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Le retour des Suds

La fin du communisme comme projet viable consacre un ordre nouveau au niveau international. Deux dynamiques sont enclenchées : l’une est celle d’une volonté unilatérale de puissance des Etats-Unis sur le reste de la planète et du contrôle des ressources indispensables à la viabilité de son économie, l’autre est celle de la montée en puissance des pays du Sud dans le giron mondial. Nombreux sont les pays qui misent sur l’accroissement des besoins en matières premières pour assurer leur développement économique.

Les besoins des marchés émergents, en particulier, de la Chine, de l’Inde et du Brésil, en pétrole, gaz, cuivre et charbon, contribuent à doper la croissance de nombreux pays du Sud. Le Venezuela a connu une croissance de 9 % en 2005. On peut dresser un constat identique pour le Chili qui, avec ses exportations en cuivre, a atteint une croissance de 5,8 % en 2006 ou pour l’Algérie, qui a connu un taux de croissance de 4,8 % en 2005 essentiellement grâce aux exportations de pétrole et de gaz.

Ces chiffres sont toutefois à relativiser par le fait qu’ils permettent aux économies de ces pays de lancer un certain nombre de projets de « modernisation » mais, si la monoculture économique persiste, le risque de dépendance pèse sur ces pays en cas de dévaluation rapide du prix des matières premières. C’est pour cette raison que la croissance soutenue et les retombées en capitaux doivent permettre aux dirigeants d’encourager l’investissement dans d’autres secteurs de l’économie afin d’éviter leur entière dépendance à leurs principales exportations, ainsi qu’une dépendance en matière d’importation de produits faisant défaut sur leur marché.

Mais, au-delà des considérations économiques, on observe un retour dispersé des pays du Sud sur la scène internationale au niveau politique et symbolique. Il ne s’agit pas d’un mouvement concerté comme ce fut le cas avec le mouvement des non-alignés, trans-identitaire, mais bien d’un discours anti-impérialiste et d’une affirmation identitaire, régionale ou encore religieuse. Ces mouvements se réclament du bolivarisme au Venezuela et en Equateur, des « indigènes » en Bolivie ou encore du réformisme musulman (qui pourrait remporter les élections dans de nombreux pays arabes s’il était démocratique). Par ailleurs, n’a-t-on pas entendu parler des « valeurs asiatiques » mises en avant dans les discours de certains dirigeants asiatiques tel Mahathir bin Mohamad, l’ex premier ministre malaisien, qui cherchait ainsi à expliquer la « réussite économique remarquable de son pays ».

D’autres Etats réclament un siège aux Nations Unies ; c’est le cas du Brésil, et de l’Inde, notamment. Désormais, le système onusien apparaît comme obsolète car correspondant davantage à l’ordre mondial hérité de la Seconde Guerre Mondiale qu’à celui du 21ème siècle.

A cette mutation s’ajoute la donne médiatique. De nombreux pays du Sud se lancent dans une offre d’information mondialisée. La naissance et le succès d’Al-Jazeera correspondent à ce double besoin d’avoir une information qui n’est plus celle des grands médias du Nord ni celle des gouvernements des pays arabes. La création de la première chaîne continentale sud-américaine, Telesur, s’inscrit dans la même logique et souhaite apporter un autre regard que celui de « l’empire ». Elle entend également contribuer à l’intégration en une nation des peuples d’Amérique latine dont rêvait l’un des pères des indépendances latino-américaine, Simon Bolivar. Elle ambitionne aussi « d’unir tous les Suds du monde en leur donnant la parole ».

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Enfin, ce retour des Suds est aussi marqué par la volonté de commercer entre les Suds. Ainsi, la Chine se rapproche du marché africain avec des accords bilatéraux et des partenariats stratégiques.

Ces Suds sont désormais présents dans le Nord par les jeux migratoires et les diasporas. A titre d’exemple, le vote latino – celui des mexicains-américains notamment – vient de sanctionner le parti républicain du président George W. Bush pour sa politique migratoire répressive qui passerait, si elle était adoptée, par l’édification d’un mur de 1000 km sur la frontière sud des Etats-Unis. C’est aussi le poids décisif de l’électorat héritier des ex-colonies françaises qui pourrait favoriser des politiques françaises internationales plus justes et freiner les nouvelles formes de néo-colonialisme en Afrique et au Proche-Orient, entre autre.

A cet aspect politique, on peut ajouter les réseaux économiques transnationaux. Les transferts d’argent et les investissements des immigrés dans leurs pays d’origine (Mexique ou République Dominicaine par exemple) ou encore les différents projets de développement des marocains et sénégalais de l’étranger pour ne citer qu’eux, constituent autant d’atouts majeurs pour les pays concernés. Ceci a été facilité par l’apparition des nouvelles technologies.

En réalité, ce retour marque un monde éclaté où les relations entre pays sont bilatérales ou s’inscrivent dans le cadre d’intégration régionale. Cela montre en pratique que l’unilatéralisme -surtout sans l’aval du mandat de l’ONU- et l’interventionnisme des Etats-Unis ne fonctionne plus. Désormais et contrairement au 19ème siècle, pour dominer un espace géopolitique, il ne suffit plus de s’approprier son territoire, militairement du moins.

Cette nouvelle donne mondiale pose un certain nombre d’interrogations. Tout d’abord, le point crucial est la nécessité de mener des politiques redistributives des richesses. Le Brésil de Lula s’est, à guise d’exemple, engagé de manière relativement efficace dans un programme de lutte contre la faim (« Zéro faim »). L’autre défi global qui nous attend concerne la protection de l’environnement. Le réchauffement climatique, les pollutions de toutes sortes nous interpellent sur le sort de ce qui est, rappelons le, notre patrimoine à tous. Ce qui implique que la protection de l’environnement ne peut pas être le monopole des Nords, mais un enjeu partagé et porté avec les Suds.

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