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Le « transfert silencieux » par Israël des Palestiniens hors de Palestine

En allouant un fragile statut de résident de Jérusalem-Est, Israël a réussi à le révoquer pour plus de 14200 Palestiniens et en conséquence à les en déraciner.

Par Ibrahim Husseini, 27 septembre 2020

Jérusalem Est occupée – Alors que d’autres pays arabes normalisent leurs relations avec Israël, celui-ci poursuit sa politique de « transfert silencieux » — un système compliqué qui cible les Palestiniens de Jérusalem-Est occupée par des révocations de leur autorisation de résidence, par des déplacements à la suite de démolitions de maisons, par des blocages dans l’obtention de permis de construire et par des impôts élevés.

Le chercheur palestinien Manosur Manasra remarque qu’Israël a lancé cette politique de transfert contre les Palestiniens de Jérusalem-Est presque immédiatement après la guerre de 1967 et l’occupation de la partie orientale de la ville qui a suivi.

La politique continue jusqu’à ce jour, avec l’objectif de monopoliser Jérusalem-Est.

L’expropriation des terres en faveur de colonies juives s’est produite dans tout Jérusalem-Est et au coeur des quartiers palestiniens, comme les quartiers musulman et chrétien de la Vieille Ville et au-delà, dans Sheikh Jarrah, Silwan, Ras al-Amoud et Abu Tur, dès 1968.

Après la guerre de juin 1967, Israël a appliqué le droit israélien à Jérusalem-Est et a accordé aux Palestiniens un statut de « résident permanent ». Cependant, c’est dans les faits un statut fragile. B’tselem, le centre israélien d’information sur les droits humains dans les territoires palestiniens occupés, décrit ce statut comme « accordé aux étrangers souhaitant résider en Israël », sauf que les Palestiniens sont des autochtones sur cette terre.

Les Palestiniens de Jérusalem-Est n’ont pas droit à une citoyenneté israélienne automatique et ne recoivent pas non plus des passeports palestiniens de l’Autorité palestinienne (AP). Ils peuvent d’ordinaire obtenir des documents jordaniens et israéliens pour voyager.

En allouant un fragile statut de résident aux Palestiniens de Jérusalem-Est, Israël a réussi à le révoquer pour plus de 14200 Palestiniens de Jérusalem-Est depuis 1967 et en conséquence à les en déraciner. Ces mesures coïncident avec une pratique agressive de démolition des maisons.

Les démolitions d’habitations en Cisjordanie ne se sont pas arrêtées malgré la pandémie de coronavirus.

Selon les Nations Unies, il y a eu un quasi-quadruplement du nombre de personnes déplacées de janvier à août 2020 et une augmentation de 55% des structures ciblées par des démolitions ou des confiscations par rapport à l’année précédente.

A Jérusalem-Est, 24 structures ont été démolies le mois dernier, la moitié par leurs propriétaires à la suite d’ordres de démolition de la municipalité de Jérusalem.

Le statut de « résident permanent » est maintenu tant que les Palestiniens conservent une présence physique dans la ville. Cependant, dans certains cas, les autorités israéliennes agissent pour retirer le statut de résident à des Palestiniens de Jérusalem-Est, en guise de mesure de représailles, parce qu’ils sont des dissidents politiques. La poursuite par Israël des militants palestiniens est généralisée et n’exclut aucune faction.

Le cas le plus récent est celui de Salah Hammouri, un avocat et militant de 35 ans. Arye Deri, le ministre de l’Intérieur d’Israël, dit que Salah est membre du Front palestinien pour la libération de la Palestine (FPLP). Israël a mis ce groupe hors-la-loi et veut le chasser du pays.

Dans certains cas, les autorités israéliennes annulent les pemis de résidences des conjoints de militants politiques en guise de punition. Shadi Mtoor, membre du Fatah de Jérusalem-Est, a fait appel aux tribunaux israéliens pour que sa femme conserve son autorisation de résidence à Jérusalem-Est. Elle est originellement de Cisjordanie.

En 2010, Israël a révoqué l’autorisation de résidence à Jérusalem de quatre membres importants du Hamas – dont trois étaient élus au Parlement palestinien en 2006 et un était ministre du cabinet – pour le motif qu’ils posaient un danger à l’état. Trois d’entre eux vivent maintenant à Ramallah et le quatrième se trouve sous détention administrative. Une audition à la Cour suprême israélienne est prévue le 26 octobre.

