique ? (partie 2 et fin )

2. La critique économique de l’intérêt

Afin de cadrer la discussion, rappelons quelques définitions simples Linguistiquement, le terme « ribŒ  » est défini comme « le surplus d’un capital »[1]. Le procès-verbal affirme qu’« il y a deux sortes d’intérêt, une sorte licite et une sorte illicite. Quant au licite, c’est ton cadeau à une personne dans l’espoir d’en récupérer une récompense supérieure (de la part du Tout Puissant) conformément au verset disant que ce que vous avez gagné sur l’argent des gens n’a pas de récompense auprès de Dieu. Quant à l’illicite, c’est le fait de donner dix dirhams à quelqu’un à condition qu’il en rembourse plus que dix dirhams. C’est l’intérêt que Dieu a interdit car il a dit : Ô ceux qui croyez, craignez Dieu et délaissez le surplus (usuraire) si vous êtes croyants  »[2]. Les théologiens chrétiens ont défini l’usure comme « l’intention de recevoir quelque chose de plus dans un prêt que le capital  »[3].

Nous assimilons ici les termes « ribŒ », « intérêt » et « usure » quand bien même l’utilisation de ces termes dans le langage courant fait apparaître des nuances sémantiques entre eux. Selon les écrits capitalistes, si le taux d’intérêt devient trop élevé, il est qualifié d’usuraire et de ce fait devient prohibé, concédant par là que la pratique usuraire peut être nuisible à l’économie si le taux devient trop élevé[4]. D’un point de vue islamique, l’intérêt est la fixation a priori d’un taux d’intérêt sur une somme prêtée ou dans le cadre d’une transaction, quelque soit le montant de ce taux. L’intérêt est donc qualifié d’usuraire, quelque soit le taux. On en conclut que la prohibition de l’usure en islam vise la notion même de l’intérêt alors que la prohibition de l’usure dans le capitalisme ne concerne que l’intérêt pratiqué à des taux discrétionnairement qualifiés d’ « usuraires ».

Le débat économique sur la pertinence de la pratique usuraire vise à définir les avantages et les inconvénients de cette pratique, afin de déterminer son opportunité d’un point de vue économique. Mais au-delà de l’aspect technique de la question, il s’agit de savoir ce qui justifierait, ou au contraire ne justifierait pas, le fait qu’une partie de la richesse produite par une nation tombe dans les mains de capitalistes rentiers. Posé comme cela, le problème de l’intérêt devient un problème de distribution, et par conséquent d’équité[5]. Dès lors, cette discussion conduit nécessairement à se positionner moralement dans le débat, car il n’est pas possible de trancher sans s’appuyer sur des positions morales. D’un point de vue islamique, cela consiste à connaître la position du Créateur vis-à-vis de la pratique de l’intérêt. Connaître cette position requiert une démarche de jurisconsulte, au terme de laquelle se dégage la position du Créateur, laquelle revêt un caractère obligatoire pour le croyant.

Contrairement à une idée reçue, considérant le taux d’intérêt[6] comme un usage relevant de la nature des sociétés humaines, celui-ci est une pratique économique conventionnelle, dans le sens où elle résulte d’une convention humaine, en vertu de laquelle un groupe d’hommes s’accordent à réguler une partie de leurs transactions sur un mode usuraire. C’est son caractère conventionnel et pratique qui donne au taux d’intérêt sa souplesse d’utilisation et son aspect protéiforme. Duboin écrit que «  notre système monétaire et financier s’est constitué d’expédients qu’imaginèrent les hommes au fur et à mesure que la civilisation a progressé »[7]. L’ordre naturel dont nous parlons ici est celui qui correspond le mieux à la nature humaine. Puisque nous sommes des créatures de Dieu, nous devons naturellement considérer que l’ordre naturel est celui décrit par Dieu. L’ordre naturel équivaut à l’ordre divin sans toutefois prétendre que la pratique des affaires est actuellement conforme à cet ordre naturel.

Cette distinction est importante pour comprendre notre positionnement. On trouve un écho à cette vision chez S.Gesell : « The economic order here discussed is a natural order only in the sense that it is adapted to the nature of man. It is not an order which arises spontaneously as a natural product. Such an order does not, indeed, exist, for the order which we impose upon ourselves is always an act, an act consciously willed »[8].

Derrière ces définitions se cachent des débats approfondis sur la définition de l’économie et la nature à donner aux transactions entre les agents économiques. Il est utile de rappeler que la théorie de l’intérêt dépend de la définition que l’on donne de l’origine de la valeur. La valeur est-elle produite par le seul travail, le seul capital ou une association des deux ? Voilà une question transversale qui reste posée en fond du débat sur l’intérêt. Aujourd’hui, l’intérêt est devenu un acteur naturel du monde financier. Son rôle reste très controversé.

On peut expliquer ce malaise par une question : « Qui accuser désormais lorsque la crise advient ? Alors que les anciens usuriers sont devenus omniprésents, toute critique à leur égard implique nécessairement une réévaluation générale du système économique. Depuis que les marginaux d’hier ont investi la cité, c’est le don, le bénévolat, la gratuité qui deviennent hérétiques »[9]. Or rappelons que la pratique de l’intérêt est conventionnelle et résulte d’une pratique concertée des agents. Existe t-il un tabou de l’intérêt dans les débats économiques ? En fait, une raison encore plus lointaine est le choix délibéré par les économistes d’écarter du débat économique tout argument d’ordre moral, et de manière générale, tout argument ne relevant pas de la science économique elle-même[10]. Ce malaise traduit en réalité le fait que l’intérêt est une caractéristique centrale du système capitaliste[11]. En effet, le capitalisme est un système monopoliste, qui doit sa pérennité à l’existence d’une classe financière monopolisatrice, capable de thésauriser puis de mobiliser des capitaux importants. Eliminer cette classe équivaudrait à une mort annoncée du capitalisme.

Les inconvénients attribués à la pratique usuraire

La littérature dénonçant les effets destructeurs de la pratique usuraire est abondante. Elle reste toutefois relativement méconnue en raison de sa marginalisation par le courant libéral dominant[12]. Dès le 18ème siècle, les partisans de l’intérêt ne peuvent que déplorer les conséquences socio-économiques de la pratique de l’intérêt (sans parler des taux dits « usuraires » qui fait consensus). Ainsi, Sonnenfels (1787) lui attribue des effets néfastes comme la cherté des biens, la réduction des profits industriels et le fait qu’une partie des profits industriels reviennent au prêteur.

Il décrit par ailleurs les capitalistes comme « ceux qui ne travaillent pas, et qui vivent de la sueur des classes laborieuses  »[13]. Culpepper prétend que l’intérêt nuit au pauvre, au commerce, au roi, au profit de la terre, à la piété et à la vertu et à la gloire de l’Etat, tout en laissant penser qu’un taux inférieur à 10 % n’est pas nuisible[14]. Dans la mesure où la macroéconomie est souvent le reflet de l’agrégation d’un constat microéconomique, nous avons reparti pour chaque catégorie des problèmes répertoriés, ces problèmes aux niveaux microéconomique et macroéconomique.

o Problèmes d’efficacité

§  Effets microéconomiques

Ø Inhibition de la décision d’investissement

Le taux d’intérêt monétaire, en tant que référence pour toutes autres transactions usuraires, inhibe l’investissement car le taux de rendement interne des projets doit forcément être supérieur au taux d’intérêt pour espérer être rentable[15].

Ø Allocation de capital vers les débiteurs les moins risqués ou les mieux garantis

Le système bancaire et plus généralement les investisseurs adoptent une approche d’investissement conservatrice en privilégiant les clients les moins risqués, éliminant de ce fait les clients moins connus et les projets moins importants

Ø Baisse de l’envie de produire

L’entrepreneur est réticent à se lancer dans une aventure dans laquelle il supporte la totalité du risque encouru par l’investissement

Ø Stratégie d’investissement à court terme

Dans le climat de préférence financière pour le présent et de refoulement du risque résultant de la pratique usuraire, les investissements à court terme avec une forte rentabilité et peu de risque sont préférés aux investissements avec une meilleure rationalité économique, stratégique et environnementale

§  Effets macroéconomiques

Ø Réduction du niveau du ratio d’investissement par rapport au PIB

Le taux d’intérêt crée un effet cliquet exerçant une sélection inverse sur tout projet d’investissement dont le TRI est inférieur au taux d’intérêt. De ce fait, une barrière à l’entrée sur le marché du crédit est artificiellement maintenue, avec pour conséquence une réduction du niveau national de l’investissement

Ø Rigidité du niveau des prix

Par la fixation ex ante d’un taux de rémunération du prêt de monnaie, l’ensemble du mécanisme élémentaire d’ajustement des prix en fonction de l’offre et de la demande est grippé. Le taux d’intérêt directeur (banque centrale) est à l’origine d’un effet cliquet contre productif. Cette rigidité ne peut que difficilement être compensé par la déréglementation du marché du travail ou la libre circulation des capitaux.

Ø Trappe à spéculation

Dans ces conditions, la spéculation sur les marchés monétaires, boursiers et immobiliers – réunissant les caractéristiques de l’investissement rentable, peu risqué et de court terme, est stimulée, sortant du cycle productif un volume important de l’épargne.

Ø Baisse du niveau du capital d’investissement disponible

Dans ces conditions, le volume de capital disponible pour l’investissement dans des projets industriels et créateurs de valeur réelle diminue

Ø Allocations des capitaux et répartition des profits inefficaces

Le système d’allocation des capitaux d’investissement à travers l’intermédiation bancaire et le marché monétaire favorise une structure particulière d’investissement et rémunère les agents (actionnaire, salarié, entrepreneur, banquier) sans connexion pertinente avec les profits réels

Ø Déconnexion de la sphère financière avec la sphère productive

Le marché monétaire usuraire, aspirant un volume de capitaux croissant et en autorisant les activités de spéculation, génère des modes de fonctionnement (à court terme et international) et des critères de rentabilité spécifiques (très exigeants). L’activité monétaire contamine la sphère financière (bourse, intermédiation bancaire, autres) dans son ensemble et surdétermine son fonctionnement.

Les règles édictées par la sphère financière sont inadaptées à la sphère productive, qui ne peut pas suivre en terme de rapidité, flexibilité et de rentabilité[16]. Ce gap étant incompressible (la gestion de l’outil de production est plus compliquée que la gestion informatique de portefeuille), la sphère financière ne sert plus à financer l’activité réelle mais se comporte comme un déterminant irrationnel des critères de rentabilité de la sphère productive, sans pouvoir prendre en compte ses spécificités opérationnelles (délais, rigidités incompressibles)

o Problème d’équité

§  Effets microéconomiques

Ø Iniquité du partage du risque entre entrepreneurs et fournisseurs de capital

D’un point de vue islamique, la distribution du profit selon le système financier usuraire est inéquitable car, tout en faisant supporter la totalité du risque d’investissement sur l’entrepreneur, la rémunération (qui en soi n’est pas justifiée) ne fait pas cas des intérêts légitimes de l’entrepreneur

Ø Distribution inéquitable des profits

Le facteur capital est rémunéré de manière fixe, prévisible à priori sans supporter le moindre risque sur le principal prêté alors que le facteur travail (intégrant le risque pris par l’entrepreneur) puisque rémunéré sur un profit réel a posteriori, encourt la totalité du risque. Le système usuraire instaure une clef de répartition injuste du partage du profit à l’avantage du capital.

Ø Problème de l’endettement

Le refus de partager le risque de la part du créditeur introduit un mécanisme de trappe à endettement qui laisse peu de chance de sortie au débiteur. Ce phénomène est également observable au niveau de l’endettement international des pays les plus pauvres

§  Effets macroéconomiques

Ø Problème de l’endettement

L’endettement devient un frein à la croissance économique au niveau national et international. Il bloque la vie normale des affaires et créé des risques d’insolvabilité. Les pays touchés par un endettement excessif ne peuvent s’en sortir qu’en déclarant la banqueroute ou en attendant un effacement de la dette de la part des pays créditeurs

Ø Concentration monopoliste du capital

Phénomène de concentration du capital accentué par le système financier usuraire qui tend à préférer les riches aux pauvres de par son exécration du risque et un mode erroné de rémunération.

o Problème d’instabilité systèmique

§  Effets microéconomiques

Ø Effets psychologiques sur le climat des affaires

Le système usuraire impose un climat des affaires caractérisé par le stress, la présomption de méfiance et l’égoïsme. Le stress résulte de la fixation a priori d’un taux et de l’obligation faite à l’emprunteur de rembourser à une date précise un montant précis supérieur au principal. La pratique de l’intérêt conduit le prêteur à exiger des garanties et nantissements exigeants, sur la base de la méfiance qu’il a envers son débiteur, du fait de l’antagonisme de leurs intérêts. Il est clair que le système usuraire crée un climat d’indifférence de la part du créancier vis-à-vis du succès de l’entreprise du débiteur, dans la mesure où la totalité du risque est supporté par le seul débiteur.

