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Le FLN vu par l’écrivain Malek BENNABI (partie 1/2)

Peu de temps après son retour du Caire en Algérie dans l’été 1963, l’écrivain algérien Malek Bennabi, que J. Déjeux trouvait « unique en son genre », a formulé des jugements d’une grande sévérité sur le GPRA. Dans une conférence publique prononcée à Alger en février 1964, il a en effet inséré des incidentes très polémiques dont les auditeurs, puis les lecteurs ne connaissaient pas toutes les raisons : « pour la vérité historique, il faudrait ajouter que ce sont les membres du GPRA qui avaient donné l’exemple de cette course éperdue. Les uns lâchant tout un plan à Tripoli où la rédaction du programme n’était même pas achevée, rejoignent Tunis pour s’occuper de leurs « affaires personnelles » et mettre au point leurs combines, avant de remettre les pieds sur le sol natal, en libérateurs…Gouverner, c’est prévoir, dit-on. Le GPRA non seulement n’a pas prévu la situation qui a suivi le cessez-le-feu, mais il l’a précipitée par le comportement de ses membres…Jusqu’au jour où les libérateurs s’étaient précipités au Rocher Noir pour s’emparer du pouvoir, ils n’avaient en tête qu’une idée : réoccuper l’Algérie à mesure que le colonialisme évacuerait ses propres forces, afin que le peuple algérien n’ait aucune possibilité de leur demander des comptes sur leur gestion »1.

Textes inédits et écrits censurés.

Sans doute pour démentir l’impression de prendre parti pour les contestataires du GPRA, l’auteur rédige, en 1967, un article exposant ses critiques sur l’ensemble de la conduite de la guerre par le FLN depuis la création du CCE et du CNRA en septembre 1956. Mais la publication de cet article non-conformiste a été refusée par la rédaction de l’organe du FLN « Révolution Africaine » où l’auteur tenait une chronique hebdomadaire.

En 1970, Bennabi est revenu sur un sujet qui lui tenait à cœur, en publiant dans un ouvrage théorique des passages très critiques sur le rôle de Abane Ramdane qu’il juge beaucoup plus sévèrement que Messali Hadj2. Les méthodes de celui-ci n’étaient déjà pas bien vues par Bennabi qui l’avait connu de près dans les années 30 à Paris3.

C’est au moment de la parution, en 1980, de la traduction française du « Problème des Idées dans le Monde Musulman », que j’ai eu une copie d’un texte inédit écrit en arabe au Caire juste après la signature des accords d’Evian, dans lequel l’écrivain énumère ses dures critiques du FLN4.

En 1983, Salah Bensaï, qui était très lié avec Bennabi, m’a remis des copies d’une partie de la correspondance de l’écrivain avec le FLN, commencée en 1956 et interrompue en 19585.

L’examen de ces inédits permet de se faire une idée plus exacte des appréciations négatives de l’auteur sur les dirigeants du FLN, de trouver les raisons de cette sévérité pour dégager des enseignements sur le conflit entre le pouvoir algérien naissant avec un intellectuel engagé, de façon à compléter la connaissance des nombreuses crises internes du FLN. Pour expliquer ce conflit, il convient de mentionner, brièvement, le séjour de Bennabi au Caire de 1956 à 1963.

Le départ du Luat-Clairet au Caire du théoricien de la « colonisabilité »

A la fin du mois d’avril 1956, Malek Bennabi6 décide de quitter la France où il vivait depuis 1930 pour se rendre au Caire où était installée la Délégation Extérieure du FLN. Cet intellectuel difficilement classable qui partageait le sentiment nationaliste depuis 19257, et que les rapports du SLNA (Service des Liaisons Nord-Africaines) du Colonel Schoen citaient à la rubrique « réformisme », faute de mieux-avait derrière lui un quart de siècle d’activités intellectuelles et politiques qui l’avaient mis en contact avec les cheikhs Ben Badis et Tébessi, le Dr Bendjelloul et Messali Hadj, et des membres clandestins de l’OS du Constantinois, où il a été interpellé lors du démantèlement de cette organisation para-militaire du MTLD en 1950. Son départ a lieu après son refus d’occuper un poste politique important proposé par le gouvernement Guy Mollet8.

Il est accompagné par son ami de toujours, l’agronome Salah Bensaï9, venu spécialement du Maroc pour l’aider à traverser les Alpes, puis la Méditerranée via Gênes pour Alexandrie.

