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Le calendrier musulman en 10 questions (2/2)

9. Quels sont les arguments des juristes musulmans qui prônent l’utilisation du calcul ?

Le cadi Ahmad Muhammad Shakir (18), un juriste éminent (19) de la première moitié du 20è s., qui occupa en fin de carrière les fonctions de Président de la Cour Suprême de la Charia d’Egypte, est un bon représentant de cette tendance. Il a publié, en 1939, une étude originale axée sur le côté juridique de la problématique du calendrier islamique, sous le titre : « Le début des mois arabes … la charia permet-elle de le déterminer en utilisant le calcul astronomique ? » (20) D’après lui, le Prophète a tenu compte du fait que la communauté musulmane (de son époque) était « illettrée, ne sachant ni écrire ni compter », avant d’enjoindre à ses membres de se baser sur l’observation de la nouvelle lune pour accomplir leurs obligations religieuses du jeûne et du hajj.

Mais, la communauté musulmane a évolué de manière considérable au cours des siècles suivants. Certains de ses membres sont même devenus des experts et des innovateurs en matière d’astronomie. En vertu du principe de droit musulman selon lequel « une règle ne s’applique plus, si le facteur qui la justifie a cessé d’exister », la recommandation du Prophète ne s’applique plus aux musulmans, une fois qu’ils ont appris « à écrire et à compter » et ont cessé d’être « illettrés ».

Shakir rappelle également le principe de droit musulman selon lequel « ce qui est relatif ne peut réfuter l’absolu, et ne saurait lui être préféré, selon le consensus des savants. ». Or, la vision de la nouvelle lune par des témoins oculaires est relative, pouvant être entachée d’erreurs, alors que la connaissance du début du mois lunaire basée sur le calcul astronomique est absolue, relevant du domaine du certain.

Il rappelle également que de nombreux juristes musulmans de grande renommée ont pris en compte les données du calcul astronomique dans leurs décisions. Shakir souligne, en conclusion, que rien ne s’oppose, au niveau de la charia, à l’utilisation du calcul pour déterminer le début des mois lunaires et ce, en toutes circonstances, et non à titre d’exception seulement, comme l’avaient recommandé certains ulémas.

Il observe, par ailleurs, qu’il ne peut exister qu’un seul mois lunaire pour tous les pays de la Terre, basé sur le calcul, ce qui exclut la possibilité que le début des mois diffère d’un pays à l’autre. Le professeur Yusuf al-Qaradawi, Président du Conseil Européen pour la Fatwa et la Recherche (CEFR) est un autre représentant de cette tendance. En 2004, il a publié une étude intitulée : « Calculs astronomiques et détermination du début des mois », (21) dans laquelle il prône pour la première fois, vigoureusement et ouvertement, l’utilisation du calcul pour l’établissement du calendrier islamique.

Il cite à cet effet, avec approbation, de larges extraits de l’argumentation juridique développée par Shakir dans son étude de 1939. La « Islamic Society of North America », le « Conseil du Fiqh d’Amérique du Nord » et le « Conseil Européen pour la Fatwa et la Recherche » appartiennent également, désormais, à cette école de pensée, ayant annoncé, tour à tour, en 2006 et en 2007, leur décision d’utiliser, dorénavant, un calendrier annuel basé sur le calcul astronomique. (22) Ils justifient leur décision selon les mêmes lignes de raisonnement que Shakir et al-Qaradawi.

10. Y a-t-il des efforts de la part des musulmans pour développer un calendrier islamique « universel » ?

Au cours du dernier demi-siècle, la Ligue arabe, l’Organisation de la Conférence Islamique et d’autres institutions similaires ont présenté à leurs Etats membres plus d’une demi-douzaine de propositions dans le but de développer un calendrier islamique commun. Bien que ces propositions n’aient jamais abouti, jusqu’ici, les efforts continuent dans cette voie, à la recherche d’une solution acceptable pour toutes les parties concernées.

De son côté, le Conseil du Fiqh d’Amérique du Nord (CFAN), qui s’est senti depuis des années interpelé par cette question, a annoncé au mois d’août 2006 sa décision mûrement réfléchie (22) d’adopter désormais un calendrier islamique basé sur le calcul, en prenant en considération la visibilité du croissant où que ce soit sur Terre. (23)

Utilisant comme point de référence conventionnel, pour l’établissement du calendrier islamique, la ligne de datation internationale (International date line (IDL)), ou Greenwich Mean Time (GMT), il déclare que désormais, en ce qui le concerne, le nouveau mois lunaire islamique en Amérique du Nord commencera au coucher du soleil du jour où la conjonction se produit avant 12 : 00 GMT.

Si elle se produit après 12 : 00 GMT, alors le mois commencera au coucher du soleil du jour suivant.

