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Le Coran est notre Livre : Communauté de différences

Depuis que l’Occident a pris connaissance du Coran il n’a de cesse d’en critiquer la forme et l’origine. Cela se conçoit, après tout, croire qu’il s’agit de la dernière Révélation de Dieu adressée à l’humanité est affaire de foi et, à cela, nul n’est obligé : “ Si ton Seigneur l’avait voulu, tous les hommes sur Terre eussent été croyants. Alors, sache donc que tu n’as pas à contraindre les gens afin qu’ils croient.” S10.V99.

Dévaloriser le contenu du Coran remplit au fond double fonction : En réduire la valeur intrinsèque, et ce sont alors les musulmans arc-boutés à sa lecture qui en sont par contrecoup minorés. Mais de telles critiques en réfutent aussi l’origine divine ; comment Dieu aurait-il donc pu produire un ouvrage de si piètre qualité ! Seul un contrefacteur mal-lettré aurait pu commettre un écrit si décousu et manifestement copié à l’ombre des Saintes Ecritures.

L’impensable, le refoulé absolu : que Dieu se soit adressé à un Arabe ! Il y aurait là comme une erreur que l’Histoire n’aura de cesse de dénoncer et de vouloir prouver…à défaut, elle la combattra.

Le Coran donc ne serait qu’un plagiat malhabile, une composition hétéroclite établie à partir d’une connaissance partielle des Ecrits Juifs et Chrétiens. Muhammad n’aurait fait que dicter de vagues copies, de pâles souvenirs d’enseignements donnés par on ne sait trop quels rabbins ou moines rencontrés au gré de ses voyages commerciaux de jeunesse. Assemblage mal traduit mais assaisonné d’un monothéisme intransigeant, quasi simplisme, prouvant le peu de goût théologique du caravanier. 

L’homme n’a pas attendu les orientalistes et les pseudos spécialistes pour porter l’accusation, le Coran en témoigne : “ Et, les dénégateurs disent : « Ce n’est qu’un détournement mensonger de sa fabrication, et d’autres gens l’assistent en cela…” S25.V4.

Cependant, nous musulmans, ne cherchons nullement à nier la parenté entre le Coran et d’autres Ecrits Saints d’autres religions. L’ultime révélation ne s’inscrit pas hors de l’Histoire, mais en une parfaite continuité de l’histoire de la Révélation. Le Coran, pour être la dernière Révélation, n’en est pas moins paradoxalement la plus ancienne. En effet, selon sa propre théorie, chaque révélation est une re-révélation à partir d’un archétype contenu en la Table bien gardée, al lawh al mahz.

A chaque nouveau prophète suscité, Dieu procède à une révélation adaptée à partir de ce « prototype céleste  » (plus exactement nommé « L’Ecrit Archétypique », une des acceptations coraniques du mot Kitâb) et est ainsi révélé aux hommes un nouveau Message. Toutes les révélations ont donc la même origine. Elles ne différent que par la forme mais, conséquemment, pas sur le fond. En d’autres termes, il n’y a qu’un seul Message celui de l’unicité divine ou tawhîd, qui revêtira diverses formes d’expression.

Ces modalités de présentation varient en fonction de la langue du Prophète transmetteur, des cultures et des besoins, mais aussi, fait essentiel, en fonction du taux de déformation qu’auront subi les révélations antérieures sous la pression du temps et de l’activité interprétative des hommes. Chaque révélation est ainsi la confirmation et la réactualisation de ce Message constant et unique, communauté de différences donc. Sous cet aspect, le Coran est bien tout à la fois la dernière révélation chronologique mais aussi la plus ancienne, c’est-à-dire la dernière émanation de l’Original.

Ainsi, le Coran se conçoit-il comme étant le prolongement et la conclusion des révélations antérieures, notamment la Torah et l’Evangile :

“ Ô Gens du Livre, voici que vous parvient un Messager porteur de preuves et d’éclaircissements après qu’eut lieu une interruption des prophéties…” S5.V19.

Le Coran résulte de la Révélation en tant que mouvement sans cesse régénéré par lequel Dieu enseigna aux hommes Sa « parole » :

“ Dieu t’a révélé progressivement le Coran, confirmation de ce qui l’a précédé, comme Il avait de même révélé la Torah et l’Evangile…” S3.V3.