Les deux intellectuels avaient le sentiment d’une certaine légitimité nationaliste, malgré une attitude critique vis-à-vis des partis algériens et également de l’association des Oulémas dont ils étaient proches, tout en déplorant les insuffisances de certains de ses dirigeants. Bennabi avait sévèrement reproché à Ben Badis d’avoir mis, à l’occasion du Congrès Musulman Algérien de 1936, une formation religieuse à la disposition de politiciens dont il contestait la légitimité et les méthodes. Il avait cinglé ces amateurs de « boulitigue » (mot péjoratif de l’arabe parlé algérien désignant « la politique politicienne », mâtinée de combiazione italienne) ainsi que la « démagogie » attribuée à Messali-Hadj. « Le devoir est aussi une politique », rappelait-il aux tribuns qui faisaient régulièrement la quête pour aller réclamer « les droits à Paris »10.Tout en vilipendant le colonialisme11, Bennabi condamnait la politique qui se limitait à un réquisitoire anti-colonialiste en négligeant d’aborder les sérieux problèmes internes de la société musulmane et en faisant l’économie d’un effort éducatif conséquent. La notion de « colonisabilité » lui sert à résumer tous les complexes paralysants nés de la crise interne de l’Islam qui avait rendu possibles les conquêtes coloniales. Pour être à la hauteur des responsabilités post-coloniales, les ex-colonisés lui paraissaient devoir se débarrasser de tous ces obstacles psychologiques. Toute politique qui négligerait cet effort pédagogique préalable lui paraissait vaine. Les commentaires favorables à ce concept de « colonisabilité » dans les revues et journaux français faisaient croire aux militants nationalistes avides d’apologie que son auteur faisait le « jeu du colonialisme », consciemment ou non.12

Mais le concept avait créé des malentendus avec les dirigeants des formations nationalistes qui empêcheront Bennabi de jouer un rôle actif au service de la révolution algérienne, comme il voulait le faire en quittant définitivement le Luat-Clairet13, ce village de la vallée de Chérisy où il avait pris l’habitude de méditer, d’écrire, de cultiver son jardin et de recevoir ses amis Bensaï et Khaldi avec lesquels il avait de longues discussions sur l’actualité, et les personnalités drouaises liées à sa belle-famille14.

Depuis l’aggravation de la situation en Algérie, une voiture des Renseignements Généraux suivait ses déplacements du haut de la colline qui surplombe sa petite maison15. Il a préféré se soustraire à cette surveillance pour s’engager dans le combat anti-colonial plus activement que dans ses articles critiques16.

Relations conflictuelles avec les « Zaïms » du FLN au Caire.

Mais à son arrivée au Caire, un militant comme le Dr Lamine Debaghine lui reproche ses écrits sur la « colonisabilité » et s’en méfie, malgré le bon accueil de Khider et de Ben Bella17. Bennabi a fait quelques émissions à la « Voix des Arabes » où il a accepté de travailler un temps sous le contrôle du « grand cadi » Lakhdari, qu’il contestait au même titre que tous les autres « intellectomanes » auxquels il avait réservé des passages incendiaires dans ses écrits.

Après l’édition de « l’Afro-Asiatisme » (novembre 1956) par la maison gouvernementale égyptienne, il propose au FLN de le mandater pour expliquer la cause algérienne18, à l’occasion de la présentation de son livre dans différents pays. Mais les dirigeants du FLN ne donnent pas suite à cette demande. La publication du livre sur Bandoeng et l’édition de la traduction arabe des « Conditions de la Renaissance » rapprochent Bennabi des dirigeants égyptiens (qu’il préférait aux Frères Musulmans et, surtout, aux émirs séoudiens) qui le nomment conseiller à l’organisation du Congrès Musulman dont Anouar Sadate était le Secrétaire Général19. Le FLN ne juge plus utile de répondre à ses courriers, dont une lettre demandait son affectation dans une unité de l’ALN pour commencer à écrire son histoire20.

Bennabi se consacre à l’édition des traductions arabes de ses livres, prononce des conférences en Egypte, en Syrie et au Liban et compose d’autres ouvrages, directement rédigés en arabe, ou écrits en français puis traduits par le futur avocat libanais Kamel Mesqaoui(qui a été récemment ministre à Beyrouth) et l’égyptien Abdessabour Chahine, sans s’arrêter de protester contre les éditions-pirates, au Liban et en Irak notamment, des plus en vue parmi ses publications.

