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Le malaise politique des musulmans de France (1/2)

Le débat par textes interposés, au sujet du vote musulman aux prochaines élections, qui a opposé ces dernières semaines sur Oumma.com Nabil Ennasri (1), Albert Ali (2) et Yamin Makhri (3), et dont le point culminant fut d'une certaine manière la confrontation verbale entre Alain Soral et Abdelaziz Chaambi (4), est intéressant à plus d'un titre. D'abord, par la multiplicité des points de vue qui en est ressortie eut égard à des militants qui, à peu de choses près, viennent du même horizon associatif et ont baigné dans le même moule religieux, comme cela a été rappelé.

Ensuite, par la convergence des conclusions auxquelles ils aboutissent contrairement à ce que les apparences pourraient laisser croire. Enfin, par les questions de fond que ce débat a soulevé sans toutefois y avoir pleinement répondu. Le texte de Nabil était une mise en garde contre la tentation frontiste de certains musulmans, la plupart nageant dans l'orbite du mouvement Egalité et Réconciliation du très charismatique Alain Soral.

Invocant les principes de l'éthique islamique, la mémoire du passé vichiste et tortionnaire de l'extrême droite française des années 40 aux années 60 ainsi que le bon sens lié au discours éminemment islamophobe de Marine Le Pen, Nabil dissuadait les musulmans de lui apporter leur caution électorale tout en les encourageant à s'intéresser davantage aux législatives dont les enjeux locaux lui paraissent plus proches et plus accessibles, qu'à la présidentielle elle-même.

Le vote est-il devenu inutile ?

Cette prise de position de Nabil a elle-même provoqué l'entrée en scène d'Abdelaali Baghezza, alias Albert Ali, militant issu des rangs de l'UOIF, clairement engagé à droite et proche des idées soraliennes. Dans un plaidoyer en faveur de Marine Le Pen sur lequel nous reviendrons, Albert Ali répondait à Nabil Ennasri qu'au contraire, seul un vote FN pourrait véritablement changer la donne en France pour les musulmans comme pour l'ensemble des Français.

S'appuyant sur une argumentation à la fois théologique, politique et plus largement identitaire, Albert Ali a tenté avec beaucoup de courage et de sincérité de démontrer l'invalidité des autres options électorales et la légitimité du vote Le Pen. Un courage et une sincérité qui ne l'auront pas immunisé contre un certain aveuglement comme nous le verrons. Yamin Makri, le fondateur des éditions Tawhid, a pour sa part soulevé une question dans la question. Au-delà du « pour qui voter ? » ou ne pas voter qui opposait Nabil et Albert, Yamin Makri s'interroge plus radicalement : « pourquoi voter ? », dans ce qui semble être une auto-critique à peine voilée de son propre engagement initié vingt ans plus tôt.

Le responsable de l'UJM avait,  à cette époque, promu un discours déclarant « qu’être musulman et français était possible et qu’il ne fallait pas opposer ces deux identités », provocant « la multiplication de débats publics sur la question des valeurs républicaines mais aussi sur la question de l’islam ». Mais, poursuit-il, « Les valeurs républicaines dans leurs fondements n’étaient pas débattues, ce qui était posé n’était que la compatibilité des ces valeurs avec celles de la religion musulmane ».

Pour le cadre lyonnais, tout vote citoyen est devenu, depuis, inutile à cause de la captation unilatérale et intégrale de la souveraineté nationale et des idéaux démocratiques et républicains des Etats-nations par l'irrésisitible pieuvre capitaliste et ses multiples tentacules financières qui n'ont eu de cesse de pénétrer la totalité des champs humains, les privant un à un de leur substance. Dans une longue tirade anticapitaliste dont il a le secret, Yamin Makri ne parvient pourtant pas à dépasser le stade nécessaire mais insuffisant de la condamnation morale du néo-libéralisme sans proposer l'esquisse d'un modèle de substitution.

En somme, de la culpabilité sans alternative. Cette absence de proposition théorique et pratique est l'une des faiblesses des mouvements altermondialistes et renforce paradoxalement le caractère idéologique du discours libéral censé incarner par excellence l'ordre naturel et rationnel des choses.