Cette re-révélation est effectuée à partir de « l’archétype », ou « prototype immuable », la matrice de chacune de ces nouvelles révélations :

“Seul Dieu peut avoir conçu ce Coran, et il s’agit bien d’une confirmation de ce qui l’a précédé, un exposé du Livre [ici, l’Ecrit archétypique] ne contenant aucun doute et provenant du Seigneur des mondes.” S10.V37.

Il y a donc une origine commune à toutes les révélations, la communauté de texte est ainsi logique et relève d’un phénomène cohérent :

“ Il y eut auparavant le Livre de Moïse, guidée et miséricorde, et ce Coran en est la confirmation en langue arabe…” S46.V12.

En ce cas, les différences que l’on peut constater correspondent alors à des rectifications d’erreurs engendrées par la sécularisation des Ecrits :

“ Ô Gens du Livre, voici que vous parvient Notre Messager afin d’éclaircir une grande part de ce que vous aviez dérobé du Livre…” S5.V15.

Le principe présidant à cette rectification des erreurs apparues dans les Ecrits antérieurs au Coran est clairement exprimé en un autre verset dont nous proposons une traduction commentée :

“ Nous t’avons révélé le Livre [le Coran] porteur de la vérité ; confirmant ce qui t’est antérieur [les livres révélés à partir de l’Ecrit archétypique] et veillant à ce que [la vérité contenue en cet archétype soit rectifiée par ce Coran]…” S5.V48.

Une des conclusions théologiques de cette définition du Coran par lui-même est donc naturellement située à la suite de ce même verset : le Coran inscrit définitivement Judaïsme, Christianisme et Islam en une continuité temporelle et spirituelle :

“…Voici que vous parvient de la part de Dieu une lumière et un Ecrit explicite par lequel Dieu guidera sur les chemins du Salut quiconque recherche la satisfaction divine…” S5.V15-16. L’on notera ici le pluriel à « chemins », ou « voies », et le singulier à « Salut ».

Ainsi, logiquement, le Coran se revendique-t-il comme étant la clôture, la conclusion, du cycle de la Révélation :

“…Muhammad…est le Messager de Dieu et le sceau des prophètes…” S33.V40. 

Il n’est donc pas étonnant de trouver dans le Coran des passages par dizaines, si ce n’est par centaines, que la critique historique rattache aisément aux autres Textes : Thora, Evangiles, évangiles apocryphes, mais aussi midrash, certaines gnoses, etc. chacun d’entre eux ayant conservé dans une certaine mesure trace des révélations qui constituèrent directement ou indirectement leurs textes originaux.

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Sous l’angle Occidental, extérieur au phénomène mais totalement centré sur lui-même, il ne peut s’agir que d’emprunts hétérogènes. Mais, et le problème se pose ainsi, le Coran, tout en ayant une parenté évidente avec les anciennes « révélations », s’écarte aussi très nettement des textes supposés être sa référence. Il n’y a pour ainsi dire aucun de ces passages qui ne soit en fait identique à ce à quoi il semble avoir puisé.

 Autre point, il est fait recours à des sources non canoniques, rares et dispersées, avec autant, si ce n’est plus, d’emprunts mais, en ce cas aussi, sans être pour autant à la lettre. Autre particularité, la totalité des ces informations est pleinement refondue en un seul et unique système de pensée théologique, cohérent et homogène, système caractérisant au demeurant l’Islam, à savoir : l’unicité transcendante et absolue de Dieu dont la puissance et l’intransigeance traverse de part en part le texte coranique.

De là surgit le paradoxe, et même la contradiction, si l’on suppose que Muhammad aurait été l’auteur du Coran :

D’une part il n’est pas du tout prouvé que le Prophète fut lettré, voire alphabétisé, et, bien au contraire, les arguments en faveur de son illettrisme sont forts, c’était de fait le cas de l’Arabie d’alors. L’on comprend toutefois que ce sujet ait fait, et fasse encore, l’objet de moult controverses, mais nous pourrions aisément démontrer par l’analyse des arguments et références de ses détracteurs que le Prophète ne sut jamais lire et écrire. Rappelons toutefois qu’il fallut pour ainsi dire inventer l’écriture pour transcrire le Coran à cette époque et que cet effort perdura sur près de deux siècles pour aboutir à une écriture correcte et complète, une scriptio plena.

