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Le difficile chemin vers “l’islam des Lumières” (theconversation.com)

Le 2 octobre 2020, Emmanuel Macron prononçait un discours sur la lutte contre les séparatismes et annonçait un projet de loi sur l’islam en France, attendu pour décembre 2020.

Le président français estimait que la République et les musulmans de France doivent ensemble « bâtir un islam des Lumières », autour de l’autonomie de l’islam de France (vis-à-vis des influences étrangères), de la lutte contre l’extrémisme et d’un islam compatible avec les valeurs de la République.

Ces dernières années ont vu ce concept acquérir une certaine popularité ; de plus en plus de politiciens, d’intellectuels et de journalistes utilisent volontiers l’expression pour désigner un islam progressiste et libéral.

Alors que de nombreuses questions subsistent quant à cette future loi, le meurtre de Samuel Paty, enseignant d’histoire, le 16 octobre 2020, vient mettre à l’épreuve les promesses d’un islam des Lumières.

Le test de l’historien : l’islam des Lumières n’a pas de passé

L’historien a beau chercher l’expression dans l’histoire de la pensée musulmane, par delà les quinze dernières années et ailleurs qu’en France, « l’islam des Lumières » n’a pas de passé.

Certains considèrent le réformisme musulman du XIXe siècle comme le début ou le modèle de l’islam des Lumières ; pourtant, ils ne peuvent ignorer le traditionalisme de ces réformistes, qui n’ont remis en cause ni les dogmes, ni les pratiques ou les idées majeures de l’islam classique. Ils ont en fait considéré l’islam en tant que régulateur institutionnalisé des sociétés arabo-musulmanes et refusé la séparation entre la religion et la politique.

Les concepts de tanwir ou anwar en arabe (rushangiri en persan), qui signifient lumières, représentent en réalité un effort intellectuel marginal dans la pensée musulmane, qui s’est surtout révélé durant les trente dernières années du XXe siècle, en réaction à la montée de l’islamisme.

En Égypte, le penseur Hassan Hanafi en particulier, sous influence de la phénoménologie et de l’idéalisme allemands, a tenté dans les années 1980 de construire une philosophie islamique des Lumières mais elle n’a eu aucun effet sur l’évolution de la pensée religieuse. Son impact s’est limité aux étudiants en sciences humaines, en raison de ses incohérences, son éclectisme et son militantisme.

Ce chantier a été repris par des intellectuels musulmans plus critiques et analytiques comme Nasr Hamid Abu Zayd en Égypte et Abdolkarim Soroush en Iran, qui ont envisagé les Lumières comme méthode critique de la pensée religieuse, directement appliquée aux textes religieux. Mais ces intellectuels ont été rapidement écartés de l’espace public et ont tous les deux cherché exil en Occident.

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Les intellectuels modernistes n’ont en fait pas cherché « à produire de l’islam », c’est-à-dire de la pensée religieuse, des dogmes, des normes ou des pratiques de cette religion sous influence de la critique, du rationalisme ou du sécularisme des Lumières françaises. Leur volonté était davantage d’historiciser cette pensée, c’est-à-dire de l’inscrire dans un contexte historique, et de s’émanciper du legs de la civilisation islamique mourante et de sa pensée religieuse traditionaliste.

Bref, les réformistes faisaient de l’islam sans lumières (ou peu) et les modernistes des lumières sans islam (ou peu).

Usages contemporains francophones : origine, pamphlets, paris et promesses

L’islamologue franco-algérien de premier plan Mohammed Arkoun, tout en parlant d’un âge des lumières à Bagdad au Xe et XIe siècles, refuse de le comparer aux Lumières européennes. Les historiens parlent d’ailleurs plutôt d’un essor civilisationnel.

La tâche à effectuer, selon lui, consiste en une critique des mythes et des récits-cadres de la pensée musulmane, comme étape nécessaire à la désacralisation de la vérité religieuse et à la refondation d’une pensée humaniste, plurielle, rationaliste et séculariste dans le monde musulman.

Parallèlement, Mohammed Allal Sinaceur, le philosophe marocain écrivant en français, désignait en 1991, dans Le Monde diplomatique, l’interprétation coranique effectuée par Jacques Berque (anthropologue, historien et islamologue français) comme un « Coran des Lumières », dans le sens d’une « révélation comprise dans les limites de ce que la raison peut comprendre ».

C’est ainsi, en fait, qu’est née l’expression « l’islam des Lumières » : un commentaire d’un philosophe sur l’œuvre d’un érudit et traducteur du Coran. Mais tout cela est malheureusement resté anecdotique. La montée de l’islamisme qui a spectaculairement frappé le monde occidental à travers les événements du 11 septembre 2001 a motivé quelques intellectuels musulmans franco-maghrébins à imaginer un autre islam dans une perspective apologétique : se défendre contre la violence islamiste par la promotion d’un islam à visage humain.

Bien que ceux qui utilisent l’expression soient nombreux, le seul intellectuel à avoir réellement produit un effort pour « construire » un islam des Lumières est Malek Chebel, anthropologue et penseur franco-algérien. Celui-ci a publié en 2004 Le Manifeste pour un Islam des Lumières. 27 propositions pour réformer l’islam.

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