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Le siège d’Ennahda incendié à Tunis : «Un acte horrible et inacceptable», déplore Tawfik Mathlouthi

Deux jours après le terrible incendie qui a éclaté au siège d’Ennahda, à Tunis, réduisant en cendres une grande partie de ses locaux, et qui a été déclenché par un geste extrême non moins effroyable – l’immolation par le feu d’un militant du parti islamiste – l’heure est au lourd bilan humain, mais aussi au décryptage de cet acte grave, blâmable et tragique à la fois, qui en dit long sur la Tunisie d’aujourd’hui.

Le lourd bilan, qui glace le sang rétrospectivement, fait état d’un mort – l’homme qui s’est volontairement transformé en torche humaine – et de dix-huit blessés, parmi lesquels figurent deux caciques d’Ennahda : le vice-président du mouvement et ancien Premier ministre, Ali Larayedh, lequel s’est jeté du deuxième étage pour échapper aux flammes, et le président de la choura, le conseil consultatif du parti, Abdelkarim Harouni. 

L’effroi et la stupeur des premiers instants passés, et alors qu’une enquête judiciaire a été immédiatement diligentée par le ministère de l’Intérieur tunisien, Oumma a souhaité recueillir l’éclairage d’un fin observateur de la vie politique en Tunisie : Tawfik Mathlouthi, connu également sous sa casquette de fondateur engagé de la célèbre boisson Mecca Cola. 

Pouvez-vous nous confirmer l’identité et l’engagement politique au sein d’Ennahda de l’homme qui s’est immolé par le feu, jeudi 9 décembre ? En sait-on plus sur les raisons qui l’ont conduit à une telle extrémité ?

Selon toutes les sources que j’ai contactées sur place, qu’elles soient proches ou membres du parti Ennahda, je suis en mesure de vous confirmer ce que les médias ont déjà divulgué, à savoir que l’homme qui a choisi de mettre fin à ses jours, au rez-de-chaussée du siège du parti, en aspergeant son corps d’essence, avant d’y mettre le feu, s’appelait Sami Essifi et était âgé de 51 ans. Il travaillait en tant qu’agent d’accueil au sein d’Ennahda et a passé dix ans en prison pour son militantisme contre la dictature. C’est le désespoir qui, vraisemblablement, l’a poussé à commettre ce geste fatal, qui épouvante et interpelle grandement. 

Quel regard portez-vous précisément sur cet acte suicidaire ? Peut-on le comparer à celui du défunt Mohammed Bouazizi, ce jeune vendeur ambulant, dont l’immolation par le feu, le 17 décembre 2010, fut l’étincelle qui mit le feu aux poudres contre le despote Ben Ali ? 

A mes yeux, ce geste de désespoir total, qui est une horreur absolue, reste inacceptable et inexplicable. Car rien, sur cette terre, ne peut justifier que l’on en arrive à verser sur soi de l’essence et à s’infliger par les flammes une souffrance aussi insoutenable, surtout quand on est croyant, et de surcroît militant du parti islamiste Ennahda. Un parti qui, ne l’oublions pas, prétend vouloir asseoir l’islam en Tunisie et lui redonner de son lustre. C’est là son but suprême.

A travers cette immolation par le feu, je vois certes un suicide physique, mais aussi politique. En d’autres termes, cela veut dire que si Ennahda n’a pas réussi à instaurer, à enraciner ses propres principes fondamentaux au sein même de son mouvement, comment peut-il, dans ces conditions, espérer convaincre l’ensemble de ses concitoyens de leur bien-fondé ?

C’est peut-être ce qui contribue à creuser un fossé gigantesque entre le parti de Rached Ghannouchi et le reste de la population tunisienne, qui, en outre, est frappée d’une sorte de schizophrénie identitaire. Ce que nous avons vécu avec cet incendie terrible, et le geste atroce de Sami Essifi, que je considère comme criminel sur un plan religieux, l’expliquent sans doute encore plus.

