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Le nom Allâh. Le malaise Malaisien, syndrome exotique ?

Récemment, la Malaisie, qui jusqu’à présent pouvait être fière à juste titre de son équilibre ethnique et religieux, a versé dans le grandguignolesque. Le sujet : « Les non-musulmans, les chrétiens en l’occurrence, ont-ils le droit de prononcer ou d’utiliser dans leurs écrits le nom Allah ?  » La question aurait pu être goûtée pour son coté ubuesque puisque le Conseil des ulémas Malais avait publié en Mai 2008 une « fatwa déicide » interdisant l’emploi de ce nom aux non-musulmans.[i] En quelque sorte le nom Allah devint une marque déposée ! Mais, au début de ce Janvier, la Justice malaisienne a fort justement invalidé et annulé cette « fatwa », et autorisé une publication chrétienne en malais à employer le nom Allah. Résultats : nombreuses manifestations et, clou du spectacle, trois églises dégradées et partiellement incendiées.[ii]

Quelques soient les langues et les cultures, les désintégrismes, en leur stupidité canonisée, se rejoignent.

Si les hommes s’entredéchirent « Au nom de Dieu », des musulmans, plongeant aux racines étymologiques du mal voudraient en découdre « pour le nom de Dieu » ! 

Allâh ne serait donc pas le Dieu de tous les hommes mais uniquement le dieu des musulmans !

Ceci étant, un des mots d’ordre de ces manifestants est particulièrement instructif : « L’hérésie prend naissance dans la mauvaise utilisation des mots » formulation qui, étrangement, interpelle la sémantique. Au delà des mots et des enjeux inavoués de telles intentions, ces événements renvoient à un arrière plan théologique réel, la problématique étant bien moins futile qu’il n’y parait :

• Le nom Allah est-il un nom propre ?

Le Nom de Dieu est chez les classiques Son Nom propre, celui que Allâh se serait donné en la Révélation mais qu’il possédait de toute éternité. Le prononcer désigne Son Essence et Le qualifie en tant que tel, le nom et le Nommé sont identiques. Il ne peut donc être pleinement nommé que par ce nom « Allâh ». Les termes Dieu, Dios, God, Gott, Khoda, ne peuvent ainsi convenir que par défaut. Autre abord, Allâh serait le Nom suprême et, par conséquent, le nommer autrement serait soit ne pas l’invoquer, soit ne pas le désigner. Tout autre nom indiquerait autre chose que Allâh.

Les extrémistes du non-pensé assurent ainsi par un curieux raisonnement inverse que du fait qu’un non-musulman adore un autre dieu [sic] il n’a pas le Droit de prononcer le mot Allâh. En quelque sorte, une version ségrégationniste de l’interdit hébraïque. 

D’autres, quelques siècles durant, les mutazilites, ont considéré avec raison que « Dieu » en son éternité n’a ni Nom ni Attribut. Le nom n’est donc pas en ce cas identique au Nommé. Les « noms » employés ou enseignés par la Révélation ne sont par conséquent que des « métonymies » issues du langage des hommes.

Or, le terme Allâh est plus ancien que la Révélation coranique de langue arabe, et le Coran apporte ici une précieuse contribution. En un passage sans équivoque, les polythéistes Mecquois sont interpellés sur le fait que tout en croyant en une entité supérieure au sein de leur panthéon, Allâh, ils ne reconnaissent pas la prédication monothéiste de Muhammad. Il est donc ordonné au Prophète de les interpeller sur l’illogisme du polythéisme :

“ – Dis : « A qui donc appartient la Terre et ce qu’elle recèle puisque vous prétendez posséder une connaissance ? »

– Ils répondront : « Á Allâh ».

– Réplique : « N’y réfléchirez-vous donc pas ? » ” S23.V84-85.

Font suite deux autres questions quant à la possession de la seigneurialité, et de la souveraineté. Les réponses sont invariablement les mêmes : lillâh, « Á Dieu ».  Il apparaît donc clairement en ces versets que les Arabes connaissaient le nom Allâh. De même, bien des rapports coraniques de controverses avec les Juifs Médinois[iii] prouvent que ce nom était d’usage en la langue arabe toute confession confondue.

