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Les Femmes « alibis » des discours arabes officiels

La question des femmes est toujours et sans conteste « le sujet central » qui anime, avec passion et non sans polémique, les débats contemporains. Il reste cependant difficile actuellement d’appréhender cette question de façon objective tant cette dernière reste d’une part, perçue à travers les prismes de l’actualité internationale et d’autre part, sujette aux enjeux politiques en cours et aux idéologies régnantes.

A un niveau international, le discours récurrent sur « les femmes musulmanes » avec leur statut juridique précaire, leur émancipation retardée, leur mise sous tutelle culturelle, leur inévitable « voile » rétrograde, induit à la nécessité symbolique de les « libérer ».

Ce « droit d’ingérence » intellectuel profondément ancré dans l’imaginaire collectif occidental fait toujours partie des préalables requis du discours politiquement correct. « Libérer les pauvres femmes musulmanes victimes de l’islam » est une formule politique qui se « vend » toujours très bien et qui témoigne, tant que faire se peut, d’une indubitable appartenance au monde de « La civilisation ».

Le monde arabo-musulman devant les différentes interpellations quant à cette question épineuse, se retrouve, le moins que l’on puisse dire, dans une posture assez inconfortable. C’est que, au delà, de la rhétorique occidentale sur cette question, qui frise parfois l’indécence et dont l’objectif est loin d’être innocent, cette question des femmes, avec son corollaire de droits juridiques comme l’égalité hommes femmes et les droits humains touche à l’un des problèmes majeurs des sociétés arabo-musulmanes : l’absence d’un véritable espace de liberté démocratique.

Débattre et promouvoir la question de l’égalité des droits entre femmes et hommes au sein d’une société, c’est promouvoir et accepter les fondements de la démocratisation politique et c’est bien sur ce déficit en démocratie que se cristallisent les échecs de la grande majorité des réformes entreprises depuis bien longtemps au sein du monde arabo – musulman, dont notamment celles qui concerne la question des femmes.

C’est ainsi que dans la plupart de ces pays, le débat oscille entre deux discours. L’un officiel légitimant une politique de tolérance et d’action « minimaliste » envers les femmes comme une caution de sa politique de modernisation tout en pérennisant sur le fond une lecture religieuse rigoriste, tandis que l’autre, représentatif d’une réalité collective musulmane, érige le « statut quo » sur la question des femmes dans les débats sur la religion, comme un étendard de sa résistance culturelle à l’occidentalisation.

Triste dilemme.

Cependant, il est très évocateur, malgré la posture identitaire essentialiste qui le sous tend, des profondes métamorphoses en cours dans le monde arabo-musulman, qui loin des stéréotypes réducteurs le présentant comme un monde inévitablement statique et monolithique, sont paradoxalement révélatrices de futures mutations et fécondations culturelles hybrides au sein du tandem modernité et islam.

Néanmoins, il demeure évident que dans la majorité des pays arabo-musulmans, les femmes demeurent les « alibis » des pouvoirs politiques officiels. En effet, la survenue depuis ces dernières années de l’impératif de la représentation des femmes comme condition majeure de la démocratisation du champ politique a fait que de nombreux pays arabo-musulmans ont tenté d’adapter leurs législations à ce nouveau paradigme.

En effet, la visibilité de la représentation politique des femmes est devenu un, voire LE, critère fondamental de la démocratisation selon les instances politiques internationales, ce qui force beaucoup de pays arabo-musulmans à y adhérer même si parfois cela se fait sans enthousiasme ni véritable conviction politique.

Il en résulte, que, malgré des résistances culturelles et des aprioris de type religieux très importants et très enracinés dans ces sociétés, des lois comme celles « des quotas » pour les femmes en politique ont été adoptés dans la majorité des pays musulmans, donnant lieu à des situations où certes quelques femmes ont eu accès à des postes politiques mais sans que cela ait eut un véritable impact sur les sociétés en question.

Dans certains pays, la présence d’une minorité de femmes dans les lieux de décision politique a été vécu comme un changement dans la continuité du même type d’autorité politique par le biais d’une élite féminine issue des cercles restreints du microcosme politique et acquise aux pouvoirs politiques en place.

La représentation politique des femmes, dans les sociétés majoritairement musulmanes, est souvent donc et malheureusement le résultat soit d’un compromis idéologico – politique soit celui d’une cynique instrumentalisation de « l’alibi » femmes par les gouvernements officiels afin d’afficher leur prétendue adhésion aux valeurs de la démocratie et de la modernité.

Il va s’en dire que tant que le travail de fond qui consiste à instaurer des réformes sociétales radicales n’est pas encore à l’ordre du jour, il sera très difficile de concevoir toute évolution par rapport aux mentalités qui restent réfractaires à l’égalité entre hommes et femmes. La véritable participation politique démocratique et l’ouverture d’espaces de liberté sont les seules garants de la libération du religieux de la tutelle politique et de là du renouvellement de la pensée islamique qui est actuellement et surtout sur cette question des femmes encore réfractaire à tout véritable changement. Il est à noter dans ce sens que le discours religieux prédominant actuellement sur les femmes reste d’une incroyable médiocrité intellectuelle.

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En effet, l’ensemble du discours islamique, aussi bien traditionnel et officiel que celui des mouvances dites islamistes s’inscrit en déphasage par rapport aux attentes des valeurs démocratiques et de la modernisation sociétale. Dans la grande majorité des sociétés arabo-musulmanes, la donnée conjoncturelle majeure – qui bien entendu se nourrit de la précarité et de l’injustice socioéconomiques – reste celle d’un recours, parfois pathétique, au religieux et de là, à la production d’une littérature islamique allant à contrecourant des aspirations légitimes de ces populations diluées dans une mondialisation déstructurante.

