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Le ramadan l’a tué ! (partie 2 sur 2)

Il pose ses affaires sur un bureau en open space tout en désordre, et vaque à ses occupations quotidiennes. Vers 10h30, il se lève de sa chaise, mais se rassoit aussitôt. Un vieux réflexe qui le poussait en temps normal à squatter la cafétéria de l’entreprise, adossé à un fauteuil, allumant une winston avant d’ingurgiter un café. La matinée se termine. Un coup d’œil rapide sur sa montre ; il est déjà 12h 30 : « C’est bon, il ne reste plus que 5 heures et la première journée de jeûne sera passée ! Qui a prétendu que le ramadan était difficile ? » dit-il d’un ton enjoué.

Il décide alors d’aller prendre l’air en empruntant l’ascenseur qui vient tout juste de descendre du 6ème étage. En pénétrant dans celui-ci, il croise le PDG , le directeur général et la directrice des ressources humaines. Bref, que du beau monde ! Son côté obséquieux genre fayot de service, ressurgit aussitôt. C’est le moment de faire bonne impression. Il salue chacun des responsables de la boîte avec la déférence d’un lord anglais :

-« Madame, Messieurs, bonjour, comment allez-vous ? quelle belle journée n’est ce pas ? »

-« Et vous Mustapha, vous paraissez particulièrement en forme aujourd’hui ? » lui répond la directrice des ressources humaines.

« Bien, je vous remercie chère madame de prendre de mes nouvelles. Pour répondre à votre question, j’avoue me sentir de mieux en mieux au sein de notre société ; oui de mieux en mieux… » réplique- t-il avec beaucoup d’emphase.

« Quelle classe, quelle prestance j’ai. Il est évident que j’ai dû leur faire une grosse impression !!! » murmure Mustapha dans son esprit.

L’ascenseur commence sa descente dans un silence de cathédrale ; puis à hauteur du deuxième étage, ce qui devait arriver arriva ! Un bruit assourdissant jaillit soudainement. Une mini détonation, à vous briser les tympans. Son estomac vient de frapper ou plutôt vient de gargouiller ! L’ascenseur n’en finit pas de descendre. Si Mustapha pouvait disparaître trois pieds sous terre à cet instant il l’aurait fait. Son visage se décompose aussitôt, alternant plusieurs couleurs : il rougit, l’air embarrassé, puis rit jaune. Le trio de responsables le regarde furtivement sans émettre la moindre parole. Arrivés au rez-de-chaussée, ils se séparent en souhaitant bon appétit à Mustapha dont l’estomac restera toujours vide.

« Je voulais « zaama » me la jouer, et voilà que mon estomac me grille en me faisant passer pour un « mesquine » affamé ! » conclut-il avec dépit.

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Il revient de sa promenade vers 14 heures. La fatigue se lit sur son visage buriné par ces quelques heures d’ascétisme. Il s’affaisse sur le siège de son bureau et s’assoupit légèrement en pensant à la soupe de ce soir. La vue de la moindre nourriture provoque en lui une envie irrésistible. Il devient de plus en plus pâle. Une montée d’adrénaline lui traverse tout le corps. Ces nerfs sont en pelote, il est sous tension maximum ! Son idole Al Pacino lui aurait demandé une cigarette à cet instant, qu’il l’aurait renvoyer dans ses cordes. André Huzero, son chef de service qui l’a pris en grippe depuis plusieurs semaines, a remarqué la mine déconfite de Mustapha. Il déduit rapidement que ce dernier est entrain de jeûner. Il en profite pour enfoncer le clou : « Ton rendement est en baisse ! certes c’est ton droit le plus absolu de jeûner, mais tes résultats, eux ne doivent pas jeûner ! » Mustapha encaisse directement cette remarque désobligeante d’Huzero en plein dans son estomac déjà rudement mis à l’épreuve. Notre jeûneur boue intérieurement ; le manque de tabac et de café l’a mis dans un état de nervosité extrême. Il semble avoir atteint son point de rupture, et peut disjoncter à tout moment ! Il contient difficilement sa rage. Il a envie de lui mettre une grosse tête suivie d’un direct du droit, avant de conclure cette petite bastonnade ramadanesque avec quelques coups de satons dans la tronche de ce petit « chefaillon » qui manque de savoir vivre ! Il serre fortement les poings sous son bureau, neutralise provisoirement ses nerfs, et fixe André Huzero dans les yeux en lui répondant :« Ok patron , message reçu 5 sur 5 … »

