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Le sacrifice d’Abraham dans la Bible et le Coran (2/2)

Ismaël ou Isaac ?
A l’épilogue du récit biblique, il est fait mention d’une promesse divine de grande postérité pour Abraham et de sa fonction singulière dans l’histoire du salut de l’humanité, ce que le Coran confirme. Toutefois, le récit coranique apporte une information de taille, à savoir, l’annonce de la naissance d’Isaac à la fin de l’épreuve. Et il se trouve que le Coran qualifie toujours Isaac enfant de garçon savant « Ghulâmin ‘alîm ». Cette annonce est un indice parmi les plus décisifs qui établissent par une déduction rigoureuse du récit coranique, que c’est bien Ismaël, le premier né d’Abraham qui a été le fils concerné par l’épreuve du sacrifice.
Aussi, d’autres indices du récit coranique bien examinés conduisent logiquement et rigoureusement à ceci que le fils magnanime d’Abraham, dont le nom est tu dans le récit coranique du sacrifice, n’est autre qu’Ismaël. Ces indices qui permettent d’identifier l’enfant du sacrifice incluent les suivants : la conjonction de coordination « wa » entre le récit du sacrifice et l’annonce de la naissance d’Isaac, les qualificatifs différents donnés aux deux enfants d’Abraham, le pronom personnel de la troisième personne du genre masculin « hi » et la forme du duel utilisés à la fin du récit coranique.
C’est ainsi qu’à l’entame du récit coranique sur l’épreuve du sacrifice, se trouve l’heureuse annonce d’un garçon magnanime, donc qualifié, mais pas nommé : « Alors, Nous lui fîmes l’heureuse annonce d’un garçon magnanime ». A la fin de l’épreuve, il y a une deuxième heureuse annonce d’un garçon du nom d’Isaac comme partie de la rétribution que Dieu a réservée à Abraham, suite à la grandeur de foi dont il a fait montre face à l’épreuve du sacrifice. Il en découle en toute rigueur et cohérence que ce n’est pas Isaac qui est concerné par la première annonce de la naissance d’un garçon magnanime.
Revenons au récit coranique :
« Alors, Nous lui fîmes l’heureuse annonce d’un garçon magnanime. Quand celui-ci fut en âge de l’accompagner, il dit : «Ô mon fils, je me vois en songe en train de t’immoler. Vois donc ce que tu en penses». Il dit : «Ô mon cher père, fais ce qui t’es commandé : tu me trouveras, s’il plaît à Dieu, du nombre des endurants». Puis quand tous deux se furent soumis et qu’il l’eut couché sur le front, voilà que Nous l’appelâmes «Abraham ! Tu viens de confirmer le songe. C’est ainsi que Nous récompensons les bienfaisants» C’était là certes, l’épreuve manifeste. » Nous le[1] rachetâmes par une grandiose bête. Et nous le fîmes passer à la postérité. Paix sur Abraham ! Ainsi récompensons-Nous les bienfaisants. Il fut vraiment un de nos fidèles croyants. Et Nous lui fîmes l’heureuse annonce[2] d’Isaac, prophète d’entre les vertueux » (Coran 37 : 101-106)
Pour les besoins de la démonstration en vue d’identifier le nom de l’enfant du sacrifice, nous proposons comme suit une reprise du récit coranique après l’épreuve du sacrifice, avec Isaac comme nom du garçon magnanime annoncé à Abraham : « Alors, Nous lui fîmes l’heureuse annonce d’Isaac[3] (…)[4] Et Nous lui fîmes l’heureuse annonce d’Isaac, prophète d’entre les vertueux »
Ainsi, dans ce cas de figure, c’est Isaac qui serait l’enfant du sacrifice qualifié de magnanime, et puis après, est annoncée la naissance encore d’Isaac ! A travers cet exercice, il saute aux yeux que le garçon magnanime, annoncé au tout début du récit, ne peut être Isaac. Et on ne voit pas de qui il est alors le nom, si ce n’est Ismaël, car seuls ces deux fils d’Abraham sont concernés par la divergence sur l’identité de l’enfant du sacrifice.
