- Épisode 5 : Les Compagnons dans la Caverne ; vs13-18
Nous avons vu à l’épisode précédent le Préambule à ce récit et son originalité par rapport aux légendes que l’Exégèse s’est plu à raconter ici sur le compte du récit coranique réel. Nous aurons aussi pu constater que l’islamologie n’est pas en reste.
Voici donc un extrait de notre Exégèse Littérale du Coran[1] quant aux six premiers versets de ce célèbre récit coranique dit des Compagnons de la caverne/aṣḥāb al–kahf. Le texte en est donné selon notre Traduction Littérale du Coran[2] parue en 2024 :
Partie I : Apparences et réalités
Chap. I : Le récit des Compagnons de la caverne
- 1. Préambule
- 2. Narration
- Nous, Nous allons te relater leur véritable histoire : il s’agissait de jeunes gens qui croyaient en leur Seigneur et Nous leur avions donné de la guidée en supplément.
- Nous fortifiâmes leurs cœurs lorsqu’ils se dressèrent et dirent : Notre Seigneur est le Seigneur des Cieux et de la Terre, nous n’invoquons en dehors de Lui aucune divinité, sans quoi nous tiendrions certes propos extravagants.
- Voilà bien notre peuple qui a pris en dehors de Lui des divinités ; ils ne sont pas en mesure d’apporter à leur sujet une preuve faisant autorité. Cependant, qui donc est plus inique que celui qui forge contre Dieu mensongèrement.
- « Quand vous vous serez séparés d’eux et de ce qu’ils adorent à l’exception de Dieu, alors réfugiez-vous dans la caverne ; votre Seigneur déploiera sur vous de Sa miséricorde et facilitera votre sort par quelque adoucissement. »
- Tu aurais pu voir le soleil à son lever s’écarter de leur caverne sur la droite et à son coucher passer à leur gauche tandis qu’ils en occupaient le vaste espace intérieur, cela fait partie des signes de Dieu. Et celui que Dieu guide, voilà le bien-guidé, et celui qu’Il laisse s’égarer, tu ne lui trouveras pas de maître le dirigeant.
18.Tu aurais pu les penser en état d’éveil alors qu’ils étaient endormis, mais Nous les retournions tantôt sur le flanc droit, tantôt sur le flanc gauche. Quant à leur chien, pattes avant étendues, il était sur le seuil. Si tu les avais découverts, tu aurais tourné le dos, fuyant, empli d’effroi, assurément !
نَحْنُ نَقُصُّ عَلَيْكَ نَبَأَهُمْ بِالْحَقِّ إِنَّهُمْ فِتْيَةٌ آَمَنُوا بِرَبِّهِمْ وَزِدْنَاهُمْ هُدًى (13) وَرَبَطْنَا عَلَى قُلُوبِهِمْ إِذْ قَامُوا فَقَالُوا رَبُّنَا رَبُّ السَّمَاوَاتِ وَالْأَرْضِ لَنْ نَدْعُوَ مِنْ دُونِهِ إِلَهًا لَقَدْ قُلْنَا إِذًا شَطَطًا (14) هَؤُلَاءِ قَوْمُنَا اتَّخَذُوا مِنْ دُونِهِ آَلِهَةً لَوْلَا يَأْتُونَ عَلَيْهِمْ بِسُلْطَانٍ بَيِّنٍ فَمَنْ أَظْلَمُ مِمَّنِ افْتَرَى عَلَى اللَّهِ كَذِبًا (15) وَإِذِ اعْتَزَلْتُمُوهُمْ وَمَا يَعْبُدُونَ إِلَّا اللَّهَ فَأْوُوا إِلَى الْكَهْفِ يَنْشُرْ لَكُمْ رَبُّكُمْ مِنْ رَحْمَتِهِ وَيُهَيِّئْ لَكُمْ مِنْ أَمْرِكُمْ مِرفَقًا (16) وَتَرَى الشَّمْسَ إِذَا طَلَعَتْ تَزَاوَرُ عَنْ كَهْفِهِمْ ذَاتَ الْيَمِينِ وَإِذَا غَرَبَتْ تَقْرِضُهُمْ ذَاتَ الشِّمَالِ وَهُمْ فِي فَجْوَةٍ مِنْهُ ذَلِكَ مِنْ آَيَاتِ اللَّهِ مَنْ يَهْدِ اللَّهُ فَهُوَ الْمُهْتَدِ وَمَنْ يُضْلِلْ فَلَنْ تَجِدَ لَهُ وَلِيًّا مُرْشِدًا (17) وَتَحْسَبُهُمْ أَيْقَاظًا وَهُمْ رُقُودٌ وَنُقَلِّبُهُمْ ذَاتَ الْيَمِينِ وَذَاتَ الشِّمَالِ وَكَلْبُهُمْ بَاسِطٌ ذِرَاعَيْهِ بِالْوَصِيدِ لَوِ اطَّلَعْتَ عَلَيْهِمْ لَوَلَّيْتَ مِنْهُمْ فِرَارًا وَلَمُلِئْتَ مِنْهُمْ رُعْبًا (18)
