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Lettre ouverte au ministre belge Hazette

AU NOM DE MON IDENTITE, QUE LES VALEURS DE NOTRE SOCIETE SOIENT RESPECTEES

Ces dernières semaines, j’ai été assailli d’appels téléphoniques, de mails et de courriers, m’encourageant à revendiquer le respect de mes droits, mais pourtant, j’ai décidé de me taire pour éviter l’expression d’une réaction émotive. Aujourd’hui, face aux diffamations du ministre Hazette, dans la presse, je me dois de répondre aux accusations gratuites.

Dans l’enseignement officiel depuis 1987, je n’ai jamais caché mes engagements de citoyen spirituel, encore moins ma qualité de conférencier. Je n’ai aucun reproche de parents, d’élèves, de directions scolaires ou de collègues sur mon travail et, tous marquent leur respect à l’égard de ma disposition à dialoguer avec autrui en ne manquant jamais de faire mon autocritique. J’aurais manqué à mon devoir de fidélité de fonctionnaire en soutenant publiquement des opinions opposées aux valeurs que l’école publique a pour mission de défendre et de transmettre. J’ai confirmé que : « les valeurs démocratiques de notre société ne doivent pas se considérer comme les seules normes porteuses de sens. Il y a d’autres projets de société qui sont porteurs de sens aussi et, au même titre que ces valeurs-ci, elles sont des valeurs universelles »1. Notre vision de la société ne doit pas s’ériger en une réalité objective devant être vénérée par tous. Il y a d’autres sociétés et d’autres systèmes de valeurs, selon d’autres imaginaires qui s’avèrent aussi soucieux de droits, de responsabilités et de dignité humaine. La démocratie n’est pas cet espace où les identités doivent se nier afin de faire partie de la cité. Elle nécessite des adaptations perpétuelles et, ne pas accepter cela c’est traduire littéralement un certain radicalisme qui confond une étape de notre laïcité avec sa justification par l’absolu.

Le ministre a motivé sa décision en se basant sur des éléments insidieux : « Ma décision reposait pour partie sur des positions publiques prises par M. Mahi à la télévision, positions rétrogrades contestant l’égalité hommes-femmes, y préférant une complémentarité, ces dernières étant présentées comme par nature et par physiologie destinées à des travaux de ménage »2. N’ayant jamais parlé de réclusion de la femme aux tâches ménagères de par sa physiologie, je déplore qu’un ministre recoure à des interprétations erronées pour assoire sa décision. Par contre, j’ai exprimé des propos de complémentarité entre femme et homme, tous deux égaux en droit, en devoir et en dignité et, complémentaires en fonction de part la responsabilité qu’ils assument. Je mettais en évidence une complémentarité de vis-à-vis pour une garantie d’harmonie.

Cette décision de me suspendre de mon poste d’enseignant chargé provisoirement des tâches d’inspection est excessive et, elle a profondément heurté la conscience de nombreux citoyens. Elle n’est pas justifiée dans notre pays, où le professeur, qui façonne l’esprit critique chez l’apprenant, devrait pouvoir s’exprimer librement au niveau du dialogue des cultures et ne pas devenir l’objet de restrictions arbitraires. Le ministre se dédouane d’« avoir fait part’ de sa décision `de vive voix à l’intéressé et devant divers témoins ». Effectivement, je reçois la nouvelle sans que m’ait été donné l’occasion d’être entendu avant la prise de décision. Je rappelle que le refus tombé le 30 septembre m’a été annoncé par le président de l’EMB et son conseiller juridique, qui m’ont prié de ne pas me rendre au cabinet d’Hazette, à la demande de ce dernier, alors que je recevais auparavant une convocation m’invitant, ainsi que les deux autres lauréats, à une rencontre avec le ministre. Il faut noter que, selon ce scénario, le ministre donne l’impression, pour l’instant, de vouloir épargner – même s’il s’en défend – la société d’un islamisme grimpant, en laissant croire que je fais partie d’un « mouvement ayant pour but de réislamiser les jeunes Arabes des 2e et 3e générations d’Europe ». Il répond, là, par un nouvel argumentaire présentant le conflit non plus comme une juste réplique a mes propos, mais comme un devoir moral face à la réislamisation.

Je suis un citoyen engagé, responsable et, animé par une spiritualité qui inspire ma démarche citoyenne sans dogmatiser nullement mon approche de la responsabilité. Je veux éveiller en ma communauté comme en tout autre humaniste une conscience de nos devoirs de citoyens en quête de sens face à la construction d’une cité européenne juste. Il s’agit d’une « citoyenneté spirituelle », un engagement responsable façonné par un cheminement de la foi. Loin de moi toute idée de communautarisme, je ne restreins pas mon travail avec les « Arabes de la 2e et 3e générations d’Europe », mais avec toute personne qui a le souci, à la manière de Roger Garaudy, « d’une unité symphonique des peuples et des cultures ». Je ne considère pas l’Islam comme un déisme mais une expérience existentielle qui œuvre dans le sens d’une communauté de communautés et pas d’un humanisme absolutiste. Mon travail avec les citoyens musulmans européens, consiste à trouver en son sein une acceptation positive de l’identité de chacun et, pouvoir ainsi entrer en contact avec autrui pour contrecarrer les tensions et les déchirements intérieurs. Depuis le début de ma carrière, j’enseigne la réalisation de la Voie vers la quête de sens, qui est une donnée objective de l’identité de l’humain. Il s’agit de la Shari’a, qui semble à beaucoup, obsolète, alors que, le professeur de religion islamique que je suis, ne fait qu’enseigner aux générations la manière de la réaliser dans son esprit humaniste et universel au-delà de sa littéralité. Cela fait partie intégrante de ma lutte incessante en vue d’un art pluriel de vivre ensemble.