Ø Le problème des règles prudentielles

Le système bancaire usuraire, caractérisé par l’autorisation donnée aux banques privées de créer de la monnaie à travers le système des réserves fractionnelles, rend le contrôle prudentiel de leurs activités bancaires problématique (cf. conférences de Basle I (1988) et Basle II (1998)). Le climat des affaires en environnement capitaliste conduit parfois les financiers à enfreindre la loi afin de répondre à des critères de rentabilité impossibles à atteindre (exemple d’Enron et Andersen en 2003)

§  Effets macroéconomiques

Ø Accumulation du capital et désactivation de l’équilibre de marché

De cette façon se produit une accumulation du capital, créant une classe capitaliste rentière, à la base du développement capitaliste moderne et industriel[17]. Ce phénomène oriente nos sociétés vers la ploutocratie, encline à la monopolisation économique ; si bien que les principes de libre concurrence et libre entreprise, chers au libéralisme sont en pratique grandement atténués[18]. Dès lors, les mécanismes naturels de stabilisation et de retour à l’équilibre des marchés deviennent inefficaces, ouvrant la porte à des déséquilibres structurels qu’il est impossible d’éliminer sans une intervention de l’Etat[19].

Ø Caractère inflationniste structurel

Assez tôt, des auteurs ont reproché au système capitaliste son instabilité structurelle due à son caractère inflationniste, comme Thornton (1802) et Wicksell (1898). D’après le modèle de Wicksell, le niveau général des prix dépend de la différence entre le taux de profit et le taux d’intérêt bancaire : a) la condition d’équilibre monétaire (sans inflation) est l’équivalence entre le taux de profit et le taux d’intérêt bancaire b) la condition d’inflation est que le taux de profit soit supérieur au taux d’intérêt bancaire c) la condition de déflation est que le taux de profit soit inférieur au taux d’intérêt bancaire. De son côté, Milton Friedman propose d’éliminer le système des réserves bancaires fractionnelles en monnaie banque centrale en lui substituant un taux de réserve à 100%. Cette mesure permettrait ainsi de retirer aux banques la possibilité de créer de la monnaie à travers le système du crédit[20].

Ø Instabilité du système bancaire international reposant sur la garantie gouvernementale

L’instabilité du système capitaliste a amené les gouvernements à prévenir tout risque de crise au niveau international en instaurant l’idée du « prêteur en dernier ressort ».

C’est le rôle du FMI d’intervenir sur le marché international du crédit pour éviter l’insolvabilité de pays, qui menaceraient l’équilibre du système financier international s’il venait à répudier leurs dettes. Ce système a certes permis d’éviter le déclenchement d’une crise financière déstabilisatrice mais en retour, a accru l’instabilité systémique du capitalisme, en donnant aux acteurs un sentiment d’impunité (en particulier les grandes banques internationales).

Ø Instabilité financière et crise chronique

Keynes dans la Théorie Générale considère la baisse du taux d’intérêt comme le principal facteur de crise du monde capitaliste. Keynes définit deux dangers principaux pour l’économie en deux étapes consécutives : la probabilité de faillite du producteur de laquelle découle la probabilité de faillite du créancier en cas d’insolvabilité du débiteur. Minsky considère que le capitalisme est intrinsèquement instable[21].

En période de croissance, l’enthousiasme encourage la spéculation et le risque, à travers une stimulation du crédit et de l’emprunt usuraire. La négligence des acteurs les expose financièrement et rend leur situation financière fragile. Quand la confiance dans la solidité de la situation financière s’effrite, la valorisation des actifs se déprécie provoquant l’insolvabilité de nombreux débiteurs. La crise financière est déclenchée et dure jusque l’épurement des bilans soient des mauvaises dettes. Selon l’intensité et l’expansion de la crise, s’ensuit chômage, faillites et misère sociale.

Ø Mobilité des actifs financiers contre rigidité naturelle de l’outil de production (capital apatride)

Compte tenu de la déconnexion évoquée entre la sphère productive et la sphère financière, la détermination des décisions économiques par la sphère financière conduit à des décisions managériales inadaptées au regard de l’outil de production. En particulier, la libre circulation des capitaux et la possibilité de se retirer d’un marché national donné en cours laps de temps peut déstabiliser d’autant l’outil de production, qui ne bénéficie naturellement pas de la même flexibilité et mobilité.

Ø Augmentation du chômage 

Pour Keynes, le taux d’intérêt ne peut qu’être positif car il résulte de la préférence pour la liquidité. Or le taux d’intérêt monétaire selon lui ralentit l’investissement productif sans pouvoir stimuler la création monétaire, complètement inélastique par hypothèse[22]. Il continue en affirmant que la spéculation monétaire résultant du taux d’intérêt rendait le plein emploi impossible même si les salaires et les prix étaient entièrement flexibles.

L’emploi dépend de l’investissement et l’investissement dépend de la rentabilité du projet compte tenu du taux d’intérêt. Le taux de chômage est donc inversement proportionnel avec le taux d’intérêt. Dans un raisonnement a contrario, Proudhon[23] et Gesell[24] affirment que l’émancipation du travailleur passe par le travail, car le travail créant une certaine abondance de capital, il réduit ainsi son coût (taux d’intérêt) qui tendra alors vers zéro.

vLes justifications à la pratique usuraire

L’intérêt est un sujet polémique car jusqu’à nos jours, personne n’a pu lui donner une justification économique indiscutable. Le philosophe Locke écrit en 1691 que « la monnaie est stérile et ne produit rien ; mais transfert le profit rémunérant le travail d’une personne, dans la poche d’un autre  »[25]. La revue des arguments en faveur et contre la légalisation de l’intérêt démontre qu’au minimum, la légalisation n’est pas plus justifiée que l’interdiction.

Il nous semble à ce stade que l’argumentation en faveur de l’intérêt n’est pas convaincante en raison de la faiblesse de son articulation juridique. Il en découle que les justifications données à la pratique usuraire paraissent inefficaces pour un juriste. Reste que pour le croyant, l’argumentation donnée par les tenants de la légalisation n’a en définitive aucune prise, car la Loi de Dieu résulte de la Raison Parfaite, c’est-à-dire du Créateur Omniscient. Böhm-Bawerk a répertorié trois théories principales justifiant l’intérêt. Par la suite, nous distinguons les justifications empiriques, juridiques et psychologiques.

o Théories de l’origine de la valeur

Selon Bawerk, il existe trois théories principales expliquant la création de la valeur[26] :

§  La théorie naïve de la productivité

La théorie naïve de la productivité considère qu’il y a trois sources de richesse : la nature, le travail et la capital, qui apporte chacun en propre un profit en tant que facteur de production. L’intérêt correspond à la part de profit produit par le capital. Le problème de l’intérêt est donc un problème de production et in fine une question de distribution.

§  La théorie socialiste de l’exploitation

La théorie socialiste de l’exploitation considère le travail comme le seul facteur de richesse. La prise d’intérêt de la part des capitalistes et des propriétaires terriens n’est pas justifiable et résulte de l’exercice de violence au niveau de la distribution. Le socialisme est donc en théorie opposé à l’idée de l’intérêt.

§  La théorie syncrétique

Une théorie intermédiaire considère que la nature, le travail et le capital sont chacun une source de profit mais que la valeur attribuée aux biens produits dépend de l’évaluation de chaque personne en fonction de ses besoins. Le problème de l’intérêt devient alors un problème de valorisation au lieu d’être un problème de distribution.

o Justification empirique

§  Validation de la pratique des affaires

Les théoriciens de l’intérêt sont mal à l’aise pour justifier la pratique de l’usure[27]. Ils soulignent que la pratique des affaires s’est toujours portée en faux contre l’interdiction légale de l’intérêt. Bohm Bawerk écrit à ce sujet que la réponse à « la question théorique de savoir si le prêt à intérêt est justifiable ou pas a été donnée par la pratique avant qu’il n’y ait une doctrine économique théorique  »[28]. Ils font de cette dichotomie l’argument principal de leur démonstration, en disant que finalement la loi doit suivre et s’adapter à la pratique. Bacon justifie ainsi sa position : « Puisque que les hommes doivent se plier à la nécessité et obtenir de l’argent en l’empruntant, et étant si durs de coeur qu’il ne prêteraient pas autrement (qu’en réclamant un intérêt), il n’y a rien d’autre à faire que de l’autoriser »[29].

Adam Smith tend à considérer l’intérêt comme naturel, en affirmant : « As something can everywhere be made by the use of money, something ought everywhere to be paid for the use of it »[30]. Certains ont même affirmé que puisque la pratique de l’intérêt fait partie du droit naturel (jus naturale), il correspond par conséquent au jugement du droit divin (jus divinum[31] ! Ceci est un raisonnement par défaut et ne prouve rien. Par ailleurs, il y a une prise de position juridique positiviste évidente dans cette argumentation, en acceptant que la loi doive s’adapter à la pratique sociale[32]. Or, ce point de vue n’est acceptable ni logiquement et ni théologiquement et introduit une dimension superstitieuse dans le débat. Logiquement, on ne peut préférer quelque chose sans justifier cette préférence, en somme préférer une pratique (favorable à l’intérêt) à une argumentation logique (défavorable à l’intérêt) sans argument valable. Théologiquement, il est clair que la loi ne saurait être subordonnée à la pratique dans une construction théorique où la Révélation a la priorité sur toute autre considération, car elle émane de la Raison elle-même. La seule conclusion que l’on peut tirer de l’existence d’une dichotomie entre pratique et législation, qui devrait être contextualisée dans la chrétienté d’alors, est qu’un système de substitution est nécessaire, afin de ne pas « étouffer » le cours normal des affaires. C’est l’objet de la proposition du système financier de partage des profits.

o Justifications à caractère juridique

§  L’intérêt comme loyer de l’argent

L’intérêt perçu est le loyer contre lequel l’argent est prêté[33]. Claude Saumaise (1588-1653) considère pour sa part que l’intérêt est un paiement en contrepartie de la jouissance des montants prêtés[34]. Des auteurs ont ajouté que le dit « loyer » doit être proportionnel du profit qu’il tire de la chose prêtée liant ainsi le taux d’intérêt au taux de profit espéré[35]. Locke justifie la prise d’intérêt par l’analogie parfaite qu’il voit entre le prêt à intérêt et la location foncière[36]. Cette opinion a été appelée par Böhm-Bawerk (puise reprise par Gesell) « théorie de la fructification ». Economiquement, l’intérêt sert à renforcer l’épargne indispensable à l’économie de type capitaliste.

Le problème est que cette opinion est juridiquement indéfendable car le prêt (qar`) ne peut pas être comparé au contrat de location (ijŒra), leur définition étant différente. Ainsi, le contrat de location est « la prise en jouissance d’un bien moyennant (le versement) d’un loyer déterminé  »[37] à charge d’en conserver la substance (taml¥k al-manfa<a), sans donner la disposition de ce bien (vente, donation, succession). Alors que dans le contrat de prêt, le débiteur peut jouir de l’argent prêté et en disposer librement (taml¥k al-<ayn).

Ainsi, le prêteur ne peut demander une rémunération pour un bien qui ne lui appartient plus[38]. Augustin, dans une argumentation plus théorique que juridique, avance un point de vue proche quand il affirme que prêter à intérêt consiste à demander deux compensations pour un seul article, à savoir la certitude que le même article (même montant) lui soit rendu, plus un intérêt pour pouvoir en jouir.

Or comme la jouissance de l’argent est de pouvoir le dépenser, il est inadmissible de demander une compensation sous forme d’intérêt pour dépenser cet argent[39]. De son côté, le juriste Pothier (1699-1772) réfute la prise d’intérêt en distinguant le prêt de biens fongibles de biens non fongibles[40]. Economiquement, l’épargne n’est pas considérée productive en soi tant qu’elle n’est pas investie et utilisée dans un projet d’investissement.

§  Opinion juridique de la parité du pouvoir d’achat 

L’intérêt a pour but de préserver la parité de pouvoir d’achat du montant rendu par rapport au montant prêté. En fait, cette théorie admet implicitement qu’un prêt ne justifie aucune rémunération. Simplement, il s’agit de préserver la valeur réelle du montant prêté et non pas seulement la valeur nominale. D’après le droit musulman, tout dépôt devant être rendu (comme une somme d’argent), il existe deux principales opinions : la première considère que la monnaie est un « bien similaire » (qaym¥) et de ce fait tout dépôt doit être rendu à l’identique (par exemple trois billets de 100 euros) ; la seconde considère que la monnaie est un « bien de valeur » (mithl¥) et de ce fait l’identité du dépôt implique que l’on rende le même pouvoir d’achat.