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– « Nous, Nous allons te relater leur véritable histoire : il s’agissait de jeunes gens qui croyaient en leur Seigneur et Nous leur avions donné de la guidée en supplément. [13]. Nous fortifiâmes leurs cœurs lorsqu’ils se dressèrent et dirent : Notre Seigneur est le Seigneur des Cieux et de la Terre, nous n’invoquons en dehors de Lui aucune divinité, sans quoi nous tiendrions certes propos extravagants. [14] Voilà bien notre peuple qui a pris en dehors de Lui des divinités ; ils ne sont pas en mesure d’apporter à leur sujet une preuve faisant autorité. Cependant, qui donc est plus inique que celui qui forge contre Dieu mensongèrement. [15] », vs13-15.
Les vs14-15 établissent que ces « jeunes gens/fitya qui croyaient en leur Seigneur », v13, bien que vivant dans un milieu idolâtre étaient des monothéistes, c.-à-d. pas nécessairement des chrétiens. Or, nous avons vu que les vs4-7 s’adressent aux idolâtres polythéistes mecquois et la version véritable des “Dormeurs” que le Coran va donner : « Nous, Nous allons te relater leur véritable histoire », v13, faisait écho à une histoire que ces qurayshites colportaient auprès du Prophète. Par ailleurs, lorsqu’un récit, une question ou une controverse émanent des milieux juifs ou chrétiens à La Mecque, le Coran d’une manière ou d’une autre le précise même lorsque ces derniers utilisent comme canaux les qurayshites, et ce n’est textuellement pas le cas ici.
– L’initiative est donc bien strictement qurayshite et il semble qu’en rapportant cette légende chrétienne à Muhammad ils l’avaient profondément troublé, d’où le sens de la réponse coranique critique liée à la question : « Escomptes-tu que les Compagnons de la caverne et de l’inscription furent parmi un de Nos miracles des plus étonnants ? », cf. v9. Selon les multiples variations et ampliations de la Légende des Sept Dormants d’Éphèse, ces jeunes gens étaient des chrétiens persécutés par l’empereur Dèce au IIIe siècle de notre Ère. Une fois réfugiés dans une grotte où ils s’endormirent, l’empereur en fit murer l’entrée et ils moururent donc d’inanition. Puis ils furent découverts par accident des siècles plus tard et Dieu les ressuscita. Ceci fit grand bruit dans leur ville d’origine qui entre temps s’était christianisée et après qu’ils eurent témoigné par leur propre histoire de leur foi chrétienne en la résurrection du Christ, ils décédèrent. L’on bâtit alors un sanctuaire autour de la caverne où l’on avait replacé leurs corps. Cependant, nous constaterons à plusieurs reprises que la version véhiculée par Quraysh ne célébrait pas le triomphe du christianisme, mais celui du polythéisme sur le monothéisme, ce que d’ailleurs le Coran confirme au v21.
– « Quand vous vous serez séparés d’eux et de ce qu’ils adorent à l’exception de Dieu, alors réfugiez-vous dans la caverne ; votre Seigneur déploiera sur vous de Sa miséricorde et facilitera votre sort par quelque adoucissement. », v16.
Ce verset reprend une bonne partie des mots du v10 prononcés par les Compagnons de la caverne, mais c’est cette fois-ci avec Dieu qui en est le Locuteur. Ainsi, ce verset indique que va être développé le récit qui été juste évoqué en guise de préambule. Plus précisément, les évènements situés entre le v10 et le v12 et juste après ce dernier.
– « Tu aurais pu voir le soleil à son lever s’écarter de leur caverne sur la droite et à son coucher passer à leur gauche tandis qu’ils en occupaient le vaste espace intérieur, cela fait partie des signes de Dieu. Et celui que Dieu guide, voilà le bien-guidé, et celui qu’Il laisse s’égarer, tu ne lui trouveras pas de maître le dirigeant. », v17.
