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Les filières halal, agents de « l’éthicisation » et de la sécularisation de l’islam en occident (partie 2 et fin)

Les marchés halal et leur participation à la sécularisation de l’islam

La diversité des domaines dans lesquels peut s’appliquer la distinction entre halal et haram selon le droit islamique est très large, et la modernité technique n’est pas un frein en elle même. Dans l’industrie agroalimentaire, pharmacologique ou cosmétique, il existe ainsi des classifications pour les additifs chimiques et les conservateurs.

Produits financiers et marchés éthiques

Une autre filière halal qui pourrait être amener à se développer pour les musulmans en occident est celle des produits financiers.

BNP-Paribas, HSBC, Crédit Agricole, Citibank, UBS ont déjà toutes ouvertes un département islamique dans l’émirat du Bahreïn [i]. En Europe, la finance islamique se développe déjà en Angleterre et en Suisse, La Faisal Finance à Genève, et la Islamic House of Britain en Grande-Bretagne.

En France, où se trouve la plus grande population musulmane d’Europe, ce type d’activité financière se développera sans doute prochainement. C’est en tout cas ce que laisse entendre Anne-Marie Siffroy-Pytlak, la vice-présidente du Crédit Agricole Indosuez qui « croit beaucoup en ce type de produits » et qui déclare au Figaro Entreprises [ii] : «  On les trouve déjà en Grande-Bretagne, ils arriveront bientôt en France ».

Comme pour l’alimentation, il s’agit de faire fonctionner des concepts issus de la charia dans le droit positif sans les dénaturer ou leur faire perdre leur validité.

Certaines activités et investissements sont par exemple interdit par la charia , tels que :

  L’alcool

  Le tabac

  Les services financiers

  Le porc ou l’alimentation non halal

  Les divertissements (Jeux de hasard, pornographie…)

  La voyance….

Par ailleurs, Il n’y a pas de différence entre intérêt et usure. (Et donc pas de différence entre les prêts à intérêts destinés à la consommation et les prêts destinés à investissement.) L’intérêt, loyer obtenu sur le prêt de monnaie, ou encore un bénéfice obtenu sur la vente de monnaie est interdit. L’islam exige que le gain résulte d’un travail ou d’un partage des risques.

Des instruments et des montages existent cependant en finance islamique, qui permettent des équivalences sur les marchés des capitaux.

Pour reprendre les exemples des prêts à la consommation et des prêts destinés à des investissements, nous citerons les montages Murabaha et Moucharaka, tels que les présente des sociétés de conseil en investissements financiers et immobiliers « conformes aux principes de la Charia » :

Le premier (Murabaha) est une alternative au prêt destiné à la consommation : L’investisseur achète les matériaux de base, les biens ou l’équipement recherchés, et les vend à son client pour un prix supérieur au coût d’achat avec une marge négociée.

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Le second (Moucharaka) est une alternative à un prêt destiné à un investissement :

L’entrepreneur et l’investisseur contribuent tous deux, à des degrés variables, au capital (actifs, savoir faire technique, gestion, fonds de roulement…). Ils s’accordent sur le partage des bénéfices dans des proportions convenues à l’avance en fonction des risques. Les deux acteurs sont solidaires en cas de perte.

Au-delà des articulations nécessaires comme celles que l’on a vu sur la question de l’abattage, le développement de ces produits selon des normes utilisables sur les marché occidentaux amène un travail de transformation des prescriptions religieuses par des démarches de contractualisation, de labellisation et « d’éthicisation ».

La volonté d’établir des référentiels et des cahiers des charges dans la certification halal en est un bon exemple.

Les produits halal deviennent ainsi des « produits éthiques », que l’on peut comparer à d’autres, comme les produits du commerce équitable (voir le label Max Havelaar, association loi 1901 qui certifie une éthique liée aux conditions de production, d’achats et à la distribution de produits issus de pays du sud.). L’alimentation végétarienne et végane européenne s’est aussi organisée, avec l’adoption du « V-label », commun [iii] (à 120 pays), et reconnu par les consommateurs de France, d’Allemagne, d’Italie, d’Autriche, des Pays-Bas, de la Belgique et du Luxembourg. Il faut savoir que ce label peut être octroyé aux produits des sociétés distribuant ou fabriquant des aliments et des boissons, mais aussi cosmétiques et produits de beauté, vêtements et chaussures, produits d’entretien et ménagers. Dans tous ces cas une éthique est mise en forme dans un contrat ou un label.

« Ethicisation » et sécularisation

Le droit positif et le marché, dans le cadre des échanges de produits et de services soumis à des éthiques religieuses, jouent un rôle de « sécularisation », qui passe par une démarche d’« éthicisation ».

C’est d’ailleurs ce que décrit Franck Frégosi, chargé de recherche au CNRS (Strasbourg) quand il parle des conclusions de plusieurs responsables religieux musulmans en Europe. On pourra ainsi le citer d’après cet extrait des citer Actes de l’université d’automne 2004 du Ministère de l’Éducation nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche – Religions et modernité – :

 « Un certain nombre de décisionnaires orthodoxes, par réalisme mais aussi par conviction intime, en viennent à élaborer une “théorie restreinte de la sharî’a”, adaptée au contexte européen et prenant acte de l’impact de la sécularisation sur la façon dont les musulmans peuvent vivre l’islam en situation minoritaire, sur un mode à la fois cultuel (’ibâdât) et éthique (akhlâq). Il ne s’agit pas de renoncer à toute référence globale à la sharî’a mais, plus simplement, de constater et de formaliser le fait qu’en Europe elle se restreint aux questions de pratiques cultuelles et de principes éthiques, les autres domaines devant faire l’objet soit d’adaptations circonstancielles soit d’une interprétation sur un mode éthique (“éthicisation” de la sharî’a), via le recours aux fictions canoniques (fiqh al-khiyyal). “L’éthicisation de la sharî’a vise en fait à conférer la légalité morale islamique à certains comportements du musulman en intégrant le droit français dans le métabolisme de la sharî’a. Elle exclut le droit de la sharî’a, en la réduisant à la seule dimension morale.” »

En conclusion, il ne faut donc pas oublier que « derrière » les républiques ou les monarchies occidentales, le système commun est la « démocratie de marché », et que la mondialisation fait de ces marchés un marché global, sur lequel les musulmans « pratiquants » deviennent une « niche » de consommateurs particuliers ainsi que des entrepreneurs.

La fameuse « intégration » de l’islam (que certains affirment impossible), tout comme une certaine forme de sécularisation, ont bien lieu dans ces sphères juridiques, économiques et commerciales. Et ne pas voir ces développements comme tels reviendrait en fait à ne pas voir avec lucidité l’importance de l’équilibre entre démocratie et marché dans le fonctionnement des sociétés occidentales.

Le développement de filières halal normalisées dans divers secteurs des économies nationales occidentales fait autant partie d’une installation réussie de l’islam en Europe ou en Amérique que la mise en place de structure de représentation du culte ou que la construction de « mosquées cathédrales ».

Notes :



[i] Actes du colloque Sénat – Ubifrance (mai 2004) « où en sont les marchés du Golfe » www.senat.fr/international/collogolfe/collogolfe8.html

[ii] Lundi 23 février 2004, le Figaro Entreprises, « Les bons comptes des banquiers d’Allah »

[iii] Alliance Végétarienne : http://www.allianceveg.org/LabelV/index.php ;
Portail duV- label européen : http://www.v-label.info/

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