L’émergence depuis des décennies maintenant de l’islam dit politique n’a dans ce sens pas du tout apporter grand chose au débat sur la question des femmes en général et de leur représentation politique en particulier. Le réformisme de l’époque de la Nahda est resté bloqué à son point de départ autrement dit figé à des théories du genre : « l’islam honore les femmes et respecte leurs droits », qui même si elles restent vraies dans le fond, deviennent à force d’être rabâchées, vidées de leur sens et anachroniques par rapport à la réalité de ces dites sociétés.

Il est aussi important de souligner à cette étape de l’histoire du monde musulman que la vision de tous les mouvements dit islamistes par rapport aux question des femmes n’a jamais été réformiste mais bien plutôt conservatrice, tradionnaliste, voire pour certaines mouvances, réellement obscurantiste, puisque ces mouvements vont revenir sur un grand nombre d’acquis concernant les droits des femmes.

Toujours dans le même sens, l’on constate aussi que la majorité des pays arabo-musulmans reste très réticente par rapport à la ratification des conventions internationales concernant les femmes et que le principal justificatif à cela est la « spécificité culturelle ». Cette « spécificité culturelle » répond souvent si ce n’est toujours à des justificatifs d’ordre religieux que l’on met sur le compte d’une « Charia », pensée et imaginée comme une compilation de lois religieuses complètement incompatible avec les valeurs universelles d’égalité entre hommes et femmes. Et c’est ainsi que cette spécificité culturelle est brandie comme un véritable « étendard » à chaque fois qu’il s’agit d’éviter l’adoption intégrale des valeurs égalitaires et représente en somme, un moyen légitime afin de vider les conventions de leurs contenus.

Or il est évident que les sources scripturaires de l’islam ne constituent en aucun cas une entrave à l’instauration des droits égalitaires entre hommes et femmes . Ces soit disant interdits religieux envers les femmes que l’on nous sort à chaque occasion n’existent tout simplement pas dans les textes sacrés mais dans la longue tragédie historique d’une tradition islamique qui est restée otage de ses propres élucubrations séculaires.

Cette problématique n’est donc pas inhérente à des « dogmes » religieux infaillibles qui préconiseraient ainsi la « réclusion » intellectuelle, politique et juridique dont sont victimes les femmes musulmanes dans ces sociétés. Mais c’est bien l’imbrication des interprétations religieuses converties en doctrines sacralisées avec une culture patriarcale notoire et tous les autres ingrédients explosifs de pays en situation de retard historique, de fragilité économique, de dépendance intellectuelle et de déficit démocratique, qui font le terreau de toutes ces résistances et dont la plus importante est bien celle de la résistance à l’émancipation des femmes. La question des femmes étant le principal enjeu de la modernisation politique dans l’espace arabo-islamique c’est bien évidemment autour d’elle que vont se tisser toutes les résistances et se cristalliser toutes les frustrations conjoncturelles.

C’est dans ce sens donc qu’une vision réformiste de la pensée islamique mais aussi des concepts forgés par une jurisprudence islamique – la plus importante source de discrimination envers les femmes – est essentielle afin de déconstruire tout cette littérature prolifère et tristement défectueuse, qui à force d’être maintenu contre vents et marées, à fini par scléroser tout semblant d’évolution et d’ouverture de la pensée islamique.

La pérennisation des lectures religieuses traditionalistes, l’absence d’une réforme de fond de la pensée islamique et la progression d’une vision islamique rigoriste, constituent le terrain favorable sur lequel se développent bon nombre d’obstacles à une véritable égalité hommes femmes en terres d’islam. C’est ce qui justifie l’intérêt de ces initiatives de relecture et de réforme au sein de la pensée islamique, les seules à même de représenter, à la longue, une véritable source de sensibilisation des femmes à l’ensemble de leurs droits légitimes.

D’aucuns, se poseront la question légitime de la pertinence de cette « rétrospection » dans les textes sacrés et de son véritable impact actuellement sur l’essor des sociétés arabo-musulmanes, d’autant plus que cela peut prendre le risque de rester cantonné à la théorie et d’être inefficient sur le plan des réalisations pratiques.

Mais, c’est omettre le fait que l’islam reste, que l’on veuille ou pas, une donnée incontournable dans les pays arabo-musulmans et que toute réforme sociétale en profondeur doit prendre en considération le fait religieux. La religion, en l’occurrence l’islam dans les sociétés arabo-musulmanes fait partie du vécu, de l’historique et de l’expérience spirituelle de ses peuples et il est inconcevable de formuler des concepts, des réformes et une vision structurelle, sans tenir compte de ces données essentielles.

C’est dans ce cadre là que cette « rétrospection » est nécessaire, « ce retour aux sources », aux textes sacrés ne doit pas être un retour refuge dans le passé à la recherche d’une consolation nostalgique mais plutôt un regard vif, lucide et rationnel sur ce que ces sources ont véritablement dit ou pas dit…

Il reste néanmoins que la question de l’égalité et de la participation politique des femmes, reste fortement liée à l’exercice d’un véritable pouvoir démocratique qui respecterait tous ses citoyens, femmes et hommes et il serait certes illusoire de prétendre analyser isolément la thématique des femmes sans tenir compte de la globalité des problèmes politiques qui mine profondément les sociétés musulmanes. C’est en travaillant sur ces deux volets, démocratie et réformisme religieux que les femmes dans les pays arabo –musulmans , cesseront peut être un jour d’être les « alibis » des discours officiels.

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