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« Le creuset de Dieu », un ouvrage majeur de l’universitaire américain David Levering Lewis

 God’s crucible « Le creuset de Dieu » de l’universitaire américain David L. Lewis. Cet ouvrage n’est toujours pas paru en version française. Oumma vous propose une recension. 

Un révélateur récent des premières rencontres entre le monde islamique et l’Europe chrétienne n’a guère besoin de justification. « Le Creuset de Dieu » est un vaste panorama de la progression spectaculaire de l’Islam, la formation de la chrétienté en Occident et la confrontation ultérieure de ces cultures, en particulier dans et autour de l’Espagne.

Le récit de Lewis est impressionnant et complexe, les grandes pages de l’histoire s’y rassemblant comme les caravanes à travers le Proche-Orient ancien et l’Europe obscurantiste du Moyen Age. Les armées perses sont là, enlisées dans un conflit avec les Romains. L’Empire byzantin, le feu grec crachant sa flotte défend Constantinople avec ses murs impénétrables. Les villes islamiques de Damas et de Bagdad deviennent des merveilles de l’apprentissage et de l’architecture. Un Charlemagne surdimensionné recrute des chercheurs « infidèles » dans sa Cour et des esclaves pour les guerres.

A certains endroits, l’arianisme reste majoritaire malgré l’oppression continuelle de l’orthodoxie trinitaire (religion officielle de l’empire romain depuis 325). L’Espagne en est le parfait exemple, c’est ce qui expliquera la progression rapide des musulmans. Les Nestoriens suivront alors le chemin de l’exil vers l’est (Marco Polo pourra les rencontrer en Chine). Quant aux Vikings, ils rôdent sur les côtes d’Europe du Nord, pillant, entre autres, les monastères anglais.

Le texte définitif du Coran est établi au septième siècle et une tradition chiite minoritaire se sépare de la majorité sunnite. Les Papes italiens forment des alliances avec les rois francs, ouvrant la voie à des controverses sur les investitures à venir. La poésie épique retrace les batailles de préparation en Espagne. Les épices et les articles de luxe, en provenance de Chine et de l’Inde, voyagent à travers l’Afrique du Nord pour remplir les étals de Cordoue. L’Espagne avec ses 70 bibliothèques, la Grande Mosquée magnifique avec ses arcs en fer à cheval rayé, et la communauté juive prospère dans laquelle naquit Maïmonide. Ce grand philosophe juif qui écrira ensuite son chef d’œuvre « Le guide des égarés » en arabe.

Avec tout son dynamisme, le monde islamique a des siècles d’avance sur l’Europe chrétienne. Comme si nous y étions, l’auteur décrit avec force détails les circonstances des expéditions refoulées tout d’abord à Toulouse, ensuite à Poitiers. Il remet en question la version classique de cette dernière, puisqu’un des chapitres s’intitule « Le mythe de Poitiers ».

En effet, Lewis a raison de remettre en cause certaines grilles de lectures anachroniques de cette époque, comme les grands affrontements de civilisations religieuses. Toulouse, encore plus Poitiers, était le théâtre de jeu d’alliances claniques et interpersonnelles, les dimensions religieuses s’avérant secondaires. Des concepts, tels que l’Europe et la civilisation occidentale, n’existaient pas encore.

Dans l’Espagne islamique, les conquérants d’Al-Andalus firent montre d’une tolérance relative, un fait historique notoirement connu. Lewis éclaire l’attitude des conquérants musulmans envers les autres religions à la lumière de l’injonction coranique « Point de contrainte en religion ». Les chrétiens et les juifs pouvaient par conséquent maintenir leurs pratiques religieuses et préserver leur identité en Espagne. Mais Lewis est prudent et ne va pas jusqu’à idéaliser la tolérance andalouse.

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Les non-musulmans sous domination musulmane étaient assujettis à une taxe spéciale. En outre, les non-musulmans portaient des signes et des vêtements distinctifs, durant certains épisodes sombres de cette même période. Mais force est de reconnaître également qu’aucun exemple de tolérance religieuse similaire n’existait en Europe avant le seizième siècle.

L’un des grands héritages de l’Espagne islamique légués à l’Europe chrétienne est sans conteste son rôle de “courroie de transport” de la connaissance ancienne et moderne. Les Arabes savaient comment fabriquer le papier, la production de livres leur étant ainsi grandement facilitée, pendant que, au-delà des Pyrénées, les Européens utilisaient encore les peaux d’animaux pour en faire du parchemin. La taille des bibliothèques arabes reflétait bien leur avance technologique et les avantages de l’accès aux sources anciennes : une collection unique à Cordoue recelait en son sein 400.000 volumes, tandis que les monastères chrétiens en Europe n’en contenaient que plusieurs centaines !

Les chiffres arabes se sont répandus via l’Espagne en Europe, comme l’algèbre (al-Jabr), sans oublier les textes médicaux d’Avicenne avec son fameux Canon qui servirent de manuel à tous les étudiants en médecine pendant 5 siècles, et le grand mouvement de traduction initié, à Tolède, par le roi Roger II de Sicile, au XIIe siècle dans le cadre de ce que Lewis appelle une « collaboration interreligieuse prodigieuse.”

En outre, l’un des plus grands philosophes de tous les temps, le Commentateur par excellence d’Aristote devenu célèbre en Occident sous le nom Averroès, Ibn Ruschd a eu une influence considérable sur la scolastique chrétienne et favorisé la propagation de la métaphysique aristotélicienne dans les milieux chrétiens. Thomas d’Acquin le surnommait « Le Commentateur » de génie, d’ailleurs la pensée de ce dernier a rencontré un plus grand succès en Occident qu’en Orient. La rencontre des trois grandes religions était académiquement fertile, malheureusement la Reconquista (la reconquête de l’Espagne), l’Inquisition et les Croisades ont détruit cette dynamique.

« Le Creuset de Dieu » est un ouvrage de poids, tant sur le plan du volume que de l’importance qu’il revêt, dont l’écriture est vivifiée grâce à l’emploi de formules métaphoriques. Un « haut lieu de négociation » entre un prêtre et un roi, par exemple, “déplié au milieu des peaux d’ours, des armes empilées, les ronflements des chiens, les os encombrés et des cruches de vin renversées ». Voilà qui est particulièrement rafraîchissant dans un livre dont l’ambition n’a d’égal que la portée, et qui n’est pas dénué de lyrisme.

Cet ouvrage volumineux nous
rappelle que la civilisation arabo-musulmane s’intercale entre deux périodes historiques majeures que sont l’Antiquité et la Renaissance. La Renaissance,  dont il convient d’insister sur le fait qu’elle n’aurait jamais pu éclore aussi rapidement sans l’apport décisif des musulmans dans les différents domaines scientifiques : médecine, astronomie, physique, chimie, mathématiques …, ainsi que la philosophie, cette discipline capitale pour l’évolution des sociétés.

David Levering Lewis, né le 25 mai 1936 à Little Rock. Il enseigne l’histoire à l’université de New York. Il est surtout célèbre pour avoir eu le prix Pulitzer en 2000.

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