Comme l’explique le grand commentateur contemporain du Coran, Chinqîti[5], la prise en compte de la conjonction de coordination « wa » (et) est cruciale ici, pour comprendre qu’il ne peut s’agir que d’Ismaël. A noter que certains traducteurs omettent de la mentionner[6]. En effet, Chinqîti explique qu’en grammaire arabe, la conjonction de coordination « wa » indique que ce qui précède parle de quelque chose de différent de ce qui suit.
L’heureuse annonce de la naissance d’Isaac après l’épreuve du sacrifice établit sans équivoque que ce n’est pas lui le garçon magnanime du récit, le premier né d’Abraham. Selon le récit du Coran, Isaac est un don que Dieu fait à Abraham après qu’il Lui a manifesté si dignement sa foi, sa soumission et son obéissance durant l’épreuve du sacrifice.[7]
Alors, il vient que le garçon magnanime dont le nom est tu ne peut être qu’Ismaël, vu le contexte de l’épreuve, à savoir que c’est un des deux, Ismaël ou Isaac, qui est concerné par le sacrifice.  Pour ce qui est d’Isaac, l’heureuse annonce de sa naissance est associée dans le Coran et la Bible à sa mère[8] et à des anges. A la différence de la naissance du garçon magnanime, Ismaël, celle d’Isaac est associée à un dialogue entre des anges, son père Abraham (paix sur lui), et sa mère Sara que le Coran ne nomme pas, à Jacob[9] et au qualificatif de « ‘alîm » (savant). Rien dans le récit coranique du sacrifice ne laisse penser que c’est d’Isaac qu’il s’agit[10].
Isaac est qualifié et lui seul, à deux reprises, de « ghulâm ‘alîm » (garçon savant). Voici les références :
         « ‘N’aie pas peur[11] nous te faisons l’heureuse annonce d’un garçon savant’ » (Coran 15 : 53) ; « Il[12] commençait à prendre peur devant eux[13], ils[14] lui dirent : ‘N’aie aucune crainte !’Et ils[15] lui firent l’heureuse annonce d’un garçon savant » (Coran 51 : 28) 
Comme pour l’utilisation de la conjonction de coordination précitée, celle du pronom personnel de la troisième personne du masculin « hi » dans le verset 113 toujours de la sourate 37 ainsi que du duel (himâ) dans le même verset donnent des indices solides en faveur d’Ismaël :
         « Et Nous lui[16] fîmes l’heureuse annonce d’Isaac comme prophète d’entre les vertueux. Et Nous le[17] bénîmes ainsi qu’Isaac. Et parmi leurs descendances à eux deux[18] il y a qui est bienfaisant[19] et qui est manifestement injuste envers lui-même[20] » Le grand commentateur Qurtubi soutient que le pronom personnel « hi » dans ce verset 113 de la sourate 37 renvoie à Ismaël.
Le segment du verset 113 « Parmi leurs descendances à eux deux » nous permet de comprendre qu’il s’agit d’Ismail et d’Isaac. En effet, il ne peut s’agir d’Abraham, car on serait dans un cas de figure où le verset parlerait de deux descendances : une issue de ce dernier (Abraham) et une autre issue de son fils Isaac ! Il n’est pas concevable d’avoir un tel arbre généalogique car Isaac fait partie de la descendance d’Abraham. La descendance d’Isaac est aussi celle d’Abraham, ce qui fait que le duel mentionné dans ce verset indique qu’il ne s’agit pas d’Abraham et si ce n’est pas lui, le récit conduit à admettre que c’est Ismaël. Dit autrement, pour les besoins de la démonstration, voici ce qu’on aurait s’il s’agissait d’Abraham : « Et Nous fîmes à Abraham l’heureuse annonce d’Isaac comme prophète d’entre les vertueux. Et Nous bénîmes Abraham ainsi qu’Isaac. Et parmi les descendances d’Abraham et d’Isaac, il y a qui est bienfaisant et qui est manifestement injuste envers lui-même »
