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Les grands impératifs religieux dans la vie du musulman

Qu’est-ce qui définit le ’musulman’, terme qui possède la même racine que ’islam’ (soumission, ou abandon, à la volonté divine) ? De toutes les écoles théologiques issues de la prophétie muhammadienne, une même réponse parviendra : manifester sa foi en l’unicité divine et en la Révélation au Prophète Muhammad (continuité et clôture des révélations antérieures), se conformer, après interprétation, à la Loi de Dieu, et lui vouer un culte marqué par l’observance des Cinq Piliers (profession de foi, prière, aumône, jeûne de Ramadan et pélerinage), mais aussi par l’engagement dans la Voie de la spiritualité (soufisme) aux multiples rites d’initiation.

Il existe deux modalités d’appartenance à l’islam : soit la conversion, soit la naissance dans une famille musulmane. Historiquement tout a commencé par les conversions (la première étant celle de Khadija, l’épouse du Prophète), mais depuis la fin de la grande expansion de l’Islam (XIe s.), l’essor de la umma, ou communauté islamique, est alimenté par la croissance démographique des peuples qui la constituent 2. À l’apport extérieur des conversions initiales, du temps de la conquête arabe, s’est rapidement substituée la reproduction endogène de la communauté. Le musulman est donc, le plus généralement, celui qui naît musulman.

Toute la vie, extérieure et spirituelle, de l’individu est soumise à la tension d’une conformation aux rappels du message coranique contenant la Loi révélée.

Pas de péché originel

Si les doctrines divergent sur l’appréciation de la redoutable question de la prédétermination et de la prédestination (qadâ wa qadar), on s’accordera pour considérer que chaque individu joue son propre sort sans culpabilité préexistante.

À la différence du christianisme, en effet, il n’est pas question de péché originel pour l’islam puisque Dieu a pardonné à Adam après sa désobéissance et sa chute (Coran, sourate 2, verset 37) sans faire retomber sur sa postérité une quelconque ’faute’. Dieu s’est adressé aux hommes dans la prééternité et a recueilli de leur part un engagement (mîthâq) par lequel ils attestaient sa précellence : ’Ne suis-Je pas votre Seigneur ? Ils répondirent : Certes !’ (Coran, 7, 172) puis l’humanité adamique a reçu la foi en dépôt (Coran, 33, 72) et ainsi s’est constituée la fitra ou disposition spontanée de l’homme envers Dieu qui peut, cependant, être contrecarrée par la tentation du mal (Iblis) et l’oubli de la foi, mais également être rappelée aux hommes par les prophètes.

Actes licites et illicites

La destinée de l’homme, au long d’une vie qui lui laisse la responsabilité d’agir en bien ou en mal, est justement de témoigner de Dieu selon des modalités dont les plus communes forment 1) les règles morales essentielles et 2) les rites principaux que le fidèle doit suivre dans son existence.

La théologie musulmane a défini cinq catégories d’actes engageant la responsabilité religieuse du croyant dans sa vie quotidienne : les actes obligatoires (prescriptions coraniques et morales majeures), les actes recommandés (solidarité et bonté), les actes blâmables (avarice, paresse, mépris de la souffrance humaine), les actes tolérés ou indifférents (mariage d’un musulman avec une chrétienne, relations avec les incroyants, pieux mensonges), les actes illicites (harâm : meurtre, vol, mensonge, etc.).

À partir de là, a été tracée la distinction classique entre péché mineur (saghîra) et péché majeur (kabîra). En principe, les fautes dont le coupable se sera repenti ne lui seront pas imputées à tort le jour du Jugement. Notons que le repentir est affaire entre le croyant et Dieu, sans intermédiaire (il n’y a pas de confesseur). Le repentir nécessite trois conditions : renoncer au péché, le regretter et prendre la résolution sincère de ne pas le réitérer.

