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Les fantômes existent-ils ?

Le rapport de M. GIL-ROBLES sur le respect effectif des droits de l’homme en France, qu’il a publié à la suite de sa visite en France du 5 au 21 septembre 2005 permet effectivement de se poser la question.

Certes, il se présente d’emblée sous un jour prometteur : dans ses « remarques générales », il observe avec pertinence que : « La France, souvent considérée par un grand nombre d’Européens comme la Patrie des Droits de l’Homme, offre en effet un niveau élevé de protection des droits de l’homme. Elle possède une législation complète en la matière et assume un rôle important sur la scène internationale dans ce domaine. La France n’en reste pas moins traversée par des difficultés persistantes, voire récurrentes, ainsi que l’illustre le nombre important d’affaires portées devant la Cour Européenne des Droits de l’Homme. »[1]

Il poursuit avec justesse en pointant du doigt les zones d’ombre : « Partout où je me suis rendu, j’ai noté que la mise en œuvre de la législation s’efface parfois devant un appel à la tradition. Combien de fois n’ai-je pas entendu : « nous avons toujours fait comme cela », « c’est comme cela depuis longtemps », ou encore, « la situation n’évolue que très lentement ». Cette constatation est loin de relever s’une simple anecdote cas elle pose un évident problème d’effectivité des droits de l’homme. »[2]

Il achève ses remarques préliminaires par les mots suivants : « … j’ai l’impression que la France ne se donne pas les moyens suffisants pour mettre en œuvre un arsenal juridique relativement complet, qui offre un haut niveau de protection en matière de droits de l’homme. Il semble ainsi exister dans certains domaines un fossé qui peut s’avérer très large entre ce qu’annoncent les textes et la pratique. »[3]

Il était permis de penser que le contenu du rapport qui allait suivre serait à la hauteur de ces observations pertinentes. Au moins pour ce qui relève du domaine de ma compétence, la partie VIII intitulée « Les problèmes de racisme, d’antisémitisme, de xénophobie et la lutte contre les discriminations », il n’en est rien. Par ailleurs, les réponses que le Gouvernement apporte à des observations apparaissent elles-aussi singulièrement faibles. L’ensemble du rapport mériterait au demeurant d’être confié à des spécialistes des différentes questions abordées, afin de le passer au crible de la critique, compte tenu de ce que l’on peut déjà dire de la VIII° partie.

I – Le constat :

Le rapporteur ouvre celle-ci en soulignant la gravité du phénomène raciste en France : « Plusieurs de mes interlocuteurs m’ont fait part de meurs inquiétudes face à la forte augmentation enregistrée par le nombre d’actes racistes et antisémites depuis 2000 et par l’extension des discriminations. »[4]

Ce phénomène a connu une poussée spectaculaire en 2004 et, s’il a reculé en 2005, il « … n’en reste pas moins inquiétant. »[5] Les statistiques officielles indiquent qu’il touche d’abord la communauté juive et qu’il est en augmentation « à l’égard des communautés maghrébines et, plus généralement, musulmanes. »[6]

Il considère que les principales discriminations concernent principalement l’accès à l’emploi[7] , la situation des femmes et les personnes d’origine étrangère, sans que cela soit limitatif[8] et observe fort justement que « la question des discriminations constitue actuellement l’un des principaux problèmes de société en France. Par ailleurs, il s’agit d’un problème difficile à aborder, tant les discriminations restent latentes et cachées, alors que tout le monde sait qu’elles existent. En effet, il s’agit d’un sujet difficilement abordable en Europe et en particulier en France, tant la législation et la tradition républicaines sont profondément anti-discriminatoires et anti-racistes. Hélas, les opinions ne suivent pas toujours les lois. »[9]

Outre la carence des politiques de la ville menées par les différents gouvernements que cela traduit[10], M. GIL-ROBLES affirme clairement que « cette situation tient donc avant tout à des pratiques discriminatoires hautement condamnables. »[11]

Curieusement, cependant, le rapport ne fait aucune référence aux travaux de la Ligue des Droits de l’Homme, ni à ceux de l’Observatoire de l’islamophobie… manière révélatrice d’être dans le déni de ce que l’on prétend combattre – hélas assez largement partagée – qui va peser sur la suite du rapport, et expliquer sans doute la faiblesse des mesures proposées.