Par contre, si on met Ismaël, on a : « Et nous bénîmes Ismaël ainsi qu’Isaac. Et parmi les descendances d’Ismaël et d’Isaac, il y a qui est bienfaisant… », tout devient cohérent et clair. C’est Ismaël le premier né qui est le (le « hi » dans le verset qui renvoie à la troisième personne du masculin) béni à côté d’Isaac et c’est des descendances de ces deux frères à partir du même père Abraham, que vont sortir les justes et autres transgresseurs annoncés dans le récit du Coran. Et comme par hasard, le verset qui suit parle des bienfaits de Dieu aux deux frères que sont Moïse et Aaron[21] (paix sur eux) ! « Et Nous comblâmes de nos bienfaits Moïse et Aaron » (Coran 37 : 107)    
A côté de ces exigences de cohérence interne au Coran qui établissent que c’est Ismaël le fils du sacrifice, des auteurs musulmans relèvent que le récit de la Bible qui met en avant l’enfant unique d’Abraham que serait Isaac pose problème : « Après ces choses, Dieu mit Abraham à l’épreuve, et lui dit : Abraham ! Et il répondit : Me voici ! Dieu dit : Prends ton fils, ton unique, celui que tu aimes, Isaac ; va-t’en au pays de Morija, et là offre-le en holocauste sur l’une des montagnes que je te dirai » Voici ce qu’en dit le défunt recteur de la Mosquée de Paris, hamza boubakeur : « Or, il n’est pas dit dans la Bible : « tu prendras », mais « prends » et le texte précise « ton fils unique ». Il s’agit bien d’Ismaël puisqu’il l’était jusqu’à la naissance d’Isaac, quatorze ans après la sienne (Gen. XVI, 16). A aucun moment Isaac n’a été « fils unique » alors qu’Ismaël le fut et donc le qualificatif ne peut s’appliquer qu’à lui, à moins de suspecter (ce qui serait contraire aux faits et à l’enseignement de la Bible) la filiation d’Ismaël. Or, selon la Bible, Ismaël est annoncé et béni par Dieu : « Agar, enceinte, chassée par Sara, l’ange du Seigneur la rencontra près d’une source au désert et lui dit : « Je multiplierai beaucoup ta descendance tellement qu’on ne pourra pas la compter… » Tu es enceinte et tu enfanteras un fils et tu lui donneras le nom d’Ismaël, car Yahvé a entendu ta détresse. » (Gen. XVIII, 7-12)[22] 
Mais il faut rappeler, comme nous l’avons dit plus haut, que, grosso modo, pour sortir de ce dilemme, le judaïsme et le christianisme soutiennent qu’Ismaël n’est pas un enfant légal d’Abraham, vu que sa mère est était une esclave et une concubine du Patriarche. Il en découle qu’Isaac a été, à un moment donné, le fils unique d’Abraham !
Enfin, il faut aussi ajouter que selon les sources musulmanes, tout ce que rapporte le Coran sur Abraham et son fils Ismaël (paix sur eux) se passe en Arabie désertique, après la naissance de ce dernier. Sur commandement divin, Abraham installe son épouse Agar et son garçon magnanime Ismaël dans le désert du hijaz, et tout le reste se passera dans cette partie du monde. Alors que tout le monde est d’accord pour dire qu’Isaac et sa mère ont vécu avec Abraham très loin dans cette région que les arabes appelaient « bilâduch châm », qui correspond à la géographie actuelle de la Syrie, du Liban, de la Jordanie et des territoires disputés entre palestiniens et israéliens. Dès après sa naissance, Ismaël a vécu en Arabie et c’est là-bas qu’Abraham va le retrouver pour procéder au sacrifice, alors qu’il était adolescent[23], pour lui rendre visite après son mariage et (re)construire la Kaaba avec lui.
Pour finir
On pourrait se poser la question, fort intéressante, de l’importance et de la pertinence de ces développements : pourquoi déployer autant d’efforts pour démontrer que c’est Ismaël, le fils concerné par l’épreuve du sacrifice d’Abraham, et pas du tout Isaac ? Nous pensons qu’il est justifié de le faire pour au moins les raisons suivantes :

