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Libérer l’Islam : la question de l’esclavage (partie 2)

Le tri se poursuit. La « poubelle » se remplit. C’est la direction du futile et de l’inutile.

« L’écume s’en va, asséché qu’il est au rebut. Et ce qui sert aux hommes se maintient sur terre » (S13, s17).

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Cela est vrai pour les idées comme pour les cités. Sans but, nous errons tels des rebuts de l’humanité, dominés que nous sommes par les fausses idées que nous portons en nous. Mais les idées mortes ont la peau dure. Bien que désuètes, imitations et dominations se plaisent ensemble à les adorer, l’une pour servir, l’autre pour asservir.  C’est la sainte alliance. Il en est ainsi de la pensée musulmane contemporaine, dont l’héritage pour laquelle elle se fait gardienne, est allégrement confondu par elle avec la révélation qui le contredit en fond sur tous les points et en forme sur bien des points. La question de l’esclavage est un exemple des plus éclatant, dont le doigt pointe la lune d’un paradigme et d’une approche de la réalité, inadaptés parce qu’erronés. C’est la vision et la méthodologie qui permettent la justification de l’esclavage et bien d’autres injustices et inepties, que nous aborderons ultérieurement, qui est à abandonner. Car tout bonnement anti-coranique, bien qu’elles soient défendues par des « savants » et des prédicateurs canoniques.
C’est là la conséquence des politiques de « déprogrammation des réformes de l’Islam ». Déprogrammation de l’Islam qui dans le droit musulman, la scolastique, la philosophie et le soufisme, ont pris forme dans la subversion du sens de son texte libérateur en prétextes dominateurs. Cela fait grincer. Mais c’est pourtant la vérité qui n’échappe point à tout chercheur digne de ce nom. La conquête a pris les habits de la quête en prétendant l’incarner. Or, c’est bien l’imbrication des ambitions de la domination avec les intentions de la révélation que les musulmans, à travers leurs intellectuels, savants et leaders d’opinion, entretiennent en refusant d’opérer une séparation/distinction nette entre le Coran et le reste.  Pour quelle raison ? Est-ce par incapacité ? Cette distinction est-elle difficile ? Rien de tout cela. Mais la soumission spirituelle, la fainéantise intellectuelle, le parti pris idéologique et la protection des intérêts politiques et oligarchiques ont des raisons qui renient la raison.
C’est « radical » me dit-on.  « Cela manque de nuance, tes mots sont trop forts ». Il faut, saint graal de l’idiotie bavarde, « contextualiser, car tout le monde à l’époque faisait ainsi. L’Islam n’avait pas le choix ». L’esclavage était sa seule option dans un contexte mondial qui le pratiquait sans vergogne. N’avait pas le choix ?! C’est ce qu’ils disent. Dieu n’avait pas le choix ?! Le message du Coran n’était/n’est pas universel ? L’islam est donc l’idéologie d’un empire, tributaire des contingences culturelles et géopolitiques de l’époque ? Ils ne le savent pas, mais c’est ce qu’ils disent. C’est abêtissant.  C’est abaissant.
L’esclavage n’est pas coranique. Il est barbare et anti-coranique. Les précédents billets l’ont, je pense, assez bien établi.  Et de ce fait, le droit musulman qui jusqu’à nos jours le légitime, doit être considéré, sur cette question, comme une déviance qu’il faut corriger, au risque de le voir s’appliquer aujourd’hui, dès que l’occasion se présente. Cela d’ailleurs se fait, comme nous le voyons en Lybie, en Mauritanie, avec DAESH ou Boko haram ou encore sur le plan social dans les sociétés traditionnelles d’Afrique de l’ouest, du Maghreb, du moyen orient et d’ailleurs, qui maintiennent de fait les relations de subordinations entre (anciens) maîtres et « anciens » esclaves.
