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Les islamistes à l’épreuve du pouvoir

La lampe d’Aladin (1/2)

Les partis islamistes vainqueurs en Tunisie et en Egypte donnaient l’impression d’être complexés par les conditions de leur victoire (pas assez nette dans le premier cas, compromettante dans le second) et effrayés par les problèmes qui les attendent. Ils ont fait dans leurs discours et leurs déclarations à la presse, surtout occidentale, les premières concessions en se voulant rassurants sur l’Etat de droit, la société civile, la démocratie et les accords internationaux. D’où un certain adoucissement de leurs propos. Ils n’ignorent pas qu’ils vont être observés comme des extraterrestres, qu’aucun faux pas ne passera inaperçu, et qu’aucune erreur ne leur sera pardonnée.

La «solution islamique» qu’ils brandissaient comme une lampe d’Aladin, ils vont devoir la mettre en place et en démontrer rapidement l’efficacité sinon personne ne les croira plus, et eux-mêmes peut-être cesseront d’y croire. Car grande sera leur déconvenue lorsqu’ils s’apercevront que la lampe mirifique est vide, qu’il n’en sort aucun djinn faiseur de prodiges, qu’il ne tombe rien du ciel, et qu’ils devront tout faire eux-mêmes.

Les despotes n’ont pas laissé les caisses pleines, une administration performante et une économie dynamique, mais d’énormes problèmes, sans parler des traumatismes occasionnés par leur résistance à la contestation populaire.

C’est de problèmes d’emplois, de logement, de dette extérieure, de rentrées en devises et autres «patates chaudes» que les islamistes ont hérité. Or, leur savoir-faire en matière de gestion des affaires publiques est modeste. Prêcher la bonne parole, raconter en boucle les merveilleuses histoires d’un passé mythifié et momifié, exhorter les gens à l’observance des prescriptions religieuses et aux signes extérieurs de religiosité, etc. ne suffira pas et ne pourra pas tenir lieu de programme de gouvernement. Les opérations caritatives ponctuelles, l’aide aux nécessiteux, les actions de bienfaisance ambulatoires et intermittentes, etc. ne rimeront plus à rien sauf à en faire bénéficier toute la nation.

Le background de secouriste n’est plus de mise, il faut déployer de véritables aptitudes opérationnelles pour faire face aux urgences brûlantes et aux attentes pressantes. L’attirail de charité devra être remplacé par une batterie d’instruments de gouvernement efficients, sinon c’est l’échec assuré et peut-être une nouvelle révolution. Le voile pour les femmes, la barbe et la calotte blanche pour les hommes, la traque des couples «suspects», la généralisation des salles de prière sur les lieux de travail, et même la libération de la Palestine peuvent attendre.

Ce qui urge, c’est de faire redémarrer l’économie pour que les gens ne crèvent pas de faim. Il va falloir agir sur la base de lois, mettre au point des méthodes de travail, des programmes d’action et des plans économiques, assurer le fonctionnement du service public sur tout le territoire, faire rentrer de l’argent dans les caisses de l’Etat, et mille autres soucis quotidiens. Sans parler des inévitables tiraillements avec les partis qui se sont alliés à eux.

Ayant placé la barre trop haut en laissant croire à des masses crédules qu’Allah allait regarder de leur côté et multiplier ses bénédictions sur elles pour avoir voté en faveur de l’islam, les nouveaux dirigeants vont devoir à tout le moins faire mieux que l’ancien régime. Or, en prenant les rênes du gouvernement, ils vont tout de suite se heurter aux réalités, à l’impatience des citoyens, à la rareté des moyens, à la crise économique et financière mondiale, à la baisse drastique des ressources du tourisme… Ils prendront alors conscience de l’inanité des discours moralisateurs, de l’exhibition ostentatoire de la dévotion, et des risques et périls induits par des promesses irréalistes.

Ils découvriront que les affaires humaines sont trop fluctuantes pour être régies par des règles immuables, qu’il y a tant de contraintes, d’imprévus, d’évolutions rapides dans la vie et dans le monde. Confrontés à l’âpreté des relations internationales, ils constateront qu’ils ne peuvent pas faire ce qu’ils veulent, même chez eux. Les islamistes prétendaient incarner la troisième voie entre le socialisme et le capitalisme, et être une alternative à l’Occident. Voici que l’opportunité d’en faire la démonstration devant leurs peuples et l’humanité leur est offerte. Tant que la problématique de l’islam, «religion et Etat», «foi et monde», était débattue in abstracto, ils étaient imbattables.

