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Les visions du Paradis

Djanna, Firdaws, ’Adan, Dar As-Salam… Le Coran regorge de termes synonymes pour parler de ce lieu unique, point de départ de l’aventure humaine et point d’arrivée pour ceux qui auront surmonté l’épreuve de la vie sur Terre.

Le paradis décrit dans le Coran n’est pas sans rappeler quelque peu la vision qu’en avaient les bâtisseurs de la civilisation de l’Indus vers le milieu des 3ème et 2ème millénaires avant JC. En effet, l’on y retrouve certaines analogies, notamment l’idée selon laquelle pour les plus vertueux, l’accès aux délices est un pont aussi large qu’un fleuve et pour les impies, le passage vers les Enfers n’est pas plus épais qu’un fil de rasoir.

Le Paradis se présente donc à l’homme du néolithique et sa suite comme la récompense des dieux ou du dieu attribuée aux hommes pour leurs croyances et leurs dévotions. Le Coran ne cessera de stipuler que le Jardin n’est destiné qu’aux plus vertueux et fidèles à Dieu, leur présentant tous les aspects qui constituent leurs propres idéaux : toutes sortes de boissons, de fruits, des demeures extraordinaires, des vierges, une nature éclatante et un farniente catégorique.

Dans les premiers siècles de l’Hégire, la question qui primait et qui alimentait les traditions que l’on mettait alors à l’écrit portait sur la structure même de ce Paradis. Les penseurs de ces générations déterminèrent sur la base des versets coraniques la place de chaque appellation. Le plus haut degré du Paradis, situé sous le trône de Dieu, devint l’Eden, immédiatement suivi du Firdaws. D’autres réflexions inversèrent les deux termes.

Du point de vue des masses populaires, le Paradis apparaît comme un négoce entre Dieu et ses fidèles. Le très célèbre verset 9 de la sourate « Al-Masad » (n°111)* laisse entendre que prévaut dans le cœur de l’homme la récompense matérielle et non seulement la vision de Dieu.

Les populations musulmanes des premiers siècles de l’Hégire vécurent leur relation avec l’Au-delà à travers le merveilleux (’ajib) des hadiths qui se rapportent à la description du Paradis. Ces traditions ne manquent en effet pas d’imager, idéaliser et matérialiser ce jardin que Dieu promet à ses croyants à travers une panoplie de référents parfaitement compréhensibles pour les récepteurs du message : c’est un paradis fait de musc, d’or, d’argent, de perles où la jeunesse et le printemps sont éternels et où les croyants se choisissent chaque semaine un visage pour rencontrer Dieu…

Jusqu’aujourd’hui, la vision du Paradis, figée par le texte coranique, garde la même teneur auprès des nouvelles populations de croyants. Il devient alors évident que la seule idée de Dieu ne suffit pas à préserver la foi des musulmans, malgré toute la volonté de ces derniers d’affirmer que seule la « Face de Dieu » est source de guidance. L’intérêt d’obtenir une place à l’abri du mal, entourés de ce qui constitue leurs fantasmes et leur conception du bonheur suffit à revivifier leur foi.

Les classes soufies ont une toute autre approche de ce Jardin. Le plus souvent ultra métaphorisée, la description du séjour au Paradis apparaît comme secondaire en comparaison avec la rencontre transcendante entre l’homme et Dieu**. Les délices du Paradis, au-delà du fait qu’il pourrait s’agir encore d’éléments perturbateurs sur la Voie Droite, sont aussi des outils visant la préparation de cette rencontre***.

Le Paradis n’est donc pas encore le lieu de transcendance, il n’est qu’une voie d’accès vers la totale perfection, la transformation de l’homme et la disparition sans condition des éléments constitutifs de sa nature même, c’est-à-dire de ses cinq sens, pour enfin pouvoir admirer son Seigneur et l’aimer sans les intérêts qui, tout ce temps, l’ont justement fait Homme.

Complément :

Une des problématiques qui a opposé les Mu’tazilites aux Ash’arites était de savoir si le Paradis existait déjà ou attendait sa création après la Résurrection. Les Mu’tazilites pensaient que le Paradis où avait séjourné Adam n’était pas le paradis promis aux fidèles et qu’il pouvait éventuellement s’agir de l’Eden.

Cette thèse ne trouve pas sa justification dans le Coran tant les versets où Dieu relate l’histoire d’Adam sont constitués du terme Djanna sans précision aucune. Djannat’Adan est un terme pourtant présent dans le Coran ; par conséquent, l’ambiguïté n’a pas de raison d’être.

Mais la question de savoir si le Paradis n’a pas subi quelques modifications en vue de l’accueil de ses nouveaux habitants est encore d’actualité. Dans la mesure où les versets font mention de demeures attribuées aux croyants, où des Houris (dont il n’est jamais question dans les récits adamiques) accueilleront les hommes et leurs épouses, où plusieurs étages sont destinés à hiérarchiser les fidèles selon leurs actes de dévotion, les plus haut placés étant les prophètes, et enfin, dans la mesure où les versets 46 et 62 de la sourate « Ar-Rahmân » (N°55) laissent penser que Dieu a créé deux jardins, voire quatre distincts pour accueillir hommes et djinns, il est parfaitement concevable que le Paradis ait quelque peu été retouché en vue des futurs peuples qui l’habiteront.

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Notes:

* 9 : 111 – « Certes Allah a acheté des croyants (selon d’autres traductions « acquiert des croyants »), leurs personnes et leurs biens en échange du Paradis ».

** Al-Ghazzali ne cessera de stipuler que le Paradis n’est pas un lieu de jouissance matérielle mais un lieu de jouissance spirituelle et que le but du musulman n’est pas de jouir de ce qu’il aime mais d’espérer la venue de Dieu.

** Encyclopédie de l’Islam – Leiden : « Un texte attribué à Ibn Arabi mais qui serait plutôt d’Al-Kashani donne des textes coraniques mêmes une interprétation toute spirituelle où les lits élevés sont des degrés de perfection, la doublure de brocart, la face intérieure de l’âme, les Houris, les âmes célestes ».

Bibliographie :

– Encyclopédie de l’Islam, Leiden, E.J Brill, Leiden – Djanna

– Encyclopédie Universalis, collectif – Enfers et Paradis

– D. et J. Sourdel – Vocabulaire de l’Islam (QSJ ? Ed.Puf)

– Odon Vallet – Une autre histoire des religions (Gallimard)

 

 

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