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Le Morisque

Avril 1609, le Roi Philippe III d’Espagne décrète l’expulsion des Morisques, musulmans convertis de force au catholicisme depuis plusieurs générations. La doxa ibérique a rendu sa sentence : ils sont inassimilables à la nation. Arrachés à leur terre, ces chrétiens malgré eux, resteront longtemps nostalgiques de leur paradis perdu.

De la grande Histoire à la petite histoire, le récit de l’un de ces exilés nous est parvenu, sous forme de bribes reprises librement et romancées par Hassan Aourid*. 

Il se dit que l’État est détenteur de la violence légitime. Ahmed Chihab Eddine dit Afouqay, baptisé Pedro, en a fait l’amère expérience dans une Andalousie étreinte par l’Inquisition ; substrat d’un pouvoir et d’un clergé qui ont fait de l’oppression et de la vindicte populaire un mode de gouvernance.

Il fuira dès 1598 vers l’Empire Saadien, sans trop d’illusions, si ce n’est l’espoir de donner un sens à sa vie. De l’embouchure du fleuve Oum Rabie, la mère du printemps, en passant par la cour marrakchi du Sultan Ahmed Al-Mansour Dahbi, jusqu’à la kasbah des Oudayas (forteresse faisant face à la cité Salétine des corsaires d’une part, et Ribat-El-Fath d’autre part), l’anti-héros chemine, intérieurement.

Sa quête le mènera également à Amsterdam, Paris, Orléans, le Caire, la Mecque, Médine, et enfin Tozeur, aux termes d’un parcours tumultueux qui prend fin en 1642.

A chaque étape, une question. À chacune de ces questions, un dialogue en guise réponse. L’altérité en est sublimée par l’imagination prolixe de l’auteur, qui a su donner une âme à un récit inspiré de faits réels. 

De la petite histoire à la grande Histoire, l’Espagne s’est vidée d’une partie de sa substance, l’Afrique du Nord s’en est enrichie.

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L’Histoire a eu le temps de juger. Quatre siècles plus tard, l’héritage est vivace : un art de vivre a été transféré et perpétué d’une rive à l’autre de la Méditerranée. Soyons factuels : Les Molina-Mouline, Vargas-Bargach, Olivares-Loubaris et autres Carrascos-Karrakchou sont aujourd’hui, le plus naturellement du monde, Marocains, et leurs noms se sont arabisés par l’usage et non par décret.

Octobre 2021, la peur de l’autre est de retour, la diversité est honnie, l’égoïsme est redevenu vertu. L’Europe semble à nouveau aux prises avec ses vieux démons. Certains font une entrée tonitruante sur la scène publique en criant au loup à-tout-va.

Simplification, généralisation, suspicion, discrimination, confrontation, expulsion, … le venin du rejet a une logique implacable. Il suit un canal sans écluse pour se déverser dans un océan d’incompréhension réciproque.

En ces circonstances, on ne peut que rendre hommage à tous les Morisques, de tout temps et en tous lieux, à qui l’on demande de choisir entre leur chez-soi et leur foi, leur nation et leurs traditions. Réceptacle de l’anathème, boucs-émissaires désignés, ils portent en eux leur sacerdoce, contribuant, à leur corps défendant, à enfanter dans la douleur du ciment qui nous unit tous à une destinée commune. 

*Le Morisque – Hassan Aourid – Editions Bouregreg

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