Témoignage pour le Cheikh Larbi Tébessi et protestation contre le massacre de Mélouza

Mais l’actualité lui donne l’occasion d’émettre des jugements sur le FLN à différentes reprises.

L’enlèvement du cheikh Larbi Tébessi, à Alger le 8 avril 1957 l’a fait sortir de sa réserve momentanée, car le vice-président de l’association des Oulémas a été présenté comme « un grand traître qui travaillait de connivence avec le colonialisme »21. Dans une mise au point proposée à la presse, Bennabi rappelle qu’il connaît personnellement depuis trente ans « la personnalité religieuse algérienne » enlevée. Il témoigne que L. Tébessi « est unanimement estimé dans le pays à cause des services rendus à sa renaissance morale et à l’organisation de son enseignement libre ». Au nom de sa « conscience d’honnête homme » et de son « devoir en tant qu’Algérien conscient de la gravité d’une situation où le colonialisme peut, désormais, assassiner son ennemi en collant sur son cadavre l’étiquette de la trahison », il entend, « devant Dieu et devant l’Histoire défendre l’honneur et la mémoire d’un homme qui n’a jamais transigé sur les principes. En même temps, il est de mon devoir, en tant qu’écrivain engagé dans la lutte anti-colonialiste depuis un quart de siècle, de dénoncer ici une situation où les forces incontrôlables qui ont abattu Mustapha Ben Boulaïd-qui était l’incarnation de la révolution- menacent désormais l’honneur et l’existence de tout algérien honnête »22.

A S. Bensaï, Bennabi fait part de son « impression que la sinistre bande qui est ici ne fera pas de démenti »23. Cela en dit long sur l’aggravation de son désaccord avec les « intellectomanes » qui venaient de rejoindre le FLN24.

Dans la brochure SOS-Algérie qui a été publiée, en arabe et en français, après le massacre de Mélouza du 29 mai 1957, Bennabi « demande à Dieu de faire revenir la direction du FLN sur la bonne voie ». Cela lui vaut le retrait de la brochure de la vente et une menace de connaître le même sort que Chadli Mekki25.

En décembre 1957, à l’occasion de la réunion au Caire de la deuxième conférence afro-asiatique, Bennabi se fonde sur les théories exposées dans son livre sur Bandoeng pour critiquer la délégation représentant le FLN. Il lui reprochait notamment de faire acte de présence, de manquer d’originalité et de ne rien proposer. Ces reproches lui tenaient à cœur après l’indépendance et il les a reformulés dans un éditorial de Révolution Africaine, où il est revenu sur le « deuxième Bandoeng » qui commençait à décevoir les espoirs suscités par la réunion d’avril 1955 : « Quant à la délégation du FLN, elle ne trouva rien de mieux à faire que de faire entendre de la tribune des peuples afro-asiatiques, non pas la voix de la révolution algérienne, mais d’un bout à l’autre les citations de la presse « progressiste » de l’Express à l’Observateur. Sans parler des faux écrivains désignés par le GPRA pour représenter l’Algérie au premier congrès des écrivains afro-asiatiques à Tachkent, en septembre 1958 »26.

A la parution, en 1958, du livre de Serge Bromberger sur les « Rebelles algériens », Bennabi le signale au Dr Lamine pour lui faire remarquer qu’il ne servait à rien de lui demander de se taire pour éviter au « colonialisme d’être au courant de nos divisions », puisqu’un de ses auteurs sait sur la révolution ce que ses dirigeants eux-mêmes ne savent pas toujours…

A suivre…

Article paru en avril 2002 dans le n° spécial “Aspects Militaires de la Guerre d’Algérie” de la revue “Guerres Mondiales et Conflits Contemporains”.

Notes :

1 De l’idéologie. Conférence publiée d’abord dans « Perspectives Algériennes », éditions Nahda, Alger, 1964. Reprise dans Malek Bennabi , « les Grands Thèmes », IPA, Alger, 1976, pp. 84-85.

2 Mouchkilat al Afkar fi’l Alam al Islami-Le Problème des Idées dans le Monde Musulman. Dar al Fikr. Le Caire. 1970. La traduction française de ce livre est parue à Beyrouth à la fin des années 70. Sa distribution en Algérie a été interdite également pour les mêmes raisons.

