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Le vote musulman est un leurre

« La mobilisation politique est l’ensemble des processus permettant la création et la pérennisation d’un marché politique où des agents en concurrence pour le courtage politique tentent d’échanger des biens politiques contre des soutiens actifs ou passifs ; la mobilisation électorale est le résultat de l’ensemble des incitations par lesquelles les entrepreneurs travaillent à créer l’accoutumance au vote ou à réactiver à leur profit l’orientation vers le marché que les mécanismes de la mobilisation politique ont contribué à générer. »

Michel Offerlé

Le vote communautaire (et ceux qui le promeuvent consciemment ou non) est un leurre au moins à un double niveau : d’une part, celui-ci présuppose l’existence d’une communauté musulmane uniforme ou homogène qui obéirait, comme un seul homme, aux injonctions émanant d’une autorité centrale ou centralisatrice (communautaire, religieuse) ou de traditions consacrées unanimement reconnues ou, à défaut, du plus grand nombre d’entre eux. En plus que de donner dans l’essentialisme et le culturalisme, ce constituerait, si tel était le cas, un profond aveuglement quant aux divisions et aux luttes intestines chroniques qui sévissent au sein des grandes organisations des musulmans de France depuis tant d’années. Nous n’aurons pas la cruauté ici d’enfoncer le clou ou de raviver une plaie bel et bien béante. Nul besoin d’y revenir donc.

Le postulat d’un vote communautaire, quelles qu’en soient les justifications, porterait également atteinte à l’autonomie du sujet en donnant, du surcroît, du grain à moudre à ceux qui ne cessent précisément de mettre en cause, à tort ou à raison, le « communautarisme musulman » qui porterait atteinte à l’universalisme républicain. Car, comme chacun sait, la République, au moins du point de vue normatif ou principiel, ne reconnaît pas les communautés mais uniquement les citoyens. Bien que, on le concédât volontiers, la réalité en est tout autre. Pierre Rosanvallon parle à ce sujet de « républicanisme abstrait ».

Par ailleurs, nous avons eu l’occasion de le dire et de l’écrire à maintes reprises, sur Oumma.com ainsi que sur d’autres supports, qu’il n’y a aucunement lieu de parler d’une communauté musulmane mais de communautés musulmanes françaises ou de France, de sorte que l’emploi de l’expression communauté musulmane au singulier, est déjà, en tant que tel, problématique. Pour la simple et bonne raison que celle-ci est éminemment contrefactuelle et, à ce titre, radicalement à contre-courant de tous les constats sociologiques les plus sérieux.

Si une telle communauté musulmane devait cependant exister dans la croyance sociale collective des musulmans comme des non-musulmans de ce pays, il s’agirait, le cas échéant, que d’une simple « communauté imaginée » (ou fantasmée) pour reprendre une catégorie anthropologique utilisée par le chercheur Benedict Anderson. En effet, ce n’est pas parce que vous croyez aux mêmes principes de la foi universelle que, forcément, votre vie ou vos représentations sociales seront nécessairement identiques. Il y a certes, comme le souligne fort justement Mohamed Talbi, « une communauté de conviction » mais certainement pas de « communauté de conditionnement ».

D’autre part, croire ou donner à croire, soit naïvement soit perfidement, que les convictions religieuses intimes du citoyen musulman lui fourniraient, en soi, un cadre contraignant ou un éclairage suffisant pour orienter au plus juste son vote et le porter, avec moins d’embarras, vers telle ou telle formation politique, est là aussi, une énorme méprise pour ne pas dire une duperie manifeste. Pis, elle encourage l’abstention.

Cette attitude, en plus que d’être contre-productive, a en revanche une conséquence autrement redoutable : culpabiliser, nolens volens, le citoyen musulman en exerçant sur ce dernier un chantage à la foi qui n’ose dire son nom : « voter PS, ce serait, par exemple, accepter ou cautionner l’homoparentalité et le mariage homosexuel ; voter UMP, ce serait faire le jeu de son Ministre de l’Intérieur et cautionner ses déclarations au sujet de l’inégalité des cultures » et tout à l’avenant. Le premier argument revient souvent au sein des communautés musulmanes de France car celui-ci entre apparemment le plus en contravention avec les principes des religions monothéistes en général et de l’islam en particulier. La seule véritable question qui se pose alors est au fond la suivante : peut-on accepter pour/de l’autre ce qu’on refuse pour soi-même ? N’est-il pas possible de concilier conservatisme moral et libéralisme?

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Or les musulmans français ou de France se comportent bien souvent, à tort ou à raison, en conservateurs illibéraux (expression qui m’a été suggérée, dans une discussion d’une autre nature, par mon collègue Patrick Haenni). Il ne s’agit pas d’un jugement moral mais d’un simple constat, évidemment.

En outre, il y a une autre illustration des inconsistances théoriques précédemment soulignées. Il nous est arrivé, en effet, d’entendre très récemment des cadres communautaires de l’islam de France s’exprimer étrangement, expliquant, grosso modo, qu’ils seraient « socialement de gauche mais de droite, au niveau des valeurs ». C’est là que précisément le bât blesse. D’un côté, ces derniers dénoncent, à tort ou à raison, le Front National et de l’autre côté, ils le rejoignent, sans crier gare, en renouant avec une rhétorique ancienne de Jean-Marie Le Pen lequel avait coutume de dire : « Je suis socialement à gauche, économiquement à droite ». Les deux postures ne sont effectivement pas très éloignées.

Cette confusion puise à la même source : un déni des réalités sociale et politique de la France doublé d’une méconnaissance manifeste de ce qu’est, sociologiquement, un parti politique ou une idéologie. Un parti politique est un acteur collectif qui, comme tout corps social, est traversé par des clivages, des rapports de force, des luttes internes avec des personnalités et des idéaux multiples qui se confrontent.

Il ne faut pas amalgamer systématiquement l’entreprise collective et le sigle avec les voix qui s’expriment en son sein et qui peuvent entrer en conflit à propos de telle ou telle question ou de telle ou telle orientation. Un parti n’est donc pas un tout homogène ; de loin s’en faut. Voter, ce n’est par conséquent pas donner quitus à l’ensemble d’un programme politique. De la même manière qu’un programme ou une plate-forme électorale comporte une diversité d’objectifs avec lesquels il est possible d’être en accord, pas en accord voire en complet désaccord.

Une offre politique prend également en compte les évolutions sociétales, particulièrement dans notre espace sécularisé, que vous le vouliez ou non. C’est le cas pour le mariage homosexuel et l’homoparentalité que vous en acceptiez les termes ou pas. Car ce sont les dynamiques sociales qui finissent par imposer aux politiques la prise en compte de telle ou telle évolution dans leur offre politique. Un parti est en prise avec le monde social. De nouveau, certains musulmans français ou de France tendent, bon gré mal gré, à projeter sur la France des schèmes préétablis ou valables dans d’autres espaces cognitifs au premier rang desquels ceux des pays majoritairement musulmans. C’est le cas pour la question des mœurs notamment.

Ainsi, l’acte électoral, intrinsèquement individuel et individualiste, est nécessairement contraint et tient compte d’une appréciation toute personnelle. En définitive, votre choix dépendra de là où vous mettrez le curseur suivant votre trajectoire et en fonction de vos préférences et de vos attentions. D’ailleurs, s’agissant des musulmans de notre pays, il y a suffisamment de traditions rapportées pour pouvoir justifier, religieusement, en première et en dernière instances, tel ou tel choix politique ou électoral.

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