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Le soufisme dans le contexte de la modernité ( 1/7)

Cet article s’inscrit dans une série de 7 sous parties, constituant un dossier sur le soufisme au XXIème siècle, par Shaykh Hamdi ben Aissa.
Pour accéder aux précédentes parties : https://oumma.com/auteur/shaykh-hamdi-ben-aissa/

Défini comme étant l’essence et la réalité de l’islam par les savants musulmans traditionnels, le tassawuf, que l’on traduira par soufisme, est une voie spirituelle universelle qui rend accessible le modèle prophétique de développement d’une personnalité saine connectée à Dieu et d’une communauté saine.

Cette voie implique un travail sur trois axes : la clarté de la vision, la pureté des cœurs et l’harmonie dans les relations. Ce dont il s’agit ici fondamentalement, c’est de permettre aux êtres humains de se développer et de s’épanouir afin de recevoir toujours plus pleinement la lumière divine.

Répondre à l’appel de leur Seigneur (appel vertical) tout autant qu’aux besoins de leur contexte (alliance horizontale), voilà, dans le soufisme, le chemin des individus vers leur plein potentiel.

Le contexte dans lequel nous évoluons et dans lequel évolue donc le soufisme de nos jours, est marqué par un individualisme qui s’empare de toutes les dimensions de l’existence et finit, en s’absolutisant, par tout détruire.

Cet individualisme consumériste et matérialiste est symptôme d’un malaise profond au cœur même de la modernité. Il est symptôme d’une atteinte portée à l’humain jusque dans ses dimensions relationnelles et spirituelles, elles aussi colonisées par l’individualisme moderne.

C’est pris dans ce courant mortifère que le soufisme, qui se voulait conservatoire de la lumière prophétique, est devenu au fil des siècles un courant replié sur lui-même, tendant à favoriser chez ses adeptes une sorte d’égocentrisme, d’égoïsme, de narcissisme, de repli sur soi.

Il faut prendre toute la mesure de la contradiction : dans un monde qui brûle par son manque criant de spiritualité, le soufisme, en mettant l’accent de plus en plus exclusivement sur les états intérieurs du cheminant, sur son chemin propre, risque de se faire complice de cette tyrannie de l’intimité, pour reprendre les termes du sociologue Richard Sennett, de cet individualisme à outrance de la modernité, d’une certaine forme de quête narcissique du moi.

Ainsi assiste-t-on à l’émergence de “clubs soufis” se concentrant sur ce qu’on y appelle “l’initiation”.

Mais de quoi est-il vraiment question dans cette initiation ? Y est-il fondamentalement question de vérité, d’un service de la vérité, de son partage, de sa transmission ? Ou est-ce plutôt comme si la forme de la transmission dite initiatique, ses codes, ses places et ses rôles, ses détails, l’emportaient au détriment du fond, du sens, de la sagesse ? A défaut de n’être pas ou plus directement connectés au noyau des sources révélées, ces individus, davantage en quête de spiritueux subtils que de spiritualité, s’adonnent à des pratiques dont il faut mettre en évidence la contradiction profonde.

Dans ce soufisme-là, on est à la recherche exclusive de son propre accomplissement, mais on ne l’est qu’en se soumettant en même temps à un ensemble de codes et de pratiques qui, loin, de nous mettre au travail, et d’abord à un travail portant sur notre intention fondamentale, nous mène loin de nous-mêmes.

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On se focalise sur des terminologies mais qui sont déracinées, on répète alors des formules creuses. On est en train de réinventer de nouveaux dogmatismes qui nourrissent illusoirement le sentiment d’être inscrit dans un chemin.

Ce soufisme dit initiatique consiste ultimement à faire du cheminement spirituel un cheminement initiatique. Les chaînes de transmission, les pratiques de récitation et d’invocation y sont présentées comme le cœur même du soufisme. L’initiation spirituelle ne se vit plus qu’au travers des rites, des pratiques et des mouvements effectués lors des cercles spirituels.

Pour parler comme Chogyam Trunga qui interroge de la même façon la quête individualiste du maître dans certaines pratiques du bouddhisme, on est clairement ici dans une forme de nouveau matérialisme spirituel au sein duquel il ne s’agit pas tant de se dépouiller que d’accéder à, d’acquérir, de posséder pour soi-même (ce que, nécessairement en ce sens, les autres n’ont pas).

