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Lettre ouverte à MM. Sarkozy et Ferry

« Messieurs les Ministres, les musulmans qui font et feront la France ne sont plus des notables à acheter ou des indigènes à rééduquer »

Les esprits s’échauffent : on parle de lancer un débat national sur le foulard islamique. On ne cesse de faire allusion à cette question comme si elle était devenue centrale et urgente. On est en droit de se demander pourquoi le gouvernement remet en avant une question dont on connaît le caractère passionnel au moment où une négociation politique volontariste a abouti à l’organisation du culte musulman (CFCM). Pourquoi maintenant ? Y a-t-il eu de nouvelles affaires ? S’agit-il de donner le ton et de fixer l’agenda de ce que devront être les préoccupations de l’organe représentatif des musulmans : après avoir décidé, avant les élections, de qui allaient représenter les musulmans, voilà qu’on leur soumet les bonnes questions dont on attend d’eux les seules bonnes réponses déjà connues. Les jeux sont faits, au sein du CFCM, le gouvernement reconnaîtra les siens. On a connu ces traitements en d’autres temps, sous d’autres latitudes, quand on allait jusqu’à négliger la loi pour contrôler les indigènes. Souvenez-vous : la laïcité était alors bonne pour la Métropole mais non pour l’Algérie. Ce sont les Algériens qui demandaient qu’on la leur appliquât et Paris refusait parce qu’il fallait contrôler et surveiller ces « musulmans retors »…

Durant ces dix dernières années, au gré d’études dans diverses commissions sur la laïcité (à La Ligue de l’enseignement ou à La Ligue des droits de l’homme), au contact de spécialistes tels que Jean Boussinescq, Jean Baubérot, Emile Poulat ou Jacqueline Costa-Lascoux, de nombreux musulmans (aujourd’hui des centaines de cadres associatifs) ont compris que l’application stricte de la laïcité leur assurait une liberté de conscience et de culte et ne s’opposait pas à leur pratique religieuse. De fait, la loi de 1905 n’a pas à être modifiée et il faut au contraire l’appliquer totalement et égalitairement aux musulmans. Le cadre est clair : les lois de la République sont contraignantes et c’est dans leur respect que les musulmans ont autorité pour gérer leur culte. L’avis du Conseil d’Etat apporte une précision à la compréhension dudit cadre : si le foulard à l’école n’est pas en soi en opposition avec la laïcité, il faut qu’en aucune façon il justifie le prosélytisme, l’atteinte à l’ordre public ou encore une dispense de cours. Cet avis dit la limite et impose une orientation : loin des débats passionnés, et avec une certaine sagesse, il engage les acteurs (proviseurs, enseignants, élèves, parents) au dialogue afin de faire respecter la loi, de protéger l’espace scolaire et de garantir les droits des élèves. Il adresse ce faisant un message explicite aux citoyens musulmans : ils doivent s’opposer à toute imposition du foulard (de la part de la famille ou des coreligionnaires) et s’imposer la participation à tous les cours.

Messieurs les Ministres, ce dont la République a besoin, ce n’est point d’un débat formel et crispé sur l’élaboration d’un nouveau cadre légal, mais d’un dialogue de fond sur les solutions de proximité. Vos deux ministères sont concernés au premier chef par l’élaboration de stratégies nouvelles concernant la gestion du pluralisme et le traitement égalitaire de tous les citoyens de la République.

