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Le gouvernement boycotte Tariq Ramadan mais sponsorise un intellectuel ultra-sioniste

Lundi 13 mai, 18h30. Alors que des centaines de badauds s’affluent au Trocadéro pour célébrer la victoire du PSG, d’autres ont préféré s’installer dans le salon feutré d’un hôtel chic du 7ème arrondissement de Paris afin d’écouter le discours d’un homme féru d’histoire politique. Devant la trentaine de curieux réunis, Pierre-André Taguieff, accueilli comme un prince des lettres par le Centre national du Livre, prend place.

Pierre-André Taguieff

Le sociologue, directeur de recherche au CNRS, vient présenter son dernier livre dont il a assuré la direction collégiale : intitulé « Dictionnaire historique et critique du racisme » et publié par les Presses Universitaires de France, cet ouvrage colossal est disponible depuis mercredi pour la somme de 49 euros.
Entouré de ses collègues universitaires, Taguieff est interrogé avec délicatesse par la maîtresse de cérémonie du jour : Anne Sinclair, directrice du Huffington Post et visiblement grande admiratrice du philosophe.

Anne Sinclair, avec Laurent Bouvet et Alexis Lacroix, au « pot de l’amitié »

Avec emphase, elle compare le livre, salué également par la Règle du Jeu de Bernard-Henri Lévy, à une « rambarde » contre laquelle il sera salutaire de se raccrocher afin de rafraîchir sa compréhension de mots récurrents dans l’actualité. Dans la petite salle comble, le public est conquis par l’éloge de la journaliste. Chose curieuse pour la présentation d’un travail sur le racisme, l’assemblée présente est uniquement composée de Blancs. Installé au dernier rang et vite éclipsé, seul le chercheur associé à l’IRIS, Ali Laïdi, fait exception. Un de ses collègues, arrivé en retard, patiente debout contre le mur avant de prendre la place, laissée vacante dans le public, du sondologue Pascal Perrineau : il s’agit de Jean-Yves Camus, spécialiste de l’extrême droite et contributeur du site du CRIF. L’homme, passionné par les questions de « l’antisionisme »et de « l’antisémitismedans le monde arabe »,dévisage régulièrement les personnes présentes dans la salle.

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Jean-Yves Camus (de profil)

Durant près de deux heures, Pierre-André Taguieff et ses collègues ont ainsi exposé, de manière quelque peu pontifiante, l’objet de leur ouvrage, envisagé dès 1989 et préparé depuis six ans. Comme le résume sa notice, il s’agit d’un livre comprenant « 540 articles rédigés par 250 spécialistes » qui serait destiné à « lutter contre les racismes en connaissance de cause et avec la lucidité requise ». A la fin, aucune séance de questions n’a été accordée au public. Il fallait se contenter de venir, d’écouter, d’applaudir et de s’en aller. Une petite nuée d’admirateurs a rejoint et entouré constamment le philosophe, visiblement satisfait de son opération-marketing.

Contrairement aux apparences, il ne s’agissait pas là d’une quelconque présentation d’un ouvrage comme il s’en déroule quotidiennement, partout en France. D’abord, un lieu prestigieux : l’hôtel d’Avejan, siège du Centre national du Livre –un établissement public à caractère administratif qui « soutient »la publication de l’ouvrage. Ensuite, le parrainage : les participants étaient conviés à cette soirée inaugurale par Aurélie Filippetti, ministre de la Culture, comme en témoigne le carton d’invitation.
Léger problème : Pierre-André Taguieff n’est pas simplement un universitaire graphomane et cumulard. Il est également un idéologue proche de la mouvance ultra-sioniste et islamophobe comme l’illustre sa participation au site dénommé Dreuz.info. Se présentant comme un média  « francophone, chrétien, néo-conservateur et pro-israélien », ce site fournit régulièrement des tribunes violemment hostiles au monde arabe et à l’islam. Cet aspect dans la carrière de l’intellectuel est d’autant plus intéressant que l’homme fut présenté élogieusement par le président du Centre national du livre, Jean-François Colosimo, comme un « combattant antiraciste depuis 40 ans ». C’est d’ailleurs le même Taguieff qui fit brièvement allusion, lors de sa conférence, au « racisme » qui se fonde sur « ces thèses paranoïaques sur l’islamisation de l’Europe » alors que le site auquel il collabore est particulièrement prolixe dans ce registre.
Depuis une dizaine d’années, et notamment depuis la seconde Intifada et le 11-Septembre, Pierre-André Taguieff pratique le grand écart entre la position du chercheur patenté censé être impartial et celle du militant atlanto-sioniste obsédé par la menace d’une « judéophobie »imputée aux Français d’origine maghrébine. Il y a trois ans, il s’était également fait remarquer pour son usage des qualificatifs de « serpent venimeux »qui serait « passé à l’ennemi » et d’«employé des gardes-chiourmes du camp de Buchenwald », adressés à l’encontre de l’ancien résistant pro-palestinien Stéphane Hessel.
Auparavant, il avait été parmi les premières personnalités à lancer le concept controversé du « racisme anti-blancs ». Et, outre ses contributions alarmistes –relayées également par l’association radicale Europe Israël– au site du CRIF, Pierre-André Taguieff s’était aussi distingué, à propos d’Ariel Sharon, en évoquant « les supposées “victimes” (Palestiniens, Arabes, musulmans) de “l’impérialisme sioniste” », et en défendant l’ex-Premier ministre israélien contre « deux décennies de propagande palestinienne et pro-palestinienne » qui l’accusèrent d’un « fait mal établi et volontairement mésinterprété » : le massacre de Sabra et Chatila.
Désormais, Pierre-André Taguieff voue une passion au décryptage du prétendu « complotisme », quitte à souffrir lui-même du mal qu’il décrit régulièrement de manière abondante. Ainsi, suite aux évènements de Toulouse et Montauban, l’intellectuel a précisé sa pensée particulière à ses amis de Dreuz.info :
« Les assassinats-spectacles sont commis pour être imités. Les Indigènes de la République, ces Indignés de l’extrême, se sont promis d’importer en France le sanglant « printemps arabe » (qui n’a profité qu’aux islamistes), manière de prévenir les « souchiens »/« sous-chiens » qu’ils vont s’entendre dire « dégagez ! ». 
Leur seul programme est la haine de la France et des Français non issus de leur immigration de référence. Le désir d’avenir est chez ces indigènes imaginaires un désir de guerre civile. Qui sait si le pire n’est pas sûr… ».
L’homme peut en vouloir au mouvement des Indigènes de la République : en 2009, ces derniers avaient relayé un entretien éclairant avec Ivan Segré, philosophe franco-israélien et détracteur de Taguieff, qualifié de « réactionnaire philosémite ».

