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Les Palestiniens ont voté massivement pour le Hamas, sans illusions sur les vertus du bulletin de vote

Il apparaissait quasiment certain, jeudi matin, que le Hamas avait remporté les élections législatives palestiniennes, avec une majorité relative, voire absolue, des 132 sièges à pourvoir au Conseil Législatif Palestinien.

Tandis que le Premier ministre Ahmed Qorei, du Fatah, annonçait sa démission et invitait le Hamas à former lui-même ce qui s’appelle officiellement un « gouvernement », des médias accordaient jusqu’à 70 sièges de députés à la formation islamique.

Le Président de « l’Autorité Palestinienne », Mahmoud Abbas, avait déclaré de son côté, avant les résultats, qu’il resterait à son poste, et travaillerait avec la majorité issue des urnes. Au demeurant, même avec une majorité absolue de députés, le Hamas pourrait préférer former un gouvernement de « coalition » avec les autres partis (Fatah, et/ou autres députés de formations laïques).

Le scrutin, en dépit de son caractère surréaliste, à savoir l’occupation militaire étrangère, s’est déroulé dans une grande discipline, et a été marqué par une participation massive, dépassant 75% des électeurs inscrits (à comparer, par exemple, avec les taux de l’ordre de 50%, qu’on enregistre habituellement dans la « démocratie » états-unienne).

Quelles que soient leurs sympathies politiques ou partisanes, les Palestiniens, comme le rappelait la journaliste israélienne Amira Hass à la veille du scrutin, ont voté sans la moindre illusion pour ce qui est de la capacité de leur bulletin de vote à modifier la colonisation et l’occupation de leur pays par Israël.

Avant comme après, avec le Fatah ou le Hamas, Israël, son gouvernement, ses colons et ses soldats restent les maîtres absolus de la vie d’un peuple dont les habitants, reclus et cantonnés, sont incapables d’avoir des projets de vie aussi immédiats et élémentaires que d’aller faire des courses dans une ville voisine, ou se rendre normalement à l’école ou au travail.

C’est dire si la construction d’une vie politique nationale, à partir d’un « Parlement » dont même la réunion des élus a été régulièrement empêchée par Israël (avec arrestations, interdiction faite aux députés de circuler entre Gaza et la Cisjordanie, entre Jérusalem et la Cisjordanie, voire à l’intérieur même de la Cisjordanie) au cours de la législature écoulée, est une chimère, à laquelle il faut être bien hypocrite pour faire semblant de croire. Ce qui n’est pas le cas du peuple palestinien.

Pour autant, les Palestiniens ont tenu à voter. D’après les récits et témoignages recueillis sur place, il ne s’est pas agi uniquement de faire un pied de nez à l’occupant et à ses sponsors (Etats-Unis, Union Européenne en particulier) qui a tout fait pour introduire le chaos dans la compétition électorale (avec arrestations multiples et variées de candidats, bouclages renforcés, menaces de « couper les vivres » si le Hamas obtenait trop de voix, etc.).

En administrant ce qui s’apparente à une véritable claque aux dirigeants de « l’Autorité Palestinienne », les électeurs palestiniens ont probablement aussi élu, à travers le Hamas principalement, des hommes et des femmes dont ils espèrent qu’ils pourront améliorer un peu les rares éléments de la vie économique et sociale ne dépendant pas directement de l’occupant israélien.

Que l’on se comprenne : Hamas ou Fatah, les routes resteront bloquées, l’accès aux champs d’oliviers ou aux ressources en eau resteront sous le contrôle de l’armée et des colons, et ainsi de suite. Mais les électeurs qui ont voté Hamas attendent de leurs nouveaux élus qu’ils mettent fin à une série des turpitudes de l’ère Fatah : clientélisme, favoritisme pour l’attribution des emplois (près de la moitié des salariés palestiniens, soit 125.000 dont 58.000 policiers, sont ainsi des fonctionnaires de l’Autorité Palestinienne), passivité des juges et policiers face aux comportements claniques, corruption manifeste d’un certain nombre de V.I.P. profitant des quelques passe-droits octroyés par le colonisateur, etc.

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Ont-ils pour autant fait un bon calcul ? Il est impossible de le dire, d’abord parce que le Hamas se trouve désormais à son tour confronté à l’exercice d’une parodie de « pouvoir », et qu’il ne pourra être jugé qu’à l’épreuve des faits. Disons cependant que la frénésie anti-Hamas, développée par Israël et tous ses alliés dans les médias et gouvernements occidentaux, repose sur un tissu de mensonges, véritable chef-d’œuvre de désinformation.