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Les musulmans, M. Sarkozy, n’ont aucun problème avec la loi et ce dont ils souffrent surtout c’est d’une représentation négative de l’islam chez la majorité de leurs concitoyens. Il en sont certes les premiers responsables et nous devons refuser d’alimenter en eux un sentiment de victimisation afin qu’ils se prennent en main. Le gouvernement a néanmoins sa part de responsabilité dans la transformation de cette image. Il se doit de prendre ses responsabilités en tenant un discours lucide sur l’état social de la France en cessant de mélanger les problèmes et de confondre les solutions. Si les banlieues vont mal, si la violence augmente, si la peur s’installe, cela n’a rien à voir avec la religion des agresseurs mais bien parce que la politique sociale a produit, depuis plus de cinquante ans, de véritables poudrières en marginalisant économiquement les populations les plus modestes qui vivent une triple discrimination au logement, à l’emploi et à l’instruction. Avant même un communautarisme religieux, on a créé en France un communautarisme économique en parquant les travailleurs, souvent d’origine immigrée, dans des cités sans espoir d’intégrer les résidences réservées à « la communauté » des nantis, aux Français, blancs, « de souche ». A chaque période électorale, ce communautarisme économique se double d’un communautarisme électoraliste : des candidats se présentent à la « communauté musulmane » locale en lui promettant leur bienveillance en cas de vote circonstancié. Tout cela se produit dans une atmosphère malsaine et les musulmans se sentent de plus stigmatisés par la politique sécuritaire qui donne l’impression qu’un musulman est un individu que l’on surveille non un citoyen avec lequel on dialogue. La nouvelle citoyenneté ne naîtra pas d’une politique fondée sur la sécurité et le contrôle. Nous avons besoin d’une politique qui rétablisse la confiance : il est impératif que sous votre impulsion se créent des espaces de dialogue entre les autorités politiques et les citoyens musulmans. Prendre langue avec les associations sur le terrain, penser une nouvelle politique sociale et urbaine, engager des programmes concrets relevant de la véritable démocratie participative de base. De plus en plus de Français de confession musulmane sont prêts à cet engagement si seulement on les invitait à faire la France ensemble loin des soupçons et de l’islamophobie.

C’est cette dynamique que doit accompagner l’Education nationale : il n’y aura pas de confiance entre les citoyens de diverses origines et/ou confessions si l’on ne réussit pas à forger chez les jeunes une représentation de soi sereine. Instruire, c’est valoriser par le savoir et il est temps, M. Ferry, de se poser les vraies questions concernant ces jeunes, éternellement issus de l’immigration. Que leur dit-on en France sur leur origine, leur culture, la mémoire de la période coloniale, l’exil économique des parents, la participation de ces derniers à la construction de ce pays ? Que leur dit-on, dans les programmes scolaires, qui soit valorisant ? Des programmes d’histoire qui ne sont pas inclusif quant à la mémoire ne peuvent produire des citoyens intégrés quant au présent. On se plaint des dérives communautaristes, du nouvel antisémitisme et l’on a mille fois raison car cela est intolérable. Reste à se poser la question du remède : ce n’est pas en insistant sur le seul enseignement de l’Holocauste (même si cela est nécessaire) que l’on parviendra à modifier les représentations judéophobes chez certains jeunes mais bien plutôt en intégrant au cursus scolaire des chapitres d’enseignement positif sur leur histoire et leur identité. Si on y ajoute, sur la base du rapport Debray, un enseignement du fait religieux, on réussira à mieux gérer les troubles qui, entre l’ignorance de soi et l’apparent rejet de l’autre, produisent la violence et la ghettoïsation. Il faudra faire preuve d’une créativité politique certaine pour revaloriser le statut des enseignants et encourager les parents à s’associer davantage à la politique éducative de la France. La création d’écoles islamiques privées serait sans doute la pire des solutions : les jeunes générations formées à l’école de la République, aujourd’hui parents d’élèves, ont le souhait de participer à cette entreprise. C’est également à vous, M. Ferry, de leur adresser un message clair en les associant à vos projets concernant la République scolarisée.

La France a changé et il n’est plus l’heure de s’engager dans un faux débat passionnel et déjà dépassé. Messieurs les Ministres, les musulmans qui font et feront la France ne sont plus des notables à acheter ou des indigènes à rééduquer. Citoyens français, ils prennent la mesure de leurs immenses responsabilités et s’engagent dans un type de participation sociale et politique qui s’oppose dans les faits aux tentations communautaristes. Il faut compter avec eux et ils sont déjà en droit de juger votre action politique à l’aune de la confiance que vous saurez leur accorder et de leurs droits légitimes que vous vous devez de faire respecter.

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