3 Bennabi, qui avait fréquenté, à Paris dans les années 30, avec H. Bensaï, les Trotskistes par le biais du peintre de Constantine Atlan, partageait l’avis de Khaldi selon lequel « à partir de 1933, avec la parution du journal al Oumma (de Messali) les Trotskistes commencent à s’intéresser au mouvement nationaliste nord-africain et particulièrement aux dirigeants qu’ils veulent endoctriner ». Préface à la 2° édition(1965) de : A. Khaldi, le Problème algérien devant la conscience démocratique, Alger, 1946

4 Chahada min adjl millioune chahid (Témoignage pour un million de martyrs, par Malek Bennabi, écrivain algérien) texte arabe manuscrit de 8 feuillets. Bennabi, qui est resté au Caire plus d’un an après la fin de la guerre, a confié en 1962 ce texte à Ammar Talbi, qui était alors étudiant en Egypte (et est devenu professeur de philosophie à l’université d’Alger), pour qu’il le remette aux éditions Nahda à Alger, dans le but de le faire publier dans la presse par son ami le Dr Abdelaziz Khaldi (1917-1972), qui avait passé la guerre au Maroc, en tant que chef de service à l’hôpital de Bou-Djaad. Malgré ses entrées, et son courage, Khaldi n’a pas réussi à rendre public ce témoignage.

5 S. Bensaï (1907-1990) était installé au Maroc depuis 1948 et Bennabi avec lui de nombreux échanges sur l’évolution de la révolution algérienne depuis leur étonnement commun d’avril- mai 1956 provoqué par leurs premiers contacts avec les responsables du FLN au Caire.

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6 M. Bennabi était né en 1905 à Constantine. Il a grandi à Tébessa où son père avait été nommé khodja à la Commune Mixte à sa sortie de la Médersa de Constantine. Le fils est passé également par cet établissement qui destinait à la magistrature musulmane et à l’enseignement de l’Islam. Après avoir exercé comme Adel (auxiliaire dans la magistrature musulmane) à Aflou et à Châteaudun du Rhummel, Bennabi se rend en 1930 à Paris où il décide de faire des études d’ingénieur à l’Ecole Spéciale de Mécanique et d’Electricité (Sudria). Il fréquente l’Union Chrétienne des Jeunes Gens de Paris de la rue Trévise (Paris 9°) qui organisait régulièrement des débats religieux, philosophiques et politiques. En 1932, il est élu secrétaire général de l’AEMNAF où il défend les thèses de l’Islah et de l’unité maghrébine. Il était soutenu par son ami et maître Hamouda Bensaï (1902-1999), qui l’avait précédé à la médersa de Constantine et préparait un mémoire sur Ghazali à la Sorbonne où il était lié avec Louis Massignon. C’est sous son influence que Bennabi s’est orienté vers les études sur l’Islam. Sur H. Bensaï, voir sa nécrologie par S. Sellam parue dans Islam de France.No 3. 1999 L’élève -ingénieur a fait partie également de l’association de l’Unité Arabe lancée par des étudiants orientaux proches de l’émir Chékib Arslane. A partir de 1936, il se met à rédiger des textes restés pour la plupart inédits, « l’Islam et le Japon en Asie » (1940), et le « PAS algérien »(1939) ; PAS désignant le Parti Apolitique et Social. En 1937 il est à la tête du « Cercle Culturel du Congrès Musulman Algérien » ouvert à Marseille par un groupe d’Algériens, dont Si Talmoudi, un ancien combattant de la première guerre mondiale. Bennabi a été profondément marqué par cette brève expérience qui l’a mis en contact direct avec les travailleurs algériens en France dont se désintéressaient les « Zaïms », et qui lui a fait prendre conscience du sous-bassement éducatif de toute action politique. La branche marseillaise de la « Brigade Spéciale de Police Nord-Africaine » mettait les activités de ce centre très fréquenté sur le compte de la « subversion bolchévique », sans s’aviser des références nitschéennes de Bennabi. Voir le livre hostile aux immigrés de J. Saint Germain, La Grande Invasion, Flammarion, Paris, 1939.