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Concernant l’immolation du défunt Mohammed Bouazizi, je pense que son acte n’est pas de la même nature. Il n’était pas réfléchi, contrairement au passage à l’acte du militant d’Ennahda. Selon moi, Bouazizi, sans le vouloir, a créé tragiquement une nouvelle Sounnah, une nouvelle habitude, une nouvelle tradition, bien triste et abominable : s’immoler par le feu pour protester contre l’injustice de sa situation. J’espère pour lui qu’il ne sera jugé que pour son geste, car comme disait le Prophète (Saws) : « Celui qui fait une Sunnah, qu’elle soit bonne ou mauvaise, sera récompensé ou puni pour le geste qu’il a commis et pour tous ceux qui le suivront en l’imitant ».

Vous l’aurez compris, je suis farouchement opposé à l’immolation par le feu, et à tout acte de ce type. Car que traduisent-ils au fond, si ce n’est un manque total de confiance en Dieu. Si le désespoir est aussi profond et absolu, c’est qu’il n’y a pas de foi, qu’il n’y a pas de croyance. Parce que quand on croit en Dieu, on sait qu’avec les difficultés, les épreuves, viennent toujours les solutions. 

Qu’est-ce que, selon vous, le geste extrême et fatal du militant d’Ennahda révèle de la société tunisienne ?

Indéniablement, c’est un signe particulièrement grave, alarmant et dangereux de la profonde détresse dans laquelle se trouve la population tunisienne, mais aussi de la détérioration inexorable de la situation sociale du pays. Parce qu’il s’agit bien de ça. Ce militant d’Ennahda s’est immolé pour réclamer des droits, après avoir été renvoyé. 

Un simple conflit social peut donc dégénérer au point d’entraîner vers une immolation par le feu et l’incendie de tout un immeuble, en l’occurrence le siège d’Ennahda, au risque de mettre en danger la vie d’autrui. C’est un acte en tout point inadmissible !

Force est de constater que la population tunisienne vit accablée sous le poids des pressions sociale, politique, économique, et est en train de perdre tous ses repères. Elle a malheureusement perdu sa boussole, je ne suis pas le seul à le dire haut et fort et à le déplorer vivement.

C’est un bien amer constat que je fais aujourd’hui  : la Tunisie, à l’orée de 2022, est un bateau sans capitaine… Le capitaine que nous avons, et qui vit dans sa tour d’ivoire à Carthage, aggrave considérablement les choses. Au lieu de conduire le pays vers le port du salut, il le conduit tout droit vers le coeur de la tempête.

Propos recueillis par la rédaction Oumma

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Un commentaire

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  1. En dépit de tout, qu’Allah l’assiste en miséricorde. J’ai cru comprendre en lisant cette interview c’est que l’homme était bientôt chassé de son service, mis au chômage. Probablement c’est cela, mais ajoutons-y qu’il fut militant de longue date sacrifiant dix ans de prison sous la dictature. Alors bien que n’étant là que concierge, il dut souffrir des couleuvres avalées du parti, de son aplaventrisme insensé, qui est tel qu’on se demande pourquoi il existait encore puisqu’il cédait tout le temps. Capitulation après cvapitulation, ces utopistes pacifistes ont encouragé la dictature qui triomphe aujourd’hui, foulant les gens comme de la boue.

    Ce capitularisme insensé et en rien justifié est impardonnable, le militant aura voulu dissoudre le parti à sa façon, car à quoi bon ne pas dissoudre ce qui est sans utilité?

    Mais ces raisons que j’invoque et que je crois largement vraies ne seront pas saisies de la plupart des gens, non seulement on risque de s’écarter des militants à l’avenir, mais on pourrait hélas les pourchasser.

    Le peuple a faim, il n’a pas d’oreille aux longues paraboles.

    Croissant de lune.

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