La description : « tu aurais pu voir le soleil à son lever s’écarter de leur caverne sur la droite et à son coucher passer à leur gauche tandis qu’ils en occupaient le vaste espace intérieur » étonne par la précision des détails concrets apportés, idem pour le verset suivant. Ce type de précisions est un cas exceptionnel dans le Coran et on ne le retrouve dans une moindre mesure qu’au sujet du récit de Moïse à partir du v60. Bien que la densité textuelle et le style soient typiquement coraniques, d’ordinaire le Coran en son économie de discours ne mentionne aucun élément narratif descriptif. Nous l’avons signalé au v9, l’objectif de cette démarche est de réduire l’aspect miraculeux ayant surchargé la compréhension des faits réels à l’origine de la légende chrétienne des Sept Dormants d’Éphèse puis de fournir des éléments rigoureux permettant d’en réaliser une lecture rationnelle. Ceci étant, les indications directionnelles de ce v17 permettent d’établir que l’ouverture de ladite caverne était orientée Nord-nord-Ouest et que les jeunes gens étaient placés en retrait de l’entrée de la caverne au cœur d’une vaste salle naturelle intérieure. Ceci décrit donc trois conditions physiques favorisant la conservation des corps :
1 – Protection des rayons solaires directs, ce qui suppose que la caverne est située en une région chaude et sèche, ce qui n’est pas le cas d’Éphèse.
2 – Température et hygrométrie constantes assurées par l’orientation au Nord.
3 – Le fait que les corps sont dans un « vaste espace intérieur/fajwa » de la caverne, Ainsi, cet abord rationnel du “miracle/āya” confirme que nous devons comprendre « cela fait partie des signes/āyāt de Dieu » et non pas « cela fait partie des miracles/āyāt de Dieu ». Par « signes », toujours en ce cas avec une minuscule, l’on entend donc des indications que nous pouvons appréhender par la raison. De fait, cette démarche est typiquement coranique, elle vise à écarter l’irrationnel pour que le rationnel prime en tant que soutien de la foi, foi et raison s’équilibrant alors mutuellement, ceci est ici rappelé explicitement : « celui que Dieu guide, voilà le bien-guidé, et celui qu’Il laisse s’égarer, tu ne lui trouveras pas de maître le dirigeant ».
– « Tu aurais pu les penser en état d’éveil alors qu’ils étaient endormis, mais Nous les retournions tantôt sur le flanc droit, tantôt sur le flanc gauche. Quant à leur chien, pattes avant étendues, il était sur le seuil. Si tu les avais découverts, tu aurais tourné le dos, fuyant, empli d’effroi, assurément ! », v18.
Comme pour le verset précédent, apporte plusieurs détails. Cette fois-ci ils ne sont plus d’ordre géographique et géologique, mais physiologique et ils sont tout autant soumis à notre réflexion :
1 – « tu aurais pu les penser en état d’éveil alors qu’ils étaient endormis ». Ceci indique que quelque chose dans leur apparence les distinguait d’un dormeur habituel. Or, nous avons montré au v11 que Dieu avait placé ces jeunes gens dans un état de léthargie de type coma, mais un comateux ne se distingue pas au premier regard de quelqu’un qui dort paisiblement. Toutefois, il est aussi dit en ce verset : « si tu les avais découverts, tu aurais tourné le dos, fuyant, empli d’effroi, assurément » et des dormeurs ne sont en rien effrayants à ce point. Puisque leurs corps étaient immobiles : ils « étaient endormis », nous en déduisons que l’anomalie possible pouvant faire peur à un observateur était, d’une part, le fait qu’ils ouvraient et fermaient les yeux et, d’autre part, que l’on pouvait de ce fait observer les étranges et inquiétants mouvements oculaires qui normalement se produisent lors de la phase dite de sommeil paradoxal. Du point de vue physiopathologique, cet état ayant duré « une longue période de temps », v11, ces battements de paupières anormaux ont pu permettre de protéger leur cornée de l’opacification kératosique par sécheresse oculaire ainsi que de la cécité résultant de l’absence prolongé de stimulus du nerf optique par la lumière.
