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Le concept d’ijtihâd (partie 1)

Nous nous attacherons à traiter dans ce présent article, d’un concept qui a profondément influencé l’approche du droit musulman quelles que soient les écoles doctrinales en islam : l’ijtihâd.

C’est l’effort de réflexion déductive qui se manifeste au sein de tout un corps juridique élaboré au fil des temps par les juristes musulmans (fuqaha).

Ce principe se place en général après les deux sources scripturaires incontournables, le Coran et la Sunna, mais se trouve surtout à la base du qiyas ou raisonnement analogique et du consensus ou ijmâ’. Nous indiquons, d’abord, l’objectif et les limites de notre analyse. Car parmi l’ensemble des questions qui se posent au musulman, le problème du statut de l’ijtihâd. C’est-à-dire ; sa relation au pouvoir et au vouloir d’un Dieu unique, omniscient par essence et connaissant la vie des hommes sur cette terre. Nous ne considérons ici, exclusivement que la question centrale qui est de savoir si l’homme a le droit d’intervenir, à l’aide de l’ijtihâd, dans l’élaboration des règles et des jugements qui deviendront par la suite des statuts réglementant la vie des gens, ou le domaine est réservé à Dieu seul : Ce que les savants appellent généralement : (thawâbit : principes immuables).

Nous n’envisageons donc pas de parler des questions qui, dans les traités du droit musulman, se trouvent traditionnellement liées aux textes, comme le Coran, la Sunna et plus ou moins le Qiyâs. Lesquels font partie des sources du droit musulman et approuvés à l’unanimité par les juristes. Ainsi que l’intérêt public (maslaha), la préférence juridique (istihsan), la coutume (’urf). Lesquels, eux, font partie des sources du droit relevant de la divergence. Cela dans la mesure où s’entend par là une problématique particulière distincte de notre étude détaillée de l’ijtihâd ; ou encore, le point de savoir si Dieu veut ou non intervenir dans la vie des hommes. La réfutation de cette idée a été proclamée par la majorité des juristes sunnites, mais la confirmation de celle-ci même, par les juristes zâhirites et littéralistes, est d’une intransigeance inégalée Certes, telle ou telle de ces questions pourra être évoquée en cours de route, mais sans faire l’objet d’une étude spécifique.

Traiter de la question de l’ijtihâd impose aux chercheurs deux démarches : L’une, est la plus simple et toujours prioritaire. Elle se fonde sur l’argumentation par énoncé de preuves (adilla) et réfutation de pseudo preuves (shubah) de l’adversaire, et ce, dans le dessein d’établir le principe fondamental qui montre l’authenticité de sa thèse. L’autre, est la plus hasardeuse du fait qu’elle se fonde sur la théorisation pour définir le principe fondamental de l’ijtihâd, l’analyser, étudier sa portée dans le temps, l’espace et sur la personne humaine, et de voir l’exacte responsabilité de l’homme dans ses actes, de définir la nature et l’importance de son intervention au regard de l’intervention divine à travers l’ijtihâd.

Dans le cadre de notre étude, nous avons trouvé pertinent de nous focaliser sur ce principe mouvant du droit musulman, tout en exposant de temps à autre certaines idées de personnages historiquement en avance sur leur temps tel Ibn Hazm, Ibn Rushd ou Abû Hayyân Al-Tawfîdî. Les juristes-penseurs sûrement les plus représentatifs du mouvement de pensée de l’ijtihâd à des époques différentes. Mais, époques d’effervescence intellectuelle dans tous les domaines de la pensée.

Les objets de notre étude seront donc tout naturellement : D’une part les arguments mis en oeuvres par les juristes mujtihids en faveur de leurs opinions sur l’ijtihâd ; d’autre part les théories qui se rattachent au processus de la réalisation de ce même ijtihâd, lesquelles sont développées à partir de ce principe. En réalité, nous abordons notre travail conformément à l’usage des traités du droit, où l’énoncé des thèses précède toujours l’exposé des arguments. Comme par ailleurs, la question opposant essentiellement -comme tant d’autres – les opinions des sunnites littéralistes (zâhirites) aux sunnites traditionalistes (les adeptes des écoles reconnus).

Une analyse s’ensuit inévitablement, puisque les règles dépendantes du principe de l’ijtihâd, sont à la base de notre recherche. Donc une réflexion sérieuse, intégrale et attentive, restituera le plus fidèlement possible la pensée réflective, dans un style actuel, commode et accessible à tous. Aussi notre analyse ne saurait-elle prétendre avoir dominé le sujet, ni rendu complètement et parfaitement sa portée.

La littérature sur la pensée ijtihâdienne est considérable. Elle le devient de plus en plus à mesure que de nouvelles études sont publiées – surtout en langue arabe -. Dans l’analyse, nous nous étendrons sur ce qui nous paraîtrait le plus important : c’est-à-dire l’ensemble des écoles juridiques musulmanes que ce soit le sunnisme classique représenté par les trois écoles majeures, malikite, hanafite, shafi’ite et hanbalite ou le shi’îsme avec toutes ses ramifications, car tout effort dans ce domaine est le bienvenu. Nous parlerons du droit musulman moderne qui de son côté, et grâce à l’intérêt des thèses d’Ibn Taymiyya notamment, peut être crédité d’apports véritablement originaux au droit musulman en général.