Mon propos est donc d’actualité. Il ne s’agit aucunement d’un luxe. Il est de fond car il est une critique radicale du paradigme philosophique, théorique et méthodologique qui permet la justification de l’esclavage et celle de la domination cléricale, politique et économique qui l’instaure et le maintien.
Mais toute critique, à l’instar de la création-révélation, se doit d’être à la fois dé-constructive et constructive. Sinon elle n’est pas créatrice. Elle n’est pas révolutionnaire. Le Coran n’est pas juste un confirmateur-triant (musaddik) mais aussi un dépassement-créateur (muhaymin). Je fais donc mienne cette approche du réel. Et c’est à son aune que s’exerce cette réflexion.
Le droit musulman sur la question de l’esclavage doit être déconstruit, certes. Mais à l’aune du projet de libération radicale qui émane de l’harmonie du tout Coranique et qui permet de remettre tous les signes du Livre sur ce sujet et les applications et dires du Prophète qui en découlent (après leur tri critique à la lumière du Coran) en cohérence avec ce but. Ce, pour ensuite en tirer les enseignements généraux qui permettent de continuer ce processus de libération, selon des modalités adaptées aux formes de dominations contemporaines de la mondialisation capitaliste-libérale et son exploitation outrancière des hommes, des femmes, des enfants et de la nature. En effet, et c’est l’étape que jamais n’atteint l’approche défensive et apologétique des savants et prédicateurs musulmans, le propos coranique et sa réforme ne visent pas juste les modalités anciennes d’exploitation et de domination, dont l’esclavage en est l’extrême incarnation. Ils concernent au contraire toutes les formes d’assujétissement de l’être humain, en leurs processus et dénominateurs communs, à toutes les époques, dans toutes les cultures et interactions sociales.
Voilà ce dont le droit musulman et la bouillie religieuse et intellectuelle qui la défend, empêche le dévoilement et le déploiement. Voilà ce que, à travers ces lignes, je tente de mettre en lumière, afin de donner aux luttes du monde entier la sève spirituelle universelle et la révélation cosmique, qui transformera leurs révoltes en révolution et leurs résistances en renaissance. Tel est l’enjeu véritable de cette réflexion critique et son ambition profonde.
Venons-en maintenant à ce que dit le Coran, dans son harmonie, de l’esclavage. Et analysons la réforme qu’il a/avait mis en place pour l’abolir socialement après l’avoir interdit moralement, tel que nous allons le démontrer ci-dessous. Pour ce faire, il nous faut saisir la façon dont le Coran parle de l’esclavage et dans quel sens son propos à son sujet s’inscrit-il. Les lignes qui suivent se borneront donc à méditer le sens du terme « mâ malakate aymânukum » d’abord, pour ensuite « lyre » trois passages du Coran qui viendront, confirmant notre analyse de ce terme, dessiner l’origine de la dépendance et de l’esclavage ainsi que les voies pour en libérer ses victimes. Ce, contrairement à la l’interprétation courante qui font de ce terme et de ces passages des justifications de l’esclavage et de la domination.