Parti religieux, le Hamas n’a pas, à ce jour, tant dans les municipalités qu’il dirige que dans sa plate-forme électorale, pris de mesures ou développé de positions plus rétrogrades -en réalité, nettement moins- que les intégristes religieux dominant la vie publique de nombreux pays (juifs en Israël, musulmans en Arabie Saoudite, hindouistes en Inde, etc.) avec lesquels l’Occident « laïque » entretient ou a entretenu les meilleures relations. Le Hamas a par exemple promis qu’il ne chercherait pas à imposer ses préceptes religieux -dont bien sûr le port du voile- à des citoyennes et citoyens qui ne le souhaitent pas. Mais là encore, la réalité seule permettra de juger de ces promesses électorales.

Au plan militaire, le Hamas a proclamé depuis plus d’un an une trêve des opérations contre Israël. Il est remarquable qu’il ait réussi à respecter cette trêve, et n’ait pas tenté de riposter aux agressions de l’armée israélienne, qui, elle, a continué pendant tout ce temps à déployer la panoplie complète de ses opérations offensives : assassinats ciblés, assassinats de femmes et d’enfants, arrestations, torture, incursions, utilisation de chiens de combat, etc. (sans parler naturellement de la poursuite de l’occupation « ordinaire » : bouclages et humiliations quotidiennes aux check-points, libre cours laissé aux raids de colons, annexion rampante, etc.)

Au plan politique, le Hamas, tout en rappelant, à juste titre, qu’il n’était pas question de renoncer au droit légitime à la résistance armée contre l’occupant, a peu ou prou aligné son programme électoral sur celui du Fatah pour ce qui est de l’avenir de la Palestine et d’Israël : il se prononce ainsi lui aussi pour l’établissement d’un Etat palestinien dans les frontières de juin 1967 (Jérusalem-Est, Cisjordanie, Gaza), laissant à Israël 78% du territoire de la Palestine mandataire, et propose à son voisin une trêve de dix années. Mais ceci ne peut se faire qu’avec la fin immédiate de l’occupation des territoires en question, conquis voilà maintenant près de 40 ans par l’armée israélienne, et par la libération des prisonniers (dont le nombre a augmenté au cours de la trêve observée par tous les groupes palestiniens sauf le Djihad Islamique). Comme le constate très logiquement le militant anti-colonialiste israélien Uri Avnery, retour d’une manifestation anti-Mur à Bi’lin aux côtés de militants du Hamas, ce parti, en acceptant de négocier avec Israël, reconnaît ipso facto son existence.

Mais c’est la direction israélienne qui refuse de reconnaître le Hamas, de la même façon, d’ailleurs, qu’elle a toujours dit qu’il n’y avait « pas de partenaire » côté palestinien. Sans que l’on sache si le succès électoral du Hamas se traduira par un renforcement effectif et immédiat de l’étranglement, les dirigeants israéliens brandissent désormais l’arme de la famine, qu’ils ont les moyens matériels de mettre en œuvre. « Le Hamas va devoir apprendre à gérer sans l’aide internationale », a déclaré cyniquement jeudi matin Shimon Pères, comme si ce vieux criminel de guerre détenait en personne les chéquiers des gouvernements étrangers. L’Union européenne a dit qu’elle continuerait d’apporter une aide financière, les Etats-Unis ont aboyé à l’unisson avec Tel-Aviv, et les monarchies pétrolières du Golfe, principales donatrices à la Palestine au niveau des gouvernements, sont restées muettes pour le moment. Il y a cependant lieu de craindre qu’en cas de pressions américaines, sur injonction israélienne, pour resserrer les cordons de la bourse, elles obtempèrent.

C’est pourquoi, en ces lendemains d’élections, pour tous ceux qui à l’étranger, principalement en France en ce qui nous concerne, ont à cœur de continuer à défendre le peuple palestinien, le maintien d’une solidarité concrète avec ce dernier reste essentiel : chaque euro collecté et versé à la société palestinienne (par le biais de l’achat d’huile d’olive, de savon, de produits artisanaux ou de l’aide au financement de projets, culturels ou autres), est un euro utile, dont l’importance pourrait se révéler cruciale dans la période qui s’ouvre.

Tout aussi cruciale est la lutte politique pour ne pas abandonner le peuple palestinien à tant de forces adverses ; à défaut d’un sursaut du peuple israélien lui-même, dont on n’aperçoit malheureusement pas les prémices à court terme, il nous appartient de maintenir haut levé le drapeau de la solidarité internationale.

CAPJPO-Europalestine

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