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L’étincelle Bouazizi enflamme le monde arabe

Une atmosphère de fin de règne surréaliste domine les régimes autocratiques et sclérosés du monde arabe. Une révolution est en cours, dont l’épicentre se trouve dans l’acte de désespoir absolu d’un vaincu parmi les vaincus, d’un laissé-pour-compte de la croissance et des prospectus touristiques. Le sacrifice de Bouazizi et d’autres avant lui, a fait vaciller les trônes des despotes en annihilant par cet acte inouï tout rapport de force perdu d’avance. Rendons hommage aux immolés arabes. Rarement un renversement de situation n’aura eu plus de dignité et de grandeur.

Si les régimes évoluent contre le sens de l’histoire, les peuples eux, maintenus de force en marge du mouvement, s’apprêtaient à s’engouffrer dans la première brèche ouverte pour revendiquer leurs droits légitimes.

La chute des régimes autocratiques entraîne l’effondrement de la théorie du « moindre pire », selon laquelle le soutien aux despotes est la garantie de la stabilité. Une telle vision du monde, qui fait abstraction de la dimension éthique et qui abolit le pacte de valeurs inséparables de toute réflexion politique et stratégique, produit des situations conflictuelles, parvenues aujourd’hui à un seuil explosif.

Stephen L. Carter, professeur de droit à Yale, dans une tribune sur le site Daily Beast, affirme qu’« il y a eu ce sentiment que la liberté et la démocratie n’étaient pas adaptées à la région, que les pouvoirs absolus sont naturels pour ces peuples, leur histoire ou peut-être leur climat. Renverser un dictateur en amènera un autre au pouvoir… Aujourd’hui, cette thèse essentiellement raciste est morte. » Les puissances occidentales se sont enfermées dans une posture schizophrénique, qui oscille entre un soutien sans faille à des dictatures sanguinaires et un discours de convenance démocratique.

Cette stratégie obéit à deux équations essentielles, énergétique et géopolitique. On peut résumer la première par une maxime populaire, certes naïve mais révélatrice : « le Monde arabe est la pompe à essence de l’Occident ». A la fin du siècle dernier, le monde occidental, avec les Etats-Unis aux avant-postes, a mené trois guerres dans la région, la première par procuration, lorsque Saddam Hussein a attaqué l’Iran, la seconde en intervenant directement en Irak pour « libérer » le Koweït, et la troisième en envahissant l’Irak sous le prétexte fallacieux des armes de destruction massive.

Lors de la guerre Iran-Irak, l’objectif des stratèges était de s’assurer que la révolution iranienne ne se propage pas dans les pétromonarchies, et surtout que les immenses réserves en hydrocarbures ne tombent pas entre les mains de régimes issus d’un processus non contrôlé (révolution), aux décisions autonomes.

Mais Saddam Hussein, pion dans un jeu stratégique complexe, a cru qu’il pouvait être affranchi. Poussé à l’erreur par le représentant américain à Bagdad, il commettra l’erreur fatale, l’invasion et l’annexion du Koweït.

Une guerre fut menée par une coalition d’une trentaine de pays, dont certains Etats arabes. L’intervention fut destructrice, l’embargo d’une dizaine d’années a fini par déstructurer l’Irak en tant qu’Etat nation. La dernière guerre a vu la chute de Saddam et l’installation d’un régime vassal à la façade démocratique.

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Mais les intérêts énergétiques peuvent se télescoper avec la géopolitique.

La deuxième équation, la géopolitique dans la région, n’est pas statique, même si elle est constante depuis soixante ans ! Elle est motivée par la sécurité d’Israël et la peur fantasmagorique de l’arrivée des mouvements dits fondamentalistes au pouvoir.

Les Occidentaux ne sont pas à une contradiction près. Lorsqu’ils participent à l’organisation et au financement d’élections, comme dans les territoires palestiniens en 2006, ils n’hésitent pas à torpiller le processus, si le vainqueur ne correspond pas à leurs prévisions.

Un dossier bien documenté, daté du mois de mars 2008 et publié dans le journal Vanity Fair, prouve que les USA ont tenté de saboter le travail des élus et du gouvernement du Hamas, en armant une force paramilitaire dirigée par le criminel Mohamad Dahlan. Pire, l’expérience algérienne, ne laisse aucun doute, le monde occidental a fermé les yeux sur la violation par les militaires de la Constitution et l’annulation des élections. La guerre civile plutôt que l’alternance. Ceux-là mêmes qui s’inquiètent de l’arrivée au pouvoir en Algérie de ceux qu’ils décrivent comme « coupeurs de mains » s’accommodent parfaitement bien des coupeurs de têtes et des tortionnaires.

Le monde arabe vit un printemps précoce ; la démocratie n’est pas convoyée par les blindés américains, mais c’est l’étincelle d’un jeune vendeur ambulant de Sidi Bouzid qui a déclenché l’éclairage du phare de la liberté.

Yacine Saadi

Consultant International et membre de Rachad

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