Parler de l’esclavage ne signifie pas sa justification

Est-il vrai que le Coran, en parlant de l’esclavage et de la servitude, justifiait ainsi ce système comme certains, prédicateurs et oulémas peu profonds, le prétendent ? L’empressement n’est pas savant. Il est partial et partiel. C’est pour cela qu’il brandit bruyamment des arguments qu’il ne comprend pas. La conséquence n’est pas son sujet. Ses passions sont ce qui l’intéresse. C’est dur mais c’est vrai.
Voici un exemple qui va servir notre propos. L’un d’entre eux, féru d’anathème sur le net, bien qu’il ne soit lui-même pas très net, balançait ce qui se voulait être une évidence : « comment ça il n’y a pas d’esclavage en Islam ? Encore des gens qui veulent faire plaisir à l’Occident. Et les ‘’milk al-yamin’’ qu’on trouve partout dans le Coran, c’est quoi ? D’ailleurs l’islam encourage de libérer des esclaves, non ? Mais pour en libérer encore faudrait-il qu’il y en ait, n’écoutez pas ces égarés et leurs ‘’shubuhates’’, ils sont là pour nous détourner de notre foi et de la voie des ‘’salafs salihs’’ ».
Ainsi, selon cette superbe logique, un médecin qui dans son exposé parlerait du sida, induirait nécessairement, indépendamment de ce qu’il en dit, la justification de son existence, voire sa propagation. Le médicament il est vrai a besoin, pour exister, de la maladie. Pour guérir rendons malade ; pour libérer faisons des esclaves. Quelle « généreuse » ignorance !
Que le Coran parle de l’esclavage, cela ne fait pas débat d’une part et n’est pas un argument suffisant pour affirmer sa licéité et justification, d’autre part. La question est de plutôt savoir pourquoi et comment il en parle ? Le terme « mâ malkate aymânukum » existe bel et bien dans le Livre. Mais qu’elle est son sens, quelle réalité sociale objective et universelle recouvre-t-il ? Des passages du Coran font en effet mention de l’esclavage ou de la servitude, mais dans quel projet global cette mention s’insère-t-il ? Telles sont, préalablement, les questions qu’il faut se poser pour comprendre ce que l’Islam, à travers le Coran, dit de l’esclavage. C’est que tout propos sur un sujet quelconque doit se saisir dans la raison d’être de sa tenue et dans l’ensemble qui lui donne sens. Or ce que la révélation dit du sujet qui nous intéresse ici, ne peut en aucun cas être en contradiction avec la conception qu’il offre de l’humanité et les principes généraux qu’il présente et entend établir dans la réalité des rapports humains. Ainsi, il ne suffit pas de dire, encore une fois, que le Coran parle de l’esclavage pour ensuite en déduire qu’il est, en conséquence, en accord avec ce système.

Que signifie « ce que vos droites possédaient » ( mâ mâlakate aymânukum) ?

