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Lettre ouverte au journaliste de l’émission « Complément d’enquête »

Bruxelles, le 22 septembre 2004

Salut Cyrille,

Comme t’as oublié de m’appeler, je te propose une bafouille un peu longue, histoire d’exercer ta curiosité intellectuelle et journalistique pour, par exemple, tenter de « digérer » un livre de 120 pages…

Il est beau notre métier, pas vrai ? Disposer de plusieurs journées de tournage, de plus d’une dizaine d’heures d’images dans le but de cerner, puis de résumer les principaux éléments d’information d’une réalité afin de les transmettre au public.

Excuse-moi, je rêvais, la charte déontologique de la BBC à la main. En pratique, c’est surtout plus confortable de faire coller des images à ses a priori. Surtout si ceux-ci riment avec le catéchisme politique et médiatique ambiant, martelé depuis des mois.

Bravo, Cyrille ! Bâillonner son esprit critique et toujours se trouver dans le sens du vent, voilà une belle « mission d’information de service public », cher confrère …

Après avoir visionné ton produit de propagande, je comprends mieux qu’au montage tu as coupé mes propos et pas trouvé « le temps » de mentionner l’existence de mon livre d’entretien avec Dieudonné.

Une info pourtant non négligeable, d’un point de vue journalistique, et, à l’évidence, en rapport direct avec ton sujet de reportage. Mais informer, complètement et honnêtement, est-ce encore ta principale préoccupation ?

Passons sur les « sacs » que tu m’as raconté au téléphone pour justifier cette omission délibérée. Laissons aussi tomber le disque rayé : « Faut faire des choix, on est limité par le temps, je peux pas faire de la promo  ». Sur les 18 minutes de reportage, moins de 20 secondes suffisaient pour citer l’existence de ce bouquin. Je connais le boulot comme toi, confrère : les choix rédactionnels ont toujours une explication !

Quand on se penche sur les tiens, on aboutit au constat suivant : tu as sciemment expurgé de ta magouille audiovisuelle les propos de trois catégories de personnes.

 

  • Celles et ceux qui ont bénévolement décidé de soutenir Dieudonné parce ce qu’ils adhèrent à son humour corrosif à dimension politique et sociale et à ses prises de position contre tous les communautarismes (les membres du Comité de soutien que tu as interviewé).

  • Ceux qui ont proposé à Dieudonné de se présenter sur la liste Euro-Palestine lors des dernières élections européennes (Olivia Zémor, présidente de la CAPJPO , et son mari que tu as interviewé).

  • L’auteur d’un livre d’entretien reposant sur une volonté journalistique de comprendre mais aussi de contredire la démarche de l’humoriste. Ouvrage contenant notes et références incontestables permettant au lecteur de se faire son idée sur les propos tenus par Dieudonné.

A aucun moment, ces personnes ne s’expriment ou leurs dires ne sont cités ou résumés dans ton commentaire. Celles-ci t’ont pourtant livré, face caméra, des éléments de réflexion argumentés et pertinents, susceptibles d’informer sur les « autres » conséquences provoquées par la violente et démesurée polémique autour de Dieudonné.

Une telle « matière » contredisait évidemment ta thèse ou dois-je dire « ta commande » ? Autant de libres paroles exemptes d’antisémitisme et qui risquaient d’offrir une crédibilité intellectuelle autour de l’infréquentable Dieudonné.

 

Arrête-moi si je me trompe, quel était l’objectif de ce « reportage » ? Donner l’image d’un « pitre irresponsable et dangereux, soutenu par une justice laxiste et instrumentalisé par un intello rouge-brun » ?

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Où sont les premiers éléments de preuve accréditant un tel « raisonnement » ?

Pas dans le travail digne de la télé roumaine que j’ai vu lundi soir !

Comment peux-tu affirmer qu’Alain Soral instrumentalise Dieudonné ? Parce qu’ils se retrouvent sur certains constats et fustigent le sionisme ? Parce qu’ils sont assis l’un à côté de l’autre à un meeting d’Euro-Palestine ? Si je te suis, lorsqu’on est d’accord avec certains propos tenus par une personne et qu’on se retrouve avec elle à un meeting politique, on est instrumentalisé par celle-ci. C’est dingue, j’ignorais qu’autant de Français étaient « instrumentalisés » …

En oubliant ces inepties, on voit surtout que t’as sélectionné les propos les plus spectaculaires de Soral dans le but de consolider ta désinformation.