Une opinion intermédiaire consiste à vérifier si la variation nominale de la monnaie est telle que, du point de vue de la coutume, on peut qualifier cette dévaluation de lésion, et donc permettre de prendre en compte dans le contrat de prêt l’éventualité d’un remboursement supérieur au montant nominal du prêt, à hauteur de la dévaluation constatée du pouvoir d’achat. Par exemple pour M.ÝŒf¥, le contrat peut contenir une clause stipulant que dans le cas où le taux d’inflation atteint un certain niveau, qui peut constituer une injustice aux yeux de la coutume et de la pratique, la différence de pouvoir d’achat résultant de ce taux d’inflation est à la charge du débiteur[41]. Il s’agit de raisonner en terme réel en inflatant les sommes concernées. En définitive, cette opinion ne justifie pas l’intérêt, mais prend note d’un fait économique (inflation) et essaye de répondre au problème qu’il pose en terme d’équité. Enfin, il convient de souligner que la théorie de la conservation de la parité du pouvoir d’achat n’est qu’une réponse provisoire au problème plus général du caractère systématiquement inflationniste du régime financier usuraire.

o Justification à caractère économique

§  La théorie de rétribution du capital

Selon cette théorie, la demande de capital dépend du taux d’intérêt et le taux d’intérêt dépend de la profitabilité de l’investissement. Le taux d’intérêt équivaut à la moyenne du taux de profit produit par l’investissement du capital dans des activités économiques. L’intérêt trouve alors son origine dans le profit résultant du travail effectué avec le capital prêté. Le taux d’intérêt est en quelque sorte un indice de profitabilité : « in proportion, therefore, to the advantages to be reaped from borrowed money, the borrowers offer more or less for the use of it »[42]. Cette théorie est appelée « théorie de la productivité » par Böhm-Bawerk. Mais la nature de la relation existant entre taux de profit et taux d’intérêt ne fait pas consensus. Certains économistes assimilent les deux taux tels John Fullarton (1780-1849).

Mais certains économistes (Smith, Ricardo, Mill, Marx ) ont réfuté l’existence d’un lien entre les deux taux. Galiani (1750) objecte ainsi que la prise d’intérêt en tant que partie du profit « quel qu’il soit, (…) tiré de la monnaie stérile, est indéfendable car comment qualifier ce profit fruit d’un effort, quand celui qui fait l’effort est l’emprunteur et pas le prêteur »[43]. Hume semble le premier à établir un lien entre le niveau des taux et le montant des stocks de capital dans un marché[44]. Par ailleurs, Smith pense que « le taux d’intérêt est déterminé par des facteurs monétaires » ce qui est aussi l’avis de Keynes. Mais Keynes croit que le taux d’intérêt détermine à son tour le taux de profit.

Chez les néoclassiques, il existe d’autres déterminants au taux d’intérêt que le taux de profit tel la demande de prêts à la consommation et la demande étatique de capitaux. Par ailleurs, des recherches statistiques ont montré que les variations du taux d’intérêt étaient sans conséquence sur l’investissement et que les investisseurs regardent plutôt les perspectives de profit et le prix des matières premières dans leur prise de décision[45].

Quant au coût de la hausse de l’intérêt, il est reporté sur les consommateurs. Enfin, les observateurs du marché financier considèrent que les taux d’intérêt ne sont pas assez souples pour s’ajuster aux variations de la profitabilité de l’investissement et que par ailleurs, même si c’était le cas, la prise en compte d’autres résultats financiers dilue l’influence des résultats d’investissement. Gesell réfute également la théorie de la productivité en montrant que selon cette théorie, une plus grande productivité du capital devrait aboutir à une meilleure rémunération du capitaliste, c’est-à-dire à une augmentation des taux d’intérêt.

Or, c’est l’inverse qui se produit, car le taux d’intérêt résulte de la confrontation d’une offre et d’une demande de capital, d’où la baisse des taux simultanément à une hausse de la productivité du capital. Cette théorie échoue à expliquer la variation des taux d’intérêt car elle traite l’intérêt comme un « fait statistique » et ignore le côté « offre » de capital[46]. Dans tous les cas, il n’est pas possible d’accepter cette justification car elle contredit manifestement le report du risque d’investissement sur l’entrepreneur. En l’absence de lien direct entre le contrat de prêt et l’activité économique, toute idée de rétribution du prêt par le biais du profit demeure injustifiée.

o Justification à caractère psychologique

A l’heure actuelle, la théorie de l’intérêt repose essentiellement sur des considérations d’ordres psychologiques, qui contrastent avec la forme très stricte, voire sévère que lui confère la mathématique des démonstrations. A cet égard, Fisher concède en conclusion de son ouvrage principal : « From the foregoing enumeration, it is clear that the rate of interest is dependent upon very unstable influences many of which have their origin deep down in the social fabric and involve considerations not strictly economic. Any causes tending to affect intelligence, foresight, self-control, habits, the longevity of man, family affection, and fashion will have their influence upon the rate of interest  »[47].

§  L’intérêt comme coût d’opportunité de l’argent

Entre plusieurs possibilités de placement, le choix d’un placement se monnaye au prix d’un coût d’opportunité de l’argent, une sorte d’incitation au prêt et à l’épargne. Le coût d’opportunité correspond au coût de la transformation de revenus présents en revenus futurs et l’intérêt est l’égalisation d’une différence entre la valeur présente et la valeur future de l’argent[48].

Théoriquement, cette opinion est critiquable. Si le coût d’opportunité existe probablement, il n’y a aucun lien direct avec l’intérêt. De plus, l’opportunité dont il est question est avant tout un état psychologique qui ne constitue pas un bien monnayable. D’ailleurs, d’un point de vue islamique, le prêt est une action philanthropique et volontaire de la part du prêteur. Il est donc malvenu de monnayer cette action charitable. Enfin juridiquement, puisque le contrat de prêt rompt tout lien juridique entre l’argent prêté et le créancier durant la durée du prêt, la prise d’un intérêt est illicite[49].

§  Théorie de l’abstinence

La consommation étant destinée à assouvir les besoins matériels des êtres humains, s’abstenir de consommer afin d’épargner et de constituer un capital constituerait un effort. L’intérêt perçu sur un capital prêté récompense l’épargne mobilisée pour le prêt, au lieu d’être consommée ou investie à d’autres fins. Le choix de l’épargne au détriment de la consommation constitue alors une « abstinence » qui mérite une récompense.

Cette abstinence contient également un élément de risque qui doit être rémunéré. L’ « abstinence » est considérée par Nassau Senior comme un facteur de production supplémentaire expliquant l’intérêt[50]. Toutefois, sans création de richesse dans le cadre d’un contrat licite, comment justifier cette rémunération, d’autant plus que le rentier peut toujours assouvir ses besoins primaires. Le prêt ne constitue donc pas une abstinence à proprement parler. Mais comment justifier que dans tous les autres cas d’utilisation (thésaurisation, consommation, investissement productif), le capitaliste ne peut prétendre à une rémunération sur la base de l’ « abstinence », qui ne trouverait à s’appliquer que dans le contrat de prêt ?

§  La préférence temporelle pour le présent :

Selon les économistes de l’Ecole autrichienne (Boehm-Bawerk, Fisher), les gens préfèrent assurer leur besoin au présent plutôt qu’au futur, le présent étant plus sûr que le futur…Les gens auraient donc naturellement une forte propension à consommer. Cette vision a été critiquée par Marshall et Fisher qui ont posé des conditions à cette assertion. Marshall affirme que cela n’est vrai que si l’on accepte que les gens accordent effectivement une plus grande importance au présent ce qui n’est pas prouvé pour tout le monde. Fisher n’accepte cette opinion que dans le cas où les gens ont une évaluation efficace de la structure de leur revenu au cours de leur vie[51].

Or les comportements d’épargne dépendent selon Fisher (et Keynes) du niveau de revenu et non du seul taux d’intérêt[52]. Pour Fisher, la propension à consommer (préférence temporelle pour le présent) et le coût d’opportunité (coût de transformation de revenus présents en revenus futurs) décrivent deux courbes dont l’intersection donne le taux d’intérêt[53]. Fisher tente même d’étendre sa théorie de la préférence pour le présent au calcul des salaires, en affirmant que si l’intérêt varie, les salaires varieront également[54]. Par ailleurs, Mac Kenna a montré dans son livre Economie de l’incertitude que plus le monde économique est incertain, moins les ménages épargnent. La théorie de la préférence temporelle pour le présent doit être sévèrement nuancée. Notons au passage que sur cette théorie s’appuie la méthode du calcul économique en entreprise d’actualisation des coûts et des revenus.

Ce raisonnement est aussi présent dans le corpus islamique. Le procès-verbal d’un infaillible affirme qu’« au temps correspond une partie du prix »[55]. Ainsi, le juriste musulman distingue le prix d’un bien (hors transactions monétaires) lors d’une « vente au comptant » (bay<) d’avec le prix de ce même bien lors d’une « vente à terme » (bay< al-nissia). Shaykh An¢Œr¥ Dieu l’agréé, écrit : « A moins de dire que le complément n’est pas la contrepartie du temps, mais la contrepartie du fait que le vendeur s’est privé du droit à l’instantanéité de recevoir l’argent, comme le voudrait la nature du contrat (de vente)  »[56].

Ceci dit, il n’est pas obligatoire que cette rétribution se fasse par le biais de l’intérêt. Par ailleurs, la préférence est un état psychologique. De plus, un état psychologique n’a pas d’existence indépendante et ne saurait donc être monnayée car ce n’est pas un bien[57]. La préférence temporelle est incluse dans le prix du bien mais ne peut être monnayée indépendamment de ce bien. On retrouve ici encore une différence de conception de la monnaie car en tant qu’unité de compte, la monnaie ne peut générer de richesse, comme l’a souligné Aristote[58]. C’eût été justifiable dans le cas où le transfert du titre de propriété était complet et qu’aucun lien juridique ne liait le débiteur au créancier, comme dans une vente. Mais ce n’est pas le cas du prêt, car la créance court jusque le remboursement du capital prêté.

§  Théorie de la préférence pour la liquidité 

Les acteurs économiques ont une préférence pour la liquidité. L’intérêt est le coût de cette préférence, afin que les gens ne thésaurisent pas leur argent sous forme liquide. Toutefois, d’un point de vue moral, on peut se demander comment il est possible de monnayer un état psychologique (la préférence), à supposer qu’il existe réellement. C’est-à-dire que la « préférence » n’a pas d’existence indépendante pour que l’on puisse la monnayer. On ne peut pas vendre ou acheter des états psychologiques. Dans le cas où la relation du débiteur avec le créancier disparaît par le transfert du titre de propriété de l’argent, alors ce genre de considération peut influer sur les prix car un titre de propriété a bien une existence indépendante et devient monnayable.

A l’issue de cette revue des justifications avancées en faveur de l’intérêt, il apparaît qu’aucun argument ne justifie péremptoirement la prise d’intérêt dans le cadre d’un prêt ou d’une transaction.

3. La philosophie de l’interdiction de l’intérêt

vInterdiction de l’usure, philosophie du droit et histoire (Aristote, interdiction gréco-romaine, Talmud et Evangiles)

o L’intérêt dans les civilisations antiques[59]

L’intérêt est une pratique ancienne qui était courante chez les sumériens, les babyloniens, les égyptiens, jusqu’à un taux déterminé au delà duquel l’intérêt devient prohibé. Les arabes du « temps de l’ignorance »[60] pratiquaient couramment l’intérêt, notamment les communautés juives arabes de äŒif. Les usuriers n’hésitaient pas à prendre en otage des membres de la maison du débiteur, lesquels devenaient la propriété du créancier en cas d’impossibilité pour le débiteur à rembourser sa dette.

Dans la Grèce antique d’avant les réformes de Solon, l’intérêt était pratiqué sans aucune limitation si bien que tout débiteur devenu incapable de rembourser son prêt devenait aussi la propriété du créancier. Les réformes de Solon ont aboli cette pratique et ont fixé un taux d’intérêt maximal de 12%. L’empire romain s’est inspiré de cette expérience dans la rédaction des « Douze Tables » qui autorisaient un « Undarum Foenus », mais la limitation était loin d’être toujours respectée. L’intérêt fut complètement interdit entre citoyens romains par la « Lex Genucia » (322 avant J.C). Les « Lex Sempronia » et « Lex Gabinia » étendirent la prohibition aux « Socii » et aux commerçants ayant affaire avec les provinciaux.