Ceci étant établi voyons de plus près les formules et passages qui désignent et parlent de l’esclavage. Je ne vais pas m’attarder sur les mots « ‘abd » et « ama » qui signifient esclave ou serviteur au masculin (pour le premier) et au féminin (pour le second). Nous aurons à y revenir plus loin.
Analysons plutôt le sens du terme « ce que vos droites ou mains droites (selon la traduction littérale) possèdent » (mâ malakate aymânukum) qui revient souvent dans le Coran. Il désignerait exclusivement, selon les commentateurs et traducteurs, la catégorie des esclaves et par extension les prisonniers de guerre que le droit musulman réduit à l’esclavage (contrairement à ce que dit le Coran, comme nous l’avons déjà vu). S’agit-il réellement de cela ? Il nous faut méditer.
Pour ce faire, corrigeons tout d’abord la traduction littérale courante qui en est faite. Le verbe posséder qui est la traduction de « malaka », n’est, dans cette formule, jamais conjugué par le Coran au présent (tamliku) mais toujours au passé (malakate). C’est donc « ce que vos droites possédaient » et non « possèdent ». La différence est de taille. Elle aura des conséquences dans la compréhension qu’il faut avoir de cette formule. Car il désigne un fait passé (la possession) aux conséquences encore présente (la dépendance).
Un autre mot dans cette formule doit être médité : il s’agit de « yamîn » qui donne le pluriel « aymân » traduit par le mot « droites » ou « vos droites ». La traduction littérale n’est pas fausse en soit. Seulement son utilisation dans la langue arabe et par le Coran, sous-tend dans le cas présent un sens figuré qu’il nous faut saisir afin de mieux appréhender l’entière signification de cette formule. A quoi cela renvoie-t-il ?
Le « yamîn » comme en français la droite, possède un sens propre et un sens figuré. Le propre est évident. Point besoin de trop s’y attarder. C’est le figuré qui nous intéresse ici, car la possession par la « main droite ou la droite » ne peut vouloir dire son sens propre immédiat. On peut en effet posséder avec sa gauche et les manchots peuvent être propriétaires. Il nous faut donc chercher plus loin.  Que ce soit en arabe, en français, en soninké ou en d’autres langues, la « droite » est souvent utilisé dans un sens symbolique. Dans la langue française par exemple nous parlons de « droiture », de « droit », d’être « adroit ». Et par contraste on désigne la maladresse d’une personne en disant qu’il est « gauche ». En langue arabe le « yamîn », au sens figuré, signifie le bien ou la bénédiction (baraka), la force et l’engagement découlant d’un serment.
Ainsi voyons-nous dans le Coran l’utilisation de ce terme au sens propre, comme lorsqu’il est question du bâton de Moise et au sens figuré comme lorsqu’il ordonne le respect des serments (S5, s89).
Main droite et serment donc. Quel dénominateur commun entre ces deux notions, l’une physique et l’autre symbolique, pour être désigner par un même terme ? Et en quoi ce dénominateur commun permet-il de recouvrir, par le mot « yamin », la relation de subordination que la possession établit ? Car c’est bien cette relation que vient décrire la formule « ce que vos droites possédaient ». Ils possédaient. Mais ils possédaient par quoi ? Par leurs droites. Mais quel lien entre possession et droite ? C’est à ces questions qu’il faut réfléchir pour saisir la portée terminologique encore opérante de cette formule coranique.
Si la « droite », dans la plupart des langues (du-moins celles que je connais) est associé à l’habileté, à la force, au bien, à l’honnêteté, c’est sans doute parce qu’elle est la main qu’utilise la très grande majorité des êtres humains. Et que, par ailleurs, elle est de fait, comparé à la gauche, la plus forte car la plus mobilisée au quotidien. De ce fait, la fortune d’une personne, gagné de ses mains, de sa main droite pour être plus exact, ainsi que la force intérieure, l’intelligence, la maitrise et la « droiture » ou, en d’autres termes, sa « droite » spirituelle, qui sont l’origine de cette richesse, peuvent être ensemble désignés par le terme « yâmîn » au sens doublement figuré : la richesse et ce qu’elle donne d’ascendance et de pouvoir d’une part ; la force intérieure et ce qu’elle donne de supériorité et d’autorité d’autre part. Or ces avantages (fadl) que donnent ces « yamîn » dotent ceux qui en sont détenteur un pouvoir de commandement sur ceux qui n’ont ni les moyens ni les capacités de les avoir ou de les acquérir, les rendant complétement dépendant d’eux pour répondre à leur besoin, les obligeant ainsi, pour survivre, à être en état de servitude et de suivisme.