Le CFAN retient le principe de l’unicité des matali’e (horizons), qui affirme qu’il suffit que la nouvelle lune soit observée où que ce soit sur Terre, pour déterminer le début du nouveau mois pour tous les pays de la planète qui recevraient l’information. Après avoir minutieusement étudié les cartes de visibilité du croissant lunaire en différentes régions du globe, (3) il débouche sur la conclusion suivante :

Si la conjonction se produit avant 12 : 00 GMT, cela donne un temps suffisant pour qu’il soit possible d’observer la nouvelle lune en de nombreux points de la Terre où le coucher du soleil intervient longtemps avant le coucher du soleil en Amérique du Nord. Etant donné que les critères de visibilité de la nouvelle lune seront réunis en ces endroits, on pourra considérer qu’elle y sera observée (ou qu’elle aurait pu l’être si les conditions de visibilité avaient été bonnes), et ce bien avant le coucher du soleil en Amérique du Nord.

Par conséquent, sur ces bases, les stipulations d’observation de la nouvelle lune seront respectées, comme le prescrit l’interprétation traditionnelle de la charia, et le nouveau mois lunaire islamique débutera en Amérique du Nord au coucher du soleil du même jour. Si la conjonction se produit après 12 : 00 GMT, alors le mois commencera en Amérique du Nord au coucher du soleil du jour suivant.

La décision de 2006 du Conseil du Fiqh d’Amérique du Nord (CFAN) a suscité de l’intérêt dans de nombreux pays musulmans, dans la mesure où elle tient compte des exigences de l’interprétation traditionnelle de la charia, tout en permettant d’établir à l’avance un calendrier islamique annuel, qui peut en fait s’appliquer à l’ensemble du monde musulman. Le début des mois de ce calendrier serait programmé sur la base du moment (parfaitement prévisible, longtemps à l’avance) auquel la conjonction se produira chaque mois.

Des astronomes d’une dizaine de pays se sont ainsi réunis au Maroc, en novembre 2006, en vue de discuter de la possibilité d’adoption d’un calendrier islamique universel. D’après un rapport publié par Moonsighting.com en décembre 2006, à une très forte majorité, comprenant l’Arabie Saoudite, l’Egypte et l’Iran, les astronomes ont estimé que le calendrier adopté par le Conseil du Fiqh d’Amérique du Nord pouvait être utilisé comme calendrier islamique universel. (24) (25)

Mais, le CFAN a changé de position en 2007, et décidé de se rallier à une décision du Conseil Européen pour la Fatwa et la Recherche (CEFR) qui s’alignait sur les paramètres du calendrier saoudien d’Umm al Qura (17) pour déterminer le début des mois musulmans (en utilisant comme paramètres que la « conjonction » se produise « avant le coucher du soleil aux coordonnées de la Mecque », et “que le coucher de la lune ait lieu après celui du soleil” aux mêmes coordonnées.) (26)

Sur le plan méthodologique, la substitution des paramètres du calendrier d’Umm al Qura à ceux établis par le CFAN dans sa décision d’août 2006 a les effets suivants :

  •  L’exigence que la « conjonction » se produise « avant le coucher du soleil aux coordonnées de la Mecque », au lieu de 12 :00 h GMT, comme spécifié auparavant par le CFAN, augmente de 3 heures la plage durant laquelle la conjonction sera prise en compte. Ceci améliore les chances pour que le premier jour du nouveau mois, déterminé selon la méthodologie du calendrier d’Umm al Qura, ne soit décalé que d’un jour par rapport au calendrier lunaire établi par les observatoires astronomiques.
  •  Par contre, le paramètre selon lequel « le coucher de la lune doit avoir lieu après celui du soleil aux coordonnées de la Mecque » introduit une condition restrictive par rapport aux paramètres établis par le CFAN en 2006. Il implique que la nouvelle lune doit être potentiellement visible à la Mecque le soir qui suit la conjonction, alors que le CFAN basait son raisonnement sur le fait que la nouvelle lune serait potentiellement visible « quelque part sur Terre ».

    D’après le CFAN, les données du calendrier ainsi établi ne diffèrent que de manière marginale de celles obtenues par l’application de sa méthodologie d’août 2006. Le CFAN et le CEFR justifient l’adoption des nouveaux paramètres par le souci de développer un consensus des musulmans à travers le monde sur des questions d’intérêt commun, dont celle du calendrier.

    Les décisions du CFAN et du CEFR ont déjà eu les retombées importantes suivantes :

  •  Le principe d’utilisation du calendrier basé sur le calcul est officiellement parrainé par des leaders religieux connus et respectés de la communauté musulmane (20) (21) (22) ;
  •  Il est adopté officiellement par des organisations islamiques dont nul ne conteste la légitimité (26) ;
  •  Les communautés musulmanes d’Europe et d’Amérique sont disposées à l’utiliser pour la détermination du début de tous les mois, y compris ceux associés à des occasions à caractère religieux.