Aristote dans La Politique, critique sévèrement la pratique de l’intérêt en affirmant que l’argent liquide ne produit pas d’argent liquide et qualifie le gain usuraire d’injustice. Il l’accuse de nuire aux façons saines de gagner de l’argent. Pour Aristote, la raison s’oppose au principe de l’intérêt : « comme nous l’avons dit, l’art d’acquérir la richesse est de deux espèces : l’une est sa forme mercantile, et l’autre une dépendance de l’économie domestique ; cette dernière forme est nécessaire et louable, tandis que l’autre repose sur l’échange et donne prise à de justes critiques (car elle n’a rien de naturel, elle est le résultat d’échanges équivalents) : dans ces conditions, ce qu’on déteste avec le plus de raison, c’est la pratique du prêt à intérêt, parce que le gain qu’on en retire provient de la monnaie elle-même et ne répond plus à la fin qui a présidé à sa création. Car la monnaie a été inventée en vue de l’échange, tandis que l’intérêt multiplie la quantité de monnaie elle-même. C’est même là l’origine du terme intérêt (tokos : enfant, petit (partus) ) : car les êtres engendrés ressemblent à leurs parents, et l’intérêt est une monnaie née d’une monnaie. Par conséquent, cette dernière façon de gagner de l’argent est de toutes la plus contraire à la nature »[61]. Platon, Caton l’Ancien et Caton le Jeune, Cicéron, Sénèque et Plotin ont également pris parti contre l’intérêt[62].

o L’intérêt selon les religions

Toutes les religions célestes interdisent l’intérêt. La Torah affirme dans le verset 15 du chapitre 22 de l’Exode[63] : « si tu as prêté de l’argent à l’un de mes serviteurs, ne te comporte pas avec lui comme un usurier et ne fait pas de profit sur lui  ». Le Saint Coran a rappelé l’interdiction de l’intérêt chez les juifs[64]. Les juifs ne peuvent percevoir d’intérêt sur un juif mais cela leur est autorisé sur un non juif (goy/gentil) selon le verset 20 du chapitre 23 du Deutéronome qui dit : « ne prête pas d’argent à ton frère juif, ni en argent, ni en nourriture ni d’autre chose  ».

Chez les chrétiens, la pratique de l’intérêt a été interdite. On trouve un texte explicite de l’interdiction dans l’Ancien Testament : « Tu n’exigeras de ton frère aucun intérêt »[65]. Dans le Nouveau Testament, on lit : « tout prêt que vous accordez avec l’intention d’en tirer un profit ne vous sera d’aucune utilité. Faites de bonnes actions mais n’en attendez aucun profit. Alors vous aurez une grande récompense… »[66]. Ainsi, du Moyen Age jusqu’au 13ème siècle, l’intérêt était interdit car le principe de l’échange repose sur une réciprocité. L’échange usuraire est considéré inique, car « l’emprunteur qui paie un intérêt n’est pas absolument libre, il le donne contraint et forcé, puisque d’une part, il a besoin d’emprunter de l’argent et que d’autre part, le prêteur qui dispose de cette somme ne veut pas l’engager sans percevoir un intérêt »[67].

Dans la perspective religieuse chrétienne, l’usure instaure un rapport de force conflictuel favorable au prêteur, plaçant l’emprunteur « dans une situation de dépendance vis-à-vis de son future créancier »[68]. Par ce biais, l’usure instille un climat de « violence financière » dans la mesure où il avalise une injustice économique. Un usurier était considéré comme méprisable et ne méritait pas d’être couvert d’un linceul lors de sa mort. Le concile universel de Lyon en 1274 « prive de sépulture chrétienne ceux qui n’auraient pas réparé avant leur mort les torts causés par la perception d’un intérêt  »[69]. Le Concile de Vienne de 1311, initié par le pape Clément V, menace d’excommunication les magistrats laïcs voulant voter une loi favorable à l’intérêt ou refusant de d’abroger ce type de loi sous trois mois[70]. Les pères de l’Eglise affirmaient de leur côté qu’ « une personne déclarant que l’intérêt n’est pas un pêché est un apostat ayant renié sa religion »[71]. L’Inquisition pouvait à ce titre poursuivre les usuriers transgressant l’interdit.

vLa légalisation progressive de l’intérêt

En Europe, l’interdiction de l’intérêt a été strictement respectée dans la législation positive et le droit canon jusqu’au 13ème siècle. Toutefois, cette interdiction avait des exceptions : le Mont de Piété et les juifs étaient libres de se livrer au prêt à intérêt. Comme on l’a vu, la dichotomie entre interdiction légale et pratique effective de l’intérêt dans la Chrétienté du Moyen Age venait de l’incapacité des théoriciens chrétiens à proposer un système financier de substitution crédible, purifié de la pratique usuraire.

Ce constat a amené certains penseurs à décréter que l’interdiction de l’intérêt était nuisible à la pratique des affaires et contraire à la nature humaine si encline à s’y livrer[72]. Sous l’influence de la Réforme[73] et de la perte progressive d’influence de l’Eglise sur la société européenne, l’interdit légal de l’intérêt s’estompe. Parallèlement se développe l’intermédiation bancaire, qui tend à déshumaniser l’échange usurier, en marginalisant la casuistique autour du concept de « fraternité ».

Les réformateurs Zwingli (1484-1531), et Luther (1517) vers la fin de sa vie, ont autorisé à contre cœur la pratique de l’intérêt, en estimant préférable d’encadrer sa légalisation plutôt que de ne pas appliquer une interdiction, même s’ils adhéraient à cette dernière.

L’intérêt devint progressivement une pratique admise dans les régions protestantes. En Angleterre, l’interdiction de l’intérêt fut abolie en 1545 par Henry VIII et remplacé par un taux légal. L’interdiction fut restaurée par Edouard VI puis définitivement ré abolie par Elizabeth en 1571. Le terme « usure » fut alors remplacé par le terme « intérêt ». La Renaissance et les débuts de l’industrialisation de l’économie étaient des facteurs de banalisation de l’intérêt. Cet aspect de la légalisation n’a aucune justification théorique car elle était motivée par le seul souci d’efficacité économique[74]. Les 17ème et 18ème siècles marginalisent les partisans de l’interdiction canonique de l’intérêt. Calvin (1509-1564) s’est évertué à discréditer les arguments d’autorité (Ecritures Saintes) puis tente de discréditer l’argumentation rationnelle.

En fait, la position de Calvin est de dire que l’intérêt payé provient du profit résultant de l’utilisation de l’argent prêté dans une activité économique (ex preventu)[75]. Cette opinion n’est autre que la position islamique du partage ex post du profit réalisé par l’association d’un capital à un travail dans le cadre d’un contrat licite. Calvin conclut que l’intérêt ne peut ni être complètement interdit, ni complètement autorisé. Ainsi, le prêt à intérêt devrait être interdit pour le « pauvre bougre » et dans tous les cas où « l’Etat providence » l’exige. De même, un taux maximal devrait être établi et légalement défini, concédant par là le caractère potentiellement nuisible de l’intérêt. Simultanément avec Calvin, Dumoulin entreprend de réfuter l’interdiction canonique de l’intérêt d’un point de vue juridique.

Son argumentation a de fortes similarités avec celle de Calvin mais se distingue par sa précision et son souci de conformité logique[76]. Il remet en cause l’interprétation des écritures saintes en limitant le champ de l’interdiction aux cas violant les lois de « charité » et d’ « amour fraternel »[77]. Son argumentation logique a été réfutée précédemment. Sa thèse est donc que la pratique encadrée de l’intérêt doit être autorisée et que l’opinion contraire selon laquelle l’usure doit être strictement interdite est « folle », « pernicieuse » et « superstitieuse »[78]. Il condamne toutefois l’intérêt composé et ne retient que l’intérêt sous forme d’annuités comme la « vraie sorte d’usure commerciale  »[79].

Les auteurs favorables à l’intérêt semblent trop bienveillants à l’égard de leurs prédécesseurs en prétendant que leur position iconoclaste était la marque de leur indépendance d’esprit[80]. En effet, la nature du courant visant à la légalisation de l’intérêt prouve qu’il bénéficiait de soutiens politiques et économiques puissants, et que la coordination des attaques contre l’interdiction de l’intérêt visait un but précis et défendait les intérêts d’une certaine oligarchie.

L’histoire de la légalisation de l’intérêt reste à faire et il existe des points de vue contradictoires sur la datation et la nature de ce phénomène[81]. A noter la légalisation tardive de l’intérêt en France, qui s’est produite en 1789 suite à la révolution et poussée par la pensée libérale (J.Bentham). A la fin du 18ème siècle se distinguaient encore deux auteurs importants en faveur de l’interdiction malgré des positions contraires prises antérieurement par Dumoulin, Claude Saumaise (1588-1653) et Montesquieu : il s’agit du juriste Pothier et du physiocrate Mirabeau.

Mirabeau est partisan de l’interdiction de l’intérêt car il le juge ruineux pour la société[82]. Turgot s’est notamment opposé aux thèses de Pothier en affirmant que les biens librement échangés ont toujours une valeur équivalente et en discréditant la thèse selon laquelle il n’est pas possible de différencier le bien de son utilisation dans le cas d’un bien périssable, en la qualifiant d’ « abstraction »[83]. Finalement, bien que le débat théorique restait vif et loin d’avoir été tranché en faveur d’une position, le Vatican finit par autoriser la prise d’intérêt le 18 août 1830.

vL’interdiction légale de l’intérêt chez les différentes écoles juridiques islamiques

L’interdiction de l’intérêt en Islam est catégorique. Cette interdiction est confirmée par les quatre sources légales islamiques : le Coran, la Tradition, la raison et le consensus. Elle ne fait l’objet d’aucun doute. Nombre des juristes chiites et sunnites ont considéré l’interdiction de l’intérêt comme une « nécessité de la religion », dont la réfutation équivaut à l’apostasie et à l’entrée dans l’enfer.

o La prohibition coranique de l’intérêt

Selon les commentaires sunnites et chiites, l’« occasion de la descente » des versets (sha’n nuzl) interdisant l’intérêt est une demande de remboursement de créance usuraire de Ban¥ Mughaira à Ban¥ Thaq¥f, deux tribus de la péninsule arabique. Les livres d’histoire indiquent que les transactions usuraires étaient courantes pendant l’Ignorance (jŒhiliyya)[84]. Huit versets coraniques portent sur l’intérêt.

§  Versets de l’interdiction

Dans l’ordre de la révélation :

Sourate les Romains, verset 39

Sourate les Femmes, verset 161

Sourate la Famille de ‘ImrŒn, versets 130-132

Sourate la Vache, verset 275, 276, 279 et 280

§  Progressivité de l’interdiction

Ces versets montrent que l’interdiction a été progressive afin d’y préparer les esprits. Cette interdiction s’est faite en quatre étapes :

Ø Etape 1

Le verset 39 de la sourate « les romains » est le seul verset révélé à la Mecque (le reste des versets sont médinois) et souligne un trait moral.

Ø Etape 2

Le verset 161 de la sourate « les femmes » dénoncent fermement la pratique usuraire des juifs en rappelant que l’intérêt leur est interdit entre eux.

Ø Etape 3

Le verset 130 de la sourate « La famille de ’ImrŒn » interdit l’intérêt composé (“compound interest” ou “ribŒ jŒhil¥ ” ou “ribŒ murakkab“) aux croyants.

Ø Etape 4

Les versets 275 à 280 de la sourate « La vache » interdit la pratique de l’intérêt et la qualifie de “guerre contre Dieu”. Ces versets sont révélés vers la fin de la vie du saint prophète paix sur lui et sa famille. Le commentateur ’AllŒma al-TabŒtabŒ¥ dans Al-m¥zŒn f¥ tafs¥r al-qur’Œn considère que l’interdiction existait déjà en Islam avant la descente de ces derniers versets.

o L’intérêt selon la Tradition (sunna)

La tradition est la seconde source de législation islamique après le Saint Coran. Les hadiths concernant l’interdiction de l’intérêt sont très nombreux et concordants (mutawŒttira) chez les rapporteurs sunnites et chiites. Par exemple, le chapitre sur l’intérêt de WasŒil al-sh¥’a du Second Martyr (Shah¥d al-thŒn¥) comporte trois cents hadiths.

§  Exemples de procès-verbaux prophétiques

On rapporte du Saint Prophète paix sur lui et sa famille : « Le pire des commerces est la prise d’intérêt  »[85]

L’ImŒm al-ÝŒdiq paix sur lui rapporte du Saint Prophète paix sur lui et sa famille : « Certes Dieu a maudit l’usurier, l’emprunteur, le greffier et les deux témoins »[86].

Il est rapporté de l’ImŒm Al-ÝŒdiq paix sur lui que le Saint Prophète paix sur lui et sa famille aurait dit dans son testament à ImŒm Al¥ paix sur lui : « ô Al¥, un dirham usuraire est pire auprès de Dieu que soixante-dix adultères incestueux commis dans la maison sacrée de Dieu  »[87].

Il est rapporté du Saint Prophète paix sur lui et sa famille : « le prêteur et l’emprunteur sont égaux dans l’usure »[88].

§  Exemples de procès-verbaux d’imŒms

L’imŒm al-ÝŒdiq paix sur lui rapporte de l’ImŒm ’Al¥ paix sur lui : « Le mangeur d’intérêt, l’emprunteur, le greffier et le témoin sont égaux dans le pêché »[89].