Ce sens, vous le voyez, déborde largement la notion d’esclave qui en est une expression, certes ultime, mais partielle, toutes les autres formes et causes de dépendance et d’exploitation de l’homme par l’homme étant recouvertes par le terme coranique « mâ malakate aymânukum ». Toutes les personnes qui, sur le plan économique et social et sur le plan intellectuel et culturel, sont en état de dépendance et subissent les décisions de ceux qui possèdent l’avoir et le savoir en surplus (fadl), sont dans toutes les sociétés, en tout temps, à plus forte raison aujourd’hui, des « ce que vos droites ont possédé ». L’esclave certes y est compris mais le terme ne s’y restreint pas et recouvre des catégories multiples comme les serfs, les prolétaires, les travailleurs, les salariés, le précaires, les immigrés, les intouchables, les réfugiés etc.  Ainsi cette terminologie à elle toute seule est une formidable description des causes et sous-bassement socio-économiques et culturels des rapports de domination. D’où le choix que nous faisons de traduire ce terme par le mot « les dépendant(e)s » afin de recouvrir au maximum le sens général social et culturel de « mâ malakate aymânukum ».  Et nous verrons comment, en fait, l’ensemble de la révélation vient confirmer la méditation que nous venons de faire sur ce terme et ses conclusions, comme les prochaines lignes le démontreront.
Venons-en maintenant au temps verbal utilisé. Nous l’avons dit, le Coran, dans tous les passages où il utilise ce terme, emploi le passé et non le présent et encore moins le futur.  Il est donc question d’un fait révolu (la possession) mais dont les conséquences perdurent (la dépendance). Cela a été dit. La question par contre qui se pose c’est pourquoi et comment cela est/fut révolu ? Et que faire de cette conséquence subsistante qu’est la dépendance ? Le Coran parle-t-il de cette réalité pour la corriger ou pour la faire perdurer ?
Prenons d’abord la première interrogation. Les autres auront leurs réponses dans le déroulé du propos. Le temps passé, systématiquement utilisé par le Coran pour ce terme, indique d’abord qu’il s’agit d’une situation révolue de possession. Or c’est cette « révolution », en son avènement, avec ses nouveaux principes en amont et leurs réformes programmées, en cours de réalisation, en aval, qui explique la formule coranique de « mâ malakate aymânukum » (ce que vos droites possédaient).  Cette formule traduit donc les conséquence d’un évènement qui a transformé cette possession au présent, en possession au passé, dont il faut se débarrasser par étape de ses causes et effets économiques et culturels, après avoir remis en cause leurs justifications philosophiques.
Les principes d’unicité divine, de dignité humaine et d’égalité qu’apporte d’un coup d’un seul la formule « il n’y de dieu si ce n’est Dieu » sont le sous-entendu qui permet de comprendre la raison d’être du temps passé constamment utilisé par le Coran. Ces principes qui, sur le plan philosophique démolissait les fondements de l’esclavage et de la servitude et exigeaient en conséquence de reformer l’organisation sociale qui le permettait. Ces principes disions-nous étaient si présents dans l’esprit des premiers musulmans, que la formule d’Omar « comment pouvez-vous donc réduire les gens en esclavage alors que leurs mères les ont fait naitre libre ? », doit être compris non comme une déclaration individuelle mais comme un rappel qui sous-entend un principe de base portée par l’Islam lui-même et connu de tous, avant la régression et la déprogrammation des réformes qui adviendront plus-tard. D’ailleurs, l’incident à l’occasion duquel cette sentence Omarienne fut formulée, montre à la fois les difficultés avec lesquelles ces principes d’égalité et leurs réformes furent acceptées par les sociétés d’alors, et symbolise les signes avant-coureurs de la contre-révolution qui suivra.
Ainsi, là où d’aucuns voyaient dans cette formule une justification du système de l’esclavage et de la domination dont elle procède. Nous constatons qu’elle traduit bien au contraire le caractère révolu de ce système, sur le plan philosophique (interdiction de principe) et la réforme de ses conditions économiques et conséquences sociales sur le plan politique (abolition par étape). Comme nous le verrons dans la troisième partie de ces billets consacrés à l’esclavage.