“Chaque suffrage est une concession”

Les termes du débat étant posés, revenons un instant sur l'un des fils conducteurs de cette conversation qui va orienter notre réflexion : le malaise politique des musulmans de France. Si le vote frontiste apparaît effectivement et à juste titre aux yeux d'une majorité de musulmans comme immoral, inconcevable, idiot, voire désespéré, force est de constater qu'il n'y a pas ou si peu d'offres politiques plus crédibles, de l'aveu même de nos intervenants. Nabil Ennasri le reconnaît volontiers lorsqu'il renvoie dos à dos l'UMP mais aussi le PS dont le leader « François Hollande a tout fait pour s’inscrire dans la trajectoire sarkozyste d’une politique islamophobe », ce qui s'est illustré par « la proposition anti-nounous du Sénat ». « Face à ce triste constat, beaucoup de musulmans semblent désemparés devant un choix cornélien qui revient à voter pour le moins pire » explique-t-il.

Un choix qui n'en est plus un dès lors que l'ensemble du spectre politique de l'extrême droite à l'extrême gauche (à l'exception peut-être des Ecologistes) adhère à une vision consensuellement islamophobe de la société au nom d'un nationalisme catholique en déclin à droite et d'un laïcisme anticlérical ressuscité à gauche. Albert Ali ne se prive pas de le proclamer lorsqu'il affirme  qu' « aucune proposition de l’échiquier politique français actuel, ne correspond entièrement à nos critères fondés sur l’éthique musulmane.

Ce qui signifie qu’à chaque choix, chaque suffrage est une concession : de l’extrême gauche à l’extrême droite. Nous pourrions donc démontrer « islamiquement » que pour chaque parti sans exception nous pourrions apporter notre voix ». Et il n'a pas tort ! Même son de cloche chez Abdelaziz Chaambi qui souligne que « Les musulmans de France savent parfaitement qu’aucun des candidats éligibles n’est capable de porter la moindre de leurs revendications de justice sociale, de lutte contre l’islamophobie ou d’égalité de traitement » leur suggérant de voter nul au premier tour en votant « Non à l'islamophobie » tandis que Yamin Makri appelle de son côté ses compatriotes à délaisser « l’enjeu de ces élections présidentielles qui restent un non-événement pour la majorité de nos concitoyens ».

Le pessisme politique des musulmans

Le malaise est bien là ! Pour qui voter si l'on ne doit voter pour aucun des candidats ? Comment contribuer moralement à la victoire d'un camp qui entérinera aussitôt des nouveaux textes de lois islamophobes réduisant comme peau de chagrin l'horizon social et professionnel des musulmans tout en validant des orientations ultra-libérales décidées ailleurs et précarisant d'autant leur situation économique ? Quel recours reste-t-il ? Pour Yamin Makri, « le combat est ailleurs » dira-t-il en une chute aussi mystique que vague, alors qu'Abdelaziz Chaambi mise toutes ses billes dans la constitution d'un mouvement politique issu des quartiers populaires qu'il contribue à créer difficilement, et que Nabil Ennasri « espère » un changement qui sera tout aussi difficile et dont la configuration socio-politique actuelle ne pourra que renvoyer au statut de voeu pieux.

Quant à Albert Ali, il semble sombrer dans une espèce de nihilisme expiatoire fondé sur une conscience assumée des travers du Lepénisme version Marine qu'il appelle pourtant à réjoindre dans une sorte d'ultime pied-de-nez à lui même et aux siens. « Osons Marine, osons malgré tout, osons malgré son islamophobie, osons malgré son sionisme, osons malgré tout ! Oser l’impertinence pour avoir le sentiment indubitable d’avoir choisi et non plus subi ! » scande-t-il avec un large sourire ironique et nietzschéen pas très éloigné de la grimace.

Fatalisme d'une militance résolumment tournée vers l'au-delà (al akhira), baroud d'honneur de vieux lions près à sortir une dernière fois leurs griffes politiques, mirage entretenu sur un futur changement qui viendrait parce qu'on l'aurait secrètement désiré ou plongeon macabre dans les délices de l'anéantissement national, les voies dessinées par nos valeureux compagnons ont quelque chose de commun, une semblable radicalité qui traduit plus que jamais le besoin d'un enracinement définitif, d'une victoire qui ne serait plus suivie d'aucune défaite, d'un ancrage authentique dans une terre nouvelle où les frontières d'un Moi oummatique ne se heurteraient plus aux multiples clivages humains (conflits de classes, de races, d'espaces ou d'extases spirituelles) qui rompent si souvent l'équilibre du monde.

