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Le meurtre ignoble de Jamal Khashoggi illustre la sauvagerie et la stupidité des dirigeants saoudiens

Patrick Cockburn – Le complot pressenti visant à assassiner Jamal Khashoggi que semblent avoir dévoilé les enregistrements audio et vidéo turcs remis aux autorités américaines, est un triste mélange de sauvagerie et de stupidité: c’est la rencontre de Jack l’Éventreur avec l’inspecteur Clouseau.

Rien de tout cela n’est surprenant, car les réactions excessivement violentes à des menaces mineures sont caractéristiques des régimes dictatoriaux. Comme cela semble être aujourd’hui le cas en Arabie saoudite, l’Irak de Saddam Hussein avait déployé d’immenses efforts pour éliminer des critiques exilés qui ne représentaient aucun danger pour le régime.

Le but de ces assassinats et de ces enlèvements présumés n’est pas seulement de faire taire les voix dissidentes, aussi faibles soient-elles, mais surtout d’intimider tous les opposants au pays et à l’étranger, en leur montrant qu’ils n’ont pas la moindre chance de survivre à la plus petite critique. Mais le problème des dictateurs c’est qu’ils prennent de mauvaises décisions du fait qu’ils n’entendent jamais d’opinions contraires aux leurs. L’Irak a envahi l’Iran en 1980 et le Koweït en 1990 avec des résultats désastreux. L’Arabie saoudite a commencé sa guerre au Yémen en 2015, avec des résultats tout aussi catastrophiques, et semble maintenant penser qu’elle peut assassiner impunément Khashoggi. L’Arabie saoudite nie fermement toute implication dans la disparition de Khashoggi et affirme qu’il a quitté le consulat sur ses deux jambes cet après-midi-là.

Voyons voir combien de temps va durer le torrent de critiques contre le prince héritier Mohammed bin Salman et l’Arabie saoudite. Le président Trump s’est contenté de souligner la nécessité de garder de bonnes relations avec les Saoudiens à cause du contrat de 110 milliards de dollars d’armement. Des gens comme Tony Blair qui ont l’habitude de se prosterner devant les monarques du Golfe, se livrent à de comiques contorsions pour éviter de critiquer l’Arabie saoudite malgré les preuves turques. Tout ce que Blair a dit, c’est que l’Arabie saoudite doit diligenter une enquête et donner des explications « parce que sinon, cela irait totalement à l’encontre du processus de modernisation ». Même pour Blair, c’est vraiment peu de chose, et on peut donc penser que les élites politiques aux États-Unis et au Royaume-Uni ne resteront pas choquées bien longtemps et que leurs critiques se limiteront au meurtre présumé de Khashoggi.

Ce point est très important car le meurtre (dans les circonstances précisées par les enquêteurs turcs) n’est en aucun cas le pire crime commis par l’Arabie saoudite depuis 2015, bien qu’il soit de loin le plus médiatisé. Quiconque en doute devrait lire un rapport qui vient d’être publié et qui montre que les bombardements et autres activités militaires de la coalition dirigée par les Saoudiens au Yémen ciblent délibérément les approvisionnements et la distribution de nourriture pour gagner la guerre en affamant des millions de civils de l’autre camp.

Il n’y a rien de collatéral ou d’accidentel dans ces attaques, selon le rapport. Les approvisionnements alimentaires civils sont expressément visés, avec les terribles résultats décrits par l’ONU à la fin du mois de septembre : quelque 22,2 millions de Yéménites, soit les trois quarts de la population, ont besoin d’aide, dont 8,4 millions n’ont pas assez à manger, un chiffre qui pourrait augmenter de 10 millions à la fin de cette année. « Tout cela est horrible », a déclaré le chef de l’aide humanitaire de l’ONU, Mark Lowcock, au Conseil de sécurité. « Nous perdons le combat contre la famine. »

Mais il y en a en Arabie saoudite, aux Émirats arabes unis et parmi leurs alliés à Washington, Londres et Paris qui, de toute évidence, n’ont aucun regret et sont résolus à créer les conditions d’une famine pour gagner la guerre contre les Houthis qui tiennent encore la capitale Sana’a et les parties les plus peuplées du pays. Telle est la conclusion du rapport très détaillé intitulé « Les stratégies de la coalition dans la guerre du Yémen : bombardement aériens et guerre de la nourriture » écrit par le professeur Martha Mundy pour la World Peace Foundation affiliée à la Fletcher School de l’Université Tufts au Massachusetts.

Le rapport conclut que « si l’on considère les dommages causés aux ressources des producteurs de denrées alimentaires (agriculteurs, éleveurs et pêcheurs) ainsi que le ciblage des processus de transformation, de stockage et de transport des denrées alimentaires dans les zones urbaines et la guerre économique en général, il est évident que la stratégie de la coalition vise à détruire la production et la distribution des aliments dans la zone de Sanaa qui est sous contrôle houthi ». Elle ajoute que la campagne de bombardements visant directement les approvisionnements alimentaires semble avoir commencé en 2016, qu’elle se poursuit et progresse en efficacité.