Dans les recueils de hadiths (dits et faits du Prophète), on dresse la liste des fautes graves dont le nombre varie entre 7 et 70. Mais, dit le juriste al-Haythami (mort en 1565) : ’Il n’est pas de faute grave quand on demande le pardon et pas de faute légère lorsque le cœur s’endurcit’. Les manuels de morale juridique circulent aujourd’hui de manière notable chez les fidèles, tel le Riyâd al-Sâlihîn du juriste al-Nawawî (mort en 1278).

Obligations rituelles

Les rites. Ils sont obligations pour chaque croyant pubère. Mais à la naissance d’un enfant musulman, il est recommandé de prononcer à son oreille droite l’adhân (appel à la prière qui comporte la profession de foi) et à la gauche l’iqâmah (second appel à la prière), formes de rappel de l’engagement initial des hommes à la foi envers leur Créateur. La Loi, par contre, ne dit rien de l’imposition du nom. La tradition recourt au prénom arabe par respect pour la langue coranique et par volonté édifiante.

Autre acte relatif à l’enfance, la circoncision effectuée à un âge variable, généralement à 7 ans. Il s’agit d’une recommandation très suivie mais elle ne figure pas dans le Coran et n’est pas obligatoire pour les convertis adultes selon le savant contemporain Muhammad Hamidullah (voir cependant le récit du Dr Grenier, célèbre converti dès 1894). Il existe deux usages : la circoncision médicalisée en milieu hospitalier (avec possibilité de prise en charge par la Sécurité sociale si un motif médical est invoqué), et la circoncision familiale domiciliaire pratiquée par un ’imam’ circonciseur (le plus souvent un médecin) agissant à titre privé. Par mimétisme cérémoniel, on a pu donner le nom de baptême à cette coutume et même y inviter des non musulmans, mais elle n’a absolument pas la même valeur que le baptème chrétien qui est un sacrement par lequel l’individu entre dans l’Église et reçoit la grâce. La circoncision n’est pas le mode d’entrée dans la communauté musulmane.

Les ’cinq piliers de l’islam’ (arkân ad-dîn) ne sauraient être comparés, non plus, à des ’rites de passage’ comme il en existe chez les catholiques et chez les juifs, car ils sont réitératifs. La profession de foi, par exemple, est répétée de nombreuses fois à l’occasion de la prière, elle-même canoniquement observée cinq fois par jour. Le jeûne revient chaque mois de Ramadan de l’année hégirienne lunaire. L’aumône (zakat) n’est pas réellement perçue dans les pays musulmans. Ce qui en tient lieu ici, ce sont des formes de générosité spontanée à rayonnement local, généralement adressées aux mosquées pour les plus démunis et fréquemment renouvelées. Le pélerinage est un devoir pour celui qui en a les moyens financiers. Certains musulmans meurent sans avoir pu se rendre à La Mecque, d’autres l’effectuent plusieurs fois dans leur vie. Mais la communauté y est associée par la fête de l’Aïd el Kébir (fête du sacrifice située le lendemain du jour principal du pélerinage).

L’intention, condition de validité

Cependant, la valeur de toutes ces observances est déterminée par un préalable en absence duquel elles se réduiraient à une imitation générée par le seul conformisme social ; ce préalable est l’intention, la nîyya, ’condition sine qua non de validité, de recevabilité’ des actes (A. Guellouz). C’est la raison pour laquelle, une définition de l’islam comme simple orthopraxie qui minorerait l’orthodoxie (connaissance du dogme et des questions théologiques) ou la spiritualité, ne tient pas : ’Sache, mon frère, que celui qui méconnaît l’indigence et la faiblesse de son âme dans l’accomplissement de tous ses actes d’obéissance les imprègne d’hypocrisie !’ prévient le courant de haute mystique appelé la ’Voie du blâme’ (Sulamî, La lucidité implacable, Arléa, 1999). Au contraire, la nîyya, et même l’ikhlâs (pureté totale de l’intention), c’est l’ouverture à la foi réelle, au cheminement théologique et au progrès spirituel pour donner toute sa portée à l’accomplissement rituel.