L’obtention de secrets, l’autorisation de faire telle ou telle invocation, tout cela peut en ce sens nourrir l’illusion que l’on est bel et bien en cheminement. Mais loin de résulter en un véritable dépouillement, on se perd plutôt dans le jeu des codes initiatiques et on cherche à posséder quelque chose, à acquérir. On est plus que jamais au cœur de l’individualisme, dans l’ordre de l’avoir. 

Nous sommes ici en pleine contradiction et cette contradiction prive les adeptes du véritablement cheminement spirituel car en réalité, le cheminement se fait sur un tout autre terrain.

Par Shaykh Hamdi ben Aissa qui remercie l’ensemble de ses étudiants qui travaillent à la retranscription de ses enseignements. Parmi eux, Thalia Archaoui et Félix Sayd pour leur travail de retranscription et de rédaction, ainsi que Siham Lamti, Raphaël Gély et Mahdi Gabriel Rouani pour leur travail de relecture.

Retrouvez  l’ensemble des enseignements de Shaykh Hamdi ben Aissa en français sur sa page facebook : https://fr-fr.facebook.com/shaykhhamdifr/

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9 commentaires

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  1. Une analyse très profonde nous permettant de percevoir la réalité problématique du blocage dans le cheminement spirituel dû à l’individualisme, cet élitisme poussant à l’oubli de l’autre, or le travail des Prophètes a toujours été le souci pour les autres. Un cheminement égoïsme n’est qu’un cheminement vers le soi et non vers Dieu.

    Merci à Shaykh Hamdi Ben Aissa et ses élèves pour ce bel article qui réussit à mettre des mots sur les maux de notre société

  2. @kalim. Inutile d’insister en m’interpellant. J’ai décidé de ne plus perdre mon temps à échanger avec vous. Je vous en ai suffisamment donné. Tourner en rond en répondant à des posts puériles et répétitifs n’a aucun intérêt pour moi.

  3. Dans le bouddhisme, il y a effectivement plusieurs courants. J’ai déjà dit qu’il marchait sur 2 jambes : connaissance et compassion. Chacune n’a pas la même force suivant les courants. Dans les écoles du Mahayana, la compassion doit être première. Elle est d’ailleurs le point de départ de la quête de Gautama à partir d’un constat simple, la première des 4 nobles vérités : la souffrance caractérise fondamentalement la condition humaine et même plus généralement la condition du vivant. L’ambition de Gautama n’est pas de s’en libérer, ni même d’en libérer sa famille, son clan mais l’humanité toute entière, elle même liée à l’ensemble des êtres vivants dans les différents règnes et dans les différents mondes.
    A titre personnel, je vois aussi la compassion comme première. De fait, j’ai infiniment plus de considération pour une personne gentille sans érudition que pour un génie qui se comporte comme un salaud.

        • C’est une erreur, aucun humain ne peut être parfait. C’est un piège sectaire de vous le faire croire. Le bouddhisme n’est plus ce qu’il était avec ces histoires de castes. En islam, on dit que personne ne pourra entrer au paradis sans La Miséricorde divine. Vous apprenez ainsi à vous accepter d’abord pour ensuite vous améliorer sans cesse car le cheminement n’a de fin que La Vérité Unique, La Seule Certitude qui est éternelle : Allah swt. C’est donc une aventure éternelle sous La Bienveillance et La Miséricorde divines.

    • Oui le zakat est une compassion charitable est un des piliers de l’islam. Gautama, le premier Bouddha, priait Le Dieu Unique démiurge : B-Rahma ou encore Rahma (Le Miséricordieux en arabe). À ce titre nous savons que l’hindoudouisme et le bouddhisme ont été monothéistes dans leurs débuts car ils proviennent du Brahmanisme et contiennent des artéfacts de la religion Ibrahamique ou autrement dit l’islam.
      La prière (qu’on accompagne par la méditation des paroles d’Allah swt) est également un pilier. En plus, je note que la réincarnation (terrestre malheureusement) est une trace de la résurection car nous seront tous résuscités et nous obtiendront effectivement un nouveau corps selon l’islam qui sera d’autant plus beau que nos bonnes actions l’ont été. À ceci près que la réincarnation terrestre correspond au premier niveau de l’enfer qui ressemblerait à la vie terrestre selon l’islam (Dieu sait mieux).

      Une petite vidéo sur l’islam, le bouddhisme, l’hindouisme, le christianisme pour orienter les recherches sur leur contenu islamique :
      https://www.youtube.com/watch?v=kWeCpgwKhDs

      Pratiquer l’Unique Religion agréée d’Allah swt rend universel comme si on pratiquait toutes les religions qui en sont dérivées et dans ce qu’elles ont de plus pur et d’essentiel.

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