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L’évangile selon la Maison Blanche

Pascal Ménoret, spécialiste de l’Arabie saoudite, a traduit cet article de Muhanna al-Hubaïl[1], opposant saoudien (lire à ce sujet l’appel d’ Amnesty International en octobre 2004, cliquez ici pour le lire). Une traduction qui donne un excellent aperçu de la manière dont est vécue la politique américaine au Proche-Orient par des militants connus pour leur critique de l’État saoudien.

Quarante mille morts, plus de soixante mille blessés, des provinces entières sinistrées dans les montagnes du Cachemire où aucune équipe de secours n’arrivera jamais, des femmes qui creusent le sol à pleines mains pour nourrir leurs enfants, des familles ensevelies sous leur maison, des villages pulvérisés – il n’est de force et de puissance qu’en Dieu.

Face à ces scènes d’horreur et à l’énorme séisme qui a frappé nos frères au Pakistan, notre blessure est d’autant plus profonde et notre sang bout d’autant plus fort que nous ne pouvons pas tendre une main secourable aux sinistrés. Pourquoi ?

Parce que les fondations caritatives et les associations de bienfaisance du monde arabe et islamique ont été gelées et prises en otage par les Américains. Parce que tout geste de leur part, tout don qui leur est versé, toute aide apportée à une mère qui a perdu ses enfants, à un enfant orphelin, aux malades et aux blessés est à leurs yeux la preuve irréfutable de « notre terrorisme ». Et c’est ainsi qu’a été ligotée une nation forte d’un milliard d’hommes. Comment cela s’est-il produit ?

Que pensez-vous que l’Union européenne fit lorsque l’IRA frappa le coeur de Londres, ses magasins et ses rues, éparpillant les corps et répandant la destruction ? A-t-on profité de ces attentats pour priver le peuple irlandais de ses associations de bénévoles, les placer sous surveillance, les accuser, geler leurs avoirs, poursuivre leurs employés ? Bien sûr que non ! Il s’est passé exactement le contraire, et le Shin Fein, la branche politique de l’IRA, y a gagné en force politique : à l’époque des attentats, Gerry Adams, son leader et son porte-parole pouvait, sous la tutelle des Américains, exprimer le point de vue de la branche politique de l’IRA !

Les Américains nous ont étranglés, opressés, ils ont piétiné notre humanité, nous privant du droit aux secours, et même du premiers des droits : le droit à l’émotion. Serait-ce parce que nous sommes musulmans ? Oui, et encore oui.

N’est-ce pas ce qui a été promis par un certain discours[2] : il n’y aura de secours, de miséricorde, d’aide que sous la bannière de l’évangile ? Et naturellement pas l’Evangile de notre Seigneur le messie (sur Lui la paix !), loin de là ! Mais bien sous la bannière de l’évangile selon la Maison Blanche, qui a fait des gens un troupeau de moutons, donnant à celui-ci le droit de vivre, imposant à celui-là le droit de mourir, car tel est son credo, telle est sa foi. Car selon son évangile, nous sommes des apostats.

Fort heureusement, nous trouvons une plate-forme commune avec les voix humanistes occidentales – le maire de Londres ou les mères de soldats américains – pour dénoncer le terrorisme véritable, pour dénoncer ceux qui ont allumé l’incendie qui ravage nos terres.

Je me souviens que ce n’est qu’au mois de Ramadan dernier que j’ai appris, depuis ma cellule, la destruction de Falloudja quatre mois plus tôt, alors qu’il n’était plus possible à aucune organisation arabe de porter secours aux Arabes sunnites. Si le gouvernement turc n’avait pas exercé de pressions, nos frères turkmènes n’auraient eux non plus reçu aucune aide. Gloire à Dieu qui leur a tendu une main secourable. Quant aux Arabes sunnites, seul l’évangile selon la Maison Blanche leur est bon s’ils s’y convertissent.

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Les images vues l’an dernier se répètent aujourd’hui : Hajem al-Husni[3] circulant dans les rues de Falloudja parmi les épaves éparpillées, aux côtés d’un officier américain, à peine descendus d’un hélicoptère de l’armée américaine. Sous l’image était inscrite cette légende : « Les deux hommes inspectent la situation humanitaire à Falloudja » !

C’est ainsi qu’intervient l’aide américaine, distribuée par ses bons Samaritains. De la même manière, la « direction » du Parti islamique irakien a reçu la bonne nouvelle du sauvetage de la Constitution, ce dont la base du parti est innocente. Malheur et aux secouristes et aux secourus !

Ash-Sharq al-Qatariyya, 19 octobre 2005

Traduction de l’arabe par Pascal Ménoret

Agrégé de philosophie, auteur de L’Enigme saoudienne. Les Saoudiens et le monde, 1744-2003, La Découverte, 2003 (Cliquez ici pour vous procurer ce livre sur Amazon)



[1] Saoudien, opposant de la société civile. Emprisonné en octobre 2004 pour avoir fondé une association indépendante, il a été libéré en septembre 2005. (NdT)

[2] Celui par exemple du prêcheur évangélique (et ami de George W. Bush) Franklin Graham, dont l’association caritative « La bourse du Samaritain », présente en Irak, a pour slogan : « Servir l’Eglise dans le monde entier pour promouvoir l’Evangile de notre seigneur Jésus-Christ » (cf. « Briging Aid and the Bible », The Guardian, 4 avril 2003). (NdT)

[3] Représentant du Parti islamique irakien qui a participé aux négociations autour de la reddition de Falloudja. (NdT)

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