in , ,

Le Cheikh et les jeunes (partie 1/2)

Traditions, interprétations du Coran, repli sur soi ou universalité… Bien des thèmes autour de ce dialogue entre le Cheikh Bentounès, guide spirituel de la confrérie Alawiya, et des jeunes venus des banlieues, investis dans l’action sociale et/ou associative.

Mohamed : Nous sommes venus parce que nous manquons d’informations. Dans nos quartiers, les intégristes attirent les jeunes, par exemple ceux en échec scolaire. Ils sont de fait les seules sources d’informations sur l’islam. Je sais qu’il y a des discours différents mais où est le vrai et où est le faux ? L’Islam est une construction, et le fait de vous rencontrer peut nous aider à recevoir d’autres informations.

 

Cheikh Bentounès : Je l’espère car la vie est une rencontre, ce qui veut dire aussi échanges. Quel est l’Islam vrai, authentique ? L’Islam vrai, ce n’est pas dans le discours qu’on le trouve, c’est dans l’expérience personnelle. Ce n’est ni moi, ni un autre qui peut vous dire quel est le vrai Islam. Le vrai Islam, c’est une expérience qui repose sur notre intimité, ce que moi je vis, pas ce que j’entends ou ce qu’on me dit. Il y a le Coran et les hadiths qui sont la base du message. Et puis il y a une question d’interprétation. A l’époque de Sidna Ali (gendre du Prophète et 4e calife) des gens se sont fortement opposés à lui. Ils ont brandi le Coran en disant : ’ Le livre de Dieu décidera entre vous ’ et Ali a eu cette parole extraordinaire à ses partisans : ’ Surtout ne faites pas la même chose, ne brandissez pas le Coran ’. Le Coran a bon dos. Parce qu’il a plusieurs facettes. Le Coran est un livre saint, fait de lumière, de sagesse. Si on commence à l’appliquer comme une charte, un code ou une constitution, on le dévalorise parce qu’il devient tout à fait manipulable. L’Islam est comme de l’eau. L’eau n’a pas de couleur, c’est le récipient, donc toi, moi, la culture d’où l’on vient, qui lui donnons une couleur. Nous lui donnons, en tant que personnes, en tant qu’individus ayant une culture, une certaine couleur et une certaine saveur. Dans son essence l’Islam est universel. Il parle à tous les hommes. L’Islam de l’Arabie saoudite ne ressemble pas à l’Islam de l’Europe et il ne lui ressemblera jamais. Cet Islam intégriste veut imposer. Or on ne peut pas imposer : Le Coran lui même le dit : La ikra’a fi d-din. On transmet. Après, l’homme fait ce qu’il veut. On ne peut pas contraindre quelqu’un.

 

Abdellah  : A quel moment s’arrêtent nos traditions culturelles pour laisser place à l’universalité de l’Islam ?

 

Cheikh Bentounès : C’est une très bonne question. Aujourd’hui, si on est honnête et objectif, on va dire que les traditions l’ont emporté sur le message universel de l’Islam. Partout, ce sont les traditions et les coutumes locales qui l’ont emporté. Il y a beaucoup de choses que l’on met sur le dos de l’Islam mais qui sont de l’ordre des coutumes et des mœurs. Prenons l’exemple de l’excision dont on a beaucoup parlé en Europe récemment. L’excision n’est pas islamique. Pourtant elle est mise sur le dos de l’Islam. Elle est comprise par certains peuples comme une obligation islamique. Et la coutume est tellement pesante que personne ne dénonce cela. Aujourd’hui ce dont on a besoin, notamment pour les jeunes, ce n’est pas de dire je suis musulman ou pas, c’est de dire je suis un être, un individu et le hasard a voulu que je naisse et que je grandisse dans ce pays apparemment non musulman. Le colonialisme a contrôlé un jour ces pays et, en retour, il y a eu une phase migratoire vers l’Europe. Aujourd’hui, vous qui êtes nés dans ce pays, avez-vous la possibilité de revenir vers les pays d’origine ? Non, vous êtes d’ici. Vous êtes à 90 % européens. Les 10 % qui restent, essayons d’en faire une richesse plutôt qu’un poids, un fardeau, un malaise. Vous avez la chance de vivre un Islam que vous pouvez dépoussiérer. Vous pouvez lui enlever son arabité, son africanité, les couches des cultures qui lui ont donné des formes et des couleurs aujourd’hui loin de vous.