Dès avant de ce qui nous semble avoir été l’origine, le nom Allah n’était donc pas un nom propre spécifique au Dieu de l’Islam. Nous lisons  : “ Dis : « Que vous invoquiez Allâh ou Le Tout-Miséricordieux, Il possède les plus beaux Noms…”S17.V110.

De fait, les chrétiens et les juifs de langue arabe présents à l’époque en Arabie employaient le nom Allah avant l’Islam et continuèrent ainsi jusqu’à nos jours, le Moyen Orient multiconfessionnel en témoigne. Rien jusqu’à présent n’était venu contredire l’évidence.

• Allâh ou Dieu sont-ils ontologiquement équivalents ?

Nous concernant, le nom « Dieu » se comprend selon l’acceptation que prend ce nom dans les cultures monothéistes et, l’histoire des religions le confirme, en les divers panthéons polythéistes. Les Arabes, nous l’avons vu, connaissaient parfaitement une entité supérieure créatrice du monde qu’ils dénommaient allâh et auquel, selon une répartition de type animiste, ils associaient un grand nombre de divinités subalternes, chacune possédant des fonctions et des pouvoirs précis. En quelque sorte une distribution des charges qui n’est pas sans rappeler l’organisation des sociétés humaines. Ainsi, de par les règles tribales bédouines, un chef, quand bien même représentait-il l’autorité suprême, se retrouvait de fait dans l’obligation de répartir son pouvoir selon la hiérarchie des différentes factions, autant d’associés pour un même domaine. En cette particularité anthropologique se trouve probablement le fondement du système polythéiste arabe et, subséquemment, du terme mushrikîn, associateurs, que le Coran emploie pour désigner les adeptes de cette conception.

Ce détour par le polythéisme permet de comprendre aisément que Dieu, désigne : « l’entité supérieure créatrice de tous les mondes et seule détentrice de tous les pouvoirs, sans partage, sans représentants et sans délégation. » Cette affirmation pour être homogène, cohérente, sans possibilité de contestation, et dépourvue d’ambiguïté ontologique, implique nécessairement un axiome sous-entendu : « l’inexistence de toutes autres divinités qui auraient pu subsister indépendamment ou sous l’autorité de la principale. »

Nous retrouvons par ailleurs cette double approche dans la shahada. Elle débute par l’énoncé d’une première condition, qui est négation absolue : lâ ilâha, « il n’y a pas de divinité existante » et se complète par l’affirmation absolue : illâ-llâh, « si ce n’est Dieu  ».  Négation et affirmation se recouvrent alors de manière antinomique, procédé permettant de définir exactement et axiomatiquement l’Unicité de Dieu : avant tout, une unicité d’ordre ontologique.

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Cette définition pour être rigoureusement celle de l’Islam, est tout autant commune à l’ensemble des religions monothéistes. Plus simpliste mais explicite : Avez-vous déjà rencontré un chrétien qui se prétende polythéiste ?! Allâh, ou Dieu, représente bien la même réalité ontologique.

Faut-il traduire allâh par Dieu ou le transcrire Allah ?

Allah n’est pas le dieu des musulmans ou, pire encore, des Arabes, mais Dieu, l’entité suprême commune à toutes les cultures monothéistes et, au-delà, à tous les hommes. Depuis le Moyen-Âge, au moins, l’on préféra transcrire ce nom plutôt que de le traduire. A vrai dire cela ne dénote à l’origine qu’une totale méconnaissance et incompréhension des occidentaux quant à ce allah des Maures et autres Sarrasins qu’ils assimilaient à une quelconque idole, parfois au soleil, voire au diable ou pire à Muhammad lui-même. Puis, lorsqu’il fut clair que, malheureusement, ces « hérétiques » adoraient le même Dieu que les judéo-chrétiens, l’on maintint néanmoins la transcription afin de démarquer artificiellement le « vrai Dieu » du « dieu mahométan ». Bien des traducteurs occidentaux font encore de même et, même si le débat s’est édulcoré, il conserve à l’évidence un fond commun d’avec ces vielles inimitées, cette habitude fautive de transcription n’étant pas à l’évidence tout à fait innocente.