Dans certains cas, Israël n’accorde pas de papiers de résident à un enfant dont le père est de Jérusalem et la mère de Cisjordanie.

Le droit international condamne explicitement le transfert forcé de civils.

« A la fin, notre décision est de rester dans cette ville », dit Hammouri.

Début septembre, il a été convoqué par la police israélienne et informé de l’intention du ministre israélien de l’Intérieur de révoquer son autorisation de résidence à Jérusalem.

« On m’a dit que je constitue un danger pour l’état et que j’appartiens au Front populaire pour la libération de la Palestine », a expliqué Hammouri.

Hammouri, qui est citoyen français, est né à Jérusalem d’un père palestinien et d’une mère française. En 2017, sa famille a été séparée, lorsqu’Israël a empêché sa femme Elsa, qui est aussi citoyenne française et qui était enceinte à l’époque, d’entrer dans le pays. On leur a dit que le motif était basé sur un document secret que possédait Israël.  Hammouri s’attend à ce qu’Israël l’expulse vers la France lorsque son autorisation de résidence sera officiellement révoquée. Le gouvernement français, en réponse, a fait une déclaration demandant à Israël d’autoriser Hammouri à continuer à résider à Jérusalem.

« Mr Salah Hammouri doit pouvoir vivre une vie normale à Jérusalem où il est né et où il habite », dit cette déclaration.

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Le ministre israélien des Affaires étrangères allègue qu’Hammouri est « un agent important » d’une organisation terroriste et qu’il continue de s’impliquer « dans des activités hostiles » contre l’état d’Israël.

Une campagne de solidarité appelant à ce qu’Hammouri ait le droit de garder son autorisation de résidence à Jérusalem a actuellement lieu en France et des diplomates français à Jérusalem négocient avec des responsables israéliens afin d’obtenir que la décision soit annulée. Il a l’intention de porter aux tribunaux le cas de son retrait d’autorisation de résidence.

Hammouri a passé plus de huit ans dans des prisons israéliennes à différents moments. En 2011, à la fin d’une peine de prison de sept ans, il a été libéré dans un échange de prisonniers entre le Hamas et Israël (connu comme l’échange Shalit).

Sahar Francis, directeur de l’Association pour les droits humains et le soutien des prisonniers Addameer, a dit à Al Jazeera que « l’annulation du statut de résident est illégal selon le droit international ».

« L’état occupant n’a pas le droit d’annuler l’autorisation de résidence de personnes protégées selon la Quatrième Convention de Genève. Cela s’appelle un transfert forcé et le transfert forcé est interdit », a dit Francis. Le FPLP s’est d’abord opposé aux Accords d’Oslo de 1993, puis en est venu à accepter la solution à deux états. Cependant, en 2010, il a appelé l’OLP à mettre fin aux négociations avec Israël et il a affirmé qu’une solution à un état pour les Palestiniens et les Juifs est la seule possible.

« Je vois un horizon très sombre », dit Khaled Abu Arafeh, 59 ans, ancien ministre de l’AP.  « Israël investira sur les développements récents de normalisation, locaux et régionaux, et le résultat sera l’expulsion des habitants de Cisjordanie et la reformulation de la position des Palestiniens de 1948 », ajoute-t-il.

Abu Arafeh a été ministre des Affaires concernant Jérusalem entre mars 2006 et mars 2007 dans le gouvernement d’Ismail Haniyeh, qui a été formé après que le Hamas a gagné une majorité des sièges dans les élections parlementaires de 2006. Deux mois après la formation du gouvernement palestinien, la police israélienne a notifié à trois membres du Conseil législatif palestinien (PLC) et au ministre du cabinet Abu Arafeh, tous de Jérusalem, qu’ils avaient 30 jours pour quitter leurs postes, et que sinon leur statut de résident serait révoqué.  La menace de la police israélienne a été rejetée et les quatre hommes sont allés au tribunal pour contester l’ultimatum du ministre de l’Intérieur.