Certains aspects de la guerre alimentaire sont faciles à documenter : le long de la côte de la mer Rouge du Yémen, pas moins de 220 bateaux de pêche ont été détruits et la pèche a diminué de 50 % selon le rapport qui fait état d’un incident particulier survenu le 16 septembre, au cours duquel 18 pêcheurs du district d’Al Khawkhah ont été arrêtés, interrogés puis relâchés par un navire de la coalition qui a ensuite tiré une roquette sur « le bateau qui s’éloignait, tuant tous les pêcheurs sauf un ». La coalition a nié les faits.

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La coalition saoudienne est intervenue dans la guerre civile yéménite en mars 2015 pour soutenir le gouvernement d’Abdrabbuh Mansur Hadi contre les « rebelles houthis » qui seraient soutenus par l’Iran, d’après la coalition. En tant que ministre saoudien de la Défense à l’époque, le prince héritier Mohammed bin Salman a été la force motrice de l’opération « Tempête décisive ». La campagne aérienne de la coalition bénéficie du ravitaillement en vol et du soutien logistique des États-Unis, et de la présence de personnel militaire britannique dans les centres de commandement et de contrôle.

Au début, les cibles étaient en grande partie militaires, mais la situation a changé quand la victoire rapide, à laquelle les membres de la coalition s’attendaient, a commencé à s’éloigner. Selon le professeur Mundy, « à partir d’août 2015, on est passé des cibles militaires et gouvernementales à des cibles civiles et économiques, notamment les infrastructures de l’eau et des transports, la production et la distribution alimentaires, les routes et les camions, les écoles, les monuments culturels, les cliniques et hôpitaux, les maisons, les champs et les troupeaux ».

Abondamment illustré de cartes et de graphiques, le rapport montre l’impact des bombardements et autres activités militaires sur la production de nourriture pour la population civile. Le manque d’électricité pour pomper l’eau et le manque de carburant pour les véhicules agricoles a été aggravé par les frappes aériennes. Selon Mundy, « l’élevage est dévasté car les familles dans le besoin ont vendu beaucoup d’animaux et ont de plus en plus de difficultés à accéder aux marchés ».

Quand les fermiers réussissent à arriver sur un marché, leurs problèmes ne sont pas terminés. Les frappes aériennes sont devenues plus meurtrières depuis le siège du port d’Hodeida sur la mer Rouge par les forces saoudiennes et émiraties en juin. Environ 70 % des importations du Yémen entrent dans le pays par Hodeida, qui compte 600 000 habitants. Le 2 août, le principal marché aux poissons de la ville a été attaqué ainsi que l’entrée de l’hôpital public où beaucoup de monde était rassemblé. En juillet, le roi Salman d’Arabie saoudite a accordé un pardon général à tous les soldats saoudiens qui combattent au Yémen.

L’absence de protestations internationales contre la guerre au Yémen et l’implication des Etats-Unis et du Royaume-Uni en tant qu’alliés de l’Arabie Saoudite et des Emirats Arabes Unis expliquent peut-être un des mystères de la disparition de Khashoggi. Si les Saoudiens ont assassiné Khashoggi, pourquoi pensent-ils pouvoir s’en tirer sans provoquer un tollé international ? Sans doute parce que, ayant commis impunément de bien pires atrocités au Yémen, ils se sont dit qu’ils pourraient gérer sans problème un tollé au sujet de la disparition d’un seul homme dans le consulat saoudien d’Istanboul.

Patrick CockburnPatrick Cockburn est un journaliste de The Independent spécialisé dans l’analyse de l’Irak, la Syrie et les guerres au Moyen-Orient. Il est l’auteur de Muqtada Al-Sadr, the Shia Revival, and the Struggle for Iraq et de Age of Jihad: Islamic State and the Great War for the Middle East.

 

Source:  The Independent – Traduction : Chronique de Palestine – Dominique Muselet 

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13 commentaires

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  1. Ce n’est pas tant l’assassinat en soi qui a choqué le monde.
    Le fait est que pour ce qu’on en sache, Khashoggi n’était pas un homme dangereux.
    Il ne planifiait pas de tuer qui que ce soit, de renverser quel régime que ce soit,
    il travaillait pour un journal américain démocrate et bien vu un peu par tout le monde.
    On ne tue pas un tel homme, même si on le considère comme adversaire.
    Et surtout AVANT TOUT on ne le tue pas dans un consulat ou un ambassade. Consulats
    et ambassades sont des endroits sacrés. Pour toute personne civilisée.

