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Les minorités musulmanes d’Asie orientale : le peuple Ouïgour (2/2)

Dans les années 50, l’installation de Hans a entraîné des révoltes locales puis, en 1962, une forte répression a produit un exode de plusieurs dizaines de milliers de Ouïgours() vers le Kazakhstan et d’autres républiques soviétiques. La diaspora ouïgoure dans ces républiques devenues indépendantes en 1991 compterait aujourd’hui entre 500000 et un million de personnes et son activisme nationaliste n’est pas sans inquiéter Pékin. L’implosion de l’URSS, accompagnée des affirmations nationales, l’essor des revendications démocratiques en Chine, brisées avec l’écrasement de la Place Tien-An Men en 1989, contribuent à une relance des aspirations nationales ouïgoures qui se traduisent par le désir de voir naître un Turkestan oriental indépendant.

Dès lors, le séparatisme devient une des plus sérieuses menaces internes pour le régime de Pékin qui réagit à la fois en tentant de promouvoir le développement de cette région stratégique (mais en y favorisant les emplois destinés aux Han qui s’installent) et par une suspicion systématique à l’égard des autochtones. Séparatisme, nationalisme ouïgour, islamisme, et, bientôt, terrorisme, deviennent des synonymes disqualifiants dans le lexique pékinois traitant d’une région insoumise où, bien que les dirigeants -formels- d’Ouroumchi, la capitale, soient des locaux, conformément à l’autonomie octroyée, les dirigeants du Parti communiste dans la province -pouvoir réel- sont des Han.

Difficile cohabitation avec les Chinois.

Le Xinjiang est peuplé de presque 18 millions d’habitants dont environ 40 % sont des Ouïgours stricto sensu, 40 % des Han, les 20 % restants se répartissant entre diverses ethnies (Kazakhs, Kirghizes, Tadjiks, etc…), la plupart étant musulmanes. La cristallisation sur facteur religieux dans la revendication nationale a donc une extrême importance puisque c’est lui qui emporte la majorité. En dépit d’une politique démographique moins restrictive pour les minoritaires, l’afflux d’immigrants han (estimations : 300.000 par an) met toutefois en péril à moyen terme cette suprématie numérique et menace de modifier irréversiblement la composition démographique de la région.

Outre la fragmentation du territoire où certaines zones sont exclusivement peuplées par des Han dans des colonies de pionniers ou dans les grands complexes industriels, la cohabitation dans les villes à peuplement mixte (Ouroumchi, Yining, Korgas, ..) entraîne fréquemment des tensions, les deux populations se côtoyant mais ne se mélangeant pas. Tous les indicateurs montrent en outre que le niveau de vie des han est supérieur à celui des ouïgours.

Cette situation de type colonial débouche sur une crispation identitaire chez les autochtones et à des mobilisations de divers types.

La résistance et la répression.

Le spectre de l’islamisme est souvent agité à propos du combat des Ouïgours. La présence attestée de dizaines de volontaires auprès des talibans d’Afghanistan (généralement expédiés là à partir de madrasas pakistanaises et ignorant les enjeux) favorise une équation douteuse selon laquelle le mouvement séparatiste serait composé de fanatiques, de « mauvaises gens » selon la terminologie chinoise : version sinisée de la lutte du « Bien contre le Mal ». Certes, l’oppression vécue entraîne une crispation sur l’identité religieuse et la défiance vis-à-vis de l’Islam officiel de Chine encourage une lecture littéraliste des textes sacrés, avec l’handicap ajouté d’une faible maîtrise de l’arabe. Remarquons également, au passage, que l’adhésion à cette conception universaliste (islamique) traduit paradoxalement la fragilité du sentiment national et est un moyen de transcender certaines impasses.

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La focalisation sur la seule composante islamiste radicale, qui tend à inventer un fondamentalisme qui n’avait pas cours dans la région, n’est pas innocente. Elle vise à discréditer toutes les autres composantes de la résistance à la sinisation, certaines prenant des formes de résistance armée et d’autres adoptant des voies de mobilisation pacifique, tel le mouvement des meshrep, assemblées villageoises pour la défense de la culture et des mœurs locales, qui fut interdit en 1995. Le déficit démocratique dans la société chinoise a conduit à une radicalisation des modes de résistance. Les émeutes de Yining (Kuldja en ouïgour) en février 97 furent l’expression de l’exaspération des Ouïgours de ne pas se faire entendre par d’autres moyens. Depuis lors, attentats et embuscades se sont succédé sans discontinuer, avec vraisemblablement des provocations (explosion de bombes « à l’aveuglette ») destinées à justifier la répression.

Les évènements du 11 septembre aux Etats-Unis ont été une aubaine pour les autorités de Pékin : les protestations des organisations de défense des droits humains telles Amnesty International ou Human Rights Watch dénonçant la répression du peuple ouïgour ont été balayées d’un revers de main sur l’autel de la coalition anti-terroriste internationale : quelques jours avant le sommet de Shanghaï en octobre 2001 entre les présidents Jiang Zemin, Bush et Poutine, cinq « séparatistes » étaient condamnés à mort à Kashgar : ils n’étaient que les derniers d’une longue série…

L’efficacité de la répression des autorités infirme en réalité l’existence d’un mouvement de résistance structuré et unifié : selon Dru Gladney, professeur à l’Université de Hawaï et spécialiste de l’Islam en Chine, il s’agirait bien plus d’une mouvance de groupes atomisés, divisés et sans chef reconnu, bien qu’en exil, où l’on peut dénombrer au minimum cinq organisations, se détache la personnalité de Erkin Alptekin, qui fut président de l’Organisation des Peuples et Nations non représentées (à l’ONU), l’UNPO.

L’alliance qu’a su nouer la Chine avec les républiques d’Asie centrale ex-soviétique, vise à conjurer la menace séparatiste ; ses efforts pour être reconnue comme membre à part entière de la coalition anti-terroriste par Washington lui donnent à penser qu’elle a désormais les mains libres pour poursuivre sa politique de sinisation de son Far West : jeu dangereux, car la région tout entière risque à terme à devenir une nouvelle poudrière, avec les effluves habituels de pétrole convoité…

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