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Toujours concernant l’exposé et l’analyse des différentes thèses, nous ne nous figerons pas sur ce que nous appelons la période classique du droit. Nous intégrerons donc dans notre étude d’une part la période récente – sous ses deux aspects de sclérose et de renouveau -, d’autre part et surtout la période des origines. Cela sans oublier les positions juridiques kharijites ou murji’ites.

S’agissant maintenant de l’examen des arguments des antagonistes. Il nous a paru nécessaire de rétrécir plus encore notre champ d’investigation, car il n’est pas question de rapporter ici, ne serait-ce qu’en résumé, la totalité de l’argumentation développée durant des siècles de polémique sur la question de l’ijtihâd.

En bref, il est évident qu’à l’échelle du temps l’argumentation mise en oeuvre d’un côté et de l’autre n’est pas restée indéfiniment la même ; son contenu, son vocabulaire ont changé. Les partenaires, eux aussi changent à partir d’un certain moment. Nous nous tiendrons donc pour l’analyse et l’étude des arguments à des idées et non pas à des personnes ou des périodes. Ce travail est de caractère purement analytique. Nous ne sommes pas proposé d’établir quel doit être le vrai concept de l’ijtihâd aujourd’hui. Mais seulement d’analyser ce qu’en ont dit, dans le cadre conventionnel du droit musulman à toute époque, des savants d’époques diverses de l’histoire ce droit. Nous nous permettrons cependant d’émettre un avis, d’autant plus innocent, précisément, que nous ne sommes pas senti engagé dans la polémique, si ce n’est que pour contribuer à l’éclaircissement de certaines idées qui influencent largement la vie des musulmans d’aujourd’hui. En effet, à travers l’étude de l’ijtihâd chez d’imminents juristes et des redoutables adversaires, nous voyons un facteur de renouveau de la pensée juridique musulmane. On ne nous soupçonnera pas en ce qui nous concerne, d’hostilité à l’égard du littéralisme des zâhirites et nous ne pouvons nous réjouir de l’intérêt que lui portent les jeunes musulmans d’aujourd’hui.

Mais nous pensons honnêtement après cette étude, que le zâhirisme littéraliste n’est pas convenable – à l’exception de quelques idées novatrices – à notre actualité.

Pour quiconque admet, impartialement, la grandeur de la civilisation islamique – parmi d’autres – et croit à la vérité tangible des grands principes du droit musulman. Il n’y a pas à mon sens une autre position possible que la position du sunnisme classique. Mais encore, faut-il s’en faire une idée exacte. Le choix n’est pas entre littéralisme zahirite et fatalisme sunnite classique, comme le laissent penser certains littéralistes dans certains pays !!!.

Car, la position sunnite ijtihadite s’efforce, justement, de dépasser ces deux opinions extrêmes, également irrecevables, de fournir l’effort nécessaire pour découvrir, en chaque moment de l’histoire, les moyens de résoudre les problèmes toujours nouveaux que pose la réalité. Cela, dans le sens de la voie du juste-milieu que favorise l’islam. En effet, l’exercice de l’ijtihâd collectif des savants de l’islam, est la condition nécessaire à une véritable renaissance ; qui apprend aux gens à distinguer l’essentiel, à sortir de l’imitation servile (taqlîd), à aborder à partir de la révélation du Coran ; le tawhîd, qui symbolise la lutte contre tout genre d’idolâtrie moderne ; comme celles du scientisme, du fanatisme, de l’uniformisme et de toute idéologie destructrice. Il faut donc, extrapoler, raisonner par analogie, tenir compte des traditions propres à chaque peuple, qu’il s’agisse des révélations antérieures ou des droits coutumiers, tenir compte du bien public, tout en respectant les principes et la visée première du Coran et de la Sunna.

Toute étude moderne – qui se veut réformatrice – de la pensée musulmane doit prendre en compte la compréhension – par les savants (mujtahid) de jadis – des textes coraniques ou traditionnels concernant la méthodologie de la recherche juridique de l’époque qui leur a permis de développer des idées très originales, et certainement très en avance sur leurs siècles . Ces mêmes idées peuvent ouvrir des clairvoyances intéressantes et fécondes pour le réformisme juridique contemporain dont l’islam a plus que jamais besoin. De l’islam dans sa lutte contre le littéralisme de ceux qui se contentaient de répéter et d’imiter aveuglement les exégètes anciens ou le formalisme, de ceux qui, sans aborder les problèmes de leurs temps, réduisent l’islam à un exercice instinctif des rites, et pour réveiller ceux qui oublient la révélation divine sous le poids de la soumission aveugle aux anciens (salaf), nous citons le verset suivant : “Lorsqu’on leur dit : conformez-vous à ce que Dieu a révélé ! Ils répondent : Non ! Nous suivons la coutume de nos pères. Et si leurs pères ne comprenaient rien ? Et s’ils ne se trouvaient pas sur la voie droite ? “.

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