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Le terrorisme n’est pas islamique

Tous les textes peuvent être trahis. Jusqu’aux plus belles inspirations de l’humanité. La Bible et la Déclaration des droits de l’Homme ont, dans leurs translations extrémistes, justifié le pire. Parce que celui qui lit la lettre n’en traduit pas forcément l’esprit. La psyché humaine a sa part dans ces abominations, dans la voie des pires atrocités de l’histoire. La barbarie n’a pas d’ancrage comme Satan n’a pas de frontière. « Ce serait trop facile. Il est partout, et d’abord en nous-mêmes »i.

Les mots et les faits ne disent rien par eux-mêmes. Il faut les faire parler, leur appliquer un cadre interprétatif. Les faits ne sont jamais neutres. Ils ne disent jamais ce qu’ils sont. Ils sont ce qu’on leur fait dire. De la même façon, aucun livre ne parle par lui-même. Il y a toujours un ou des humains qui mettent des mots par écrit et un ou des humains qui interprètent. Tout l’enjeu aujourd’hui est d’aborder le phénomène terroriste sans nier l’exigence de ce préalable élémentaire. C’est le propre de l’honnêteté intellectuelle, en fait. Lire le réel avec grand soin de son univers contextuel. La violence traverse certes toutes les traditions idéologiques. Le judaïsmeii, le christianismeiii, l’hindouismeiv, le bouddhismev, le marxismevi, et même le nihilisme athéevii. Mais la violence est d’abord une projection humaine ancrée dans un contexte spécifique. La tradition musulmane ne fait pas exceptionviii.

Dans son essai paru en 2011 De l’ambiguïté en Islam, Thomas Bauer met en évidence les processus de domestication de l’ambiguïté qu’a entretenu la civilisation islamique dès ses origines avec ses propres sources religieuses. Dans une logique de « tolérance à l’ambiguïté », les savants musulmans sont parvenus à composer avec des opinions contradictoires du fait notamment d’une incompréhension du texte coranique dont rendent compte les premières exégèses musulmanes. Du fait, en outre, d’un contexte impérial prépondérant sur ce processus interprétatif. La thèse de l’auteur montre à l’évidence que l’islam a été, dès sa naissance, et de façon déterminante, producteur de complexité et de diversité d’approches.

Car oui, l’univers de l’islam est complexe. Et le respect pour cet univers implique la reconnaissance de son caractère pluriel, de discerner les enjeux avec les bons outils et non pas de tout confondre. Certes, le texte révélé, pris littéralement, peut par endroits justifier le pire. Comme n’importe quel autre livre torturé. De même qu’on peut faire dire tout et son contraire à l’islam. La dimension de confrontation intra-musulmane est une réalité et une certaine apologétique a montré ses limitesix. Pour autant, on ne peut pas mettre tous les musulmans dans le même sac. On ne pas passer de glissement en glissement, pointer le statut incréé du Coran, puis passer aux radicaux, aux islamistes, aux djihadistes, pour revenir au texte, et conclure que l’islam serait « l’islamisme en action »x, que le terrorisme serait en fait le haut de l’iceberg qui cache finalement toute une communauté.

C’est une chose d’appeler ses coreligionnaires à regarder son univers de référence en face, par l’exercice de la rationalité pour relever les défis de l’époque contemporaine. C’en est une autre d’attendre d’eux qu’ils condamnent tous les attentats, comme des suspects en puissance, qui devraient rendre des comptes partout et tout le temps. C’est mépriser des millions de fidèles qui, à partir du Coran qu’ils conçoivent comme divin, attestent d’une pluralité de lectures qui montrent que l’intégration est en marche depuis des décennies et qu’elle fait ses preuves chaque jour en France malgré tous les vents contraires de la suspicion permanente.

Alors qu’Éric Zemmour, dans le sillage de George W. Bush, explique quotidiennement que les musulmans n’aiment pas « notre civilisation », il importe que nous parvenions à une vraie parole de confiance. L’islam n’est pas l’Ultima ratio du terrorisme. Lire les attentats du 11 septembre 2001 sous cette angle n’appelle évidemment qu’une condamnation ferme. La plus vive des émotions ne justifie pas le mélange des genres. La communauté musulmane n’en est en rien responsable. La politique est politique. Tout n’est pas religieux, tout n’est pas islamique. Il faut cesser aujourd’hui de retourner à ces générations de Français leur islamité comme un vice.

Ils doivent être fiers. Fiers d’être des musulmans accomplis, parfaitement intégrés et porteurs d’une parole citoyenne. Témoins d’une réflexion musulmane occidentale produisant, à partir de leurs sources, des réflexions critiques sur leur univers croyant, et des réponses claires sur la loyauté, le respect de la citoyenneté et la démocratie. Résultat de décennies de réflexion et de débats internes aux communautés musulmanes. Car les musulmans sont français. Ils sont nés en France, éduqués en France, formés en France, et attachés à leur pays. Et ils sont authentiquement musulmans, respectueux du cadre français.

