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L’éducation musulmane au Québec

La réussite des Québécois de confession musulmane à se doter d’un système éducatif performant constitue une étape importante pour leur assurer un avenir et une contribution positive dans ce pays. Il est donc nécessaire de comprendre comment cette action éducative est pensée et déployée actuellement, afin de renforcer ses forces et corriger ses insuffisances. Dans ce cadre, cet article cherche à ouvrir le débat, tout en présentant quelques pistes préliminaires de réflexions sur cette question.

L’éducation : une mission noble et stratégique

Il faut savoir tout d’abord, qu’avant d’être un gagne pain comme les autres, l’éducation est une mission noble. C’est là fondamentalement le secret de l’association entre l’attribut du Très Noble et l’acte d’enseigner que nous retrouvons dans les premiers versets révélés au Prophète Mohammed (Pbsl) :

« Lis ! Au nom de ton Seigneur qui a créé, qui a créé l’homme d’une adhérence. Lis ! Ton Seigneur est le Plus Noble, qui a enseigné par la plume (le calame), a enseigné à l’homme ce qu’il ne savait pas. » [96 : 1 à 5].1

Or malgré cela, beaucoup de musulmans dans ce pays, y compris certains éducateurs, sous-estiment l’importance primordiale de ce métier. Les éducateurs devraient être fiers d’appartenir à une telle profession. N’est-ce pas elle qui représente notre espoir d’inculquer l’identité musulmane et la culture citoyenne à nos enfants, d’aiguiser notre sens des réalités, de (re)construire notre cohésion pour pouvoir ainsi résoudre nos problèmes ?

En d’autres termes, les éducateurs ont une mission stratégique qui consiste à braquer les lumières sur nos vrais problèmes, car celui qui échoue devant sa propre personne, ne peut prétendre affronter les autres.

Les institutions éducatives : diagnostic et questionnements

L’éducation au sein de notre communauté doit être considérée comme notre principale priorité. Elle l’est en effet parce qu’elle permet, par la qualité de son contenu et de sa pédagogie, de résoudre en grande partie le problème de notre inefficacité. Avec le milieu familial, trois principaux lieux assurent actuellement le rôle de centres éducatifs pour les jeunes et les moins jeunes de notre communauté. Nous les présenterons dans ce qui suit, en mettant l’accent sur les questionnements qu’ils suscitent de par leur fonctionnement actuel et par rapport aux enjeux soulevés par la nature de l’environnement socioculturel et politique dans lequel s’insère leur action éducative.

Mais avant cela, il faut dire un mot sur notre droit à la critique. En effet, le musulman est partie prenante dans le système éducatif établi. Par ce fait, il doit avoir un droit et même un devoir de critique envers les institutions éducatives (mosquées, écoles, médias). Celles-ci, comme toute institution construite par des êtres humains faillibles, doivent accorder aux intéressés la possibilité d’exprimer leur accord mais aussi leur désaccord avec leurs contenus et leurs orientations. Nous devons tous comprendre que l’impolitesse, le non-respect et le mépris n’encouragent pas l’établissement de relations saines et productives entre les divers intervenants.

Les mosquées et les imams

Motivés par le rapport affectif qui les lie à leur religion, les Québécois de confession musulmane ont été généreux pour financer l’achat des lieux qu’ils leur servent de mosquées. Partout, dans les grandes villes du Québec mais aussi dans les villes de plus petite taille, les communautés musulmanes se sont dotées de mosquées répondant à leur besoin cultuel en contribuant volontairement à des levées de fonds organisées sans l’aide d’organismes gouvernementaux ou autres. Malgré cela, si l’on juge par le nombre de mosquées, on peut affirmer que la jeune communauté musulmane du Québec a très bien relevé ce défi.

Plus qu’un lieu de culte, la mosquée a été dans les temps glorieux de la civilisation musulmane un haut lieu d’éducation pour les musulmans et les musulmanes de tous âges et de divers horizons. Agissant en effet aussi bien sur le plan de la symbolique qu’au niveau du concret, la mosquée marque profondément l’esprit et le comportement des fidèles, de par les principes qu’ils sont tenus de respecter en son sein et principalement au moment de l’exécution de la prière. Les mosquées éduquent également les fidèles aux cours des prêches du vendredi, des rencontres de mémorisation du Coran et des autres rencontres d’étude et de formation religieuses. Il va s’en dire que l’imam joue un rôle fondamental dans cette action éducative.