II – Les solutions proposées :

Après avoir énuméré l’ensemble des instruments juridiques dont il salue la qualité, le Rapporteur ajoute que « cet arsenal juridique est peu appliqué et la répression reste faible […] Cette situation paradoxale traduit un problème d’effectivité de dispositifs pourtant abondants, entretient un climat de malaise dans les communautés les plus concernées par la montée du racisme. » [12]

Il « encourage » les autorités à veiller à une meilleure mise en œuvre de la législation existante[13], souligne le rôle des représentants religieux pour apaiser les tensions – notons au passage que Dalil BOUBAKEUR, président du Conseil Français du Culte Musulman n’a pas pu le rencontrer « à cause d’un empêchement de dernière minute »  ! et qu’il n’a pas non plus rencontré Azouz BEGAG, ministre alibi de plus en plus incertain de ce gouvernement – et dit avoir tenu à le rappeler tout le long de la visite, et plus particulièrement à l’occasion de mes entretiens avec les représentants des pouvoirs locaux et des municipalités qui comptent parmi des interlocuteurs privilégiés des communautés religieuses. »[14]

Il souligne enfin la création de la H.A.L.D.E., institution encore jeune et peu connue du grand public, regrette la faiblesse du nombre des condamnations judiciaires compte tenu de la quantité de faits révélés par les statistiques, et conclut avec réserve que « Se pose donc un problème de mise en œuvre des dispositifs prévus par la législation française. Or la non effectivité du droit entretient le sentiment d’impunité ressenti par les auteurs d’actes discriminatoires et les pousse à reproduire un comportement répréhensible. Il faudrait donc commencer par appliquer avec plus de rigueur les lois en vigueur. »[15]

Dans ses « recommandations », il prône « l’intensification des efforts dans la lutte contre le racisme », une meilleure application du droit existant et une meilleure mise en œuvre des dispositifs prévus.[16]

III – La réponse du gouvernement :

Elle est particulièrement nette et catégorique : « la France mène une politique résolue contre toutes les discriminations »[17]  : en effet, les pouvoirs publics français se sont engagés au plus haut niveau contre le racisme et l’antisémitisme » et, « de manière plus générale, le gouvernement français s’efforce de lutter contre toutes les formes de discrimination. »[18] en améliorant, par exemple, le dispositif statistique de collecte des informations, en nommant dans chaque parquet un magistrat référent chargé de veiller à la cohérence des politiques pénales locales en matière de racisme, d’antisémitisme et de discrimination, en ayant créé, grâce à la loi « Lellouche » du 3 février 2003 une circonstance aggravante lorsqu’un crime ou un délit est commis à raison de « l’appartenance réelle ou supposée de la victime à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée », complétée par la loi Perben II du 9 mars 2004 qui l’a élargie aux infractions liées à l’orientation sexuelle de la victime »[19], etc…

IV – Quelle appréciation porter sur les préconisations et la réponse faite ?

Pour apprécier l’importance réelle donnée à ce diagnostic et le poids des réponses que l’on entend apporter aux questions soulevées, il convient dans un premier temps, de mesurer l’importance accordée dans le rapport même à la question du racisme en général par rapport aux autres thèmes, le poids relatif des préconisations, et de comparer ensuite selon les mêmes critères, les réponses apportées par le Gouvernement français tant dans la « note de synthèse » que dans les réponses plus détaillées, données en annexe du rapport GIL-ROBLES.

Ces comparaisons permettront de juger non seulement de l’importance effective de la question au-delà des formules solennelles gravées dans le marbre d’une part, et de la politique réelle du Gouvernement d’autre part.

Sur le plan de la méthode, tout d’abord, M. GIL-ROBLES se contente d’affirmations de ses interlocuteurs qu’ils ont « parfaitement conscience » des problèmes soulevés, qu’il « partagent ses préoccupations »[20] ; il rappelle étrangement le cas de ces journalistes complaisants qui, avant la chute du rideau de fer, se contentaient des affirmations tout aussi péremptoires des responsables (pro) soviétiques sur les progrès de la démocratie et du bien être dans les ex pays de l’Est… Si, en outre, ces constats sont suivis, pour certains d’entre eux, de recommandations, ils n’en laissent pas moins d’immenses parts d’ombre sur la question des discriminations.