Concernant l’accumulation et la monopolisation du capital, il n’y a aucune interdiction juridique contre la possession d’une grande fortune et nous avons des exemples nombreux de figures de l’IslŒm possédant une fortune aisée, au premier rang desquels la première épouse du Saint Prophète paix sur lui et sa famille, la mère des croyants et mère de Fa¨ima paix sur elle, la grande KhŒdija paix sur elle. Toutefois, il existe des procès-verbaux dont l’interprétation reste à définir précisément, tel ce propos de l’ImŒm <Al¥ paix sur lui : « Tu ne vois pas de bienfait exubérant sans qu’à côté ne se trouve un droit bafoué »[90].

o L’intérêt selon l’argument rationnel (<aql)

Quelques juristes (fuqahŒ) n’ont accepté dans leur raisonnement que les versets coraniques, la tradition et le consensus pour interdire l’intérêt, tout en excluant l’argument rationnel. Toutefois, la plupart des juristes ont également pris en considération l’argument rationnel pour interdire l’intérêt. De façon résumée, l’argument rationnel consiste à dire que la prise d’intérêt est génératrice d’injustice, car il y a une prise d’intérêt sans contrepartie et sans risque car « l’argent ne produit pas d’argent »[91].

Or la raison et la nature humaines rejettent l’injustice donc l’intérêt est contraire à la raison. Et ce qui est contraire à la raison est interdit en Islam. Donc l’intérêt est rationnellement interdit. Cet argument comprend que la monnaie ne produit pas de richesse en elle-même, et seul le capital investi dans le cadre d’un contrat licite, associant généralement du capital à du travail, permet de revendiquer une rémunération. Cette argumentation est semblable à celle des canonistes chrétiens[92].

o L’intérêt et le consensus (ijmŒ’)

La plupart des juristes considèrent le consensus comme l’un des arguments en faveur de l’interdiction. Parmi les grands juristes chiites qui estiment qu’il y a consensus sur l’interdiction de l’intérêt voire qu’il s’agit d’une nécessité de la religion (`arriyyat al-d¥n), se trouvent Shah¥d al-thŒn¥, ïasan al-Najaf¥, MuÆaqqiq Ardibil¥. Shaykh äs¥, dans KitŒb al-khilŒf, écrit que « l’ensemble des juristes et des savants sont de cet avis »[93]. L’auteur de JawŒhir al-kalŒm écrit que « concernant l’intérêt, il est interdit par le Livre, par la Tradition et l’ensemble des croyants, et même des musulmans, et on ne peut écarté la possibilité d’être une nécessité de la religion et celui qui le légalise entre dans la voie des incroyants »[94]. Le juriste sunnite Mawward¥ écrit « qu’il y a un consensus parmi les musulmans sur l’interdiction de l’intérêt… »[95].

o Le débat sur la définition de l’intérêt parmi les juristes musulmans

Les juristes musulmans ne sont pas d’accord sur les détails de la définition à donner à l’intérêt (ikhtilŒf). Nous donnons ici la définition donnée par quelques juristes représentant les différentes écoles juridiques. Pour une revue précise, il est vivement conseillé de se reporter aux ouvrages spécialisés ainsi qu’aux savants qualifiés[96].

§  Ecole hanafite

Le juriste hanafite Ibn ’Abid¥n décrit l’intérêt comme « le surplus sans contrepartie selon un critère légal en faveur de l’un des contractants de la transaction » [97]. Cette définition n’inclut pas le prêt à intérêt (ribŒ qar`¥).

§  Ecole hanbalite

Les juristes hanbalites ont défini l’intérêt comme suit : « L’intérêt, légalement, est le surplus d’une chose particulière (dénombrable ou mesurable) »[98]. Cette définition ne contient pas l’intérêt à terme (ribŒ nissiyya).

§  Ecole chafiite

Les juristes chafiites définissent l’intérêt comme « un contrat prévoyant une transaction avec une contrepartie particulière indéterminée du point de vue légal au moment du contrat ou avec un échange à terme des deux ou de l’un des produits échangés »[99]. Donc, l’intérêt est ici une transaction liquide pour liquide ou la vente d’un produit déterminé pour un produit déterminé dont l’une des deux parties est plus grande. Dans le cas de transaction entre produits identiques, la prise de possession est une condition du caractère usuraire de la transaction alors que dans le cas de transaction entre produits différents, la prise de possession n’est pas une condition.

§  Ecole malékite

Les juristes malékites définissent l’intérêt comme « le surplus en l’un des deux produits identiques dans les échanges sans contrepartie à ce surplus ». Cette définition ressemble à la définition chafiite de l’intérêt avec cette différence que la raison de l’interdiction dans le non liquide, en plus d’être de la nourriture, concerne des produits stockables et la raison de l’interdiction est la cherté des produits liquides.

§  Ecole ja<farite

Les juristes chiites divisent l’intérêt en deux parties : l’intérêt transactionnel (ribŒ mu’Œmal¥) et l’intérêt de prêt (ribŒ qar`¥). La plupart des juristes chiites définissent l’intérêt comme « la réception d’un surplus dans les échanges de deux produits de même nature, pesés ou dénombrables (muzn/mak¥l) ou la perception d’un surplus dans le prêt avec la même condition présente ». Dans le commentaire Min Wah¥ al-qurŒn, nous trouvons : « c’est la transaction de deux produits de même nature (de même quantité) avec un surplus dans l’un des deux sur l’autre ou dans le cas d’un prêt, c’est le remboursement d’un montant supérieur au capital initial »[100]. Concernant l’intérêt à terme (nissia), on lit : « c’est un surplus prévu par une clause du contrat de dette sans contrepartie »[101]. Dans le recueil jurisprudentiel de référence des juristes chiites, intitulé JawŒhir al-kalŒm, on lit que l’intérêt est « la vente d’un des produits similaires, mesurable ou dénombrable, par le biais d’un contrat valide ou par habitude, avec un surplus réel de l’un des deux ou bien le prêt de l’un avec un surplus (sans contrepartie)  »[102]. La plupart des juristes chiites considèrent que le critère de l’intérêt transactionnel (ribŒ mu’Œmal¥) ne concerne que les produits de même nature, que l’on peut peser ou dénombrer.

Shaykh al-äs¥ affirme que « il n’y d’intérêt que sur ce qui est dénombrable ou mesurable »[103]. On constate que pour devenir usuraire, le prêt monétaire doit être assorti d’une pré condition fixant un taux d’intérêt ou un surplus quelconque sous forme d’un dépôt, d’un travail ou d’un loyer ou dans le cas du prêt d’un bien, le bien rendu doit être de meilleure qualité que le bien prêté.

Toutefois, sans condition préalable, le retour par le débiteur d’une somme supérieure à la somme prêtée est un acte recommandé. Remarquons enfin que la distinction faite entre l’usure monétaire et l’usure transactionnelle semble montrer que la monnaie au sens islamique n’est pas un bien monnayable lors d’une transaction. C’est pourquoi on ne peut pas justifier un profit lors d’une transaction monétaire (« j’achète 100 euros tout de suite à 110 euros que je paierai demain »).

o Insistance sur l’interdiction de l’usure de prêt[104]

Le prêt contenant une clause préalable déterminant un intérêt au profit du prêteur est illicite. On rapporte de Ab¥ JaÕfar paix sur lui : « tout prêt impliquant (a priori) un profit est usure  ».[105] L’usure n’existe que si elle est explicitement prévue par le contrat de prêt. La nature de l’intérêt peut prendre la forme d’une tâche à accomplir, d’un loyer ou d’un dépôt d’argent. Dans tous les cas, c’est considéré comme de l’usure[106]. Mais selon l’ImŒm MsŒ ibn JaÕfar paix sur lui, « …pas de problème si il n’y a pas de condition préalable (au paiement d’un intérêt) » [107]. En absence de clause, la prise d’un intérêt sur un prêt sur la proposition volontaire de l’emprunteur est licite car l’ajout d’un supplément au capital principal reste à la discrétion de l’emprunteur.

vLa justice comme philosophie de la prohibition de l’intérêt 

Rappelons d’emblée que nous ne pouvons pas affirmer comprendre avec certitude toutes les dimensions de l’interdiction de l’usure. Charles Dumoulin, dans un travail publié en 1546, cite un auteur ayant recensé vingt-cinq arguments contre l’intérêt[108]. De l’étude du Coran ressort que la raison principale pour interdire l’intérêt est l’injustice qu’il cause.

Comme le montre le verset 279 de la sourate la Vache, la philosophie derrière l’interdiction de l’intérêt est l’interdiction de l’injustice selon le syllogisme suivant : l’injustice est interdite (majeure), or l’intérêt génère une injustice (mineure), donc l’intérêt est interdit (résultat).

Les dispositions légales constituent un ensemble cohérent appelé « ruisseau » (shar¥Ôa). Ces dispositions légales suivent une philosophie du droit organisée selon des « biens » (ma¢ŒliÆ) et des « désordres » (mafŒsid). Cela est particulièrement manifeste dans le domaine des transactions (muÔŒmalÔat). L’interdiction de l’intérêt suppose donc que la pratique de l’usure cause des désordres que ces dispositions légales cherchent à éviter. Quels sont-ils ?

o Philosophie de l’interdiction dans le Saint Coran

Dans son Tafs¥r kab¥r, le savant Fakhr RŒ`¥ Dieu l’agrée énumère cinq raisons à l’interdiction :

  Interdiction de faire du profit sans contrepartie (ribÆ bi lŒ ’awaÄ)

  Disparition du commerce et de l’artisanat

  Disparition de la charité (ma<rf)

  Empêchement du prêt sans intérêt (qar` al-Æasana)

  Accentuation des disparités financières entre riches et pauvres

D’autres commentateurs ont ajouté à ces raisons l’affaiblissement des sentiments humains, la tendance à rechercher le profit coûte que coûte, l’instabilité financière et sociale, la hausse de la criminalité…

o Philosophie de l’interdiction dans la Tradition

Dans la Tradition, on trouve de nombreux procès-verbaux concernant les raisons de l’interdiction de l’usure dans le livre de Shaykh al-Ýadq intitulé Õilal al-sharŒÕ (Les raisons des dispositions légales). Il est rapporté de l’ImŒm al-RizŒ paix sur lui : « La raison de l’interdiction de l’usure est certes que Dieu l’a interdit pour ce qu’il comporte de corruption des biens car l’être humain s’il achète un dirham contre deux dirhams, la valeur du premier dirham est un dirham et la valeur du second est superflue et la vente de l’usure est un préjudice pour l’acheteur et le vendeur…quant à la raison de l’interdiction de l’intérêt à terme, c’est à cause de ce qu’il éloigne le bien, détruit les biens, suscite chez les gens une course vers le profit, les pousse à abandonner le prêt sans intérêt et les œuvres de bienfaisance, et pour tout ce qu’il comporte de corruption, d’oppression et de destruction des biens »[109]. Il est rapporté de HishŒm ibn ïakam Dieu l’agrée de l’ImŒm al-ÝŒdiq paix sur lui concernant la raison de l’interdiction de l’usure : « Certes si l’usure était licite, les gens abandonnerait le commerce et …et Dieu a interdit l’intérêt pour que les gens s’orientent de l’illicite vers le licite… »[110].

o Les quatre raisons principales de l’interdiction de l’intérêt

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Ainsi, les raisons de l’interdiction de la pratique de l’intérêt sont les suivantes : la corruption financière, l’obstacle à la charité, l’injustice sociale, la destruction des richesses.

§  Corruption financière 

La corruption financière est le fait de jouir d’une ressource financière illégitimement. Le Saint Coran l’a formellement interdite dans le verset suivant : Ô vous qui avez crû, ne dévorez pas vos biens entre vous de manière illicite [111] . Or, le Coran dénonce l’usure comme un exemple de corruption financière dans le verset suivant : …et leur pratique de l’usure alors que cela leur a été interdit et la jouissance des biens des gens de manière illicite et nous avons préparé pour les mécréants d’entre eux un châtiment douloureux… [112].

On s’est demandé si le seul facteur de production méritant une rémunération était le travail ou si le capital pouvait également être rémunéré. Selon la théorie marxiste, tout bien équivaut à un certain volume de travail. Le capital ne faisant pas exception, le capital matérialise résulte d’un certain volume de travail. L’origine de la richesse dépendrait alors uniquement du facteur travail et tout peut être valorisé sur la base du temps travaillé[113].

En fait, le capital peut être considéré comme une matérialisation du travail et donner droit à rémunération. Cela semble confirmé par l’exemple du « contrat de société » (sharika) ou du « contrat de muÄŒraba », où le capital investi donne effectivement droit à une rémunération ex post selon un pourcentage fixe du profit réalisé par l’activité financée.