 De plus, ces Ecrits antérieurs au Coran, si l’on suppose qu’ils étaient disponibles à cette époque -ce qui est improbable pour le territoire de l’Arabie mais possible dans les environs- étaient en diverses langues : araméen, hébreu, grec, syriaque, pehlvi, etc. Il aurait donc fallu que Muhammad sache lire en ces divers idiomes, et eut pris connaissance de l’ensemble de ces textes répartis sur un territoire grand comme l’Europe. Il aurait fallu aussi qu’il fût un écrivain génial, car le Coran est le premier livre qui n’ait jamais été conçu en langue arabe. Les arabes ne connaissaient alors que la poésie transmise oralement, à part peut être quelques odes dites mu’allaquât dont on peut mettre même en cause jusqu’à l’authenticité.

De plus, ces centaines d’informations émaillant le texte coranique diffèrent le plus souvent dans le détail, tel fait est cité, tel autre occulté, tel autre rejeté. Et, à bien considérer, il s’agirait en fait d’un travail d’érudit que d’avoir étudié autant de textes et de les avoir méthodiquement critiqué ou annoté. On peut légitimement se demander comment un seul homme aurait pu réaliser un tel travail au vu du milieu où il évoluait. Pour le moins, il aurait été le premier de son temps à le pouvoir faire ce qui mériterait alors éloges !

Si la plus simple des études critiques concernant les récits du moine Bahîra et du théotrope Waraqa ibn Nawfel démontre aisément leur improbable existence, l’orientaliste, depuis le XIXème siècle, se trouve dans l’obligation de les valider pour tenter d’expliquer comment Muhammad aurait pu accomplir un tel prodige. Mais il n’est là que chimères et, quoiqu’il en soit de leur réalité, de telles épisodiques rencontres n’auraient pas été à même de faire d’un modeste chamelier un docte moine doublé d’un exégète rabbin !

Face à cet irrésoluble énigme, on propose depuis quelques temps une autre hypothèse : il n’y aurait pas un auteur, mais des auteurs. Le Coran aurait été alors écrit sur un, deux, ou trois siècles, par divers scribes à la solde des puissances califales. Ces scribes issus des territoires conquis par les Arabes étaient de langues, de religions et de cultures diverses et chacun aurait posé sa pierre à l’édifice du Coran ; s’expliquerait ainsi l’hétérogénéité supposée du Coran.

Dans cette perspective, l’on en vint à affirmer que le Coran n’était pas à l’origine en langue arabe. Il aurait été tout d’abord écrit par ces scribes étrangers en syriaque, araméen, voire hébreu, puis, par la suite, mal arabisé. De là, les différences d’avec les Ecritures Sacrées de référence qui ne seraient en fait que des erreurs de traduction ou de compréhension. Ces inventions imaginatives sans l’once d’une preuve -nous avons tous bien ri lorsque nous goûtâmes les raisins blancs du Paradis que nous avait proposé un certain Luxemberg- sont des filles attendues de l’impasse logique que les allégations hâtives du XIXème siècle ont enfanté.

Mais encore, il faudrait nous expliquer d’où proviendrait le concept théologique unique et reconnu par les musulmans durant ces trois siècles de rédaction laborieuse. Quelle force aurait refondu le tout selon un seul mouvement de pensée homogène. En effet, il est aisé de constater, nous l’avons dit, que l’ensemble des différences ou des erreurs attribués au Coran sont issues d’une même logique. Ne faudrait-il pas alors l’intervention d’un autre homme, un autre génie ; Qui ? Où ? Quand ? Combien ? On l’aura compris, par l’absurde de cette projection logique prétendant éloigner le Coran de son origine divine, en réalité, on l’y ramène.

Mais encore, Il faudrait expliquer les sources authentiques transmises par les musulmans qui, pour être peu nombreuses et parcellaires, montrent sans ambiguïté que Muhammad pendant près de 23 ans sous les yeux de milliers de compatriotes, sans quitter l’Arabie, sans posséder le moindre livre, dicta oralement par centaines de fragments le texte du Coran ? Dans ces conditions, les hypothèses de l’hyper critique portée par l’air du temps n’ont aucun fondement historique probant, bien moins en tout cas que celles fournies par les musulmans. D’autre part, elles ne résistent pas à l’analyse logique ni à la confrontation à la réalité, c’est-à-dire le Coran lui-même, et son contenu original et cohérent, quoiqu’en disent ceux qui ne l’ont pas réellement étudié en profondeur et avec la neutralité seyant à tout chercheur.

La thèse du plagiat ne repose donc sur aucun argument solide, rien qui ne puisse être prouvé.