L’analyse coranique de la réalité des « mâ malakate aymânukum » et ce qu’il en fait

L’argumentation doit se poursuivre.  Notre analyse recherche sa confirmation. Elle ne doit pas être le fruit de nos passions. La cohérence du Livre doit être médité. Trois de ses passages nous parlent du sujet traité par ces lignes. Mais voilà qu’ils sont par l’ignorance utilisés comme justification de l’esclavage. Leur lettre dit tout le contraire. A croire qu’on ne lit pas le même Livre. C’est que je lie et médite ; quand eux délirent et interprètent. Les signes du Coran sont clairs ; qu’ils soient donc ici notre arbitre.
La seizième sourate les abeilles nous livre les premiers passages. Dans leur ordre abordons les. Et nous verrons alors en ces quelques signes une analyse et synthèse des plus pointues qui expliquent l’origine des inégalités.
Voici le premier d’entre eux : « Dieu a avantagé (fadl) certains d’entre vous par rapport aux autres en subsistance (rizk). Or ceux qui ont été avantagé ne sont pas disposés à rendre leur subsistance à leurs dépendants (mâ malakate aymânukum), de sorte qu’ils soient à égalité. Renient-ils donc le bienfait de Dieu ? » (S 16, s 71).
Ceux qui lisent le Livre savent que ce signe s’inscrit dans une série de passages qui montrent l’infini de la création divine et la débordante vitalité de la nature qui en découle. C’est sur cette base cosmique d’interaction infinie et de dons divins à profusion, que s’insère l’existence des hommes. C’est elle aussi, en sa richesse débordante, qui explique les dons donnés aux uns et aux autres et les avantages et surplus offerts à certains par rapport à d’autres. Enfin c’est cette réalité qui se transpose dans les sociétés humaines et fonde la complexité de leurs interactions sociales et échanges économiques.
Il s’agit là, à ce niveau premier, de disparités et surplus naturelles qui permettent l’interdépendance et la complémentarité des talents et dons et, en conséquence, de l’établissement de la civilisation. Cependant, arrive en second lieu une autre forme de disparité, cette fois sociale et inégalitaire, issu des rapports de force qui permettent aux uns, plus forts (physiquement ou symboliquement), de spolier les autres, plus faibles, lors des échanges et productions de richesses, en retenant par divers moyens ce qui revient de droit à ceux qui, dans ces conditions, deviennent des « malakate aymânukum », parmi lesquels se trouve les esclaves. Ce, en empêchant la redistribution des richesses (infâk) par leur accumulation entre leurs « mains droites ». Or il s’agit, comme indiqué dans le passage, de rendre (râdd) à ces dépendants leurs subsistances (rizk) afin qu’ils deviennent égaux dans ses richesses avec les dominants. Afin, ainsi, de dépasser les relations de dépendance fondées sur les rapports de force naturels, vers celles humaines d’interdépendances fondées sur le droit et l’égalité. Or la difficulté des sociétés humaines à donner à la lutte naturelle pour la subsistance des finalités humaines supérieures de solidarité, se trouve dans l’oubli de l’origine des richesses, à savoir les dons divins infinis, et l’ignorance quant aux lois sociales qui régissent la société et la production des richesses, comme nous l’indiquera le troisième passage.
En tous les cas, trois phases sont à repérer dans le propos : l’origine divine des dons et de leurs disparités parmi les humains ; la réalité de l’inégalité et de l’injustice qui en est la cause (d’où la forme passive utilisé pour signifier l’action aveugle des rapports de force qui avantagent les plus forts) ; et enfin l’action politique humaine qui rend aux dominés leurs dus, au nom et en vue de l’égalité entre possédants et dépendants, par la redistribution et dépense des biens. L’objectif visé par ce passage est clair : il s’agit de mettre fin à l’inégalité économique qui fonde l’existence des « mâ malakate aymânukum » et non de justifier leur existence et encore moins celle de la servitude et de l’esclavage.
Les deux signes qui viennent, issus de la même sourate et traitant du même sujet, s’inscrivent dans cette description précise de l’origine des inégalités et sa prescription pour y mettre fin, tout en maintenant la disparité des dons naturels qui permet l’échange et la production des richesses. Ils montrent les conséquences respectives des deux systèmes, celui de l’inégalité esclavagiste et celui de la redistribution humanisante et libératrice.  Le premier se fonde sur la dépendance ; le second sur l’interdépendance. Le Coran décrit le premier pour le dépasser par le second.
« Dieu vous propose l’exemple d’un esclave (abd), propriété d’autrui (mamluk), dépourvu de tout pouvoir, et celui d’un homme à qui nous avons accordé de notre part une bonne subsistance (rizk) dont il dépense (infâk) en secret et en public. Sont-ils égaux ? Louange à Dieu ! Mais la plupart d’entre eux ne savent pas. Dieu vous présente la parabole de deux hommes : l’un d’eux est muet, dépourvu de tout pouvoir et à la charge de son maître. Où que celui-ci l’envoie, il ne rapporte rien de bon. Est-il l’égal de celui qui ordonne la justice et qui est sur un droit chemin ? » (S16, s15-16).