2 – « Nous les retournions tantôt sur le flanc droit, tantôt sur le flanc gauche ». L’on est frappé par cette information qui pourrait paraître peu utile, mais qui est vraiment d’ordre clinique. En effet, ce retournement des corps fait toujours partie de la prévention première des comateux au long cours afin d’éviter les complications cutanées et musculaires, notamment les escarres et leurs complications infectieuses graves.
3 – « quant à leur chien, pattes avant étendues, il était sur le seuil [de la caverne] ». Comme la position décrite l’indique, ce détail en apparence peu contributif nous apprend que le chien était, lui, parfaitement éveillé, en somme il gardait ses maîtres à l’entrée de la caverne. De ce fait, ce chien pouvait aller chasser et survivre autant que nécessaire. Ce point n’appartient pas aux versions pré-coraniques de la Légende des Sept Dormants. Il nous faut alors noter que le chien ne réapparaît pas dans la suite du récit, notamment lors du réveil des “dormeurs”, vs19-21, ce qui détonne quelque peu avec le fait qu’il ait été mentionné en début de scène. Cette disparition non justifiée par le texte coranique – le chien finit donc sans doute par aller ailleurs et ceux qui y virent l’image du dieu Anubis en seront pour leurs frais – invalide de facto les spéculations sur le nombre de “dormeurs” rejetées au v22 et au v25. Mais, principalement, ce détail apporté par le texte coranique permet de faire le lien avec un autre récit situé en S2.V259, et au v19 nous fournirons les preuves textuelles complémentaires de cette mise en relation intra-coranique. En effet, ce v259 fait référence à la capacité divine de ressusciter les morts. Dieu y donne explicitement la mort à un homme puis le ressuscite “cent ans” après et lui fait objectivement voir comment Il redonne vie aux ossements de son propre âne, mort lui aussi depuis bien longtemps. Cependant, rien de tel pour notre chien qui a été évacué du récit, ce qui en soi est donc une indication directe du fait que le Coran ne relie pas son récit des “dormeurs” à la notion de résurrection. Or, la légende chrétienne des Sept Dormants d’Éphèse par la résurrection de ces sept-là est précisément destinée à opposer une preuve tangible à certains mouvements chrétiens ne croyant pas à la résurrection du Christ. Si l’Exégèse et à présent l’islamologie lisent ce récit de la Sourate 18 comme une parabole de la résurrection, c’est uniquement parce que nos exégètes avaient emprunté cette grille de lecture aux versions chrétiennes. Du reste, ces versions ont été elles aussi remaniées en fonction du Coran par les chrétiens syriaques, et tout cela sans tenir compte de la subtilité des indices coraniques. Rappelons de plus qu’il n’est pas dit que Dieu donna la mort à ces jeunes gens, mais qu’Il les fit plonger dans un état de type coma profond, ici et v11. De même, ce qui est rapporté en S2.V259 relevant clairement du miracle, la comparaison confirme que l’abord coranique rationalisant du phénomène ayant permis aux “dormeurs” de survivre fort longtemps est destiné à mettre ici la notion de miracle en arrière-plan. Rappelons que par miracle nous entendons une réalité apparente échappant à toutes les lois connues de la création, ici ce serait la physiologie humaine, mais nous avons montré que tel n’était pas le cas pour nos “dormeurs”.
4 – Une quatrième observation doit être déduite des trois précédentes, car aussi particulier qu’il fut en ce cas, un état de coma bien qu’incluant un ralentissement important des fonctions vitales ne permet pas à un organisme de survivre plus que quelques mois sans hydratation et alimentation. Aussi, s’ils avaient dû survivre ainsi des années, voire des siècles, et au vu de la précision et de la rigueur du rapport clinique retranscrit par le Coran, une information aurait donc dû nous être donnée pour expliquer l’anormalité du phénomène sans quoi il y aurait eu alors une situation relevant du miracle, ce qui est contraire à la démarche coranique que nous venons de mettre explicitement en évidence. Nous en concluons logiquement que ce défaut d’information permet de comprendre qu’ils ne restèrent pas dans le coma au-delà des limites physiologiques normales. Autrement dit, ni des années ni des siècles, mais « une longue période de temps », v11, ou comme glosé par le v12 : « un si long moment », c.-à-d. réalistement quelques mois au maximum.
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[1] Pour notre Exégèse Littérale du Coran, cf. https://www.alajami.fr/ouvrages/
[2] Pour notre Traduction littérale du Coran, cf. https://www.alajami.fr/produit/le-coran-le-message-a-lorigine/
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