Des voies militantes qui peuvent sembler sinueuses, obscures ou périlleuses mais qui ne sont pas impénétrables. Derrière chacune de ces options, il faut voir une interrogation ou une remise en cause du rapport des musulmans aux catégories politiques qui continuent ne serait-ce que symboliquement de réguler la vie électorale en France. C'est ce rapport de fond qu'il faut analyser aujourd'hui pour comprendre en amont les choix qu'il produit en aval.

Les illusions progressistes de la gauche

  

Nous savons que les partis de gauche ont toujours cultivé une relation paradoxale avec les musulmans depuis les peuples colonisés de l'Empire au XIXe siècle, jusqu'aux indépendantistes algériens et leurs enfants nés français sur le territoire national. Cela a été dit et maintes fois répété : la relation structurelle et idéologique de la gauche avec l'islam a été une relation de domination au nom du progressisme rationnel de la modernité qui a été le dernier grand idéal européen.

Le dualisme ontologique de la pensée occidentale a fonctionné ici à plein régime : civilisation contre barbarie, lumières contre obscurantisme, raison contre foi, science contre religion et ne l'oublions pas en un siècle où l'idée d'inégalité des races” a été théorisée par un Gobineau dans la lignée d'un darwinisme qui a  fait fureur, prééminence “des races supérieures sur les races inférieures” défendue par Jules Ferry.

Nul autre exemple n'illustra mieux qu'ici la fameuse critique marxiste des droits de l'homme : “Le droit de l'homme, la liberté, ne repose pas sur les relations de l'homme avec l'homme mais plutôt sur la séparation de l'homme d'avec l'homme. C'est le droit de cette séparation, le droit de l'individu limité à lui-même » dit Marx dans La Question juive  qui parle de droit de l'homme « égoïste ». « On fait une distinction entre les droits de l'homme et les droits du citoyen.

Quel est cet homme distinct du citoyen ? Personne d'autre que le membre de la société bourgeoise » ajoute le philosophe allemand pour qui en ce domaine, « la pratique n'est que l'exception, et la théorie est la règle ».Paradoxesd'un courant politique, apôtre de l'égalité sociale qui défendit l'inégalité raciale, représentant des Lumières de la raison qui éclipsèrent les illuminations combattives du sud et plongèrent ses peuples dans les errements d'une nuit coloniale dont ils ne sortirent jamais vraiment.

Ce développement historique des relations islamo-gauchistes souffrait, il est vrai, d'un hiatus considérable : le préjugé irreligieux5de tous les courants idéologiques gauchistes et de leurs fondateurs. Marx encore, mais cette fois-ci sur le banc des accusés. Avec Engels et leurs héritiers (Lénine, Trotsky…), la religion, certes chrétienne dans leur esprit, mais qui engloba vite « les religions » était coupable de tromper les aspirations révolutionnaires de l'homme en le détournant des luttes nécessaires pour sa libération en ce monde et non dans un imaginaire ailleurs.

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La religion, toujours, « opium du peuple », superstructure d'une infrastructure aliénante et meilleur allié, par ses fallacieuses promesses de rédemption, de justice et de Jugement dernier, d'un capitalisme qui misait beaucoup sur elle. La laïcité française dans son récent développement identitaire et laïcard a beaucoup puisé dans ce vieux fond doctrinal en le réactivant comme arme de guerre idéologique.

La Shari'a républicaine de Robespierre

Pour autant, sur le plan théorique et théorique seulement, des lignes de continuité entre islam et pensée républicaine, qui est l'autre expression d'une certaine gauche française, étaient possibles. Les notions cardinales d'égalité et de fraternité symbolisées dans la devise républicaine sont deux principes qui occupent une place de premier choix dans le monde axiologique de l'islam. La référence fréquente d'un Robespierre (6), rousseauiste convaincu, à l'Etre Suprême, Dieu des philosophes, fut infiniment plus proche du dogme musulman, dans sa pureté conceptuelle, que les méandres païens de la Trinité papale.