Après la deuxième guerre mondiale, Bennabi publie « le Phénomène Coranique » (Nahda, Alger, 1947) et « les Conditions de la Renaissance-Problème d’une civilisation » (Nahda, 1949). Dans le premier livre, il dit avoir voulu décrire un « ordre spirituel » à l’intention des jeunes musulmans à la recherche d’un équilibre entre leur culture musulmane et leur formation moderne. Dans le second, il aborde un « ordre social ». Il poursuit la réflexion du deuxième ouvrage en publiant « Vocation de l’Islam » (Seuil, Paris, 1954), où il expose sa thèse sur la « colonisabilité ». De 1948 à 1955, il collabore à la République Algérienne de Ferhat Abbas. Il écrit également dans le Jeune Musulman que dirigeait Ahmed Tewfiq al Madani, le secrétaire général de l’association des Oulémas.

En 1955, Bennabi rédige « l’Afro-Asiatisme. Conclusions sur la conférence de Bandoeng » que les éditions du Seuil acceptent de publier en suggérant toutefois d’y introduire quelques modifications que l’auteur refuse. En partant au Caire, il prend avec lui le manuscrit qu’il destinait à l’ambassadeur de l’Inde en Egypte dans le but de le faire éditer sous l’égide de Nehru.

7 Mémoires d’un témoin du siècle, tome 1 (l’enfant), SNED, Alger, 1965.

8 Lors d’une des séances de son séminaire hebdomadaire (qui continuait à Alger, à l’intention des étudiants, à partir de 1964, celui commencé au Caire en 1956), Bennabi a révélé : « le colonialisme m’a proposé d’accepter un poste qui n’avait jamais été occupé par un musulman. ». Par ailleurs, l’ancien délégué de Khenchela à l’Assemblée Algérienne Abdelkader Barakrok dit avoir été choisi parmi une dizaine d’autres personnalités algériennes reçues par G. Mollet lors de sa fameuse et mouvementée visite à Alger en février 1956. Selon ce témoignage, le président du Conseil socialiste songeait déjà à faire entrer un musulman dans le gouvernement. A. Barakrok, qui a fini par être nommé secrétaire d’Etat dans le gouvernement de Bourgès-Maunoury en mai 1957 sur proposition de G. Mollet, affirme avoir été préféré aux autres personnalités pressenties parce qu’il avait abondamment cité, au cours de son entretien avec celui-ci, des passages du livre de Bennabi « les Conditions de la Renaissance-Problème d’une Civilisation », Nahda, Alger, 1949. Les autres délégués à l’Assemblée Algérienne reçus par G. Mollet firent état de leurs connaissances de Montesquieu, de Tocqueville et de Renan. Cela faisait partie des tentatives de constitution d’une « Troisième Force » qui rappelait celle qui visait à multiplier le nombre des « élus indépendants » aux élections de 1948 et de 1951 notamment. Mohamed Arkoun, qui venait d’être reçu à l’agrégation d’arabe en juin 1956, s’est vu proposer le poste de préfet par le cabinet du ministre-résident Robert Lacoste qui tenait beaucoup à l’émergence d’un courant aussi éloigné des « colonialistes » que des « séparatistes » (entretien avec M. Arkoun en juillet 2001).

9 Frère de Hamouda, Salah Bensaï(1907-1990) était natif de Batna. Après des études d’agronomie à l’Ecole d’Agriculture de Maison Carrée, il se spécialise dans l’agriculture tropicale à l’Ecole d’application de Nogent-sur-Marne de l’Institut National Agronomie de Paris. Après avoir travaillé à l’OFALAC d’Oran, il est nommé, en 1937, directeur de l’Agriculture en Guyane. En 1943, il fait partie des collaborateurs du gouverneur de l’AOF. Il est candidat à Batna aux élections pour la Constituante de 1945, sur la liste du Dr Boumali, de l’avocat Benbahmed et de l’instituteur Tahrat. Après avoir représenté en Amérique la Société Amal de Tiar et de Abbas Turki, il se met à son compte en ouvrant en 1948 une usine de traitement du crin végétal à Ouezzan au Maroc. Après l’indépendance de l’Algérie, il refuse le poste de directeur de cabinet du ministre de l’Agriculture Ammar Ouzzegane, en raison d’un désaccord sur la nationalisation des terres des colons, puis celui de conseiller de Boumédiène pour les questions agraires, et préfère rester au Maroc jusqu’à sa mort en août 1990. Voir S. Sellam, Disparition de Salah Bensaï, un ancien compagnon de Bennabi, Mottamar, Paris, 1° trimestre 1991. L’agronome R. Miette le mentionnait encore en 1986 dans une étude sur la crise de l’agriculture algérienne qu’il impute en partie à l’absence d’un expert aussi qualifié que « l’Aurésien S. Bensaï »(revue du CHEAM, Afrique et Asie Modernes, n° de 1986, cité de mémoire).