Dans la mesure où le capital investi est associé au facteur travail dans le cadre d’un contrat licite, il donne droit à rémunération. Pour Murta`Œ Mu¨ahar¥ Dieu l’agrée, le prêt consiste à transformer un « capital réel » (Ôayniyyat) en « crédit » (iÔtibŒriyyat) sans faire courir de risque au principal prêté. Il n’y aurait donc pas de perte possible[114]. Dès lors que le capital prêté n’est pas transformé en investissement, il est exclu du cycle productif et n’encourt de ce fait aucun risque, puisque le remboursement du montant du capital prêté est contractuellement garanti. Dans ce cas, aucune rémunération du capital ne peut être justifiée.

§  Obstacle à la charité

Cela empêche les gens de faire des prêts sans intérêt et propage une mentalité de rentier et une rationalité économique uniquement fondée sur des arbitrages financiers et de rentabilité. Le sacrifice de soi et la charité sont relégués au rang de valeurs morales secondaires voire négligées. L’esprit utilitariste et égoïste des gens au sens péjoratif du terme s’en trouve renforcé.

§  Injustice et corruption sociale 

L’usure est dénoncée parce qu’il facilite l’accumulation du capital, augmente le risque de ploutocratie, établit un rapport injuste entre facteurs de production, peut provoquer de la pauvreté…Martyr Mu¨ahar¥ Dieu l’agrée avance que la philosophie de l’interdiction de l’intérêt dans le programme islamique est d’éviter la domination socio politique du capital (en tant que fait social) ainsi qu’un rapport de force trop défavorable entre facteurs de production[115].

§  Destruction de richesses

Le verset du Coran suivant affirme que … Dieu stérilise l’usure et fertilise les aumônes et Dieu n’aime pas tout mécréant pêcheur[116]. On peut en donner trois interprétations non exclusives l’une de l’autre :

Ø L’usure comme source de gaspillage

La monopolisation du capital chez les rentiers oriente le système productif vers le gaspillage et la luxure car le rentier gagne de l’argent sans faire d’effort et peut donc le dépenser aussi vite et bêtement qu’il l’a gagné

Ø Aspiration de capitaux hors du cycle productif

La pratique usuraire détourne une partie du flux monétaire vers des activités de spéculation improductives

Ø Dérive inflationniste et perte de pouvoir d’achat

La pratique usuraire secrète de l’inflation et détruit le pouvoir d’achat de la monnaie, car la créance financière émise par une transaction usuraire ne repose pas sur une production effective de richesse dans l’économie réelle. La monnaie créée par cette créance est nuisible au système monétaire et au pouvoir d’achat de la monnaie. C’est la version moderne de la loi énoncée au 16ème siècle par J.Grisham : « la mauvaise monnaie chasse la bonne  ». Par ailleurs, comme nous le verrons plus tard, l’instabilité systémique du système financier usuraire provoque des crises boursières et bancaires qui détruisent beaucoup de richesse en peu de temps.

4. Une alternative au « libéralisme financier » : le système financier du partage des profits

Comme on l’a vu, la littérature critique du taux d’intérêt est abondante, même de la part d’auteurs capitalistes. Toutefois, rares sont les auteurs qui proposent son abolition. Le système de « banque d’échange » de Proudhon consistait à « monétiser » les marchandises, en abandonnant l’intérêt au profit d’une sorte de « troc amélioré », mais ce fut un échec.

Les réformateurs monétaires de la première moitié du 20ème siècle (Gesell, Keynes) considèrent en effet que le taux d’intérêt est nécessaire pour attirer l’épargne et éviter une sorte de « trappe à liquidité ». Pour éviter la thésaurisation, Gesell par exemple, propose d’imposer des frais de conservation à la monnaie à travers le mécanisme de « monnaie franche » ou « monnaie fondante ». Irving Fisher qualifiera ce dispositif, une sorte de taxe régulière imposée à la monnaie, de taux d’intérêt négatif[117].

Toutefois, si ces propositions relèvent d’expédients pratiques intéressants, elles ne changent rien au problème théorique posé, car le taux d’intérêt n’est justifiable ni juridiquement (en terme de contrepartie d’un échange), ni économiquement. C’est pourquoi il convient de commencer la réflexion sur la réforme monétaire sur la base de l’interdiction totale de l’intérêt. Au niveau des transactions, le juriste musulman a adopté une attitude de confirmation (tayy¥d¥) contrairement au domaine des adorations où le juriste doit avoir une attitude de détermination (ta’s¥ss¥).

Cela signifie que le système financier islamique n’est pas dessiné par le juriste mais par la pratique des affaires. Au juriste musulman d’effectuer un contrôle de ces activités en fonction des critères de licéité et d’illicéité des transactions fournis par la loi islamique. Le système financier non usuraire tente d’éviter les problèmes liés à l’existence de l’intérêt, sans refuser les notions de marché et de concurrence. Dans ce système, les mécanismes financiers déviants (thésaurisation et spéculation), alimentant une hausse des frais financiers, sont éliminés. La structure précise de ce système n’est pas l’objet de ce développement.

Tout système financier devra intégrer dans son schéma de développement une conception suffisamment précise de ce que doivent être les systèmes monétaire, bancaire et boursier. Toutefois, compte tenu des caractéristiques du principe de partage ex post des profits, les avantages prévisibles du système de partage en comparaison avec celles du système usuraire sont les suivants :

vSérénité du climat économique

§  Répartition plus juste du risque d’investissement

Le risque lié à la mise en œuvre du projet est partagé entre les différentes parties associées par le contrat de financement de l’investissement, par le biais du partage ex post des profits réalisés sur le projet.

§  Une meilleure prise en compte des facteurs de production dans la répartition du profit

En entérinant une symbiose entre l’entrepreneur et l’investisseur (apportant son capital), le facteur travail retrouve une meilleure valorisation dans le partage de la valeur ajoutée.

§  Harmonisation des intérêts des acteurs économiques

En créant une communauté d’intérêts et de destin, les contrats de financement basés sur le principe du partage ex post du profit abolissent l’antagonisme traditionnel entre le « créancier » et le « débiteur », apaisant la relation entre acteurs et évitant les « violences » financières.

§  Meilleure coopération au sein du circuit financier (entrepreneur, investisseur, client, déposant)

Dans le cadre des contrats, il est prévisible que la communauté d’intérêt initiée sur chaque projet favorise la coopération entre les acteurs du circuit financier, créant un terrain plus propice à l’investissement et assurant une meilleure gestion du projet.

vEffets attendus sur les agrégats économiques

§  Baisse du coût de production

Dans la mesure où le coût du financement du projet est consolidé dans le bilan du projet, les coûts d’agence dus au nombre élevé d’intermédiaires et les frais financiers liés à l’intérêt payé par le projet aux banques sont éliminés.

§  Hausse du niveau d’investissement

Une hausse du niveau de l’investissement est prévisible en raison d’un meilleur environnement économique et de l’élimination de l’effet cliquet dû à la barrière technico-économique du taux d’intérêt. En d’autres termes, la contraction du crédit exercée par le système bancaire concurrentielle serait désamorcée. C’est ce qu’exprime J.Duboin en ces termes : « en supposant qu’un réservoir alimente notre circulation monétaire, ce sont les banques qui en ont la clef : elles le remplissent ou le vident à leur convenance, ou, plus exactement, selon le bénéfice qu’elles y trouvent. Il est donc compréhensible qu’elles maintiennent l’argent « rare » afin de pouvoir le prêter à un taux avantageux  »[118].

§  Hausse du niveau de production

Une hausse du niveau de production est prévisible pour trois raisons :

Ø Le niveau de l’investissement est structurellement plus élevé

Ø Le partage de la valeur ajoutée est plus équitable, favorisant l’augmentation de la propension à consommer moyenne de la population

Ø Le climat des affaires est favorisé par une plus grande stabilité systémique du système financier

§  Baisse du chômage

Une baisse du chômage est prévisible pour deux raisons :

Ø Le facteur travail n’est plus la seule variable d’ajustement des coûts de production en cas de déséquilibre du marché

Ø Le niveau général de l’investissement est plus élevé

Ø La structure de l’entreprise en environnement non usuraire implique une gestion du personnel souple et inspirée des structures de projet

§  Baisse de l’indice général des prix

La suppression de l’activité financière usuraire (spéculation, multiplication des intermédiaires financiers, coûts d’agence, primes de risque, assurances) et de la tendance inflationniste structurelle d’un système financier usuraire favorise une baisse de l’indice des prix.

§  Hausse du niveau de vie

Suite à un partage plus équitable de la valeur ajoutée produite, la structure d’épargne investissement et de consommation favorise une élévation générale du niveau de vie, tendant à la formation d’une puissante classe moyenne.

vAmélioration systémique du système financier

§  Stabilité du système financier et disparition des cycles

La surchauffe du système financier due à l’instabilité cyclique de la structure usuraire du crédit et de l’investissement est éliminée. Les facteurs déclencheurs de crises boursière, bancaire ou immobilière sont au moins significativement réduits.

§  Maîtrise accrue de l’inflation

En éliminant le facteur principal supposé de l’inflation dans le système financier, la structure monétaire du système du partage du profit laisse prévoir que l’inflation soit jugulée en majeure partie.

§  Acceptation populaire du système financier

Compte tenu de son caractère plus juste, le système financier non usuraire est plus populaire que le système à intérêt. Cette adhésion populaire plus large renforce la stabilité du système financier.

§  Efficacité accrue de la libre concurrence

La libre concurrence est améliorée à deux niveaux :

Ø Au niveau quantitatif : l’atténuation des effets d’accumulation du capital et de la formation de monopoles réduit le niveau des barrières à l’entrée sur les marchés

Ø Au niveau qualitatif : la décision d’investir peut faire jouer des critères subjectifs plus aisément que dans le cadre usuraire où la décision d’investissement est surdéterminée par les critères financiers dictés par le système usuraire (TRI, NPV)

§  Amélioration qualitative des projets d’investissements

La prise en compte de critères qualitatifs dans l’élaboration du projet et dans la décision de financement peut favoriser une amélioration qualitative des projets d’investissement.

§  Possibilité d’une prise en compte accrue de l’environnement dans les calculs économiques

L’élimination pratique du postulat psychologique de la préférence temporelle pour le temps présent à travers les calculs d’actualisation permet une meilleure prise en compte de l’environnement dans les calculs économiques, qui ne sont plus forcément contradictoires avec l’idée d’un développement durable. La communauté d’intérêt créée par le principe du partage ex post du profit favorise une vision plus long terme que le principe usuraire.

Conclusion

Il est nécessaire de comprendre que le système financier international actuel n’est plus viable et que nous vivons la phase terminale du cycle économique issu des années 1930. Toutefois, avec la globalisation financière et l’interdépendance accrue des acteurs, la crise financière se profilant risque d’être énormément plus grave que celle de 1929. Il est un devoir de réfléchir à pallier aux carences du système monétaire, pas seulement à l’aide de mesures de maquillages comptables ou réglementaires.

Le système usuraire n’est pas l’apanage du libéralisme comme il n’est pas lié au système démocratique. En revanche, il est une caractéristique essentielle du capitalisme car c’est lui qui permet la formation de grandes fortunes, grâce à l’accumulation rentière. L’usure introduit donc un biais sur le marché du financement en contradiction manifeste du dogme libéral. Nous pensons donc que l’interdiction de l’intérêt contribuerait grandement à résoudre les contradictions du libéralisme économique. Mais quel système financier promouvoir à la place ?

Le système de partage du profit peut constituer un modèle viable et alternatif au système usuraire dans le sens d’une société d’« abondance » et plus juste. Ce système constitue en quelque sorte un patrimoine commun des religions monothéistes, avec l’objectif d’améliorer les relations sociales et économiques de l’humanité sur la base d’un « meilleur social universel ». Il est à la fois une opportunité et une responsabilité pour tous.

Il est nécessaire de lancer un effort de recherche soutenue sur cette piste hétérodoxe, avec un budget et des soutiens académiques. Cela nécessite un approfondissement sur l’aspect pratique du système, avec un effort concentré sur les aspects monétaires, bancaires et microéconomiques. Quelques sujets intéressants concernent la mutualisation bancaire des profits, la circulation monétaire, la gestion du risque client, le benchmarking concurrentiel de projet, la finance d’entreprise.

Enfin, toute idée, aussi iconoclaste soit-elle, mérite réflexion. Une fois discutée et débattue au niveau académique, elle peut être réfutée ou validée.