La conséquence des inégalités est la servitude qui fait de l’autre une propriété. C’est ce qu’indique ce signe à la suite de celui médité plus haut. Son origine est la pauvreté économique par contraste avec celui qui dépense ; et la pauvreté culturelle qui rend muet, par contraste avec celui qui ordonne la justice. Dans les deux cas, la conséquence sociale politique est la même : l’incapacité et la dépendance à un maitre. Or, quelque-soit les intentions du maitre et ses orientations, rien de bon et d’utile ne pourra sortir de cette relation maitre-serviteur. C’est la situation dans laquelle se trouve les pays musulmans et du sud ainsi que les quartiers populaires et ruraux de France, qui sont maintenu en situation de dépendance économique et idéologique afin que perdure politiquement leur exploitation et colonisation. Or, pour ne pas être de fait un esclave parce qu’incapable et dépendant, sans idée ni droit de cité, que l’on soit femme, pauvre, jeune, prolétaire, précaire, populaire, immigré, intouchable ou autre, il s’agit de (se) donner les moyens de l’indépendance en devenant celui qui donne les biens (car il produit et distribue) et ordonne le bien (car il le produit et le diffuse).
Ainsi, si le premier signe est une adresse faite à la société dans son ensemble, les deux passages ci-dessus concerne plus les individus en leur montrant lequel des deux modèles d’être humain, la dépendance qui vous animalise ou la dépense et défense qui vous responsabilise, est à promouvoir au nom de l’unicité de Dieu. La redistribution est libératrice, l’accumulation est dominatrice. Ces deux signes nous exposent donc clairement, dans la continuité du précèdent, le point de vue divin sur la question de l’esclavage : il contrevient frontalement à son adoration et à sa volonté dans la création de l’homme. Au passage, ces signes confirment aussi l’analyse que nous venons de faire du terme « mâ malakate aymânukum » : ils recouvrent en effet à la fois l’aspect économique et l’aspect symbolique dans laquelle s’origine la domination spirituelle et politique des dépendants (mâ malakate aymânukum).
Le troisième passage vient confirmer ses « sœurs » (ce sont des âyates). Si les précédents abordaient le sujet de l’esclavage et de la dépendance qui la comprend, avant tout sous le prisme de la description de sa réalité et de la recommandation indirecte. Le signe ci-dessous de la sourate 30 des Romains est quant à lui plus directement incitatif et impératif dans sa description et son ordre. Voici ce qu’il dit :
« Il vous donne une parabole de vous-mêmes. Avez-vous en vos dépendants (mâ malakate aymânukum) des associés qui soient à égalité avec vous en ce qu’on vous a attribué, de sorte que vous les preniez en crainte/respect comme de vous-mêmes ? C’est ainsi que Nous détaillons nos signes pour des gens qui comprennent » (S30, s28).
La ressemblance est patente. Les signes se parlent. Leurs contenus se rejoignent et se complètent. Un véritable projet de civilisation se dessine et peut se décliner en politique publique mondiale d’autonomisation et d’égalité. Il y est toujours question des « mâ malakate aymânukum ». La société est ici interpellée, plus particulièrement les détenteurs de l’ordre et du leadership en son sein, quant au sort des dépendants et dominés. L’égalité et le respect sont les objectifs et le partage des richesses est l’ordre donné pour les atteindre. C’est une constante coranique, la division des hommes en castes et classes de dominés et de dominants (Noé, Babel), la domination des plus forts (Pétra, Hud), l’accumulation et la spoliation des richesses (madyan, chuayb) amène irrémédiablement au « complexe de pharaon » qui va synthétiser l’ensemble de ces maux civilisationnels, en tant qu’aboutissement, en déclarant la divinisation du chef, la supériorité raciale des siens et l’esclavage assumé des déshérités, avec pour conséquence, l’épuisement de l’écosystème (les thamûd et Sâlih) et de la natalité (Loth). Mais dans les cas il y est question d’oligarchie (al-mala’). Les sourates Hud, Les Poètes et Les Récits sont un excellent exposé pour ceux qui veulent aller plus loin. D’ailleurs, l’histoire de Moise et de Pharaon dont le péché majeur fut de réduire les enfants d’Israël en esclavage au nom de sa divinité, aurait dû suffire aux légalistes férus de règles toutes faites, comme preuve de l’interdiction formelle de l’esclavage, car c’est ce qu’il est.  En tous les cas, cela provoque la destruction de la civilisation dont les traces laissées symbolisent l’extrême inégalité, qui est la cause du châtiment, de la société détruite : « des puits désaffectés à coté de palais fortifés » (S22 ; s 45).