Le débat, loin d’être cantonné aux productions orientalistes, aux sites puissamment islamophobes, ou à la lointaine Malaisie, connaît en Europe, terre de musulmans non-arabophones, une curieuse variation. En effet, des laudateurs de franges obscures se plaisent à claironner haut et fort qu’il est harâm, illicite, de nommer Allâh autrement que par son Nom arabe. Ils bannissent donc le mot Dieu et maintiennent dans leurs textes ou leur discours en langues non-arabes les transcriptions Allah ou Allâh. Démarche remarquablement symétrique à l’ostracisme judéo-chrétien classique.

Ils postulent ainsi que le Dieu des musulmans ne doit pas être amalgamé avec celui des chrétiens, confondant dans leur ignorance trinité et trithéisme je suppose. A cette fin, ces « théologiens » de la rupture rendent obligatoire l’emploi du nom Allâh versus Dieu, pauvreté théologique et juridisme pathologique oblige. Ce faisant, Ils confirment alors que notre Dieu n’est pas celui des autres !

Ceci n’est qu’une conséquence paradoxale de leur pauvreté dialectique et théologique puisque leur propos initial était d’affirmer que « les autres » n’adorent pas Dieu.

Il doit donc être clair pour les musulmans s’exprimant en langue française, ou traduisant le Coran, ou écrivant sur l’Islam, qu’opter pour la traduction de Allâh par « Dieu » est ontologiquement correct tout en s’inscrivant sainement en une perspective de communication positive.

La guerre des mots ne serait-elle qu’une version « soft », un jihâd de salon ou de fond de cour ? Prenons-y garde, car, comme chacun sait, les mots peuvent tuer.

Allâh, Dieu des hommes.

De tels errements ne nous feront pas oublier que quotidiennement nous récitons :

“Dis, Je me réfugie auprès du Seigneur des hommes, Souverain des hommes, Dieu des hommes.”

L’adoration de Dieu n’a pas pour vocation de nous séparer, mais de nous réunir, spécificités et pluralités n’étant que divers aspects d’une seule et Unique Réalité.

Dieu, Allâh, Khoda, quel que soit le nom que les hommes Lui donnent, est l’être indéfinissable, attesté uniquement par le cœur, la foi. Celui dont la présence absolument unitaire, pure monade, est inaccessible en son Absoluité, samadyya, insondable, irréductible, indivisible, seule Réalité et seule Vérité. 

Aucun nom ne Le représente, autant de mots de nos langues, autant d’imparfaites métonymies. Mais, « transcendant » Sa propre Transcendance, Il nous propose de Le découvrir, non pas tant par Ses Attributs, autre biais du langage, autre communication illusoire, mais de par Sa manifestation en Sa création, par des voies nous étant accessibles par les sens, la raison, le coeur. La Miséricorde par laquelle Il se qualifie enveloppe tout chose, comme elle parcourt la totalité de nos réalités.

Irradiation sans immanence, irradience.



[i]  Cohabitent depuis cinq siècles en Malaisie diverses religions mais toutes pratiquent la langue malaise ou Dieu se dit Allah. Les minorités chrétiennes, tamouls et chinois, pratiquent aussi leur propre langue et l’anglais et l’on voudrait donc qu’ils utilisent des désignations de « dieu » en ces langues. L’arabe serait ainsi l’apanage exclusif des musulmans. Sacralisation et ségrégation ont toujours été le terreau de toutes les bêtises « dogmatiques »et le ferment de toutes les violences.

[ii]  Signalons que le gouvernement malais a fait appel à cette décision de justice. En les pays dits musulmans, la surenchère des gouvernements est une constante visant à concurrencer l’islamisme sur son propre terrain.

[iii]  Ex : S4.V150 ; S2.V79.

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