Mais un autre regard s’impose aujourd’hui sur la politique française à l’étranger vis-à-vis régimes dictatoriaux en place dans le monde arabe, berceau d’Al-Qaeda et de Daech. Un regard possible qu’à partir d’une double critique sur soi. Critiquer la politique de la France c’est se critiquer soi-même. Une autocritique, une question de fidélité. Mais c’est aussi un souci de la cohérence pendant qu’Emmanuel Macron reçoit des tyrans sanguinaires à l’Élysée. Des despotes de la pire espèce placés à la tête de régimes carcéraux. Et on devrait se taire ? Or, c’est aussi une partie du problème dans notre lutte contre le terrorisme. Depuis quand la vie de Salmane al-Aouda, défenseur saoudien des libertés individuelles condamné à la torture et à la mort ne vaut pas la vie d’un Américain ? Depuis quand la vie du journaliste Jamal Khashoggi, dont l’assassinat a été dûment approuvé par le roi saoudien, vaut-elle moins que celle d’un Français ? Recevoir ces tyrans à l’Élysée, leur accorder un dîner, une poignée de main et un sourire c’est piétiner tous les beaux principes, tous les oripeaux dont se pare Macron, malgré toutes ses contorsions sur les droits de l’hommexi. C’est montrer au monde entier que finalement ils sont de « bons musulmans » qui ont « les bons intérêts ». Stupéfiant universalisme que voilà.

Ce monde n’échappera jamais à la violence. C’est le sens tragique de l’histoire des hommes. On a toujours tué pour tout et n’importe quoi. Du reste, personne ne connaît les intentions de Dieu. Tout le monde les devine peut-être, mais quelques-uns s’en font aisément les porte-parolesxii. Personne n’aura l’arrogance d’imposer une vérité sur la question. Il appartient aux croyants de prendre – collectivement – leurs références religieuses à bras le corps et d’en expliciter le sens à la lumière de leur rationalité et du contexte dans lequel ils évoluent. Comme il appartient à tous de les écouter dans leur témoignage citoyen. C’est comme ceci que la France s’en sortira. Avec du dialogue et de la confiance. Pas en changeant nos prénoms.

i Carrière, J-C. Controverse de Valladolid.

ii https://www.lefigaro.fr/international/2015/08/02/01003-20150802ARTFIG00121-qui-sont-les-extremistes-juifs.php

iii Les évangiles de Luc et Matthieu nous en adressent des indices. Jésus affirme : « Quant à mes ennemis, ces gens qui ne voulaient pas que je règne sur eux, amenez-les ici et égorgez-les devant moi ». (Evangile selon Luc : XIX ; 26-27) ; « N’allez pas croire que je sois venu apporter la paix sur terre ; je ne suis pas venu apporter la paix, mais bien le glaive ». (Evangile selon Mathieu : X ; 34-37). Dans son étude intitulée Saint Augustin et l’intolérance religieuse, Robert Joly rappelle comment ce célèbre Père de l’Eglise – pour qui la foi en la violence se passait parfois de la raison – théorisa dans une fameuse lettre la persécution des impies en vue de leur salut. De même, en dehors des épisodes bien connus de l’Inquisition et des Croisades, la bulle du Pape Nicolas V émise en 1454 (intitulée Romanus Pontifex) donnait toute latitude et bénédiction à l’amiral portugais Henri Le Navigateur d’ « occuper, soumettre tous les peuples et régions ennemis du Christ et de prendre toutes les mesures nécessaires pour éradiquer l’expansion de la peste de l’islam ». Aucune de ces dérives violentes n’est chrétienne, aucune ne peut être réellement comprise sans la prise en compte de son ancrage contextuel humain.

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Notes:

iv https://www.vaticannews.va/fr/eglise/news/2021-06/inde-extremisme-hindous-chretiens.html