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Maintenant qu’elle va devoir être abordée sous l’angle pratique, elle commence à donner des cheveux blancs aux plus lucides d’entre eux qui n’en avaient pas. L’affrontement ne va plus être idéologique, culturel ou rhétorique, il va être politique, économique et diplomatique. On ne sera plus dans la casuistique, pliant devant le principe d’autorité, mais dans le réel, le vivant et le mouvant. Le débat portera sur des questions précises comme l’emploi des jeunes, les fins de mois des travailleurs, le pouvoir d’achat, les conditions de vie des citoyens, les taux du chômage et de l’inflation, les indices de développement humain, l’attrait des investisseurs étrangers… Le critère entre le vrai et le faux sera la gestion des affaires publiques et ses résultats, et non telle ou telle profession de foi.

Arrivés au pouvoir par la voie des urnes, ils ne pourront pas espérer retirer l’échelle après s’en être servis pour grimper. Ils ne pourront pas vouloir abolir la démocratie sans voir se soulever contre eux les autres partis, les citoyens qui n’ont pas voté pour eux, les instances internationales et l’opinion publique mondiale. Ils se trompent ceux qui, parmi eux, pensent qu’ils pourront rester au pouvoir par la force. Ils l’auraient gardé s’ils l’avaient conquis de haute lutte. Or ils ne l’ont pas conquis, ils n’ont pas vaincu le despote, c’est «le peuple facebook» qui l’a vaincu et le vote atavique qui leur a confié les clés du pays dans l’espoir d’une vie meilleure, voire de résultats miraculeux.

Ils auront juste été les premiers bénéficiaires de l’alternance. Ils céderont la place un jour, peut-être aux prochaines élections, sauf à réussir spectaculairement, en quel cas ils seront reconduits pour le bonheur de leurs électeurs et du reste du monde. Autre source de problèmes pour les islamistes devenus «modérés» par la force des choses : ils perdront leur «authenticité» aussitôt qu’ils commenceront à donner suite aux «concessions» faites publiquement.

S’ils reprennent à leur compte les notions de république, de démocratie, de tolérance, d’élections, de libertés publiques, de droits de la femme, etc., qu’est-ce qu’il leur restera d’islamiste ou même d’islamique ? En transigeant sur les questions de l’héritage, de l’adoption et des châtiments corporels comme ils l’ont promis, ils perdront le droit à l’utilisation du label «islamiste». Celui-ci ne couvre que les produits d’origine contrôlée. Or, par rapport aux critères de distinction du musulman du non-musulman enseignés par leurs maîtres à penser, ils sont dans la contrefaçon, dans le «kofr», le reniement et l’opportunisme.

Ils seront dès lors confrontés à la surenchère des radicaux de leur pays et de l’étranger qui se poseront en censeurs vigilants de leurs paroles et en juges implacables de leurs actions. C’est de là que viendront les plus vives oppositions, et non de ceux qu’ils croient être leurs ennemis de toujours : les laïcs.

Ces alter ego les sommeront d’appliquer l’ensemble des dispositions coraniques, à commencer par le voile de la femme, l’interdiction de l’alcool, la suppression de la mixité, la discrimination envers les adeptes des autres confessions, les châtiments corporels, etc. Ils réclameront l’application en bloc et dans le détail de toutes les prescriptions de la charia, y compris celles qui dresseront contre eux la communauté internationale.

Ils tireront leur argument massue du verset : «Croirez-vous en une partie du Livre saint et pas en l’autre ?» Ce qui reste d’al-Qaïda ne tardera pas non plus à s’en prendre à eux. Il leur arrivera ce qui est arrivé au communisme lorsqu’il a abandonné sa pureté et sa dureté avec les réformes de Gorbatchev (Perestroika et Glasnost). Le doute s’étant introduit dans la doctrine comme le ver dans le fruit, tout s’est écroulé un jour. Enfin, les ambitions personnelles, le goût du pouvoir et l’embourgeoisement accompliront leur travail d’usure et de corruption sur les êtres humains pareils aux autres qu’ils sont. Avec le temps, ils se banaliseront et se démonétiseront. A ce moment-là, on leur en voudra plus qu’à l’ancien régime, plus qu’aux partis qui auront gouverné avec eux, car leurs électeurs estimeront avoir été trahis dans ce qu’ils ont de plus cher : leur idée de l’islam.

A suivre…
Le Soir d’Algérie publié sur Oumma avec l’accord de Noureddine Boukrouh

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