  • Montrer que le Coran est la Parole infaillible de Dieu qui nous guide, apporte un supplément à notre raison et nous donne une capacité de discernement hors du commun ;
  • Que le Coran vient confirmer les livres révélés antérieurs, notamment la Thora et l’Evangile, tout en apportant des correctifs aux versions non authentiques que détiennent les gens du Livre (ahlul kitâb) ;
  • Comprendre ce qui motive la posture du judaïsme d’abord, et du christianisme après, qui consiste à mettre en avant Isaac comme « le fils unique » d’Abraham concerné par le sacrifice ;
  • Savoir que cette posture vise à évincer Ismaël et sa lignée, et à lui refuser toute fonction significative dans l’histoire du salut de l’humanité ;
  • Comprendre le refus des juifs de Médine de croire au prophète Muhammad (saws), comme sceau des prophètes et dépositaire du Coran, dernière révélation divine pour le salut de l’humanité.

 
 
 
 
 
[1] Il s’agit du garçon magnanime
[2] De la naissance d’Isaac
[3] Ainsi mis par nos soins pour les besoins de la démonstration
[4] Mis pour les versets que nous avons sautés pour aller directement à la fin, toujours pour les besoins de la démonstration
[5] Voir le commentaire du défunt Cheikh, adwâ-ul bayân
[6] Dans ce cas de figure, ils mettent : « Nous lui fîmes l’heureuse annonce… », ce qui ne tient pas compte de la conjonction de coordination « wa » qui précède le « Nous » et donc l’annonce de la naissance d’Isaac dans le récit coranique.
[7] Reste à expliquer pourquoi cette conclusion à laquelle on arrive grâce à l’éclairage du Coran remet en cause la primauté que le judaïsme et le christianisme donnent à Isaac sur Ismaël.
[8] Du nom de Sara dans la Bible, elle n’est pas nommée dans le Coran.
[9] Jacob, le nom biblique de Ya ‘qûb dans le Coran, fils d’Isaac dont la naissance est annoncée en même temps que celle de son père Isaac, Voir (Coran 11 : 71-73). Il a le surnom d’Israël (Isrâ-îl) d’où Banù isrâ-îl (enfants d’Israël).
[10] Voir (Coran 11 : 71-73) ; (Coran 6 : 84) ; (Coran 19 : 49-50) ; (Coran 21 : 72) ; (Coran 15 : 53) ; (Coran 51 : 28)
[11] Les anges, hôtes d’Abraham et en route vers la contrée où résidait le prophète Loth s’adressent à Abraham (paix sur lui)
[12] C’est toujours Abraham devant face aux anges qui se rendent à la cité du prophète Loth (paix sur lui)
[13] Il s’agit des anges
[14] Les anges
[15] Les anges
[16] Il s’agit d’Abraham
[17] Il s’agit d’Ismaël remplacé ici par le pronom personnel « hi » comme nous le montrerons par la suite
[18] Se limiter à traduire par « parmi leur descendance » ne met pas en exergue le duel utilisé dans le verset en arabe. On pourrait aussi mettre « tous deux »
[19] Agit avec une forte conscience de la présence de Dieu
[20] Il s’agit de la progéniture d’Ismaël et d’Isaac où se trouveront des gens vertueux comme des transgresseurs.
[21] Il s’agit des prophètes Mûsâ et Hârûn (paix sur eux) fils d’Imrân qui a vécu au temps de l’exode en Egypte. Ces deux frères avaient pour sœur Maryam, l’homonyme de Maryam (Marie mère de Jésus – paix sur lui) dont le père aussi s’appelle Imrân.
[22] Cheick  si boubakeur hamza, Le Coran, traduction nouvelle et commentaires, Ed Fayard, Tome 2, p506
[23] « Quand celui-ci fut en âge de l’accompagner, il dit : «Ô mon fils, je me vois en songe en train de t’immoler. Vois donc ce que tu en penses» Ceci donne une indication sur laquelle se base les commentateurs pour dire qu’Ismaël avait alors entre 10 et 15 ans

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6 commentaires

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  1. Si Internet avait existé à l’époque, ils auraient pu poster un selfie sur les réseaux sociaux, papa tenant le couteau, fiston faisant le signe de la paix, et on aurait su direct de qui il s’agissait. Mais alors fini les interrogations et les réflexions des savants et des lecteurs et lectrices ordinaires. C’est justement cela que veut le Coran, nous faire discuter et réfléchir – en tout cas c’est ce qu’il dit souvent.
    J’aime le prénom Ismaël, il signifie en hébreu “Dieu écoute”, c’est aussi un bon indice pour penser qu’il s’agit de lui dans cette histoire, puisque Dieu a écouté l’humain dans l’épreuve, et comme l’humain lui obéissait (le verbe obéir vient d’un verbe latin signifiant aussi écouter), il l’a sauvé des morbides tentations.

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