En second lieu, et toujours en ce qui concerne la méthode, le Rapporteur s’en tient également aux statistiques disponibles, sans se pencher sur les pratiques qui ne sont pas recensées, car difficilement recensables, mais qui pourraient faire l’objet d’une étude et de poursuites éventuelles.

C’est là aborder le fond du problème : M. GIL-ROBLES, par un singulier effet d’optique, semble ne considérer que les actes racistes ne viennent que de l’extrême droite[21]. Sa pertinente remarque à propos des mineurs délinquants : « … les élus de certaines régions comme ceux de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur, semblent fermés à tout dialogue. »[22] aurait pu trouver à s’appliquer à d’autres régions : il est pourtant connu, puisque les tribunaux commencent à se prononcer sur ces questions, que l’un des moyens les plus efficaces qu’ont les élus locaux pour entraver l’exercice de la liberté religieuse est l’utilisation des règles d’urbanisme qui sont détournées de leur but : préemptions en considération de la personne de l’acquéreur, non instruction ou refus de permis de construire, voire tentatives d’intimidation par l’envoi de lettres recommandées sont monnaie courante.

L’exemple des déclarations du Maire d’Aix en Provence dans « La Provence » du 4 octobre dernier à propos de la demande de construction d’une mosquée sont à cet égard éclairantes : les musulmans devraient prêter serment, « reconnaitre les règles de la République », « être favorable à l’égalité des sexes » et se montrer « tolérant à l’égard des autres religions », pour ne rien dire de l’universelle exigence à l’égard de la « communauté musulmane » qu’elle se « mette d’accord » curieuse et paradoxale manière d’exiger un plus grand communautarisme alors que l’on prétend du même mouvement défendre l’universalité de la citoyenneté… Mais il est vrai qu’à l’égard de l’islam ce ne sont pas les contradictions qui arrêtent nos responsables.

Toutes ces actions, bien souvent, ne font pas l’objet d’un contentieux et, lorsque c’est le cas, ne sont envisagées que sous l’angle du droit de l’urbanisme ou de l’affichage, et non pas pour ce qu’elles sont en réalité : une volonté de faire barrage à la pratique d’une liberté publique, actions qui pourraient faire sens par leur nombre et leur récurrence, ce qui n’est pas le cas lorsqu’elle ne sont envisagées qu’au cas par cas, sans être mises en cohérence les unes par rapport aux autres. Ce rôle pourrait, du moins en théorie, être rempli par les Conseils Régionaux du Culte Musulman en province et le Conseil Français sur le plan national.

Le fait que Dalil BOUBAKEUR ait préféré faire autre chose que de rencontrer M. GIL-ROBLES est révélateur de la légèreté avec laquelle sont traitées des questions pourtant cruciales pour la communauté musulmane. Localement, les associations sont de plus si souvent tellement jalouses de sauvegarder leurs petites prérogatives, leurs responsables si soucieux de dire que tout va bien chez eux alors qu’aucun de leurs dossiers n’avancent, qu’ils se gardent bien de saisir les C.R.C.M. des difficultés rencontrées, qui disparaissent ainsi des statistiques… Il est vrai que les discriminations religieuses sont les grandes absentes du rapport GIL-ROBLES, à qui l’on peut reprocher, comme il l’écrit lui-même, que cette méconnaissance « … empêche tout diagnostic et tout traitement approprié »[23].

Par ailleurs, il est intéressant, au-delà des mots, de constater la part relative accordée aux différentes questions abordées tant dans le rapport lui-même que dans les justifications produites par le gouvernement français comme le montre le tableau ci-après, qui révèle le poids réel accordé aux différentes questions.

 

Rapport GIL-ROBLES

Recomm-andations faites dans le rapport

Note de synthèse du Gouvern-ement

Réponse détaillée (annexe)

Fonctionnement de la justice

13,97 %

15,38 %

7,14 %

5,35 %

Système pénitentiaire

26,90 %

20 %

26,80 %

30,38 %

Action des forces de l’ordre

4,31 %

4,61 %

5,36 %

5,36 %

Situation des étrangers

23,66 %

18,46 %

14,29 %

56,79 %

Situation particulière des mineurs

11,82 %

15,38 %

12,50 %

8,92 %

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Racisme, antisémitisme, xénophobie, discriminations