Quant à l'exigence de justice sociale (7), pilier des enseignements coraniques, fondement de son ordre terrestre, signe des Ecritures saintes, du droit ancestral des pauvres, de la saine redistribution des richesses qui prit forme dans le sillage des politiques califales khattabienne et talebienne (8) ou dans la révolte morale d'un Abou Dhar al Ghifari contre les dérives fastueuses de la royauté mou'awiyienne, lumière d'une justice qui n'a finalement jamais cessé d'abreuver les cœurs des nations opprimées de ses rayons délicats mais vivaces, cette conception, disions-nous, pouvait constituer la base d'une entente politique cordiale et franche entre Français non musulmans et musulmans de France.

Il n'en fut rien car les relations humaines ne s'appuient pas seulement sur des idées, mais aussi et avant toute chose sur un héritage temporel séculaire, millénaire, édifié sur un sol vivant, organique, déterminé par un contenu et une substance qu'on peut aisément qualifier de polymorphe, tantôt culturel et social, tantôt religieux et spirituel, non plus seulement onto mais encore phylogénétique, de cette genèse qui est un perpétuel recommencement, une incessante refondation.

La destinée des hommes n'emprunte jamais les chemins qu'on lui trace d'avance, préférant épouser ses propres linéaments, s'engouffrer discrètement le long de ses galeries souterraines, minérales, plongée dans l'obscurité inconsciente de notre être, s'accomplissant en nous-mêmes et malgré nous….

Dans une seconde partie, nous nous pencherons sur l'autre pôle idéologique de la vie politique française, le nationalisme français prôné par Albert Ali et tenterons d'esquisser, par quelques propositions théoriques et pratiques, les contours d'une solution de plus long terme.

Notes :

1- Toutes les citations des intervenants sont extraites de ces quatre interventions :http://oumma.com/11441/lettre-mes-concitoyens-musulmans-tentes-de-voter-marin

2-http://oumma.com/11656/jose-marine-malgre-son-islamophobie

3-http://oumma.com/11870/pour-qui-voter-ou-pourquoi-voter

4-http://oummatv.tv/12047/duel-alain-soral-abdelaziz-chaambi

5– Cette critique est très logiquement centrale et inconditionnelle du point de vue d'une idéologie doublement matérialiste (matérialisme philosophique, matérialisme historique). Elle est partagée par toutes les grandes figures du marxisme. A l'image de l'ensemble des doctrines matérialistes, elle explique en partie l'échec de cette idéologie qui a inconsciemment et structurellement tenté de combler le vide axiologique et dogmatique laissé par le christianisme en Europe et joué le rôle de « théologie de substitution »comme l'explique très bien le penseur et « maître à lire » comme il se définissait lui-même, Georges Steiner. « Cette dessiccation, ce dessèchement, touchant au coeur même de l'existence morale et intellectuelle de l'Occident, a laissé un vide immense (…) à la place des perceptions essentielles de la justice sociale, du sens de l'histoire humaine, des relations entre le corps et l'esprit, du rôle du savoir dans notre conduite morale. Ce sont ces problèmes, dont la formulation et la résolution sont essentielles pour la cohérence de la société et de la vie individuelle, que traitent les grandes « antithéologies »et les métareligions des XIX et des XXe siècles» in Nostalgie de l'absolu, édition 10/18. Produits de la modernité, ces idéologies, antitraditionnelles par principe, ont provoqué fatalement leur propre perdition en instaurant le règne de la relativité des valeurs : « La dévaluation nitzschéenne des valeurs, comme la théorie marxiste de la « valeur-travail », naît de l'incompatibilité entre les « idées » traditionnelles qui, en tant qu'unités transcendantes, avaient servi à reconnaître et à mesurer les pensées et actions humaines, et la société moderne qui avait dissous toutes les normes de ce genre dans les relations entre ses membres, les établissant comme « valeurs » fonctionnelles (…) Le « bien » perd son caractère d'idée, de norme par laquelle le bien et le mal peuvent être pesés et reconnus; il est devenu une valeur qui peut être échangée avec d'autres valeurs telles que celles de convenance ou de pouvoir », in La crise de la cultured'Hannah Arendt, Folio essais.

