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L’éclatement presque systématique des Frères musulmans

Au moment où un tribunal égyptien confirme des peines de mort et des condamnations à la prison à vie de plusieurs dizaines de Frères musulmans, l’islamologue Mathieu Guidère, dans Etat du monde arabe, fait un tour d’horizon des multiples branches de la Confrérie.  

Mathieu Guidère a passé son enfance à l’étranger, notamment dans le monde arabe. Agrégé d’arabe et professeur d’universités, il parle de nombreux dialectes du Maghreb et du Machrek. Dans son dernier ouvrage, Etat du monde arabe, il tente de faire un tour d’horizon depuis le printemps arabe. Après le temps de l’espoir démocratique, plusieurs de ces pays sont confrontés, à des degrés divers, à la menace terroriste et au risque de guerre civile. Quels rôles jouent les Frères musulmans ? La réponse est complexe tant la Confrérie s’est scindée en de multiples branches qui parfois se combattent. Une chose est certaine, Hassan Al-Banna, mort assassiné en 1949, auraient bien du mal à retrouver ses fidèles. Pour mémoire – car beaucoup l’ont oublié – son but ultime était l’instauration d’un grand Etat islamique, le Califat, fondé sur les principes de la Charia.  

En Egypte        

Le frérisme (la doctrine des Frères musulmans) et le salafisme se livrent une lutte féroce depuis le Printemps arabe. Aux élections législatives, les premiers enlèvent  47,2 % des sièges, les autres 24 %. En 2012, c’est Mohamed Morsi, président du parti Liberté et Justice, issu de la Confrérie, qui l’emporte avec 51,7 % des suffrages, contre le candidat de l’armée. À l’étranger, il est soutenu par le Qatar, le Soudan et la Turquie. En juillet 2013, il est renversé par le général Al-Sissi, qu’il a nommé l’année précédente commandant des forces armées. Morsi le considérait alors comme un homme pieux !           

Selon Mathieu Guidère, les Frères musulmans, à présent interdits et considérés comme une « organisation terroriste » seraient décrédibilisés. Les salafistes, appuyés par l’Arabie saoudite, et qui soutiennent le régime militaire, espèrent les remplacer auprès des masses populaires. Quant à Al-Azhar, la gardienne de l’orthodoxie musulmane, elle apporte sa caution à l’armée…   

Au Maroc       

Les islamistes se divisent en deux grandes tendances, le parti Justice et Développement, théoriquement au pouvoir depuis les élections de 2011, ne conteste pas la monarchie chérifienne. En remportant 107 sièges sur 395, il est devenu le premier parti du Royaume. En revanche, le mouvement Justice et Bienfaisance (interdit) appelle à l’instauration d’une République islamique. En fait, la colonne vertébrale du régime marocain reste de Makhzen, l’appareil étatique et surtout l’institution centrale de l’appareil sécuritaire.  

En Algérie

Malgré le vent de changement qui a soufflé sur le monde arabe, il n’y a pas eu de véritable contestation populaire en Algérie. La principale raison ? « La peur d’un éventuel basculement dans le chaos », selon l’auteur. Les Frères musulmans se divisent en deux courants. Le mouvement Hamas, créé en 1990, est associé au pouvoir. En revanche, le Front de la Justice et du Développement cultive une opposition pacifique vis-à-vis du régime.   

En Tunisie

Ennahad est sorti vainqueur des premières élections législatives libres en Tunisie en 2011 avec 40 % des sièges. Le nouveau gouvernement dominé par les islamistes d’emblée se retrouve aussitôt conforté à des défis considérables, notamment dans le domaine économique. En octobre et en décembre 2014, les Frères musulmans, malgré un net recul électoral, demeurent une force politique de premier plan, bénéficiant d’un réel ancrage populaire.

En Libye

Les premiers Frères musulmans du pays viennent d’Egypte. Ils s’y sont réfugiés pour échapper à la répression. Certains vont même soutenir la prise de pouvoir de Kadhafi en 1969. Mais quatre ans plus tard, ce dernier les interdit et les traque. Il faut attendre 2006 pour que les Frères musulmans bénéficient d’un retour en grâce à l’initiative de Sayf Al-Islam, qui sort certains de ces dirigeants de prison. Mais ces derniers ne lui en seront guère reconnaissants en 2011 lors de la chute du régime. Aujourd’hui, le pouvoir central a disparu et la Libye retourne aux logiques anciennes des clans régionaux et tribaux.

En Jordanie

Les Frères musulmans divisés en deux tendances, le Mouvement islamiste jordanien et le Front d’action islamique, sont à la pointe du combat contre le despotisme du roi et la corruption de l’administration. Ces mouvements islamistes sont formés majoritairement de Jordaniens d’origine palestinienne, alors que la monarchie s’appuie sur les tribus jordaniennes « de souche ». Les Frères musulmans jordaniens ont pris fait et cause pour les « révolutionnaires syriens ».

Au Liban

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Du côté sunnite, le paysage islamiste est très fragmenté entre les tendances salafistes et fréristes. Alors que le Hezbollah (chiite) s’est totalement aligné sur les positions du régime syrien, la plupart des sunnites libanais apportent leur soutien aux révolutionnaires syriens. Toutefois, la classe politique est divisée entre le camp pro-occidental et le camp anti-occidental. L’Arabie saoudite et les monarchies du Golfe soutiennent les sunnites pour juguler l’influence de l’Iran.

En Syrie

La branche locale des Frères musulmans a vu le jour dès les années 30. Dès les années 70, la Confrérie se lance dans la lutte armée contre le régime, dominé par les Alaouites (chiites). La réaction de Hafez Al-Assad fut l’une des plus sanguinaires dans le monde arabe. 15 000 habitants de Hama (hommes, femmes, enfants) sont massacrés en 1982. Faut-il s’étonner que les Frères musulmans ont été le fer de lance du « printemps arabe » en Syrie ? Mais aujourd’hui, ils sont marginalisés par les salafistes-djihadistes qui ont rejoint l’Etat islamiste et Al-Qaïda.  

En Irak

Dans ce pays où les chiites sont majoritaires, le Parti islamique irakien, proche des Frères musulmans, s’est compromis en acceptant de rejoindre le Conseil de gestion nommé par les Américains au débu
t du conflit, puis au Conseil transitoire. L’organisation internationale des Frères musulmans a d’ailleurs publiquement désavoué sa branche irakienne.

Au Qatar

Il n’existe pas de parti islamiste dans ce pays, dont la majorité de la population est majoritairement d’obédience salafiste wahhabite. Le Qatar, qui accueille le cheikh Frériste d’origine égyptienne Youssef Al-Qaradhâwî, a longtemps soutenu les Frères musulmans, notamment en Egypte. Toutefois, sous la pression de l’Arabie saoudite, le Qatar est rentré dans le rang, lâchant la Confrérie.

On peut regretter que l’ouvrage de Mathieu Guidère fasse l’impasse sur les Palestiniens et le Hamas. Comme sur le Soudan, qui compte trois organisations se revendiquant des Frères musulmans. L’un est toujours animé par Hassan Al-Tourabi, 83 ans, l’âme du coup d’Etat de 1989, mais marginalisé depuis par le régime du général Omar el-Bachir.

* Mathieu Guidère, « Etat du monde arabe », de boeck, 177 pages.

 

 

 

 

 

 

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