 


[1] LisŒn al-Ôarab : « و الاصل فيه الزيادة ( والفضل) من ربا المال اذا زاد او ارتفع و نما »

[2] Majma< al-baÆrayn, t.1, p.174 : الربا ربوان ربا يؤكل و ربا لا يوكل… 

[3] Guillaume d’Auxerre (13ème siècle), Summa Aurea, t.48, c.1 cité par DESMEDT dans « Monnaie et Finance : violences financières » (sur internet)

[4] Voir articles L-313-5 du « Code monétaire et financier » et L-313-3 du « Code de la consommation » reproduits en annexe

[5] BOHM-BAWERK.E, Capital and Interest : A Critical History of Economical Theory (traduit de l’allemand), 1884, conclusion : “There can be no question then that the interest problem is a problem of distribution”

[6] Dictionnaire Hachette de 2000 : « Somme due au prêteur par l’emprunteur pour l’usage d’un capital pendant une période déterminée et versée sous forme de revenu. ¶ Intérêt simple, tel que le capital reste le même au cours du prêt. L’intérêt simple est proportionnel au montant du capital, au taux d’intérêt et à la durée du prêt. ¶ Intérêt composé, résultant de l’addition au capital initial des intérêts acquis successivement »

[7] DUBOIN.Jacques, Pourquoi manquons-nous de crédits ?, 1961

[8] GESELL.Silvio, Die Natürlische Wirtschaftsordnung (L’ordre économique naturel), préface de la troisième édition, traduction en anglais

[9] L.DESMEDT , Idem

[10] Concernant le débat économique autour de la monnaie, du taux d’intérêt, de l’origine de la valeur, du fonctionnement du marché financier et de l’interdisciplinarité en économie, on ne saurait trop recommander la riche œuvre de André ORLEANS disponible en partie sur internet : http://www.pse.ens.fr/orlean/index.html

[11] BOHM-BAWERK.E, Capital and Interest : A Critical History of Economical Theory, 1884, introduction : « Thus it is that the phenomenon of interest, as a whole, presents the remarkable picture of a lifeless thing producing an everlasting and inexhaustible supply of goods. And this remarkable phenomenon appears in economic life with such perfect regularity that the very conception of capital has not infrequently been based on it »

[12] Par exemple, S.Gesell affirme dans la preface à la troisième edition de l’Ordre économique naturel : “The release of economic forces and their free play, with the resulting increase in the offer of loan-money would eliminate interest and thus cleanse the darkest plague-spot in our present economic system”.

[13]SONNENFELS, Handlungswisenschaft, 5ème édition, 1787

[14]CULPEPPER.Thomas, Small Treatise against Usury, annexé à Discourses, 1690, p. 229 : « It is agreed by all the Divines that ever were, without exception of any ; yea, and by the Usurers themselves, that biting Usury is unlawful : Now since it hath been proved that ten in the hundred doth bite the Landed men, doth bite the Poor, doth bite Trade, doth bite the King in his Customs, doth bite the Fruits of the Land, and most of all the Land itself : doth bite all works of Piety, of Vertue, and Glory to the State ; no man can deny but ten in the hundred is absolutely unlawful, howsoever happily a lesser rate may be otherwise. »

[15] GESELL, Ordre économique naturel, 1948 (traduction française), pp.172-175. Voir notamment l’effet inhibant des taux d’intérêt sur l’activité économique, au niveau du prêteur, de l’entrepreneur et du consommateur. Ce propos est tiré de l’article de BLANC.Jérôme, « Silvio Gesell socialiste prudhonnien et réformateur monétaire », Centre Walras CNRS, octobre 2002, p.12

[16] MINSKY.H, “Finance and stability : the limits of capitalism”, working paper, 1993, p.14 : “the prices of current ouput carries profits and is the mechanism by which costs are recovered. In the abstract these prices are keyed to the money wage rate. The price of capital assets and financial instruments are present prices for future streams of incomes. As these two sets of price reflect what happens in two different sets of markets they will vary independently”.

[17] BRAUDEL.Fernand, La dynamique du capitalisme, 1985

[18] HILFERDING, Finance capital : A study of the latest phase of capitalist development, London, 1981 : “The most characteristic features of modern capitalism are those processes of concentration, which on the one hand, eliminate free competition through the formation of cartels and trusts, and on the other, bring bank and industrial capital into an ever more intimate relationship.”

[19] MINSKY.H, “Finance and stability : the limits of capitalism”, working paper, 1993, p.2 : “Sixty years ago, capitalism was a failed economic order…”, p.19 : “ the capitalism that had good run after the second world war was a big government interventionist economy with central banks that were less constrained than during the inter war years.

[20] FRIEDMAN.Milton, Studies in the Quantity Theory of Money, 1956, p.339

[21] MINSKY.H, “Finance and stability : the limits of capitalism”, working paper, 1993, p.18 : “Although the obvious flaw of capitalism centers around its inability to maintain a close approximation to full employment, its deeper flaw centres around the way the financial system affects the prices and demands of outputs and assets, so that from time to time debts and debt servicing rise relative to incomes so that conditions conducive to financial crises are endogenously generated”.

[22] KEYNES, Théorie générale de l’emploi, de l’intérêt et de la monnaie, 1936

[23] PROUDHON (1809-1840), Qu’est-ce que la propriété ?, 1840

[24] GESELL, L’ordre économique naturel, introduction

[25] LOCKE, John, Some Considerations of the Consequences of lowering the Interest and raising the Value of Money p.36.

[26] BOHM-BAWERK.E, Capital and Interest : A Critical History of Economical Theory, conclusion

[27] Par exemple, Justi demande à ses lecteurs de considérer que l’intérêt est un loyer de l’argent, comme un fait acquis qui ne requiert aucune explication (voir Staatwirthschaft, vol.1, §268)

[28] BOHM-BAWERK.E, Capital and Interest : A Critical History of Economical Theory, 1884, I.II.51

[29] BACON, Sermones Fideles, cap. xxxix.,1597

[30] SMITH, Wealth of Nations, t.2, chapitre 4

[31] SAUMAISE, De Usuris, chap.XX

[32] BOHM-BAWERK.E, Capital and Interest : A Critical History of Economical Theory, 1884, I.II.8 : « To the observer of men and things it must in time have become questionable whether the obstinate and always increasing resistance of practical life really had its root, as the canonists affirmed, only in human wickedness and hardness of heart. Those who took the trouble to go more deeply into the technicalities of business life must have seen that practice not only would not, but could not dispense with interest ; that interest being the soul of credit, where credit exists to any considerable extent interest cannot be prevented ; and that to suppress it would be to suppress nine-tenths of credit transactions. They must have seen, in a word, that, even in a half-developed system of economy, interest is an organic necessity. It was inevitable that the recognition of such facts that had for long been commonplaces among practical men, should in the end force its way into literary circles. »

[33] DUMOULIN.Charles, Tractatus Contractuum et Usurarum redituumque pecunia Constitutorum, 1546, No.530. Comme il est justifié qu’un créancier vende la propriété de son débiteur pour récupérer sa créance, c’est exactement la même chose pour le prêt : « Usus pecuniae mihi pure a te debitae est mihi pure a te debitus, ergo vel tibi vendere possum. »

[34] SAUMAISE.Claude (1588-1653), De Usuris, chapitres 1-8. Bohm Bawerk décrit sa théorie en ces termes (I.II.37) : « Lending belongs to that class of legal transactions in which the use of a thing is made over by its owner to another person. In the case where the article in question is not perishable, if the use that is transferred is not to be paid for, the legal transaction is a Commodatum : if it is to be paid for, the transaction is a Locatio or Conductio. In the case where the article in question is a perishable or a fungible thing, if the use is not to be paid for, it is a loan bearing no interest (mutuum) : if to be paid for, it is a loan at interest (foenus). The interest bearing loan accordingly stands to the loan which bears no interest in exactly the same relation as the Locatio to the Commodatum, and is just as legitimate as it  »

[35] BESOLD, Vitae et Mortis Consideratio Politica, 1623, chapitre V

[36] LOCKE, John, Some Considerations of the Consequences of lowering the Interest and raising the Value of Money p.24.

[37] MUHAQQIQ AL-ïILLĪ, Mukhta¢ar al-nŒfi<, « و هي تمليك منفعة معلومة بعوض معلوم »

[38] VACUNA.Vaconius, Lib. i. Nov. Declar. Jus. Civ. chap. xiv : « celui qui tire profit de cet argent, sous forme de pièces de monnaie ou autre, le tire d’une chose qui ne lui appartient pas, si bien qu’on peut considérer que c’est comme si il l’avait volé… »

[39] AUGUSTIN, Somme Théologique, ii. chap. ii. quaest. 78, art. 1.

[40] Pothier est un fameux juriste français d’Orléans, auteur des Pandectes, recueil exhaustif du droit romain et de traités des obligations, sur le contrat de mariage, de la vente et des principaux contrats. Cité par BAWERK, I.II.82 de TURGOT, Mémoire sur les Prêts d’Argent, § 26 : « It is a fair claim that the values given in the case of a contract which is not gratuitous should be equal on either side, and that no party should give more than he has received, or receive more than he has given. Everything, therefore, that the lender may demand from the borrower over and above the principal sum, he demands over and above what he has given ; for, if he get repayment of the principal sum, he receives the exact equivalent of what he gave. For things that can be used without being destroyed a hire may certainly be demanded, because, this use being separable at any moment (in thought at least) from the things themselves, it can be priced ; it has a price distinct from the thing. So that, if I have given a thing of this sort to any one for his use, I am able to demand the hire, which is the price of the use that I have allowed him in it beyond the restitution of the thing itself, the thing having never ceased to be my property »… « It is not the same, however, with those objects that are known to lawyers as fungible goods-things that are consumed in the using. For since, in the using, these are necessarily destroyed, it is impossible in regard to them to imagine a use of the thing as distinct from the thing itself, and as having a price distinct from the thing itself. From this it follows that one cannot make over to another the using of a thing without making over to him wholly and entirely the thing itself, and transferring to him the property in it. If I lend you a sum of money for your use under the condition of paying me back as much again, then you receive from me simply that sum of money, and nothing more. The use that you will make of this sum of money is included in the right of property that you acquire in this sum. There is nothing that you have received outside of the sum of money. I have given you this sum, and nothing but this sum. I can therefore ask you to give me back nothing more than this amount lent, without being unjust ; for justice would have it that only that should be claimed which was given ».

[41] AyatollŒh Ý GOLPAYG N¡, « Réponse à des questions juridiques », Magazine Dadress¥, troisième année, No.17, p.12 cité dans MAïMçD¡ GOLPAYG N¡, Les fondements jurisprudentiels du système de partage dans la banque sans intérêt, Presses universitaires de Téhéran :Téhéran, 2002, pp.47

[42] STEWART.James, Inquiry into the Principles of Political Economy, 1767, vol ii. book iv. part i. chap. viii. p. 137.

[43] GALIANI, Della Moneta, book v. chap. i., p.244

[44] HUME.David, Of Interest Essays, part. ii. chap. iv.

[45] HICKS.John (1904-1989), Value and capital : An inquiry into some fundamental principles of economic theory , 1939

[46] GESELL, L’ordre économique naturel, partie.5, chap.6

[47] FISHER, Theory of Interest, partie 4, chap.21

[48] GALIANI, Della Moneta, book v. chap. i., p.243

[49] MAïMçD¡ GOLPAYG N¡, Les fondements jurisprudentiels du système de partage dans la banque sans intérêt, Presses universitaires de Téhéran :Téhéran, 2002, pp.51-52

[50] « the conduct of a person who either abstains from unproductive use of what he can command, or designedly prefers the production of remote to that of immediate results »

[51] Pour la petite histoire, Fisher a perdu une grande partie de sa fortune lors du crash boursier de 1929. On ne peut semble t-il pas tout prévoir…

[52] FISHER.Irving, The Theory of Interest, New York : The Macmillan Company, 1930, partie 2, chap.4 : « Borrowing and lending are in form a transfer of capital, but they are in fact a transfer of income of which that capital is merely the present value. In our theory of interest, therefore, we have to consider not primarily the amount of capital of a community, but the future expected income for which that capital stands ».

[53] La monnaie dans l’économie islamique

[54] FISHER.Irving, The Theory of Interest, partie 4, chapitre 15 : « In all these cases, the rate of wages is the discounted value of some future product, and therefore tends to decrease as interest increases ».

[55] “للاجل قسط من الثمن

[56] « الا ان يقال ان الزيادة ليست في مقابل الاجل بل هي في مقابل اسقاط البايع حقه من التعجيل الذي يقتضيه العقد لو خلى و طبع » SHAYKH ANÝ RĪ, Al-makŒsib, p.305

[57] MUäAHAR¡. M, Intérêt et Assurance

[58] AUGUSTIN, De Usuris, i. chap. iv. Cette argumentation est abordée par Augustin en insistant toutefois sur le fait que le temps est un bien commun, également et gratuitement distribué à tous par le Créateur, et qu’il n’appartient pas à une personne de monnayer ce bien gratuit non monnayable.

[59] DURANT, Will. Histoire de la Civilisation

[60] Cette expression désigne la période précédant la Révélation au prophète Muhammad paix sur lui et sur sa famille dans la première moitié du 7ème siècle.