Le ministre défend une vision impériale de son autorité et plaide pour la soumission de l’ordre démocratique à une garde prétorienne qui soumettrait l’accès aux postes de responsabilité à une pensée unique où la liberté d’expression serait contrôlée. Aujourd’hui, il a choisi de lancer le discrédit sur un enseignant de religion islamique, non pas en prononçant une allocution politique de son cabinet, mais en appelant à la « policiarité », en annonçant « ne pas pouvoir accepter qu’un inspecteur notamment chargé d’orienter le contenu des cours tienne des propos pareils… » Je rappelle, au cas où le ministre l’ignorerait, que le corps d’enseignants chargés provisoirement des tâches d’inspection, a pour prérogative de permettre l’accès à la nomination des membres du personnel en veillant au respect du programme et non d’élaborer celui-ci. Il rajoute encore que j’avais tenu des propos : « violant les valeurs essentielles de notre société’, et qui sont d’ailleurs `en totale contradiction avec l’article 10 de la Constitution qui établit l’égalité entre hommes et femmes ». Certes, ces valeurs essentielles de notre société sont garanties aux articles 19 et 24 de la Constitution qui consacrent la liberté d’expression publique, de culte et de la neutralité de l’enseignement officiel. En effet, ce dernier est par principe neutre, c’est à lui d’intégrer en son sein les diverses identités et pas aux citoyens à s’y intégrer, afin qu’il n’implique pas la confession d’un nouveau credo idéologique. Devrais-je face à la question du port du foulard à l’école publique, à titre d’exemple, porter atteinte au choix revendiqué d’une jeune fille ou sauvegarder un droit élémentaire, une des valeurs de notre société garantie par la Constitution ?

Le ministre oublie ainsi, qu’il fait preuve d’ingérence lorsqu’il confirmait par ailleurs : « J’ajouterai une circulaire aux directions d’écoles pour les mettre en garde contre une attitude trop laxiste à l’égard de certains cours, de la nécessité de vérifier que les cours soient donnés en français et que les valeurs véhiculées sont bien nos valeurs… L’entente est bonne avec le président de l’Exécutif. … Nous ferons les vérifications qui s’imposeront sur le contenu en tous cas »3. Ce travail n’est rien d’autre qu’une justification intellectuelle par laquelle le ministre popularise cette doctrine et, suscite l’étonnement du président de l’EMB qui « estime qu’il s’agit `d’une affaire délicate’ » et qui s’érige en garant face à mon islamité «  c’est quelqu’un prônant un islam très modéré ». N’attendant surtout pas que l’ont qualifie mon rapport à l’Islam, le principe que je chéris le plus c’est le refus de toute ingérence et étatisation du champ religieux, « ajoutant néanmoins que M. Mahi a réussi un examen en terminant premier ». C’est donc bien un déni de droit qu’entreprend la décision du ministre. Je ne me plie pas à la pensée unique, au culte du tabou de pensée différemment du politiquement correct imposé par monsieur Hazette qui s’érige en police de la pensée. Cette caricature faite à mon égard est la volonté d’un air obsessionnel de diaboliser l’homme en portant atteinte à mon honneur et, par une lecture sélective et insidieuse de mes propos en m’attribuant à propos des femmes : « ces dernières étant présentées comme par nature et par physiologie destinées à des travaux de ménage ».

Cette affaire laissera des traces ressenties douloureusement par nombreux citoyens et aura le mérite de clarifier l’ingérence d’un ministre dans le domaine de culte contrairement à l’article 21 de la Constitution. Dès lors, le ministre aurait dû, depuis fort longtemps, me mettre en demeure de choisir entre l’école et ma « citoyenneté spirituelle », qui lui semblent contradictoires. Si violer la constitution et les valeurs démocratiques en tant qu’inspecteur faisant fonction constitue un danger pour nos valeurs, comment se fait-il que l’on me laisse le champ libre de le faire avec les générations montantes qui constituent l’avenir intellectuel de notre pays ? Ceci étant, après m’avoir voué à la vindicte publique puisque « pour le ministre Hazette, Yacob Mahi ne présente pas une ouverture d’esprit suffisante pour exercer cette fonction »4, on tente de faire taire mes idées. Mes interventions à la télévision, à la radio, mes conférences ou mes écrits ne cessent de dénoncer cette logique unique, pire ennemi de la démocratie. Faut-il pousser le respect du point de vue de l’autre jusqu’à la lâcheté vis à vis de soi ? Cette éthique n’est pas la mienne car, imposer une limite d’expression, c’est restreindre la créativité et la réflexion. Je plains Monsieur le Ministre, votre superficialité qui vous empêche d’écouter mes propos. J’aimerais tant que la controverse soit alors honnête et non diffamatoire. En réagissant de la sorte, monsieur Hazette plonge le dialogue dans l’impasse.

Certes, ma voix restera sonore et énergique. J’ai tardé à rendre publique mes certitudes et pourtant, à bout de forces pour d’autres tâches pressantes, j’ai la faim de l’Absolu et l’Infini Amour du vrai qui m’animent en espérant ainsi forcer le respect et contribuer à l’espérance du changement de nos sociétés par une réforme intérieure vers une véritable éthique citoyenne. Comme me l’enseignait Maître Sadek Charaf, sainteté sur son âme : « Celui qui est lié à Dieu ne désespère jamais ». Tel est, Monsieur le Ministre, mon espérance de nouveau citoyen européen !

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1 Interview JT de 13h le 04/07/2002 RTBF.

 

2 La Dernière Heure du 17/01/2003.

 

3 Interview Journal Parlé accordé au micro radio de Claire Pêcheux, du 04/07/2002.

 

4 JT du 18/10/2002 à 19h30 RTBF.

 

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