Voici un florilège non exhaustif des errances marxistes sur la religion :

Marx : “Le fondement de la critique irréligieuse est celui-ci : l'homme fait la religion, ce n'est pas la religion qui fait l'homme. La religion est en réalité la conscience et le sentiment propre de l'homme qui, ou bien ne s'est pas encore trouvé, ou bien s'est déjà reperdu. L'homme, c'est le monde de l'homme, l'État, la société. Cet État, cette société produisent la religion, une conscience erronée du monde, parce qu'ils constituent eux-mêmes un monde faux. La religion est la théorie générale de ce monde, soncompendium encyclopédique, sa logique sous une forme populaire, son point d'honneur spiritualiste, son enthousiasme, sa sanction morale, son complément solennel, sa raison générale de consolation et de justification. C'est l'opium du peuple (…) L’abolition de la religion en tant que bonheur illusoire du peuple est l’exigence que formule son bonheur réel.”, in Critique de la philosophie du droit de Hegel.

La religion, la famille, l'État, le droit, la morale, la scien­ce, l'art, etc., ne sont que des modes particuliers de la production et tombent sous sa loi géné­rale. L'abolition positive de la propriété privée, l'appropriation de la vie humaine, signifie donc la suppression positive de toute aliénation, par conséquent le retour de l'homme hors de la religion, de la famille, de l'État, etc., à son existence humaine, c'est-à-dire sociale. L'aliéna­tion religieuse en tant que telle ne se passe que dans le domaine de la conscience, du for intérieur de l'homme, mais l'aliénation économique est celle de la vie réelle – sa suppression embrasse donc l'un et l'autre aspects”, in Les manuscrits de 1844.

Engels: “Or, toute religion n'est que le reflet fantastique, dans le cerveau des hommes, des puissances extérieures qui dominent leur existence quotidienne, reflet dans lequel les puissances terrestres prennent la forme de puissances supra-terrestres”, in L'anti-Duhrïng.

Lénine: "Le marxiste doit être un matérialiste, c'est‑à‑dire un ennemi de la religion, mais un matérialiste dialectique, c'est‑à‑dire envisageant la lutte contre la religion, non pas de façon spéculative, (…) mais de façon concrète, sur le terrain de la lutte, de classe réellement en cours, qui éduque les masses plus que tout et mieux que tout."  in De l’attitude du parti ouvrier à l’égard de la religion, 1909.

Trotsky: "L’abolition complète de la religion ne sera atteinte que dans une structure socialiste complètement développée, c’est à dire, lorsqu’il y aura une technique qui libérera l’homme de toute dépendance dégradante envers la nature. Cela n’est possible que dans le cadre de rapports sociaux déniés de tout mystère, parfaitement lucides et n’oppressant pas l’humanité. La religion traduit le chaos de la nature et le chaos des rapports sociaux dans le langage d’images fantastiques. Seule l’abolition du chaos terrestre peut supprimer à jamais son reflet religieux", in Sens et méthodes de la propagande anti-religieuse, 1925.

La plupart des oeuvres des auteurs marxistes sont disponibles en ligne sur http://www.marxists.org/francais/index.htm

6-Les positions de Robespierre sur Dieu sont intéressantes et proches, sur beaucoup de points, de la conception islamique du tawhid (la ila'a ilAllah), de son rejet du fanatisme et du rigorisme (à l'image du hadith rapporté par Mouslim et prononcé trois fois par le Prophète (PBDSL) : “Malheur aux rigoristes”), de son universalisme (“Et Nous ne t'avons envoyé que comme miséricorde pour la totalité des mondes”Coran, Les Prophètes :  21, verset 107 ) et de l'absence de clergé en islam. “Fanatiques, n'espérez rien de nous ! Rappeler les hommes au culte pur de l'Être suprême, c'est porter un coup fatal au fanatisme. Toutes les fictions disparaissent devant la vérité, et toutes les folies tombent devant la raison. Sans contrainte, sans persécution, toutes les sectes doivent se confondre d'elles-mêmes dans la religion universelle (…) Le sceptre et l'encensoir ont conspiré pour déshonorer le ciel et usurper la terre. Laissons les prêtres et retournons à la Divinité” in Robespierre, de Jean Massin, édition Portraits de l'Histoire. Dans un décret voté par la Convention, Robespierre ira plus loin : “Article Premier – Le peuple français reconnaît l'existence de l'Être suprême et l'immortalité de l'âme. Article 2 – Il reconnaît que le culte digne de l'Être suprême est la pratique des devoirs de l'homme. Article 3 – Il met au premier rang de ses devoirs de détester la mauvaise foi et la tyrannie, de punir les tyrans et les traîtres, de secourir les malheureux, de respecter les faibles, de défendre les opprimés, de faire aux autres tout le bien qu'on peut, et de n'être injuste envers personne”. Par la présente, Robespierre ne fondait rien moins que la première tentative d'institution d'une Shari'a républicaine. La Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 était déjà proclamée “sous l'égide de l'Être suprême”.  