6,98 %

3,10 %

21,42 %

7,14 %

10,71 %

2,68 %

Gens du voyage et Roms

5,91 %

7,69 %

7,14 %

1,78 %

Groupes vulnérables

6,45 %

15,38 %

5,35 %

10,71 %

TOTAL

100 %

100 %

100 %

100 %

Ces chiffres, déjà peu flatteurs dans ce qu’ils révèlent, entretiennent cependant une illusion d’optique : si les Roms et les Gens du Voyage sont les parents pauvres tant du rapport que de la réponse détaillée du gouvernement, les pourcentages concernant le racisme, l’antisémitisme, la xénophobie et les discriminations méritent que l’on s’y attarde. Car le fantôme se double d’un mirage…

Il est frappant, en premier lieu, de voir qu’après leur faible part dans le rapport, une part encore plus faible y est faite dans les recommandations ; c’est même la partie la moins détaillée de toutes : en réalité, quatre lignes seulement y sont consacrées, qui brillent par la généralité de leur propos et leur caractère inoffensif : « intensifier les efforts », « veiller à une meilleure application », etc…

Comparativement, la note de synthèse et les réponses détaillées apportées par le gouvernement semblent plus fournies. C’est ici que se situe l’illusion d’optique : si, dans cette réponse, l’on isole la lutte contre le racisme du reste de la réponse, la part consacrée au racisme tombe à 2,68 %, le reste de la réponse étant consacré à la situation des femmes – sujet au demeurant préoccupant – la réponse en question consistant principalement dans le rappel de mesures législatives déjà existantes, alors que le rapport indiquant timidement qu’au caractère fourni de la législation s’opposaient des pratiques administratives qui, elles posaient problème. Outre que c’est bien là ce que dénonce le rapport (mesures législatives non appliquées), rien de concret n’est envisagé en termes de contrôles et de sanctions des collectivités locales et des administrations qui sont pourtant désignées comme « principaux interlocuteurs » en la matière.

Pourtant des moyens existent : si les récents propos de Georges FRECHE sont inexcusables, et la surdité de Jack LANG encore mois, les pratiques certes plus discrètes d’élus de la majorité le sont tout autant : un examen attentif de la politique immobilière des communes – je citais plus haut le cas d’Aix en Provence dont les propos du Maire n’ont fait l’objet d’aucun rappel à l’ordre de la part des instances de la majorité, révélant par là le large consensus autour d’eux, et permettant de relativiser l’indignation exprimée contre ceux de Georges FRECHE… – pourrait donner matière au moins à instruction, si ce n’est à poursuites.

La justification de l’utilisation de deniers publics pour des acquisitions sans utilisations ultérieures pourrait être examinée par les C.R.C. ; il ne suffirait pas, dans de tels cas, de se faire communiquer des pièces, mais l’entier dossier, mails compris, dans lesquels s’expriment souvent les motivations réelles des élus. Le gouvernement, à travers l’instrument de la politique pénale, devrait être pris au mot et diligenter des enquêtes lorsqu’existent un certain nombre de présomptions. Ce serait le moyen de donner plus d’effectivité au respect des droits de l’homme, comme le demande précisément le rapport GIL-ROBLES et non plus se contenter de mesures d’autant plus inapplicables qu’elles sont plus générales, et dont le gouvernement se gardera bien de demander l’application effective, s’abritant derrière le principe de la libre administration des collectivités locales.

Ce rôle devrait être au premier chef celui des élus d’opposition – quelle qu’elle soit, tant sur le plan local que sur le plan national. Cela permettrait en outre de montrer aux Français issus de l’immigration que l’on réclame la justice également en ce qui les concerne, à leur bénéfice et pas seulement à leur détriment, seul moyen de lutter contre le sentiment de déshérence qui travaille certes la France des banlieues, mais aussi les défenseurs des droits de l’homme.

Il ne faudrait qu’une chose pour cela : du courage.

 


[1] P. 7

[2] p. 8

[3] id.

[4] § 302, p. 84

[5] id.

[6] id.

[7] p. 85

[8] p. 86

[9] p. 85

[10] p. 87

[11] id.

[12] p. 88

[13] id.

[14] p. 89

[15] p. 90

[16] p. 106

[17] p. 110

[18] p. 111

[19] p. 173

[20] cf. pp. 10, 25, 71, 89, 124.

[21] cf. p. 84

[22] cf. p. 76

[23] cf. p. 85

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