Il existe d’autres pratiques fortement identificatoires de la foi musulmane dans la vie du croyant : le mariage, les interdits alimentaires et les funérailles. On ignore pourtant que le mariage, contrairement au floklore maghrébin qui lui a donné une connotation rituelle, n’est pas un acte religieux. C’est un contrat purement civil même si lors de sa conclusion l’on récite la fatiha (sourate d’ouverture du Coran). D’ailleurs, les imams conseillent la plupart du temps aux futurs conjoints, avant tout aval accordé à cette prestation, de célébrer le mariage civil en mairie.

Les interdits alimentaires sont, par contre, d’expression coranique incontestable sans que l’interprétation en soit aisée : ’Vous sont interdits la bête trouvée morte, le sang, la chair de porc, ce sur quoi on a invoqué un autre nom que celui de Dieu…’ (Coran, 5, 3). Ils sont très respectés en association avec l’idée de pureté légale.

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Les funérailles nécessitent le respect de gestes religieux impératifs : prononcé de la Chahada (profession de foi) avant le trépas, lavage du corps, prière funéraire, inhumation orientée… C’est peut-être la seule observance assimilable à un ’rite de passage’.

Enfin, les théologiens et juristes ont relevé un certain nombre d’autres obligations d’institution divine (farâ’id) parmi lesquelles on citera, pour terminer (loin de toute exhaustivité) : la piété filiale ’même si les père et mère sont des musulmans indignes ou des polythéistes’ (al-Qayrawânî, mort en 996), la très célèbre invocation de la Volonté divine, inch‘allâh (si Dieu le veut) en préalabale à l’énonciation d’un acte à accomplir, et la non moins connue salutation musulmane salam aleikum (que le salut soit sur vous) à laquelle on est tenu de répondre : wa aleikum salam.

Michel Hilal RENARD

Directeur de la revue Islam de France

1 – Cet article était à l’origine la réponse à une commande du magazine Historia pour un projet auquel il n’a pas été donné la suite prévue. Il était donc destiné à un public ignorant l’essentiel de la réalité religieuse de l’islam et ne prétend évidemment à aucune systématicité dans la présentation de cette réalité.

2 – C’est particulièrement vrai aujourd’hui et, à cet égard, se glorifier du nombre de musulmans sur la planète (plus d’un milliard) ne saurait revêtir qu’une valeur relative : ce nombre n’étant, en effet, pas forcément un indice de vitalité spirituelle ni même de capacité à insérer le message de l’islam dans la ’modernité’ des sociétés contemporaines aux défis matériels et moraux considérables.

la conversion du Dr Philippe Grenier

député de Pontarlier en 1896

 

L’homme qui consentit à m’initier me soumit aux formalités du rite malékite. C’était un hadj qui avait fait plusieurs pélerinages au tombeau du Prophète. Quoique le Coran soit muet sur cet article, il me conseilla de me soumettre aux désagréments de la circoncision. Je m’y soumis. Cela se passa entre mon sacrificateur et moi. Il tenait des ciseaux ; il les referma en prononçant Bismilla er rahman er rahim, ce qui veut dire : Au nom de Dieu très clément et très miséricordieux. Je répondis : La illala Mohamed Rasoulallah (Allah est Dieu et Mohamet est son prophète). J’étais musulman.

in, Robert BICHET, Un comtois musulman, le docteur Philippe Grenier, prophète de Dieu, député de Pontarlier, Besançon, 1976, p. 29-30.

Bibliographie

 

Qu’est-ce que l’islam ?, Rochdy ALILI, La Découverte, 1996.

Dieu et la destinée de l’homme. Les grands problèmes de la théologie musulmane, Louis GARDET, Vrin, 1967.

La doctrine d’Al-Asharî, Daniel GIMARET, Cerf, 1990.

– ’L’islam’, Azzedine GUELLOUZ, in Le Fait religieux, dir. Jean Delumeau, Fayard, 1993.

Le livre de la profondeur des choses (Al-Hakîm al-Tirmidhî), Geneviève Gobillot, Septentrion, 1996.

 

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