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Le port du voile : un rapport à sa propre corporalité

Le discours actuel sur le voile, tellement amplifié qu’il est devenu assourdissant, se résume ainsi : Celui-ci est un signe d’asservissement de la femme et son port relève d’une attitude prosélyte. Ce discours est typique, de l’attitude qui consiste à enfermer l’autre dans des représentations étriquées. Il révèle une incapacité à se décentrer, à penser l’altérité, à se départir des lectures ethnographiques ou folkloriques d’Autrui. Cette perception de l’autre, voilée par un européocentrisme incapable ou refusant de voir le monde en relief, est souvent méprisante et insultante.

Ces musulmanes qui disent que si elles ôtaient leur voile se sentiraient nues, évoquent d’abord un rapport à soi, un rapport à leur propre corps. Le corps, interface entre soi et le monde est un territoire souverain. Certains le dénudent, le mutilent, le haïssent, le profanent, le tatouent et personne ne trouve à y redire. C’est parce que c’est un territoire souverain, que le viol et que toute autre forme de violence d’origine externe qui lui est faite est interdite et réprimée. Décider quelle est la partie de son corps que l’on dérobe au regard d’autrui est un droit fondamental, s’investir de sa propre notion de pudeur, qu’elle soit inspirée d’une religion ou pas est aussi un droit minimal.

Une musulmane peut-elle se dire : « Je ne veux pas être réduite à un objet de désir et ceci passe par couvrir mes cheveux. Je ne me définis pas qu’à travers mes atours et mes attraits. Ma réalité dépasse ces derniers ». Peut-elle dans son rapport à autrui ne pas mettre en avant la séduction physique, ne pas désirer éblouir, atténuer son éclat comme ces anciens qui voilaient leur sagesse pour se fondre dans la masse. La question ici n’est pas de savoir si le voile est une prescription ou une obligation du Coran. Souvent les musulmanes sont questionnés sur un mode inquisitoire sur les raisons de leurs choix. Elles n’ont pas à se justifier (sur les plateaux de télévision) sur le bien fondé de leur démarche. Celle-ci est complexe, leur appartient et relève d’une casuistique intime.

On peut au sein de l’islam s’interroger sur l’esprit et la lettre du texte, défendre l’idée que l’on puisse être pudique sans se couvrir la tête, questionner la notion de pudeur, l’investir de diverses expressions, s’interroger sur le pourquoi des cheveux, peut être parce que leur charge érotique était très forte à l’époque antéislamique. Imrou Oul Qaïs poète de l’ère pré islamique né vers 500 après JC, en parlant de la chevelure, dit dans l’un de ses vers : « de longs cheveux ornaient son dos, noirs comme du charbon et drus comme la grappe d’un palmier… ». Il s’agit cependant de dire que les musulmanes qui le désirent (le port du voile ne doit être imposé à quiconque) ont la liberté de le porter, à la lumière de leur propre lecture du Texte. D’autant plus que cette liberté n’est en rien nuisible à autrui.

Le voile est un signe, ostentatoire, ostensible, provoquant et prosélyte …

Par quel artefact quelque chose qui au départ est destinée à cacher devient t-elle ostensible et prosélyte. Le port du voile est une démarche autocentrée dont le but premier n’est pas d’indiquer l’islamité. On refuse d’entendre que c’est d’abord un rapport à soi. Pourquoi semble t-il alors ostensible et provoquant alors que le but visé est la discrétion ?

Il ne l’est que dans la mesure ou il heurte mes conceptions. Puisque que je n’adhère pas à ce que tu es, le simple fait que tu le sois pleinement me choque. Ici le raisonnement se fait de mon point de vue, moi le détracteur du voile. Puisqu’il me choque et que je l’ai investi de la pire des significations, tu dois l’ôter ! Mes représentations aussi fausses qu’elles puissent être, doivent primer sur ta liberté.

Le prosélytisme c’est tenter de convertir autrui à ses croyances. En quoi porter le voile est-il prosélyte ? Par contre imposer à autrui de se conformer à sa propre vision du monde en violant sa liberté de conscience, en le stigmatisant, en effectuant un chantage à l’éducation, est une attitude pire que le prosélytisme le plus agressif.

Le vêtement ne sert pas qu’à nous protéger. Il exprime nos goûts, notre degré de conformisme social, notre caractère introverti ou extraverti, notre rigueur. .. Bref c’est un élément constitutif de notre identité. On parle de signes ostensibles. Tout vêtement est un signe. Il révèle notre appartenance à un groupe social, à une aire géographique, notre adhésion à des idées, à une vision du monde et à une culture. L’idée d’une école laïque au sein de laquelle tout le monde serait transparent est un leurre.