    La traduction de ces décisions, sur le plan concret, sera influencée de manière importante par l’attitude des différents Etats musulmans à leur égard, puisqu’ils ont le dernier mot en la matière, sur leur territoire. Par exemple, l’Arabie Saoudite n’utilise le calendrier d’Umm al Qura que pour la gestion des affaires administratives du pays. (17) Elle affirme qu’il n’est pas conforme à la charia de l’utiliser pour la détermination des dates à caractère religieux, telles que le début du mois de Ramadan, les eids al-Fitr et al-Adha, les dates associées au Hajj, le 1er Muharram, etc.

    Mais, lorsque l’utilisation du calendrier basé sur le calcul sera entrée dans les mœurs en Europe et aux Etats-Unis, les esprits ne seront-ils pas plus disposés, en Arabie Saoudite et dans d’autres pays musulmans, à utiliser un calendrier établi d’un commun accord, du type de celui d’Umm al Qura, pour la détermination du début des mois lunaires, y compris ceux associés aux occasions religieuses ? Les initiatives du CFAN et du CEFR pourraient donc amener de nombreux Etats musulmans à développer progressivement un consensus, à l’avenir, au sujet d’un « calendrier islamique universel » à l’usage de toutes les communautés musulmanes du monde. (27)

    Notes :

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    (3) Moonsighting.com

    (17) Van Gent : The Umm al Qura calendar

    (18) Ahmad Muhammad Shakir (notice biographique détaillée en arabe)

    (19) Un auteur de référence en matière de science du hadith

    (20) Ahmad Shakir : « Le début des mois arabes … la charia permet-elle de le déterminer en utilisant le calcul astronomique ? » (publié en arabe en 1939) reproduit par le quotidien « Al-Madina », 13 octobre 2006 (n° 15878)

    (21) Yusuf al-Qaradawi : « Calculs astronomiques et détermination du début des mois » (en arabe)

    (22) Zulfikar Ali Shah The astronomical calculations : a fiqhi discussion

    (23) Fiqh Council of North America : Islamic lunar calendar

    (24) Morocco meeting : Breakthrough for global Islamic calendar

    (25) Morocco meeting, November 2006, details

    (26) Islamic Center of Boston, Wayland : Moonsighting Decision documents

    (27) Ce texte s’inspire de deux articles de l’auteur publiés par Oumma.com sous les titres « 1er muharram : calendrier lunaire ou islamique ? » (15 mai 2006) et « La problématique du calendrier islamique » (2 février 2007), refondus et complétés par une analyse des décisions de 2007 du Conseil Européen pour la Fatwa et la Recheche (CEFR), de l’Islamic Society of North America (ISNA) et du Conseil du Fiqh d’Amérique du Nord (CFAN).

    Références en français : Emile Biémont, Rythmes du temps, Astronomie et calendriers, De Borck, 2000, 393p

    Louisg : Le début des mois dans le calendrier musulman

    Louisg : Le Calendrier musulman

    Nidhal Guessoum : Le problème du calendrier islamique et la solution Képler

    Mohamed Nekili : Vers un calendrier islamique universel

    Jamal Eddine Abderrazik, « Calendrier Lunaire Islamique Unifié », Editions Marsam, Rabat, 2004. Références en anglais : Helmer Aslaksen : The Islamic calendar

    Selected articles on the Islamic calendar

    Islamic Crescent’s Observation Project (ICOP) : Selected articles on the Islamic calendar

    Mohamed Odeh : The actual Saudi dating system

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3 commentaires

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  1. L’arabie, dite saoudite, etait le seul pays, au monde, dont l’administration suivait le calendrier lunaire.

    Cela suppose donc que cette arabie etait credible, observation des croissants de tous les mois.lunaire, pas seulement celui du Ramadan et celui du pelerinage.

    Ibn Salman avait abondonné ce calendrier lunaire, l’amérique n’en veut plus, et l’Arabie suit donc, pour la première fois dans l’histoire, le calendrier solaire comme toutes les republiques dites musulmanes.
    Ibn Salman se prend pour Jule Cesar.

    Le Coran dis que la lune est un quide et le soleil une energie.
    L’amerique dit que le soleil, physiquement une energie et politiquement un guide, la lune n’est rien.

    Logiquement,
    La seconde est definie à l’echelle microscopique.
    Le jour est defini par un mouvement : la rotation diurne.
    Le mois est defini par un mouvement : L’orbite de la lune.
    C’est le mois qui fait l’année (calendrier lunaire)et non le contraire (calendrier solaire).

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