Boycotter l’un, sponsoriser l’autre

L’image d’extrémiste pro-israélien cultivée par Pierre-André Taguieff ne l’a pas empêché de continuer ses activités au sein du CNRS et d’être adoubé par la ministre de la Culture à travers le Centre national du Livre. Chose curieuse : c’est le même gouvernement qui s’est récemment illustré pour boycotter, via sa porte-parole et le ministre l’Intérieur, un colloque dans lequel figura Tariq Ramadan. Cet intellectuel, également universitaire et polémiste, est tout autant critiquable que n’importe quelle figure influente du monde des idées et Oumma ne s’est pas privé de donner aussi la parole à ses détracteurs. Pourtant, force est de constater ici un manifeste deux poids deux mesures : d’un côté, on diabolise un personnage public en raison de ses liens supposés avec les Frères musulmans et ses déclarations relatives au « moratoire de la lapidation » ; de l’autre, on parraine et finance un universitaire qui, outre ses propos régulièrement outranciers, collabore avec des publications anti-arabes et anti-musulmanes.
Quitte à rompre physiquement le cercle de ses admirateurs, il était tentant de se frayer un chemin vers l’intéressé, lundi au Centre national du livre, pour l’interroger sur le paradoxe de ses activités : superviser un  ouvrage pédagogique sur le racisme et participer lui-même à des sites racistes. C’eût été peine perdue : Pierre-André Taguieff n’avait pas envisagé de répondre aux questions du public ou de la presse, encore moins celles de médias alternatifs comme Oumma. En effet, l’homme n’apprécie guère notre site, qualifié d’ « islamiste » comme en témoigne cette annotation dans son dernier ouvrage, sorti en avril et dénommé « Court traité de complotologie ».

Extrait du « Court traité de complotologie » de Pierre-André Taguieff

Salué par Libération, cet ouvrage est dédié à Serge Moscovici, célèbre psychologue, père de l’actuel ministre de l’Economie et récemment décoré de la Légion d’honneur. A l’instar de BHL et de Caroline Fourest, Taguieff reprend à son compte le terme « islamiste » pour désigner Oumma sans, bien sûr, tenter de l’étayer par une quelconque démonstration. Nous sommes ici simplement cités en raison de notre interview de Roland Dumas, qualifié par le chercheur comme un « négationniste du 11-Septembre ». L’ancien président du Conseil Constitutionnel ne peut décidément trouver grâce à ses yeux : il est  l’un des rares anciens responsables politiques français à critiquer également l’Etat hébreu et à souligner, comme ce fut le cas dans son autobiographie parue en 2011, la collaboration occulte entre la police du renseignement français et les services secrets israéliens.
Pour résumer le logiciel mental de Pierre-André Taguieff, faisons « court », nous aussi : tout musulman critique de l’Etat d’Israël est un « islamiste » et tout citoyen ne se contentant pas des versions officielles sur telle ou telle affaire impliquant notamment la mouvance ultra-sioniste est un « complotiste ». Evidemment, si vous cumulez les deux qualificatifs, n’espérez pas obtenir de lettre de recommandation de la part de l’intellectuel-idéologue afin de décrocher un poste au CNRS, au Huffington Post ou au ministère de la Culture.

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