v https://www.youtube.com/watch?v=PCFI2YS4vGc

vi https://www.persee.fr/doc/sotra_0038-0296_1986_num_28_4_2098

vii https://www.cairn.info/revue-topique-2007-2-page-139.htm

viii Nous avions déjà consacré une réflexion sur ce point en concluant que si l’islam des textes (Coran, hadith, tafsir, maghazi) n’appelle évidemment pas à une « épuration ethnique », il demeure que tout un procédé discursif tend à pousser à la détestation des juifs et des autres non-musulmans » : « Le discours sur les juifs est complexe. Sa critique à leur égard est d’ordre interne et s’apparente à celle que les prophètes dans la Bible adressent à leur peuple. On conviendra globalement que le Coran abonde en imprécations et accusations contre les Gens du Livre (juifs les chrétiens) d’avoir « falsifié » leurs Ecritures. Discours qui fait forcément écho aux exécutions commises après reddition contre une tribu arabe et juive de Médine. On en trouve aucune trace dans les archives de leurs destinataires comme celles de l’empereur byzantin ou celles du monastère Sainte-Catherine. Rien de tel n’a jamais été exhumé. Pas même après la chute de Constantinople en 1452. Rien, aucune trace. Et pour cause, un seul commentateur, al-Tabari (m. 923) en fait mention des siècles après les faits supposés. Aujourd’hui encore, on ignore où sont les sources de Tabari, ce que sont ces preuves ? Bref, on est très loin d’établir des faits

ix L’argument de la riposte du temps des conquête ne tient plus si on renverse la perspective. Car en l’espèce, qui détermine ce qu’est une agression ? Sophrone, le patriarche de Jérusalem qui voit déferler les « premiers conquérants musulmans » en 634, était-il l’« agresseur » ? Et que penser des peuples islamisés d’Afrique du Nord, des Byzantins, des Perses, des Indiens, etc. ? Qui a agressé qui ? Tout comme ces chartes de pacification censément écrites au VIIème siècle. On en trouve aucune trace dans les archives de leurs destinataires comme celles de l’empereur byzantin ou celles du monastère Sainte-Catherine. Rien de tel n’a jamais été exhumé. Pas même après la chute de Constantinople en 1452. Rien, aucune trace. Et pour cause, un seul commentateur, al-Tabari (m. 923) en fait mention des siècles après les faits supposés. Aujourd’hui encore, on ignore où sont les sources de Tabari, ce que sont ces preuves ? Bref, on est très loin d’établir des faits.

x Du poète kabyle Ferhat Mehenni.

xi https://www.lorientlejour.com/article/1243800/sissi-macron-la-realpolitik-au-detriment-des-droits-de-lhomme.html

xii Ibid.

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5 commentaires

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  1. @ Lory,

    Ni le christianisme ni le bouddhisme ni l’islam ne sont responsables des crimes sur terre. C’est au contraire le manque de religiosité qui explique le crime, pas l’inverse. Il n’y a pas assez de religion sur terre, il n’y a pas assez d’islam.

  2. @ Leroy

    Le peuple rohingya en Birmanie n’est pas victime du terrorisme, c’est la paix au sens de l’ange dalaï-lama.

    Non, l’homme n’est pas un ange, il est moins qu’un animal,

    Allah a fait en sorte que le lion se repose la plus part de la journée, pour ne pas faire des ravages.

    Si l’ Américain, l’Européen et le Bouddhiste, dormaient la plus part de la journée, le monde serait en paix.

  3. S’attaquer à une personne innocente est un mal. Quelque soit les circonstances.

    Un aviateur qui tue des personnes civiles , on appelle ça frappe non chirurgicale, ces gens n’auraient pas du être dans cet endroit et en ce moment. Après tous cet aviateur fait son métier et son métier est détruire.

    Toutes les armées sur terre , sans aucune exception, sont les dernières à avoir le droit de dire mal et bien.

  4. “Le terrorisme islamique ou islamiste” n’existe pas, l’expression n’est qu’une insulte abjecte et une offense volontaire faite aux musulmans. Si beaucoup de musulmans d’occident s’en accommodent c’est soit par peur d’être soupçonnés de complaisance envers ces crimes soit par ignorance ou manque d’esprit critique. Comment peut-on oser associer le nom d’une religion à un acte aussi abjecte, si ce n’est par volonté de porter atteinte aux musulmans du monde entier? Il ne faut pas avoir peur de cette pression et de cet harcèlement, il faut le dire sans crainte : l’islam et la tradition musulmane n’ont STRICTEMENT rien à voir avec le terrorisme.

    Quant à la critique contemporaine de l’occident, on n’a pas attendu les musulmans pour en prendre connaissance. Malaise dans la civilisation de Freud, la crise de la culture d’Arendt, la barbarie de M. Henry, l’ère du vide de G. Lipovetsky, et sans oublier toute cette littérature critique de l’école de Francfort, la crise de la conscience européenne de P. Hazard, l’occidentalisation du monde de S. Latouche, etc.

    Mais quand les mêmes autocritiques aussi constructives viennent de Mohammed, Zoubida ou Boulaouane, eh bien on les suspecte de détester l’occident. Il est temps que la France se réconcilie avec l’islam et ses musulmans. On n’est plus au temps des croisades, on n’est plus au temps des colonisations. On veut vivre en paix, la vie est déjà assez difficile comme ça.

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