Les heures passent, son estomac trépasse ! Des maux de tête terribles surviennent. Chaque bruit se transforme pour Mustapha en une forte explosion qui raisonne dans son crâne de plus en plus lourd. Il ressent à chaque fois comme de violents coups assénés par un marteau de forge, alors que son cœur s’emballe. Son teint est plus blême que jamais. Ses yeux embués accentuent le regard livide de quelqu’un qui a l’estomac vide. Ses cheveux collés par des sueurs froides déforment une coiffure, où les mèches rebelles ont eu raison du gel. Sa bouche est aussi sèche que le désert du Nefoud. Il est littéralement ballotté entre des sensations de vertiges et de nausées. Il ne distingue même plus les lettres de son clavier. Le temps lui paraît une éternité. Lui qui cherchait à s’élever spirituellement, reste pour l’instant clouer au niveau de son estomac : « C’est dingue qu’est ce que c’est long…et dire que je dois encore me taper 29 jours… Ce n’est pas le moment de craquer ! Je dois tenir ! Quitte à ce que le SAMU vienne me chercher. Il ne reste que 40 minutes, c’est quoi 40 minutes, à peine une mi-temps d’un match de football !!! » s’exclame t-il en guise d’encouragements !

Il plie mais ne rompt pas, c’est le cas de le dire ! Il tente de se ressaisir en pensant à la « chorba » de ce soir.

Nous sommes dans les dernières minutes. Mustapha sort discrètement deux calendriers indiquant les horaires. Le premier calendrier offert par son boucher hallal fixe l’heure du Maghreb à 17h25 minutes. Le second calendrier édité par l’imam rigoriste, fixe l’ heure de la rupture du jeûne avec une précision hors du commun : à 17h27 minutes et 33 centièmes exactement ; avec à coté de l’heure dans la dernière colonne du calendrier, le dessein d’une flamme rappelant l’enfer à ceux qui s’amuseraient à ne pas respecter au centième prêt, l’heure de la rupture. Il préfère jouer la carte de la sécurité et celle de son âme en optant pour le calendrier de l’imam. Mustapha a de toute façon prévu de porter sur lui une montre dotée d’un chronomètre exceptionnel.

L’heure de la rupture du jeûne est dans 4 minutes. Le compte à rebours a commencé. L’heure de vérité est enfin là ! Mais ces projets de rupture de jeûne risquent quelque peu d’être contrariés. Il lui reste en effet à surmonter un petit problème technique. Comment désormais rompre le jeûne lui dont le bureau se trouve au milieu de tant d’autres. Il a dû mal à assumer. Rendez-vous compte, lui, le jeune homme si distingué aux allures de play- boy, fan d’Al Pacino et de Tom Cruise, retirant des dattes à 17h30 dans les bureaux d’une société de dimension internationale. Commence alors la fameuse épreuve de la datte. Une épreuve terrible !!!

Il glisse discrètement une main fébrile dans la poche de son pantalon de la marque Cerruti, d’où il saisit le papier aluminium enveloppant les 6 dattes qu’il a soigneusement préparées ce matin. Il commence peu à peu à le décacheter à l’abri des regards indiscrets en tentant de faire le moins de bruit possible. La tension est a son maximum ! Le temps s’écoule rapidement. Il saisit enfin une datte et la serre dans sa main tremblante et humide. Il ne lui manque plus qu’à la remonter sans être vu, dans sa bouche complètement desséchée. Comment faire ? comment accomplir ce véritable tour de force ? Contemplant béatement le plafond, son voisin de gauche est perdu dans ses pensées. Quant au voisin situé derrière Mustapha, il a le visage rivé contre l’écran, trop préoccupé à terminer sa partie de jeu vidéo pour constituer une menace. Le danger vient en fait de sa voisine de droite : Véronique dont le regard est orienté vers le bureau de Mustapha. Dans exactement une minute et 17 centièmes, la première journée de ramadan arrivera à son terme. La tension est à son paroxysme ! Véronique a toujours le regard oblique ; il ne reste plus qu’une minute… Il panique !!! La flamme de l’enfer du calendrier de l’imam commence déjà à lui chatouiller le pied !!! Le temps presse, le suspense est total ! Il ne reste plus que 30 secondes et quelques centièmes. Sa voisine de droite sort un kleenex et se mouche aussitôt, recentrant ainsi son regard vers le couloir. La voie est libre pour Mustapha, qui balaye rapidement d’un regard affolé toute la salle. Il est exactement 17h26 minutes et 33 centièmes, Mustapha tel un sprinter d’une finale olympique, met une datte dans sa bouche, encore une autre, puis une troisième et rompt enfin le jeûne. Cette épreuve de la datte fera date dans sa jeune histoire de jeûneur ! Quelle exploit ! ouf la première journée est passée, il a survécu ! Saha ftourek Mustapha !

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