Le 29 juin 2006, la police israélienne a mené une vaste campagne d’arrestations qui a ciblé 45 membres du PLC nouvellement élus et 10 ministres du cabinet. Les membres du PLC à Jérusalem, Muhammad Abu Teir, Muhammad Totah, Ahmad Atoun et Abu Arafeh, faisaient partie des personnes arrêtées. Israël les a accusés d’appartenir à la liste « réforme et changement » qui était affiliée au mouvement islamique Hamas.

Abu Arafeh a été condamné à 27 mois de prison et a été relâché en septembre 2008. Abu Teir and Totah ont reçu des peines plus longues et n’ont pas été relâchés avant mai 2010. Le 1er juin 2010, la police israélienne a encore une fois convoqué ces hommes. Cette fois, on leur a ordonné de rendre leurs cartes de résident de Jérusalem et on leur a donné un mois pour quitter Israël.

Juste avant que la période n’expire, la police israélienne a arrêté Abu Teir.

Abu Arafeh, Atoun et Totah, pressentant une arrestation imminente, se sont réfugiés dans le bâtiment du Comité international de la Croix Rouge (ICRC) dans Sheikh Jarrah, à Jérusalem-Est. Leur séjour s’y est prolongé 19 mois, pendant lesquels ils ont vécu dans une tente à l’intérieur des locaux. La police israélienne a finalement fait irruption dans le bâtiment et a arrêté les trois hommes.

Ils ont été accusés d’appartenir à un « groupe terroriste » et de détenir des rangs élevés dans le mouvement du Hamas, ainsi que d’incitation contre l’état d’Israël. Ils ont été condamnés à deux ans de prison. Après leur libération, ils ont vécu à Ramallah. « Loin d’al-Quds, je me sens séparé, très séparé », dit Abu Arafeh en déplorant sa situation.

La famille d’Abu Arafeh continue à résider à Jérusalem-Est. « Je vis à Ramallah et ils vivent à al-Quds », a dit Abu Arafeh à Al Jazeera. « Ils me rendent visite chaque week-end, puis ils retournent à la maison ».  Atoun est actuellement en détention administrative, sa quatrième depuis 2014.

En 2018, la Cour suprême israélienne a statué que la décision du ministre de l’Intérieur de retirer le statut de résident était illégale, étant donné qu’il n’y avait pas de lois pour la soutenir. Cependant, elle a donné au ministre de l’Intérieur six mois pour aller à la Knesset promulguer une loi. La Knesset a voté une loi qui permet la révocation de résidence pour les individus qui ne sont pas considérés comme loyaux à l’état d’Israël.

Les quatre Palestiniens n’ont à ce jour aucun papier d’identité qui leur permettrait de passer les checkpoints israéliens en Cisjordanie. Le seul document qu’ils ont été capables d’obtenir est un permis de conduire de l’AP, mais seulement après l’approbation de l’armée israélienne.

Puisqu’ils n’ont pas de papier d’identité, ils s’aventurent rarement hors de Ramallah de peur d’être stoppés et arrêtés à un checkpoint israélien. Les quatre hommes ont fait appel de la décision de la Cour suprême et ont demandé qu’Israël leur fournisse une résidence alternative afin de leur permettre de vivre légalement en Cisjordanie. Une audition est prévue le 26 octobre, mais Abu Arafeh ne s’attend pas à un jugement.

« Nous ne nous attendons pas à une décision ; les autorités d’occupation se servent du temps contre nous », a-t-il déclaré. Une Palestinienne de 24 ans, qui a demandé à être identifiée par les lettres JA, est née dans la ville cisjordanienne de Bethléem. Son père est de Jérusalem-Est et détient des papiers d’identité de Jérusalem. Mais sa mère est de Bethléem et détient une carte d’identité émise par l’AP.

Le ministre de l’Intérieur israélien a rejeté toutes les demandes pour donner à JA des papiers d’identité parce qu’elle est née en Cisjordanie. Mais l’AP ne lui a pas non plus fourni des papiers d’identité parce que son père a des papiers de Jérusalem.

Donc actuellement elle n’a absolument aucun document d’identité. La situation a causé à JA des problèmes interminables pour s’inscrire dans les écoles, trouver un emploi, ouvrir des comptes en banque et d’autres besoins usuels. Elle n’a jamais voyagé. JA poursuit maintenant en justice le ministre israélien de l’Intérieur afin d’essayer de recevoir un domicile légal.

 

Source : Al Jazeera

Trad. CG pour l’Agence Media Palestine

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