Ceci étant, les données historiques plaident en faveur du fait que l’on peut attribuer le texte du Coran à Muhammad et à lui seul. S’il l’en est l’auteur, c’est un génie ayant transcendé en une synthèse hors du commun la totalité des écrits religieux et théologiques de son temps. Mais ces mêmes faits historiques ne peuvent en rien expliquer comment il aurait pu parvenir à réaliser une telle oeuvre en de telles conditions.

Au fond, le croyant retrouve là son credo : il croit en Dieu et aux Livres révélés sans avoir à en faire la preuve mais, et c’est acte de raison parfaite, tout en sachant que rien de ce en quoi il croit ne peut être démontré. 

Dire le Coran révélé est du domaine de la croyance, et toute l’admiration que nous lui portons, toute la lumière qu’il nous dispense, ne constitueront jamais preuve de sa nature révélée. Mon propos était donc, strictement, de montrer que le point de vue du camp adverse, qui se veut argumenté, ne l’est point. Le Coran étant une réalité tangible, dénier ou renier son origine met le contradicteur dans l’obligation rationnelle d’apporter des preuves concrètes et probantes de ce qu’il affirme. Tel est peut être le véritable défi coranique. Le croyant, par contre, n’a rien à démontrer en la matière, il le croit tel, et telle est sa foi. De plus, il n’a pas à craindre pour ses certitudes ni à fuir le débat que l’adversité lui impose. La raison en Islam ne s’oppose pas à la foi, tout comme la foi ne s’oppose à la raison. De fait, l’une et l’autre se fécondent sans pour autant se mélanger, car si la foi peut épouser la raison, la raison ne peut prouver la foi.

Le Coran est notre Livre, et nous pouvons répondre qu’il n’est point nécessaire que d’autres le croient. Ce qui importe au juste, est que le Texte est là, transmis depuis XIV siècles et qu’il demeure la référence absolue des musulmans. Vouloir troubler ces origines n’a aucun sens intellectuel ; si l’on veut comprendre l’Islam l’on ne peut que chercher à comprendre son Texte et ce que les musulmans en disent. A ce point précis, toutes les synergies, les bonnes intentions intellectuelles, sont appelées à concourir, à découvrir ainsi des passerelles menant à une compréhension mutuelle et juste.

Pour les musulmans il s’agira d’une part d’un dialogue avec l’autre et, d’autre part, d’un dialogue interne :

– Dialogue avec l’autre : Bien trop d’entre-nous attendent que la compréhension mutuelle et le vivre ensemble émanent de l’autre, ce serait à lui de nous comprendre et d’être par conséquent tolérant ou, mieux, respectueux. Curieux retournement de « sens » de la part de ceux qui ont pourtant devoir de transmettre le Livre, patrimoine de l’humanité, ou tout du moins d’en fournir l’explication. Qui d’autre que celui qui s’efforce de vivre le Livre peut en témoigner avec justesse…

– Dialogue interne : La tache est ici peut être plus immense encore, la mission d’explication plus ardue, sans aucun doute. Notre relation au Livre est le plus souvent prise en charge par plus d’un millénaire de stratification. Si le passé est vérité absolue, alors notre présent est mort, définitivement figé. Morts, ceux d’entre-nous tournés désespérément vers un autrefois idéalisé, mythifié. Mort de même, notre Coran, lettre morte sans autre écho que de lointaines paroles, sans autre lumière que de faibles pâleurs venues du fond des temps.

C’est donc bien cette double dynamique qui nous permettra de progresser, et de résoudre les clivages entre les héritiers du même Livre.

Le Coran est notre Livre, notre cœur et notre âme. Vivre le Livre n’est point l’apprendre mais le comprendre ; Savoir écouter ce qu’il nous dit directement, sans intermédiaires, dans l’instant pour l’instant. Etre au présent vivant par le Livre, comprendre qu’ici réside l’intemporalité du Message. L’accès au sens provient alors d’une compréhension pleinement littérale, approche du texte menant à la contemporanéité du Coran et à son universalité dans la fidélité à la lettre.

Se réapproprier le Livre, le lire les yeux ouverts dans la clarté de nouveaux matins, et cheminer sereinement vers la lumière. 

Et ainsi, être au présent vivant, musulman, hommes et femmes de foi, d’intelligence, de respect, en un seul mot : dignes. Dignes de notre religion, de notre Livre, de notre rôle. Dignes de l’autre, dignes de l’humanité. Dignes de Dieu, dignes de la fraternité des croyants et de la Communauté du Livre. Dignes de la différence et dignes de l’égalité.

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