  2. Les Saoud sont les sous-traitants de l’empire américain, ils font bien leur boulot dixit Fabius. Cette famille mène à la baguette plus d’un milliard de musulmans et pour simplifier, un milliard d’ignares qui méritent ce sort.

  3. Apprenez à décrypter les infos, boutin!
    – Info 1: Un journaliste saoudien passé au Washington post, et critique envers le régime de MBS, est découpé en rondelles. A priori, tout le monde s’en fout.
    – Info 2: Le dictateur Erdogan et le Donald protestent vigoureusement. Depuis quand l’un ou l’autre se préoccupe-t-il des journalistes assassinés?

    On en déduit:
    – Erdogan est fâché avec l’AS.
    – Trump lâche MBS. Ca, c’est beaucoup plus grave. C’est Malik qui nous donne l’explication: Les saoudiens se sont vautrés au Yémen, si bien qu’ils renoncent à attaquer l’Iran. Comme Saddam. Là, c’est mon ajout perso. Mais, à la place des saoudiens, je commencerais à baliser. Son problème à MBS, c’est qu’il n’est pas assez méchant. Je sais, ça peut surprendre. Mais l’infâme Saddam est tombé pour les mêmes raisons. En signant la paix avec l’Iran, il a aussi signé son arrêt de mort.
    – Comme déja indiqué, il n’y a pas de bons dans toutes ces histoires, ou dans l’Histoire.
    – On s’en fout.
    – Bourriquet.

  4. Les Etats Unis tergiversent à ce sujet, jour impair Trump soutient les Saoud, jour impair il les désavoue. On dirait une vente aux enchères, ne veut-il pas les faire cracher plus que 110 Milliards de dollar pour l’armement ? Du style si vous donnez plus de pognon je ferme ma gueule.
    On devrait tous boycotter le Hajj pendant quelques années pour que ces chiens de saoudiens comprennent ce que c’est le respect. Et que ces gens là s’allient même à Israël pour leurs intérêts contre l’Iran, ils n’ont rien à foutre des palestiniens. Il tuent des milliers de yéménites avec leurs collabos émiratis et marocains entre autre, c’est vraiment des lâches, ils ne s’attaquent qu’aux plus faibles et aux plus pauvres.

    • Moi je vais plus loin, il faut remettre la Qaâba”la mec” aux musulmans de confession musulmanne, car l’arabie saoudite n’est pas un pays c’est une tribu la saoud qui gère le pays sans loi ni constitution ni charte ni parlement ni sénat, je sens que c’est leurs fin les musulmans n’ont plus confiance en eux et bravo a eux d’avoir nous tromper tous ce temps, la prochaine fois je vous donnerais mon avis concernant les autres états musulmans tels le Maroc l’algérie la tunisie la jordanie le venuzuila la bolivie l’équateur le pérou le brésil et tous les pays africains, je vais au développement of the next one mais il me semble qu’il faut armé l’opposition où les autres tribu qui ne sont pas forcément ceux de l’état pour établir une vraie démocratie où un confédération, c’est la corruption qui fait fait chuter ce beau monde.

  5. Décidément, je ne vous comprends pas oumma. Un coup vous glorifiez le régime wahhabite,un coup vous le dénoncez.J’aimerais si possible si ce n’est trop vous demander connaître votre réelle position quant à ce pays qui ne sert en aucun la pseudo communauté musulmane.Il n’y a pas si longtemps, par exemple, vous flattiez une saouchienne qui avait confectionné une pâtisserie pour son roi de merde qui était en visite officielle en france,je n’oublie pas.C’est vrai!c’était une info d’envergure.

  6. Un Crime crapuleux commis par des gens à la tête du monde Musulmans?????????!!!!où sont les musulmans, il faudra s’unir et les attaquer ces saoudien sont non croyant ou m^me pire pour commettre un tel crime il faut en croire au meurtre! ha ha el hadj ha ha ha

    • « ces saoudien sont non croyant ou m^me pire pour commettre un tel crime »
      Etonnant cette facilité que nous avons à décréter que les autres sont kouffars avec son corollaire chez tous les takfiristes khawardjisés, moawisés, ibntaimisés, sayedkotbisés, lobotomisés, vents et alizés: « Ne méritant que la mort »
      Et puis rien de nouveau sous le soleil, les théoriciens nazis (je prends le G pas de soucis), ont méthodiquement et sur des années déshumanisés les noirs, les gitans, les slaves et les juifs avant que des soldats de leur khilafa à eux ne fassent rien d’autre qu’appuyer sur la gâchette.
      Alors on va la reprendre :
      Ceux qui ont fait ça, leurs complices et leur(s) commanditaire(s), sont des criminels et ils doivent être jugés pour ce qu’ils ont fait au besoin à Lahaye et on va lâcher la grappe au peuple saoudien qui ne nous a rien fait. Est-ce que ça vous convient ?

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