 

M.C : Dans les quartiers, il y a une question importante, celle de l’interdiction faite aux musulmanes d’épouser un non musulman. C’est un vrai problème sur lequel il faudrait avoir des interrogations.

 

Cheikh Bentounès : Et même si cette personne devient musulmane, elle peut être rejetée. Le fait de dire : il n’est pas musulman n’est qu’un prétexte. On lui trouve une autre tare. C’est le paradoxe. Cela vient du manque de culture, mais aussi du manque d’éveil, de conscience.

 

Abdellah  : Le fait d’interdire à quelqu’un de se marier avec quelqu’un de différent est totalement idiot et on le trouve partout. Mais si le jeune homme qui va épouser ma fille ne s’intéresse pas du tout à l’Islam, comment doit-je réagir ?

 

Cheikh Bentounès : Il faut poser la question d’une autre manière. Qu’est-ce que c’est que notre islamité ? Est-ce se marginaliser par rapport à l’autre ? Est-ce la conservation de l’espèce ?

 

Farid : C’est le discours qu’on entend.

 

Cheikh Bentounès. C’est le discours d’une société d’il y a 15, 10 ou 8 siècles. L’état du monde n’est pas aujourd’hui ce qu’il était il y a seulement un siècle. On pouvait avant tenir ce discours quand les communautés étaient distinctes.

 

Naïma : J’ai grandi au Val Fourré. J’ai toujours entendu qu’on ne peut pas moderniser notre religion. Ma sœur a épousé un non musulman qui s’est converti mais au début c’était non. Mes parents ont eu cette logique. On ne modernise pas. Pour moi, votre approche me séduit…

 

Cheikh Bentounès : Ce n’est pas une question de séduction. Le Prophète (SSP) disait : ’ Facilitez les choses, ne les rendez pas difficiles’. C’est être positif dans la vie, ne pas être négatif.

 

Abdellah : ça ne veut pas dire tout accepter.

 

Cheikh Bentounès : Non, mais il faut faire d’abord des distinctions avant d’accepter ou de rejeter qui que ce soit. Dans ma réflexion je fais la distinction entre ce qui est essentiel et ce qui est secondaire. Regardez ce qui se passe dans le monde musulman. Il y a un débat entre les intégristes qui disent ’ il ne faut pas changer une virgule ou un point du texte et l’appliquer à la lettre ’, et ceux qui disent ’l’appliquer à la lettre revient à figer l’Islam dans un contexte historique qui n’est plus le sien aujourd’hui ’. Nous sommes en contradiction avec notre époque. Certains oulémas disent ’ leur science nous n’en voulons pas. Dieu les a créé esclaves. Eux ils produisent, ils construisent, ils étudient et nous, nous sommes les jouisseurs’. Vous acceptez ce discours ? C’est ce qui est en train d’arriver à nos enfants car ils n’ont pas assez d’éducation : ni islamique, ni occidentale.

 

Abdel : C’est une minorité.

 

Cheikh Bentounès : On va commencer une session dans les prisons. Par exemple à Grasse, 50 % des prisonniers sont d’origine maghrébine.

 

Abdel : Mais sur l’échelle de la France c’est pas les Maghrébins qui remplissent les prisons !

Publicité
Publicité
Publicité

 

Cheikh Bentounès : A Bruxelles, à la prison centrale, tu as 61 % de maghrébins, c’est un fait, on ne peut pas le nier. Nous devons faire quelque chose. Nous avons un héritage d’une richesse humaine extraordinaire et nous n’en faisons rien. Il est statique. Il est figé dans un espace temps. Psychologiquement nous vivons dans le passé. Quand on parle de l’Islam, on le vit et on le sent dans le passé. L’Islam de Médine.