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Diverses identités s’y expriment et y sont visibles. Des adolescents y sont le support de marques publicitaires diverses. Un professeur, jetant un coup d’œil rapide à sa classe, reconnaît ceux de ses élèves qui sont issus d’un milieu aisé, rigoriste ou pas, des classes moyennes, de la banlieue ou du monde rural. Il repère les rebelles et les victimes de la mode, se fait une idée des caractères et des appartenances diverses rien qu’en décryptant le discours vestimentaire.

La mode s’y étale, parfois dans ce qu’elle a de plus dégradant. L’école serait donc ce sanctuaire où tous les éléments constitutifs de l’identité ont droit de cité, sauf la religion ? Comme si celle-ci ne pouvait pas au même titre que tous les autres éléments de la culture participer à la construction de soi. L’identité vestimentaire pourrait donc ainsi puiser à toutes les sources sauf à celle de la spiritualité musulmane.

Sur divers thèmes, un discours condescendant et européocentré est constamment servi : « Nous nous sommes libérés de la religion, faites de même, nous montrons nos corps, montrez les votre ! ». La raison occidentale s’est libérée des entraves de l’église ; ceci veut-il dire tout exercice critique au sein d’une foi disposant d’un livre révélé est impossible ? Toutes les modernités doivent-elles se conjuguer au temps occidental, épouser les mêmes formes ?

Tout rapport entre foi et raison doit-il obéir à la même dialectique ? Dans l’islam la Foi n’est pas l’enn
emi de la Raison et Prométhée n’y est pas l’ennemi des dieux. Le noyau du mode de vie musulman, minoritaire en occident, est sommé de se reconstituer par les pressions exercées à sa périphérie. Une évolution, une réforme, une modernité du fait musulman résultera d’une dynamique interne qui a d’autres impératifs que de se conformer à la vision que certains ont de ce qu’elle devrait être.

La culture occidentale a dévoilé le corps. Depuis le concile de Nicée II en 787, ayant rétabli le culte des images, elle représente les corps et le corps de la femme. La photographie, le cinéma et les arts plastiques y ont fortement participé. C’est un fait de la modernité occidentale : un corps libéré, décomplexé, parfois déstructuré. Ceci veut-il dire que l’on puisse plus avoir la liberté de se voiler la chevelure ? Que l’on n’ait pas le droit de ne pas désirer exposer son corps comme une friandise sur un étal.

L’époque est friande de narcissisme et d’hédonisme. Elle est caractérisée par une érotisation à l’extrême de la vie sociale et un culte du corps. Elle n’aime pas l’ombre et suspecte la discrétion. Tout doit être montré, exhibé, mis en lumière. On est sommé d’étaler nos émois, nos sentiments, notre sexualité au grand jour. Pourtant l’époque perçoit les limites d’une telle attitude lorsqu’elle est exacerbée : la violence pornographique, l’anorexie, la réduction de l’autre en objet consommable, le non respect de soi. Elle se caractérise par des adolescents qui ne respectent plus le mystère et l’extraterritorialité du corps d’autrui. Les mêmes féministes qui luttent contre la réduction de la femme en objet de désir par la publicité sont celles qui vont crier au scandale en voyant un bout de tissu sur la tête d’une musulmane. Couvrez vous, mais pas trop ! C’est nous qui fixons la norme.

Un autre rapport au corps est possible et souhaitable. La liberté justement se trouve dans la résistance à l’uniformisation des modes de vie, à l’exhibitionnisme généralisé, au nivellement, à l’impudeur généralisée. Elle réside dans le choix de son rapport à sa propre corporalité, de sa notion de pudeur. Celui-ci existe aussi chez des hommes, qui évitent les vêtements qui leur moulent les formes, qui ne prennent pas de douche collective après un match de foot, qui préservent leur intimité.

A ceux qui haïssent les différences et les supériorités ces mots de Pascal Quignard dans les ombres errantes sont à méditer : « Les vivants ne sont pas des ombres. Ce sont peut être des morts enveloppés de vêtements et qui brillent. Désormais ils sacrifient en silence, les deux yeux luisants, habillés de la même manière, devant les mêmes, avec la même envie. Démagogique, égalitaire, fraternelle, ces mots désignent la même attitude : des meurtriers se surveillent du coin de l’œil. Ils participent à la même aversion pour toutes les supériorités [….] Cet effroi devant l’indépendance et le désir se métamorphose en haine contre ceux qui revendiquent un peu d’ombre dans le dessein de dérober à la vue de tous leurs jouissances. Pour eux, la liberté est une émeute. Ils ont peur s’ils ne dorment pas. » Ils ont surtout peur quand on ne leur ressemble pas.

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