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Le féminisme est-il nécessairement anti-religieux ?

Un certain nombre de tribunes récemment publiées dans la presse ont laissé penser qu’une posture féministe sur le thème du foulard ne pouvait s’accompagner que d’un discours intransigeant à l’égard de ce symbole religieux et identitaire. En réalité, le débat est beaucoup moins tranché qu’il n’y paraît. Au sein même de notre association, Les Sciences Potiches se Rebellent, les postures divergent fortement.

Les féministes sont en effet confronté-es à un dilemme. D’un côté, notre engagement nous pousse à condamner sans réserve toute entreprise de domination sur le corps et l’esprit des femmes ; pour autant, l’exclusion de celles qui portent le foulard et toute interdiction le concernant que ce soit sous la forme d’une loi ou d’une charte font encore peser sur les femmes une stigmatisation supplémentaire dont elles se passeraient bien.

Alors que la plupart des commentateurs « autorisés » se contentent de condamner le port du voile en rappelant les principes républicains, il nous semble au contraire que toute prise de position doit découler d’une approche considérant le foulard comme un fait social. Il ne nous appartient pas, en tant que militant-es féministes et étudiant-es, d’entrer dans le débat sur l’exégèse coranique et encore moins de discuter de la foi des jeunes femmes qui s’en réclament. Qui plus est, se référer à la laïcité et s’opposer à tout prix au communautarisme, ne permet pas d’annuler une évolution indéniable : notre société est multiculturelle. Ceux qui se plaisent à comparer le « combat pour la laïcité » de la fin du 19e siècle en France à la situation actuelle semblent par ailleurs ignorer qu’à l’époque les Républicains avaient à faire à une institution dominante, ce qui est loin d’être le cas de la revendication religieuse d’aujourd’hui.

En revanche, nous pensons que le développement dans certains segments de la population du port du foulard – en tant que symbole sexué (il n’est ni un simple vêtement, ni semblable à certains autres signes religieux tels que la croix) – nous parle de notre société (l’échec de certaines politiques de la ville, le racisme et la peur du fait religieux) et de la relation entre espace public et corps féminin. « L’affaire du voile » n’intervient pas à n’importe quel moment : on assiste depuis dix ans à l’irruption dans la culture publique d’une nouvelle norme dominante et ultra-agressive concernant le corps des femmes. Sur-sexualisé, celui-ci est soumis à une nouvelle discipline qui conditionne son allure et son comportement, formatage préalable à sa marchandisation. Autant dire que le string et autres accessoires participent également à cette logique, et ce n’est pas un hasard si la polémique qui les concerne est concomitante à celle du voile. En effet, le port du foulard est souvent vécu de façon réactive face à un modèle dominant en s’affirmant comme une alternative : de la même façon que la religion (ou le sport, les études !) permet à certains garçons de s’inscrire en faux par rapport à la violence physique et morale des ghettos, le foulard joue pour certaines jeunes musulmanes le rôle de substitut moral. En d’autres termes, le fait religieux assume une fonction sociale : ce n’est pas une nouveauté, cela fait plus d’un siècle que la sociologie l’a mis en évidence ! Ainsi il ne suffit pas de déplorer l’influence de certains milieux religieux sur la jeunesse, il faut aussi se demander pourquoi d’autres référentiels ont si peu de prise chez les jeunes filles, notamment le féminisme qui déplace la question normative de la morale vers l’égalité entre les sexes. Peut-être devrions-nous nous arrêter sur le fait que notre mouvement souffre d’un vide générationnel chez les 35-50 ans qui n’a pas aidé à sa diffusion.

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L’adolescence n’a certes jamais été une étape facile ; il reste que pour les jeunes filles d’aujourd’hui, elle est plus que jamais prise dans l’étau des paroles d’autorité : « couvre-toi », « découvre-toi », les messages contradictoires des adultes moralisateurs et détenteurs de vérité ont de quoi dérouter. Celles qui cèdent à l’une ou à l’autre injonction ne font que s’adapter à leur environnement, en tentant de trouver comme chacun de nous, leur place dans la société. De quoi les protégerions-nous en les excluant de l’institution scolaire ?

Dans les situations où le voile est imposé et rejeté par celle qui le porte, notre condamnation doit de toute façon se référer à un cas de maltraitance et non au principe de la laïcité qui consacre la neutralité de l’Etat et non celle des citoyen-nes. Mais que faire dans les cas où le foulard est assumé, voire est conçu comme émancipateur ? La moindre des choses serait d’écouter ce que les jeunes filles voilées ont à dire et respecter leurs engagements et leurs motivations diverses. Quitte à en surprendre plus d’un-e, nous avons relevé des similitudes entre les attentes féministes et les discours de certaines filles qui portent le foulard : ainsi, ne plus incarner un corps sexué mais être reconnu pour ses compétences et son individualité est une des qualités reconnues au voile par celles qui le portent. Si pour ces dernières cela est de la responsabilité des femmes ; pour les féministes le dépassement du genre implique un changement culturel et politique de l’ensemble de la société.

C’est sur la base d’une telle compréhension que nous pourrons réellement discuter de ce point de désaccord en apportant une alternative féministe audible qui ne se pose pas nécessairement en anti-thèse de la religion mais la respecte en tant que banal phénomène social porteur de dynamiques complexes, parfois contradictoires mais pas nécessairement négatives ou anti-modernisatrices.

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