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L’indispensable « Dictionnaire des mondes juifs »

Le titre même de cet imposant ouvrage, signé par Jean-Christophe Attias et Esther Benbassa, tous deux directeurs à l’Ecole Pratique des Hautes Etudes, risque d’étonner certains lecteurs. Y aurait-il des mondes juifs, ou plus précisément plusieurs civilisations juives ? Les auteurs répondent positivement : il y a bien plusieurs civilisations juives, « certes en connection les unes avec les autres, mais aussi diverses que les lieux et les temps de leur développement ». Si les musulmans reprochent souvent aux non-musulmans de ne pas connaître en profondeur leurs histoires, leurs croyances, leurs cultures. Les Juifs peuvent, eux aussi, regretter le manque de curiosité des non-juifs pour leurs civilisations. Cet ouvrage, unique sur le marché, est bien là pour combler un vide. Et mieux nous faire saisir le « fait juif ».

L’auteur de cet article est le premier à reconnaître ses faiblesses. Un exemple : aux mots « ghetto juif », il accolait presque automatiquement celui de Varsovie, peuplé d’un demi-million de personnes, mis en place par les nazis à partir de 1940. Le « Dictionnaire des mondes juifs » (*) nous apprend que le mot « ghetto » a été, à l’origine, donné au quartier juif de Venise en 1516. Dans l’encyclique du pape Paul IV en 1555, il désigne «  les quartiers clos et rigoureusement séparés où les Juifs seront désormais légalement contraints de résider ».

Parmi les 350 articles de ce dictionnaire, allant de Ablution à Zohar, arrêtons-nous sur celui intitulé « Sionisme et Etat d’Israël ». Theodor Benjamin Zeev Herzl, le fondateur du sionisme politique, prône l’établissement d’un foyer susceptible de rassembler les Juifs dispersés. Mais où ? Au départ, il se rallie à la solution… ougandaise. Certains de ses amis penchent alors pour l’Argentine, Madagascar ou la Nouvelle-Calédonie. Ce n’est qu’après la mort de Herzl en 1904, « que ses successeurs se fixèrent inconditionnellement sur la Palestine », écrivent Jean-Christophe Attias et Esther Benbassa.

Au début du sionisme, la Palestine est perçue comme une terre libre par les Juifs. Pourtant, reconnaissent les auteurs, il s’agit au contraire d’un territoire « où il y a peu de terres en déshérence ». La lutte autour de la terre va donc rapidement devenir le cœur du conflit opposant Juifs et Arabes. D’autant qu’entre 1881 et 1947, la population juive de Palestine passe de 24 000 à 630 000 âmes. « L’achat de terres par les Juifs s’était concentré dans les vallées. Quasiment aucune n’est acquise dans les régions montagneuses, cœur pourtant de l’Israël antique », souligne le dictionnaire. N’en doutons pas, de tels propos risquent de faire grincer des dents.

La déclaration Balfour

Lorsque les premiers colons juifs venus de l’étranger s’installent en Palestine, ils ne choisissent pas Jérusalem, mais Richon-le-Tsion, « bien loin de la Ville Sainte ». Ce sont des pionniers laïcs, ils préfèrent s’installer dans des zones dépourvues de connotations religieuses, loin des monts de Judée. Et quand le sionisme commence à s’urbaniser, en 1909, il construit Tel-Aviv, ville littorale sortie des sables, sans passé, sans histoire. « Tel-Aviv évoquait la restauration d’une présence juive sur le sol palestinien, mais en même temps une reconstruction qui s’éloignait de tous les modèles, et qui tournait le dos aux présences gênantes – Juifs religieux et Arabes palestiniens », écrivent les deux auteurs.

C’est incontestablement la déclaration Balfour de 1917, du nom du ministre des Affaires étrangères britannique, qui marque un tournant à la fois dans l’histoire du sionisme et dans celle du Proche-Orient. Le Royaume-Uni, qui vient de se rendre maître de la région (depuis la chute de l’Empire ottoman), se déclare favorable à l’implantation d’un foyer national juif en Palestine. La région compte alors 664 000 Arabes et 82 700 Juifs.

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Le « Dictionnaire des mondes juifs » rappelle qu’en mai 1947, le dossier de la Palestine est présenté à l’ONU et que la majorité des pays se montre favorable à un partage de la région en deux Etats économiquement liés. Quant à Jérusalem et sa région, elles devaient être placées sous administration de l’ONU. L’histoire en a voulu autrement. L’Etat d’Israël est proclamé le 14 mai 1948.

Des Arabes « qu’on ne voit pas vraiment »

La guerre des Six Jours marque un tournant. Israël prend possession de la Cisjordanie, l’ancienne Jusée-Samarie biblique, et de Jérusalem-Est. « Une confusion s’établit alors entre l’Israël concret, celui qu’on a construit, et un Israël mythique, héritage de la mémoire historique et du rêve ». Jean-Christophe Attias, titulaire de la chaire de pensée juive médiévale, et Esther Benbassa, de celle d’histoire du judaïsme moderne, écrivent ensuite, parlant de la Cisjordanie et de Jérusalem-Est : « Ces territoires sont alors vides de Juifs, mais pleins d’Arabes qu’on ne voit pas vraiment ». Des propos qui ne manquent pas de courage.

Jérusalem, tout à la fois symbole et territoire, est devenu un enjeu crucial depuis que les religieux sionistes ont repris le flambeau. « Appropriation du lieu et revendication du symbole se recouvrent exactement ». Ce dictionnaire donne des chiffres que l’on ne trouve que rarement ailleurs. Si la population d’Israël compte 5,39 millions de Juifs, 1,17 million de musulmans, 149 000 chrétiens et 117 000 Druzes, on apprend que le nombre de Palestiniens dans le monde s’élèverait à environ 10,6 millions de personnes, dont 3,9 millions vivent en Cisjordanie et dans la bande de Gaza.

(*) « Dictionnaire des mondes juifs », Jean-Christophe Attias et Esther Benbassa, Larousse, 601 pages.

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