En conclusion

Dans tous les cas, nous le voyons, les signes du Livre sur ce sujet vont dans le même sens : la réalité et la dépendance des « mâ malakate aymânukum », qui englobe les esclaves sans s’y restreindre, est à régler et non à faire perdurer. Si la réalité des avantages et disparités en dons et richesses est à accepter, celle-ci ne justifie aucunement l’inégalité et l’injustice. Il n’y a pas la dépendance des uns dans l’indépendance imaginée des autres qui les domine. Mais plutôt l’interdépendance de tous qui exige le jugule des rapports de force spoliateurs par l’équité dans le partage, qui rend aux désavantagés leurs droits dans la richesse de la collectivité et les moyens pour contribuer à son developpement. C’est ce qui libère de fait de l’esclavage, de la servitude et de la dépendance qui contreviennent à l’unicité de Dieu et à la nature humaine, telle que les avants et les après de ses différents passages l’indiquent. L’être humain ne peut-être l’esclave de l’homme s’il est le serviteur de Dieu. Et l’adoration de Dieu seul ne peut se faire dans la dépendance à autrui et la soumission de fait à ses vues et intérêts. La situation de dépendance de la majorité des pays musulmans et les inégalités criantes qui s’y trouvent, sont, de ce fait, une contradiction dans les termes avec la fidélité aux valeurs de l’Islam et l’adoration totale et réelle pour Dieu l’unique. La liberté est la condition de la fidélité.
Le discours coranique ainsi, dans la façon dont il parle de l’esclavage et au-delà de la domination, pose dans ses orientations les bases d’une réforme sociale et politique, qui prend en compte les origines économiques et culturelles de cette division, dominant-dominé, de la société. Il ne s’agit aucunement d’une justification de la domination et de l’esclavage mais d’une description de ce fait social pour en guérir la société, à l’aune des exigences de l’unicité de Dieu et de la dignité humaine qu’elle commande. Ces réformes qui découlent de cette description, et que nous détaillerons dans le prochain billet, s’inscrivent dans l’osmose de l’ensemble des obligations, recommandations et orientations de la révélation, et par là de l’Islam, qui visent à faire de l’homme un humain, un Khalife-lieutenant de Dieu, libre et souverain dans la civilisation de la terre et la participation active et créative à la vie. Tout cela mérite un livre entier. Contentons-nous pour l’heure de ces quelques lignes.
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

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  1. dans la ayat 33 de la sourate 24:
    “Et que ceux qui n’ont pas de quoi se marier, cherchent à rester chaste jusqu’à ce que dieu les enrichisse par sa grâce. Ceux de vos esclaves (mima malakat aimanoukoum= ce que vos droites possédaient) qui cherchent un contrat d’affranchissement, concluez ce contrat avec eux si vous reconnaissez du bien en eux ; et donnez leur des biens de dieu qu’il vous a accordés.
    Et dans votre recherche des profits passagers de la vie présente, ne contraignez pas vos femmes esclaves à la prostitution, si elles veulent rester chastes. Si on les y contraint, dieu leur accorde après qu’elles aient été contraintes, son pardon et sa miséricorde”
    Comment se fait il qu’il y a affranchissement avec le terme “malakat aimanoukoum” qui est censé être au passé ? quelqu’un peut il m’expliquer cette incohérence? à moins qu’il y ait une mauvaise traduction ??

  2. Je crois voir au travers de ma malakate aymanukum du coup chômeurs et détenteurs d’allocations, qui sont à la charge de tous ceux qui cotisent. Il serait du coup objectif coranique (étant déjà un objectif basé sur la sunna “la main qui donne est meilleure que celle qui reçoit” etc) de se libérer de cette situation de dépendance.

  3. Je crois voir au travers de ma malakate aymanukum du coup chômeurs et détenteurs d’allocations, qui sont à la charge de ceux qui cotisent. Il serait du coup objectif coranique (étant déjà un objectif basé sur la sunna “la main qui donne est meilleure que celle qui reçoit” etc) de se libérer de cette situation de dépendance.

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