10 Dans un numéro de la République Algérienne de 1953 (cité de mémoire).

11 Le colonialisme est qualifié de « totalitaire ». M. Bennabi, Vocation de l’Islam, Seuil, Paris, 1954, p.97 ; « l’œuvre coloniale est un immense sabotage de l’histoire », Ibid., p. 101 ; « l’Europe qui devait éclairer la marche de l’humanité, a fait du flambeau de la civilisation une simple torche incendiaire »,Ibid., p.118.

12 Cette grande demande de littérature apologétique a valu au livre du musulman du Caucase établi à Paris en 1921 Haïdar Bammate (Visages de l’Islam, Payot, Lausanne, 1946) un grand succès parmi les jeunes nationalistes algériens francophones. Bennabi a été amené à dénoncer l’évasion et la nostalgie qui résultent de la lecture des ouvrages apologétiques comme « le Soleil d’Allah brille sur l’occident » de l’allemande S. Hunck, dont il a déploré l’effet dans « l’œuvre des Orientalistes et son influence sur la pensée musulmane moderne », éditions « Révolution Africaine », Alger, 1968. Il préférait inciter à plus de sens des responsabilités en introduisant le maximum d’exigences morales et intellectuelles dans le débat politique. D’où l’irritation provoquée par ses interpellations dérangeantes au sein de la classe politique algérienne post-coloniale.

13 Localité proche de Dreux dans l’Eur-et-Loir, dont le nom est devenu Luray.

14 La belle-mère de Bennabi, Mme Mornas, possédait le moulin de Bécheret à Marsoceux près de Dreux.

15 Entretien, en 1984, avec Mme Goupil, sa voisine à qui il a confié avant son départ : « on me guette ». Selon cette dame à la mémoire phénoménale, il y avait effectivement une voiture des Renseignements Généraux qui surveillait régulièrement ses mouvements depuis l’aggravation de la situation en Algérie.

16 Il a publié une centaine d’articles dans la République Algérienne comme : la lettre ouverte au Cheikh El Assimi, à propos des ingérences administratives dans les affaires du culte musulman, une autre à Borgeaud après le refus de l’investiture à P. Mendès-France, la réponse aux articles sur l’Afrique du Nord publiés dans le Monde par R. Montagne, la réaction au refus de Mohamed Bedjaoui au concours de l’ENA, la condamnation de l’assassinat de Hédi Chaker, la polémique avec l’agronome R. Miette à propos de la réforme agraire en Egypte,….

17 « Voilà encore des parachutés de Paris », a chuchoté le Dr Lamine à son voisin de table en voyant arriver Bennabi et Bensaï. C’était la période où le FLN du Caire redoutait surtout l’arrivée des messalistes et laissait s’installer des intermédiaires venus proposer leurs services pour des négociations avec le gouvernement G. Mollet, ou des musulmans proches des partis comme le MRP, le parti radical et la SFIO voulant prendre la température. Bennabi a tenté de mettre en garde Ben Bella contre cette catégorie d’hommes politiques et notamment ceux qui sont arrivés dans le sillage de F. Abbas qui avait rallié le FLN au Caire le 23.4.1956, après avoir eu des entretiens au Gouvernement Général à Alger et dans plusieurs ministères à Paris (entretiens avec S. Bensaï).

18 L’ambassadeur indien avec lequel Bennabi était en correspondance, et qu’il avait sans doute vu lors de son passage au Caire en juillet 1954, a été muté juste avant l’arrivée de l’écrivain et le projet d’édition à New-Delhi a été abandonné.