Choisis généralement par le noyau des personnes qui ont initié la construction de la mosquée2, la plupart des imams, bien que possédant un certain savoir religieux acquis à même les lectures personnelles de chacun, sont des volontaires qui n’ont suivi pratiquement aucune formation religieuse proprement dite. Conjugué avec d’autres handicapes non moins importants, telle une certaine déficience dans la compréhension de la société d’accueil, ce manque de formation teinte leur discours d’un certain simplisme et les cantonne dans une « mentalité du facile », par laquelle ils ne font que tromper les membres de la communauté sur la véritable situation qu’ils vivent et les défis qu’ils doivent soulever. Souvent, ces discours procèdent d’une attitude manichéenne qui voit difficilement et rarement des qualités dans le mode de vie occidentale3.

Plus grave encore que le savoir religieux et la compréhension du contexte peu maîtrisés, il est triste de dire que la grande majorité de nos imams ne maîtrise point les langues officielles du Canada (français et anglais). Aussi, les prêchent du vendredi ou les cercles de formation qui se donnent dans une langue autre que l’arabe se comptent-ils sur les doigts de la main. Avec l’arrivée d’enfants et d’adolescents musulmans nés au Québec, et donc ne maîtrisant pas la langue arabe, cette situation ne manquera pas de faire sentir ses effets négatifs à moyen terme. Il est donc clair que la formation des imams devra constituer une des principales priorités de la communauté dans les années à venir. Une formation qui nécessitera, par ailleurs, un financement qui ne pourra venir que des fidèles sensibilisés à cette question et qui verraient dans ces dépenses un véritable investissement stratégique aussi important, sinon plus, que la construction de mosquées elles-mêmes.

Les écoles et les instituteurs

Jusqu’à maintenant, la question de l’éducation des enfants se présente pour les musulmans du Québec sous la forme d’un choix amer que les parents sont appelés à faire entre l’école publique et l’école privée musulmane, entre les dangers de l’ouverture et les risques de l’isolement. Comment ce choix est-il fait et vécu actuellement ?

À l’exception des positions extrêmes et minoritaires de ceux qui pensent savoir, définitivement et irréversiblement, que l’intérêt de leurs enfants se trouve dans l’une ou l’autre école, la majorité des parents considèrent ce choix avec inquiétude et hésitent souvent avant de décider. Étant donné l’absence d’études scientifiques sérieuses sur cette question, cette décision se prend dans la plupart des cas sur la base de l’intuition et au gré des influences que la famille subit de son entourage.

Les problèmes de l’école publique sont en effet multiples, et ne peuvent que faire peur à des parents soucieux de donner une éducation saine à leurs enfants. Or, plusieurs études et enquêtes menées récemment sur la réalité des écoles publiques du Québec ont révélé que celles-ci souffrent de plusieurs maux, dont la violence entre jeunes enfants, la consommation d’alcool et de drogue enregistrant des taux de plus en plus alarmants, le décrochage scolaire, l’indiscipline, une sexualité plutôt libertaire, etc.

Il est néanmoins faux de croire que l’école confessionnelle4 est exempte de ces problèmes. Une implication minimale permet en effet de constater que ces problèmes existent également dans les écoles dites musulmanes même s’ils sont vécus différemment. De plus, l’école confessionnelle à ses propres problèmes, notamment un encadrement administratif peu professionnel et un encadrement pédagogique confus, une éducation musulmane peu pensée (quels objectifs, etc.). Dans tous les cas, ces écoles privées musulmanes ne pouvant accueillir plus de 1 à 2% des enfants de la communauté, la question de l’éducation des enfants reste donc entière, quelle qu’en soit notre position par rapport à l’école confessionnelle.