[61] ARISTOTE, Le Politique, I, 10

[62] PLATON, Les lois, p. 742 : « Personne ne devrait déposer d’argent chez quelqu’un autre qu’un ami en qui il a confiance, ni ne devrait prêter d’argent à intérêt ».

ARISTOTE, Ethique à Nicomaque, IV. § 1 : « Tels sont ceux qui se livrent à des commerces illicites comme les tenants de maisons closes, et toute personne de cette catégorie ; et les usuriers qui prêtent des petites sommes à des taux exorbitants, car ces gens tirent leur revenu de sources inappropriées et prennent plus qu’ils ne le devraient ».

CICERON, De Officiis, ii. Fin , CATON, De Re Rustica :,PLOTIN, Mostellaria, Act iii. scene 1, SENEQUE, De Beneficiis, vii. 10

[63] La loi mosaïque interdit l’usure entre juifs dans Exodes xxii. 25 ; Lévitique xxv. 35-37 ; Deutéronome xxiii. 19,

[63] Deutéronome, chapitre 23, versets 19-20 et Ezéchiel chap.18, v.8 et 1chap.8, v.13. L’Exode est le second livre de la Bible. Il raconte les pérégrinations du peuple hébreu fuyant l’Égypte où il avait été asservi vers la Terre promise – la Palestine – mené par Moïse. Ce livre est (avec celui du Deutéronome) celui où se trouvent inscrits les Dix Commandements. La loi mosaïque interdit l’usure entre juifs dans Exode xxii. 25 ; Lévitique xxv. 35-37 ; Deutéronome xxiii. 19,

[64] Verset 161, sourate Les Femmes : و اخذهم الربا و قد نهو عته و اكلهم اموال الناس بالباطل و اعتدنا للكافرين اذابا اليما

[65] Deutéronome, chapitre 23, versets 19-20 et Ezéchiel chap.18, v.8 et 1chap.8, v.13

[66] Evangile de Luc, chapitre 6, verset 34-35

[67] ACQUIN, Thomas. Somme Théologique, II, q.78

[68] Voir DESMEDT, « Monnaie et Finance : violences financières »

[69] L.DESMEDT, Idem

[70] Clem. c. un. de Usuris, 5. 5.

[71] LACTANTIUS, Livre vi. Divin. Inst. chap. xviii. Dires d’un homme juste, AMBROSIUS, De Bono Mortis, chap. xii. : , AMBROSIUS, De Tobia, chap. iii. : , CHRYSOSTEME sur Mathieur xvii. Homélie 56, AUGUSTIN sur Psaume cxxviii., AUGUSTIN in Decret. Grat. chap. i. Causa xiv. quaest. 3

[72]BOHM-BAWERK.E, Capital and Interest : A Critical History of Economical Theory, 1884, I.II.32 : « It happened too that the decaying theory of the fathers of the Church and of the scholastics nowhere came into sharper conflict with the needs of actual life than in the Netherlands, where a highly developed economy had created for itself a complete system of credit and banking ; where, consequently, transactions involving interest were common and regular ; and where, moreover, temporal legislation, yielding to the pressure of practice, had long allowed the taking of interest. In such circumstances a theory which pronounced interest to be a godless defrauding of the debtor was unnatural, and its continuance for any length of time was an impossibility  ».

[73] Au fur et à mesure que le conflit avec l’église romaine s’aggrave, Luther radicalise ses positions qu’il livre dans des textes fondamentaux qui paraissent en 1520, année de son excommunication. Mis au ban de l’Empire (édit de Worms, 1521), Luther est cependant suivi par toute l’Allemagne du nord. En 1530, le texte rédigé par Melanchthon (1497-1560) sous la direction de Luther est lu devant l’Empereur Charles Quint à la diète d’Augsbourg. Cette Confession d’Augsbourg deviendra le texte de réfèrence du luthérianisme. Dès 1555, la scission sera officialisée avec la Paix d’Augsbourg qui marquera l’acceptation de la division confessionnelle de l’empire germanique. La rapide propagation des idées de Luther dans toute l’Europe grâce à l’imprimerie (300 000 exemplaires de ses premiers textes vendus entre 1517 et 1520) explique l’irruption de nombreux foyers réformateurs. A Zurich, le prédicateur Zwingli (1484-1531) mène un mouvement de Réformation dès 1521 et impose ses idées deux ans plus tard. A Strasbourg, le théologien dominicain Martin Bucer (1491-1551) prêche le luthérianisme à partir de 1523 et parvient à inciter sa ville à rompre avec le catholicisme en 1534. A Genève, Jean Calvin (1509-1564) est appelé pour l’organisation d’une nouvelle église protestante et fait rapidement de la ville une véritable cité-refuge et capitale spirituelle du protestantisme (fondation d’une académie de pasteurs 1559, production de livres protestants à destination de toute l’Europe…). Dans la lignée doctrinale de Calvin et de Luther, l’Angleterre (mouvement des anglicans) en 1563 et l’Ecosse dominée par le presbyterianisme de John Knox se séparent à leur tour de l’église catholique.

[74] BOHM-BAWERK.E, Capital and Interest : A Critical History of Economical Theory, 1884, I.II.11

[75] CALVIN, Epître 383, Hanovre, 1597

[76] DUMOULIN.Charles, Tractatus Contractuum et Usurarum redituumque pecunia Constitutorum, 1546.

[77] DUMOULIN.Charles, Tractatus, 1546, No.10

[78] DUMOULIN.Charles, Tractatus, 1546, No.534

[79] DUMOULIN.Charles, Tractatus, 1546, No.536

[80] BOHM-BAWERK.E, Capital and Interest : A Critical History of Economical Theory, 1884, I.II.32 : « During the political and religious troubles among which the young free state (Netherlands) was born, men had learned to emancipate themselves from the shackles of a slavish following of authority »

[81] PALMA.Norman, Philosophie du Droit, p.35 : « comme nous le savons, ce rejet du prêt à intérêt va se manifester comme un interdit social jusqu’à la moitié du dix-septième siècle. C’est en effet en 1658 que l’Etat de Hollande va déclarer ne plus être concerné par l’interdit du prêt avec intérêt. » On a vu précédemment que l’Angleterre le légalise dès 1545.

[82]MIRABEAU, Philosophie Rurale, Amsterdam, 1764, pp.284 : « money interest ruins society by giving incomes into the hands of people who are neither owners of land nor producers, nor industrial workers, and these people can only be looked upon as hornets, who live by robbing the hoards of the bees of society ».

[83] TURGOT, Mémoire sur les prêts d’argent, 1789

[84] Tar¥kh de Tabar¥ , tome 1, p.1370 et FutÆ al-buldŒn de BilŒzar¥, p.76 et ZawŒjir de Ibn ïijr, tome 1, p.206

[85] « شر المكاسب اخذ الربا »

[86] «  ان الله لعن اكل الربا و مؤكله و كاتبه و شاهديه  » WasŒil al-sh¥Õa, t.12, p.426

[87] « يا علي درهم ربا اعظم عند الله من سبعين زينة كلها بذات محرم في بيت الله الحرم » dans WasŒil al-sh¥Õa, t.12, p.426

[88] « وا لمعطي سواء في الربا الاخذ » : Al-Hind¥, Kanz al-’ummŒl , t.4, p.110

[89] «  آكل الربا و موكله و كاتبه و شاهده فيه سواء »

[90] « ما رأيت من نعمة موفورة الا و الى جانبها حق مضيع » قال الامام علي بن ابي طالب عليه السلام :

[91] « Pecunia non parit pecuniam »

[92] TELLEZ.Gonzalez, Commentaria perpetua in singulos textus quinque librorum Decretalium Gregorii IX. v. chap. iii. ; De Usuris, v. chap. xix. No. 7 : « comme l’argent ne produit pas d’argent, c’est contraire à la nature de prendre plus que la somme prêtée, et l’on peut dire avec plus d’appoint que cet argent est pris de l’industrie plutôt que de l’argent, car l’argent ne produit pas, comme l’a remarqué Aristote ».

COVARRUVIAS, Variorum Resolutionum, iii. chap. i. No. 5 : « La quatrième base est que l’argent ne porte de lui-même aucun fruit, et ne génère rien. Sur cette base, il est inadmissible et injuste de prendre quelque chose au-delà de la somme prêtée pour l’utiliser, car ce surplus ne vient pas réellement de l’argent en soi stérile, mais de l’industrie d’un autre ».

[93] KitŒb al-khilŒf , t.2, p.11 : « و به قال جميع الفقهاء و العلماء »

[94] NAJAF¡, JawŒhir al-kalŒm, t.23, p.332 : « في الربا المحرم كتابا و سنة و اجاعا من المؤمنين بل المسلمين بل لا يبعد كونه من ضروريات الدين فيدخل مستحله في سلك الكافرين  »

[95] AL-MAWWARD¡, Al-haw¥ al-kab¥r , t.7, p.74

[96] Voir : MçSSAĪ.Maytam, Explication de la notion et du sujet de l’intérêt du point de vue de la jurisprudence en tenant compte des relations économiques contemporaines (en persan), Institut de recherche monétaire et bancaire, Téhéran, 1997, pp.3-36, pp.77-82 et pp.97-124

[97] Hashiyya, tome 5, p.168 : « الفضل الخالي عن العوض بمعيار شرعي لاحد المتعاقدين في المعاوضة »

[98] Hashiyya ’unqar¥ : « الربا شرعا هو الزيادة بالشيء المخصوص(كيل و وزن) »

[99] « الربا عقد علي عوض مخصوص غير معلوم التماثل في معيار الشرع حاله العقد او مع تأخير في البدلين او احدهما »

[100] « بيع المتماثلين جنسا كمية بزيادة في احدهما او اقتراض مال بزيادة تادية عينية او حكمية  »

[101] « هو الزيادة المشروط للدائن بغير مقابل »

[102]«  بيع احد المتماثلين المقدورين بالكيل او الوزن في عهد صاحب الشرع او في العادة مع زيادة في احدهما حقيقة او اقتراض احدهما مع الزيادة »

[103] لا يكون الربا الا في ما يكال او ما يوزن

[104] MAïMçD¡ GOLPAYG N¡, Les fondements jurisprudentiels du système de partage dans la banque sans intérêt, Presses universitaires de Téhéran :Téhéran, 2002, pp.31-33

[105] « كل قرض جر منفعة فهو ربا » Mustadrak al-wasŒil, t.2, p.492

[106] MAïMçD¡ GOLPAYG N¡, Les fondements jurisprudentiels du système de partage dans la banque sans intérêt, pp.34-35

[107] « لا بأس إذا لم يكن يشترط » WasŒil al-sh¥Õa, t.13, p.106

[108] DUMOULIN.Charles (1500-1566), Tract. Contract. No. 528

[109] AÕyn akhbŒr al-rizŒ (alay al-salŒm), t.2, p.94 :

و علة تحريم الربا انما نهي الله عنه لما فيه من فساد الاموال لان الانسان اذا شتري الدهرم بالدهرمين كان ثمن الدهرم دهرم و ثمن الاخرباطلا و بيع الربا وكس علي كل حال علي المشتري و علي البايع فحرم الله تبارك و تعالي الربا لعلة فساد الاموال كما حظر علي السفيه ان يدفع ماله اليه لما يتخوف عليه من افساده حتي يؤنس منه رشده فلهذه العلة حرم الله الربا…و علة تحريم الربا بالنسية لعلة ذهاب المعروف و تلف الاموال و رغبة الناس في الربح وتركهم القرض والفرض و صنائع المعروف و لما فيه من الفساد و الظلم و فناء الاموا

[110] WasŒil al-sh¥Õa, t.12, p.424 :

انه لو كان الربا حلالا ترك الناس التجارات و ما يحتجون اليه فحرم الله الربا لتنفر الناس من الحرام الي الحلال و الي التجارات من البيع و الشري فيبقي ذلك بينهم في القرض 

[111] Sourate Les femmes, verset 29 : ياايها الذين امنوا لا تاكلوا اموالكم بينكم بالباطل

[112] Sourate Les femmes, verset 161 :  و اخذهم الربا وقد نهو عنه واكلهم اموال الناس بالباطل و اعتدنا للكافرين منهم عذابا اليما

[113] MARX, Le capital, t.1, p.80

[114] MUäAHARĪ, Questions de l’intérêt et de l’assurance, pp.46-48 :

داصلا وجود اعتباری انتاج ندار 

[115] MUäAHARĪ. Intérêt et Assurance, p.31

[116] Sourate La vache, verset 276 : يمحق الله الربا و يربي الصدقات والله لا يحب كل كفار اثيم

[117] FISHER, Lettre à Simons du 14 décembre 1934, relaté par l’article de BLANC.Jérôme,

[118] DUBOIN, Pourquoi manquons-nous de crédits ? , 1961

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