19 La maison Dar al Orouba qui a édité les « Conditions de la Renaissance » a mis Bennabi en rapport avec le cheikh Baqouri, un ancien Frère Musulman qui avait accepté d’être le ministre des Waqfs de Nasser contre l’avis du guide de la Confrérie, El Hodhéibi, et avec le cheikh Al Ghazali. Il est devenu l’ami de Kamel Eddine Husséin, un « officier libre » nommé ministre de l’Education Nationale. Ce sont ces relations qui ont aggravé les rapports déjà conflictuels de Bennabi avec les dirigeants du FLN qui devaient faire anti-chambre avant de se faire recevoir par les responsables égyptiens.

20 Document inédit conservé par S. Bensaï donnant la liste des lettres de Bennabi aux chefs du FLN (Abbas, Lamine, T. Madani, Ben Khedda, Ouamrane…) qui sont restées sans réponse. L’écrivain a remis en vain à Lamine Debaghine une lettre ouverte datée du 5.11.1956 expliquant à G. Mollet les raisons de son soutien à la révolution algérienne, pour la faire lire « au programme de radio-diffusion quotidien du FLN sur l’antenne du Caire ».

La traduction arabe d’une de ces lettres a été publiée dans M. Bennabi, Fi Mahab al Ma’raka (Dans le Souffle de la Bataille) , Dar al Orouba, Le Caire, 1961, pp. 104-106. L’auteur entendait réagir à une campagne de rumeurs lui reprochant d’être resté « au-dessus de la mêlée ».

21 Dépêche de l’agence Associated Press citée dans la lettre de mise au point de Bennabi datée du 10.4.1957, dont une copie a été adressée à S. Bensaï qui vivait entre Casablanca et Ouezzan au Maroc.

22 Lettre op. cit. Bennabi est resté marqué par l’enlèvement de L. Tébessi puisque, onze après, il a dédié son livre « Islam et Démocratie », Edition Révolution Africaine, Alger, 1968, à « cet homme dont la postérité ne trouvera même pas le nom sur une pierre tombale… »

23 Lettre datée du 10.4.1957 adressée à S. Bensaï en même temps que le démenti concernant L. Tébessi.

L’association des Oulémas a publié un communiqué dans lequel elle révèle, « afin d’éclairer sur le sens de cette arrestation » que « depuis quelques mois, le Cheikh L. Tébessi était l’objet de pressions et de manœuvres…pour faire de lui « un interlocuteur valable » ; sa position ferme et sa solidarité totale avec le peuple en lutte pour son indépendance nationale ont dû exaspérer les services administratifs de M. Lacoste ». Résistance Algérienne du 29.4.1957. SHAT-1H2589. Les détracteurs d’Abane Ramdane affirment qu’il était lui-même indisposé par l’intransigeance de L. Tébessi.

24 Bennabi vilipendait les faux intellectuels qui s’engagent en politique après avoir fait l’économie d’une réflexion approfondie sur la nature des problèmes auxquels ils sont incapables d’apporter des solutions. Il a utilisé ce terme pour la première fois en 1936 dans l’article « Intellectuels ou Intellectomanes ? » écrit en réponse à celui de Ferhat Abbas « la France, c’est moi ». Lamine Lamoudi, qui dirigeait le journal « La Défense » a refusé de publier cet article « pour ne pas compromettre l’avenir de F. Abbas », comme il l’a expliqué à Bennabi quand il est venu à Paris avec Ben Badis dans la délégation du « Congrès Musulman Algérien », en août 1936. Voir Mémoires d’un Témoin du Siècle, tome 2, l’étudiant (en arabe), Dar al Fikr, Beyrouth, 1970. Une copie de cet article censuré a été conservée à Batna par Hamouda Bensaï qui a pu le publier dans un journal à Constantine en…1990 !

25 Militant du PPA installé au Caire depuis 1945, C. Mekki a été arrêté en 1956 par la police égyptienne à la demande de Ben Bella et de Khider qui lui reprochait son messalisme. F. Abbas l’a fait libérer en 1960, à la demande du commandant Brahim Mezhoudi, originaire de Tébessa comme lui.

26 La mission des élites africaines, Révolution Africaine du 13.8.1967. repris dans M. Bennabi, Pour Changer l’Algérie, Société d’Edition et de Communication, Alger, 1989, p. 238. Le refus de cette dépendance intellectuelle lui a inspiré, après 1963, des passages ironiques sur « l’esprit Bien Vacant », au moment où l’attribution des « biens vacants » laissés par les Français d’Algérie était devenue un des principaux enjeux des querelles politiques algériennes, aux dépens du débat d’idées.

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