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Le livre “Ma vie à contre-Coran” ou l’ islamophobie décomplexée

“Ce livre est un souffle”. “Ma vie à contre-Coran” de Djemila Benhabib

Avant l’arrivée de la valeureuse écrivaine, une jeune femme blonde aborde l’amie qui m’accompagne. Elle s’appelle Jeanne, c’est la conseillère juridique de NPNS et l’une des deux personnes chargées d’animer le débat. Croyant avoir repéré “les beurettes”, elle cherche sans détour – mais très maladroitement – à nous recruter. Lorsque nous déclinons notre identité, elle souligne en rigolant qu’elle “risque de confondre les prénoms”. Ils se ressemblent tous.

La même Jeanne, lorsqu’elle évoquera l’Islam prononcera le mot “Izlam”. Corrigée par une auditrice, elle confessera son ignorance en matière de prononciation. Faut-il en rire ou juste pleurer ?

Dans la salle, pas l’ombre d’un hijab – alors qu’il sera sans cesse question, plus ou moins explicitement, de ces femmes menaçant la cohésion républicaine parce qu’elles couvrent leurs cheveux. D’autres femmes, plus ou moins jeunes, d’origines ethniques diverses et quelques hommes sont venus assister à la promotion du livre. Une trentaine de personnes prêtes à écouter un prêche laïcard qui, sous le prétexte d’attaquer l’islamisme politique – sans l’avoir au préalable défini – dénigre tout simplement l’Islam.

L’introduction, déjà, était lourde de présupposés. Quand l’une des deux femmes chargées de présenter l’ouvrage, prononce le titre, sa langue fourche. Elle dit : “à contre courant”. Levée de boucliers dans la salle, le public hurle : “Contre Coran !”. C’est le cirque. On se lâche. Une dame dans l’assemblée surenchérit : “Il faut être convaincue tout de même !” Ils le sont presque tous pourtant, convaincus de la perversité intrinsèque d’une religion dont ils semblent ignorer les principes élémentaires puisqu’ils la réduisent à “ce qui se trame dans les caves”.

Quand Djemila prend pour la première fois la parole, elle déclare solennellement : “Ce livre, c’est un souffle”. Silence. On médite dans la salle, un ange passe – le pauvre ! Un souffle, assurément : celui du vide. Il suffit de lire la seule introduction pour avoir un avant-goût de la rhétorique générale de l’ouvrage où l’Islam est grossièrement assimilé aux traditions anté-islamiques – et l’islamisme à une idéologie fasciste.

Dans son livre, Djemila Benhabib écrit : “Face à la barbarie toujours prête à reprendre ses droits, nous avons la responsabilité, sinon le devoir, de la combattre.” Elle s’inscrit ainsi dans le sillage de la tradition réactionnaire du “clash des civilisations” tout en prétendant tenir des positions progressistes – or, citer rapidement Engels en introduction et se déclarer féministe ne prouve rien.

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Benhabib assimile, sans le moindre complexe, l’Islam à la barbarie et lui oppose la “civilisation occidentale”, à laquelle elle confère un préjugé toujours favorable. Quand on est ni pute ni soumise, on ne s’embarrasse pas vraiment de précision, ni de références historiques. On vit dans le monde merveilleux de la laïcité inoxydable où les conflits avec les méchants barbus et leur vilaine idéologie arabo-islamique finissent toujours par se résoudre dans la lumineuse blancheur philosophique des guerres impérialistes. Le bien l’emporte, quoi.

La rigueur intellectuelle de Benhabib peut se mesurer à son explication – en une phrase – de la philosophie de Spinoza : “Y’avait pas de laïcité dans le judaïsme, eh ben Spinoza, il était mal à l’aise.” C’est beau, on dirait presque du Philippe Val. D’autres remarques, dans la même veine, rappellent quelques vérités fondamentales : “Il faut vivre avec son temps” ou “La démocratie se porte mal quand on construit des mosquées.” Jacques Rancière n’y avait pas pensé…

Outre le ridicule – assez pathétique au fond – des femmes qui nous sont présentées comme des théoriciennes de la cause féminine arabo-musulmane, il faut souligner les conditions de leur accès à la parole publique, accès soumis à la propension à dénigrer les traditions de la communauté dont elles sont issues – notamment en stigmatisant les hommes qui en font partie. Lors de la rencontre, Djemila a déclaré : “Mon père est Algérien et pourtant il m’a toujours donné la possibilité d’évoluer et de m’émanciper”. Et pourtant.

Tout au long de la conférence, on aura pris soin de ne jamais accorder le moindre crédit aux personnes stigmatisées. Tariq Ramadan est ainsi évoqué : “Quand je le vois se pavaner avec sa cohorte de voilées, je ne vois rien de bon, vraiment je ne vois rien de bon.” Lucide, héroïque, pondérée, Djamila continue pourtant son combat : “Le seul référentiel pour moi, c’est le référentiel républicain” assène-t-elle avec une ferveur toute religieuse. Elle évoque ensuite les mariages mixtes, dressant le tableau d’une société française ou canadienne idéale, expurgée de sa composante musulmane. Evidemment, quand on la branche sur la burqa, elle ne résiste pas à une de ces analyses pénétrantes dont elle a le secret : “Jveux dire, euh, ça tombe pas du ciel, le voile islamique.”

Un ouvrage comme Ma vie à contre-Coran ne tombe pas du ciel, non plus. Il est le fruit d’une islamophobie décomplexée qui prend le prétexte des luttes féministes pour dénigrer l’Islam. Cette rhétorique pernicieuse, mise dans la bouche de femmes précisément issues de l’immigration, ne rend nullement service à celles qu’elle prétend – non sans un certain paternalisme – défendre. L’émancipation des femmes musulmanes sera l’oeuvre des femmes musulmanes elles-mêmes !

Aussi l’ouvrage de Djamila Benhabib, ainsi que la conférence qui a suivi sa publication, relèvent au final du non-événement. Car il n’y a vraiment rien à répondre de rationnel à une femme qui déclare sans rire, et avec l’assurance d’être progressiste : “J’ai déjà côtoyé des gens musulmans et modernes”.

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