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Par rapport à cette question, la priorité réside dans l’ouverture d’un véritable débat – c’est-à-dire une réflexion sereine loin de l’émotivité qui caractérise les discussions actuelles sur le sujet – sur la nature et les objectifs de l’éducation que nous voulons donner à nos enfants compte tenu de nos valeurs musulmanes mais aussi de notre contexte québécois, d’une part, et sur les moyens les plus à même de nous permettre d’atteindre ces objectifs, d’autre part.

Les médias et les journalistes

Les journalistes jouent également un rôle important en nous informant sur notre réalité quotidienne. Les journalistes participent, avec d’autres groupes de la société, à informer et former des citoyens responsables qui ont à cœur leur intérêt bien pensé ; c’est-à-dire un intérêt qui ne cherche pas à se satisfaire au détriment de la société. Pourtant, mis à part un journal mensuel (El Hijra), qui faute de moyens financiers et humains n’apparaît finalement que quand il le peut, les musulmans du Québec semblent négliger le domaine stratégique de la presse.

Autant les membres de la communauté sont-ils généreux pour financer la construction d’une mosquée ou le déficit d’une école dite musulmane, autant ils semblent peu enclins à financer des médias de qualité aptes à expliquer les réalités musulmanes contemporaines aux autres concitoyens. Une telle mission se trouve être pourtant nécessaire pour contrer les caricatures circulant sur ces réalités dans certains médias nationaux, qui, profitant du contexte international, nourrissent une véritable phobie à l’encontre des musulmans de ce pays.

Pour une éducation intelligente et une stratégie éducative tournée vers l’avenir

Avant de clore notre propos, il est reste à dire un mot, même succinct, sur la nature et le contenu de l’éducation que nous souhaitons pour nos enfants. Pour une éducation intelligente et une stratégie éducative tournée vers l’avenir, il est primordial à mon avis d’asseoir nos efforts éducatifs sur un principe cardinal qui consiste à comprendre qu’éduquer c’est d’abord s’éduquer. S’éduquer c’est savoir s’élever au-dessus de ses désirs, non pas pour les renier, mais plutôt pour les réguler dans le sens d’une autodiscipline qui ne laisse pas libre court à ses instincts. C’est là où réside le vrai défi de nos éducateurs. Il est important pour nos éducateurs de se rappeler que communiquer de beaux principes et de belles leçons qui trouvent rarement de place dans notre quotidienneté, c’est dans les faits la meilleure manière d’éduquer nos enfants à de l’hypocrisie. Il est donc impératif que notre éducation ait comme credo d’enseigner à faire, au lieu d’enseigner à dire.

On pourra dès lors présenter à nos enfants des modèles capables d’offrir ce qui compte le plus dans cette éducation souhaitée. Un accompagnement pédagogique pouvant non seulement entrer en communication sincère et intelligente avec l’enfant, mais plus encore garder ce lien communicationnel dans les périodes sensibles qui ne manqueront sûrement pas d’émerger tout au long du cheminement spirituel et culturel de l’enfant.

Notes :

1. Le lecteur remarquera également que le thème abordé permet de remplacer facilement l’attribut divin du Très Noble (al-akram) par celui d’Omniscient (al-a’lem). Outre le fait que l’Omniscience découle d’elle-même de l’acte d’enseigner, le choix de la noblesse, surtout quand on sait que le mot arabe akram dérive de la racine karam qui veut dire générosité (al-akram devenant ainsi le Plus Généreux), vient ici, je crois, souligner la primauté du savoir sur les autres biens matériels et immatériels dans l’échelle de valeurs du croyant.

2. Ici il aurait été possible de soulever la question du déficit démocratique qui caractérise la gestion administrative de la plupart de ces mosquées, mais cette question dépasse le propos de cet article.

 

3. Cela sans parler de certains imams, heureusement très minoritaires, qui sont tout simplement inconscients de l’importance de la mission qu’ils ont à honorer, puisque, de par la nature de leurs prêches ou de leur intervention au sein de la communauté, font plus de tors que de bien.

 

Il en existe au moins six actuellement juste pour l’île de Montréal, et tout laisse à croire que leur nombre augmentera rapidement dans un avenir proche.

 

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