 

Abdel : C’est parce qu’il est pur cet Islam-là.

 

Cheikh Bentounès : Non. Si l’Islam de Médine était pur pourquoi, dès la mort du Prophète, au 3e khalife, ils se seraient entretués ? l’Islam pur, c’est ce qui est en toi. (A’mal bi-l niyyat : les actions valent par les intentions). Tu ne peux pas avoir un Islam pur dans une société. L’Islam pur, c’est le Prophète et le Coran. Un point c’est tout. Le reste n’est dépendant que des êtres humains.

 

Mohamed : Le problème aussi en ce moment c’est que même dans l’Islam, il y a du racisme. On peut se marier avec un musulman mais il doit être soit marocain ou autre.

 

Cheikh Bentounès : Ce sont les pré-jugés racistes. Cela n’a rien à voir avec l’islam.

 

Fouad : C’était compréhensible quand les gens vivaient dans un espace limité. Le qadi pouvait t’interdire de te marier avec quelqu’un d’extérieur parce qu’il estimait que cela pouvait être néfaste. Les gens ont gardé le prétexte des origines. Mais aujourd’hui tu peux vivre à Cergy et après tu peux partir à Dublin.

 

Cheikh Bentounès : Regardons notre passé pour savoir qui nous sommes et, ensuite, prenons des décisions pour savoir où nous allons. Sans exclure quiconque : aucun savant ou théologien ne peut exclure quelqu’un de l’Islam car il n’y a pas d’excommunication dans l’Islam. Personne ne peut exclure personne. Il y a 5 piliers dans l’Islam. Si tu pratiques, c’est pour toi car c’est un outil de travail sur soi et non une contrainte. Sommes-nous musulmans par tradition, par héritage ou par expérience ? Quelle partie de moi-même occupe l’Islam ? L’Islam prend une autre dimension si nous nous posons cette question. Or notre islamité aujourd’hui s’attache plus au socio-culturel qu’au spirituel et à l’universel. Le jour où nous nous libérerons dans notre tête des contraintes socio-culturelles que l’on nous a transmises, nous pourrons vivre l’Islam en pleine liberté, en le désirant, non pas parce que nos parents sont musulmans. Nous inverserons le problème.

 

Fatimata : Je suis originaire du Sénégal confrérique. Je me demande pourquoi je devrais choisir entre plusieurs confréries.

 

Cheikh Bentounès : Encore le socio-culturel. Ce n’est pas parce qu’au Sénégal l’Islam est confrérique qu’il te faut obligatoirement choisir une confrérie… En Arabie saoudite, l’Islam est wahhabite, donc certains devraient automatiquement être wahhabite ?

 

Fouad : C’est quoi le wahhabisme ?

 

Cheikh Bentounès C’est un Islam strict, un Islam à la lettre, celui qui a donné naissance à tous les intégrismes.

 

Fatimata : Quand j’ai parlé à mon père d’aller voir les autres confréries, mon père m’a dit, reste dans la tidjane, c’est le vrai Islam.

 

Cheikh Bentounès : Tu vois, on ne peut pas se sortir de la pesanteur du milieu, de la coutume, ça c’est un Islam de contrainte. On t’impose une voie, une direction. Qu’est-ce qui domine ? Ce n’est pas ta propre recherche. L’Islam est basé sur l’intention. Si notre intention c’est l’Islam extérieur, l’Islam de la forme, donc je devrais manger comme mangeait le Prophète, m’habiller comme lui, etc. Il y a des gens qui le font et te disent ça c’est la sunna. Pour eux c’est un refuge

 

Farid : C’est comme une voiture pour eux, plus elle a d’option mieux elle est, donc plus je me rapproche du Prophète et plus je serai proche du vrai Islam (rires)

 

(à suivre…)

 

Ce dialogue est paru dans la lettre de nos amis de l’association de ’’Terre d’Europe’’.

Publicité
Publicité
Publicité

Laisser un commentaire

Chargement…

0

Appel à l’envoi de missions civiles de protection du peuple Palestinien

Le Cheikh et les jeunes (partie 2/2)