Si t’avais enquêté sérieusement, tu aurais constaté que Soral est une connaissance récente de Dieudonné, qu’il ne lui dicte pas les textes de ses spectacles (tous écrits avant qu’ils ne se fréquentent) et qu’enfin, l’humoriste n’a pas attendu l’écrivain pour fustiger toutes les formes de racisme et de communautarisme, d’où qu’elles viennent.

Ensuite, tu t’appuies sur le témoignage de ce rabbin qui a été agressé pour affirmer qu’en banlieue l’humour singulier de Dieudonné peut provoquer chez certains le passage à l’acte antisémite …

A nouveau, question simple et journalistique : où sont les éléments probants ? Qu’est-ce qui accrédite ce raisonnement ? Tes collègues de Complément d’enquête, eux, ont trouvé des excités paranoïaques de la LDJ et les ont filmés en train de muscler autre chose que leurs neurones pour leur prochaine baston. Du factuel qui fait furieusement lien avec les auteurs de l’agression dont ont été victimes deux spectateurs de Dieudonné à Lyon…

Quand t’auras devant ta caméra, un banlieusard – d’origine maghrébine de préférence – qui dira : « J’ai agressé un juif parce que le spectacle de Dieudonné m’a encouragé à le faire », tu pourras en reparler et surtout prouver que ce fait divers se généralise. Le plus marrant, c’est que tu m’as posé la question à la sortie du spectacle « Mes excuses ». Si j’ai bonne mémoire, je t’ai répondu, face caméra, que Dieudonné ne pouvait empêcher des jeunes racistes de vouloir se reconnaître en lui, qu’il les condamnait évidemment et que, pour ma part, je n’avais pas constaté le phénomène… Coupé, bien sûr !

Apparemment, mon cher Cyrille, ce n’est ni à Sciences-Po ni à France 2, qu’on apprend que la majorité des mecs des banlieues ont autre chose à foutre que de traquer les juifs de France pour correspondre aux fantasmes de journaleux en mal de sensationnel.

Concluons par le sionisme. Lis un peu et documente-toi, ça ne fait pas mal ! « Sioniste » ne signifie pas obligatoirement « juif » comme tu le sous-entend dans ton « 18 minutes ». Il existe aussi des Français, des Belges ou des Suisses qui sont juifs et antisionistes. Il existe des juifs qui se démarquent du sionisme ou qui s’en tapent. Ces personnes ne sont pas antisémites au même titre que les non-juifs qui se revendiquent antisionistes. Le sionisme est une idéologie coloniale fondée sur la discrimination raciale et religieuse. Projet politique face auquel chacun est libre d’adhérer ou de s’opposer. Ces quelques données rationnelles et vérifiables évitent les amalgames, mais t’intéressent, visiblement, autant que ta première couche-culotte.

J’ai pris la peine de t’écrire parce que j’ai cru sincère ta démarche journalistique. Une bière à la main, sourire aux lèvres, tu m’as bien vendu ton double discours de grande gueule, genre : « Avant, j’ai fait Sciences-Po et je suis parti. Aujourd’hui, je suis à France 2, mais je suis tenu par rien. Demain, je plaque tout si je veux »…

Pour mieux manipuler le téléspectateur, il fallait commencer par bien mentir à ceux qu’on filme. Mission accomplie, Cyrille !

Au final, ton mépris pour l’information, pour la justice de ton pays, pour les nombreux spectateurs de Dieudonné, et, in fine, pour les téléspectateurs, voilà qui m’inquiète davantage que tes contorsions réussies de comédien confirmé.

Non content de décrédibiliser une profession déjà tant décriée, ce type de propagande mal torchée n’aide en rien à combattre l’antisémitisme. Pour combattre le racisme sous toutes ses formes, on ne hiérarchise pas ! Aucun racisme n’est supérieur à un autre. Aucun racisme n’appelle davantage de condamnations qu’un autre. Penser le contraire et le diffuser subtilement, c’est contribuer à la propagation du racisme.

Encore une dernière chose. Puisque, au théâtre de la Main d’Or, tu claironnais qu’ « un bon reportage, c’est celui où les deux parties évoquées sont insatisfaites et critiques vis-à-vis du journaliste », n’oublies pas de me transmettre la lettre de « protestations » du CRIF que tu n’auras pas manqué de recevoir.

Je te félicite encore pour avoir consolidé ton renoncement à l’essence même du métier et, assez satisfait de toi-même, être passé à autre chose …

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