7-La conception islamique de la justice sociale n'est pas un volet particulier réductible au seul droit musulman. Elle possède sa propre cohérence interne et se conçoit au sein d'une vision globale qui écarte toute idée d'assistanat, valorise la dignité et le pouvoir créatif de l'homme (khalifatallah  fil ard) fondé sur un pacte originel et cosmique le liant à son Seigneur, et s'accomplissant, outre par la dimension religieuse, sur une éthique de la production et du travail tendant et s'acheminant vers l'excellence (al ihsan). Pour autant, le devenir de la condition humaine, sa fragilité, sa faillibilité et les multiples dépendances de l'homme rendent nécessaire pour tous l'établissement de droits mais aussi de valeurs protégeant l'humanité de l'homme, promouvant la solidarité (sociale, intergénérationnelle, internationale) et garantissant la justice. L'institution de la zakat comme pilier de l'islam traduit cette exigence définissant l'aumône légale et purificatrice comme ce droit intemporel du pauvre et du nécessiteux sur ses semblables. Ce pilier a été révélé à la période médinoise mais les encouragements au don et au partage avec les déshérités de la terre apparaissent dès l'époque mecquoise de la Révélation. Le respect de cette obligation rituelle et sociale est l'un des attributs, avec la foi et la prière (salat), du croyant accompli tel que le décrit le Coran dans de nombreux versets. L'objectif de ce pilier étant de favoriser la redistribution des richesses et de garantir l'équilibre des forces sociales (mizanou l 'adala). Mais s'ils se repentent, s'ils accomplissent la prière et s'acquittent de l'aumône purificatrice, alors ce sont vos frères dans la religion” sourate médinoise 9 (11). Sourates mecquoises :“Et qui te dira ce qu’est la voie ascendante ? C’est délier un joug [affranchir un esclave], ou nourrir, en un jour de famine, un orphelin proche parent ou un pauvre dans le dénuement. Et c’est être, en outre, de ceux qui croient et s’enjoignent mutuellement l’endurance, et s’enjoignent mutuellement la miséricorde” 90 (12-18). “Sur leurs biens était reconnu un droit pour le mendiant et le déshérité” 70 (24). Voir aussi 93 (9-10), 74 (43-44), 51 (19)… 

8-Le calife Umar ibn al Khattab qui règna plus longtemps que son illustre prédécesseur instaura une politique sociale stricte et égalitaire fondée sur une pratique ascétique personnelle, radicale, ne laissant place à aucun privilège pour le pouvoir, ce qui en fait encore aujourd'hui dans le monde musulman l'archétype du souverain juste et inégalé. L'imam 'Ali ibn abi Taleb, quatrième calife, exprima sous d'autres formes comme ses fameuses sentences la même soif de justice sociale et plus largement d'équité.Dieu m'est témoin ! Je rendrai à l'opprimé son droit contre l'oppresseur, et je traînerai ce dernier par les cheveux jusqu'aux sources de la vérité, même contre son gré”. “Dieu a imposé la part du pauvre dans les biens du riche. Le pauvre ne connaît la faim que par suite du gaspillage des riches. Dieu demandera compte à ces derniers”. “Ordonne le bien et tu seras parmi les hommes de bien; combats l'injustice par la parole et par les actes, évite par ton action les injustes et mène au service de Dieu un combat réel.” Recommandations de l'imam 'Ali, extraites de Nahj al Balagha (La voie de l'éloquence).

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